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Message  léo Ven 18 Mai - 10:15

" Des mots chargés,
L'écriture comme discipline de combat. "


Récemment j'ai pensé à quelque chose que j'avais écrit il y a quatorze ans, et qui était devenu un des passages les plus cités : « Chaque matin quand je me réveille je me demande si je devrais écrire ou exploser un barrage. » Bien que j'aie foi en mon travail d'écrivain, je savais que ce n'était pas un manque de mots qui tuait les saumons dans le Nord-ouest. C'était la présence des barrages.

Depuis ce temps, les choses se sont empirées pour les saumons, comme presque tout vivant sur terre. A présent nous savons tous quels sont les chiffres, ou du moins le devrions-nous. 200 espèces s'éteignent chaque jour, 90% des grands poissons dans les océans ont disparu, plus de 98% des forêts natives ont été détruites, 99% des prairies, et ainsi de suite. Virtuellement tous les indicateurs biologiques pointent dans la mauvaise direction. Les communautés natives – humaines et non humaines – sont ciblées et attaquées. Là où je vis, la population des grenouilles s'est effondrée, comme celle des tritons, celle des papillons, celle des cousins, des libellules, des limaces, des oiseaux. Ce sont effondrées les populations de corbeaux. Celle des chauve-souris. Des chenilles hérissonnes. Les papillons de nuit. Les bourdons. Et ce sont juste les espèces dont j'ai remarqué l'effondrement. Les saumons bien sûr continuent de s'éteindre. A ce point-là je leur donne 15 ans. Si nous pouvons faire tomber la civilisation industrielle dans les quinze prochaines années, je pense qu'ils pourraient s'en sortir. Mais si ça dure plus longtemps ils ne survivront pas.

Alors où l'écriture trouve-t-elle sa place ? Nombreux sont ceux d'entre nous qui ont oublié, ou n'ont jamais su, que les mots peuvent servir d'armes au nom des communautés. Depuis bien trop longtemps, de bien trop nombreux critiques et professeurs nous ont inculqué que la littérature devraient être apolitique (comme si cela était possible) , et que même les ouvrages non fictifs ou journalistiques devaient être « neutres » ou « objectifs » (comme si cela, là aussi, était possible). Si vous voulez envoyer un message, ils nous ont dit, utilisez Western Union. Une fois j'ai parlé avec un écrivain biologiste qui a refusé d'accoler son nom à une campagne de protection d'une espèce à laquelle il avait consacré un ouvrage, en disant pour justifier : « Je suis un écrivain. Je dois rester neutre. »

Quand le monde est en train d'être assassiné, un telle positionnement est inexcusable. C'est immoral. Et cela révèle une grande ignorance de que signifie être écrivain. Est-ce que ces gens ont entendu parler de Steinbeck, Dickens, Crane, Hugo? Charlotte Perkins Gilman? Rachel Carson? Frederick Douglass? Harriet Beecher Stowe? Alexandra Kollontai? George Eliot? Katharine Burdekin? Zora Neale Hurston? Andrea Dworkin? B. Traven? Upton Sinclair? Et un peu de Tolstoï, quelqu'un ?

Je ne devrais être celui que je suis et je ne devrais pas écrire ce que j'écris sans avoir appris de mes ainés qui ont refusé de croire que les écrivains devaient être apolitiques, neutres ou objectifs. La vérité est plus importante, disent-ils. C'est plus important que l'argent. C'est plus important que la célébrité. C'est plus important que votre carrière. C'est plus important que vos préjugés. Suivez la vérité – suivez les mots et les idées – quel que soit le le lieu où cela mène. Les mots comptent, disent-ils. L'Art compte. La littérature compte. Les mots, la littérature et l'art peuvent changer les modes de vies, et l'Histoire. Assurez-vous que vos mots, votre art et votre littérature orientent les gens, individuellement et collectivement vers la justice et le durable. Ils ont dit que la littérature soutenant le capitalisme est immorale. Que la littérature soutenant le système patriarcal est immorale. Que la littérature qui ne résiste pas à l'oppression est immorale. Mais que vous pouvez aider à la création d'une littérature de morale et de résistance, et chaque génération doit créer cette littérature, avec l'aide des générations d'avant, tendant leurs mains pour soutenir, juste comme ceux qui viendront après auront besoin des vôtres.

On m'avait aussi appris que l'art a les moyens d'être une discipline de combat, il l'est d'ailleurs, et pour être moral, il doit l'être.

Reconnaître que l'art peut être une discipline de combat fait partie du processus nécessaire pour aller vers le changement social, mais cela ne fait pas tout. Si trop peu d'entre nous se souviennent que les mots peuvent être des armes, encore moins peuvent se souvenir que, comme armes, les mots ne sont capables de se battre seuls. Les mots en eux-mêmes ne détrônent pas les dictateurs, ils ne stoppent pas le capitalisme, l'oppression, l'extinction des espèces, le réchauffement planétaire, ils ne dégagent pas les barrages. Au point où nous en sommes nous devons vraiment faire quelque chose. Au point où nous en sommes il est nécessaire de démanteler physiquement les infrastructures autorisant la métastase capitaliste, l'oppression, l'extinction des espèces et le réchauffement climatique à accélérer, les dictateurs et les barrages à rester.

Cette tâche nous incombe à tous.

Un ami et mentor une fois m'a demandé : « Quels sont les problèmes les plus vastes, les plus pressants, que tu peux aider à résoudre en utilisant les dons qui te sont propres dans cet univers ? » Cette question montre précisément là où j'ai réussi en tant qu'écrivain et être humain, et précisément là où j'ai échoué.

Par bien des points je pourrais considérer mon activité d'écrivain comme étant un succès dépassant tout. J'ai rêvé à ça quand j'étais jeune. J'avais sorti 20 livres. Les gens semblaient apprécier de les lire et se rendaient à mes conférences, et cela m'honorait, j'avais du mal à y croire. Malgré la vérité du bon vieux cliché sur l'écriture, c'est un terrible chemin pour gagner sa vie et une grande voie pour vivre, du moins pour ces quelques dernières années où je peux vivre de ce que j'écris. Plus important que tout cela, toutefois, c'est que j'ai été vrai avec ma muse, et que j'ai tenté au moins de dire la vérité telle que j'en suis venu à la comprendre. Et j'ai parfois réussi à articuler toutes ces choses que je sais vraies au fond de mon cœur, et en faisant cela j'ai, j'espère, aidé d'autres à articuler certaines de ces choses qu'ils savent vraies au fond de leur cœur.

Voilà ce qui est bon. Mais le fait reste que si nous jugeons mon travail, ou le travail de qui que ce soit, selon un impératif le plus partagé, en fait le seul qui compte vraiment, qui est la santé de la planète, mon travail ( et celui des autres) est un échec total. Parce que mon travail n'a pas stoppé le meurtre de la planète. Ni le travail de qui que ce soit. Nous n'avons même pas réussi à le ralentir. C'est embarrassant d'avoir à expliquer pourquoi c'est le seul impératif qui compte réellement, mais être embarrassé à ce point est le dernier de nos soucis. La santé de la planète est l'impératif qui compte réellement parce que sans une planète vivante plus rien n'importe, parce que plus rien n'existe. Pour comparer, le nombre de livres qu'on peut publier ne compte pas. S'assumer financièrement ne compte pas. La vie en elle-même est plus importante que ce que l'on crée.

Ces jours-ci quand je me réveille, je suis encore moins certain que ma décision d'écrire est la bonne. Je sais qu'une culture de résistance a besoin de toute forme d'action, de l'écriture à la manifestation, au démantèlement physique de toutes ces infrastructures destructrices. Et qu'il y a trop peu de gens appelant aux actions qui pourraient se mesurer à ce qui menace la planète. Et donc, pour le meilleur et pour le pire, la plupart des matins, articuler la vérité et la défendre en ralliant les autres à la défendre de quelle que manière qu'ils connaissent est la méthode que j'ai choisie.

Le temps de l'attente est fini depuis longtemps. Il est temps de stopper cette culture qui détruit la vie sur terre. Alors prenez ma main. Prenez la main de tous ceux qui sont venus avant nous. Mais gardez une main libre, pour un coup de poing ou un stylo. La vie des océans, des forêts, des rivières, des saumons, des esturgeons, des oiseaux migrateurs, est bien plus importantes que tous nos accomplissements. C'est leur santé qui mesure notre réussite.


Article par Derrick Jensen pour Orion Magazine mars avril 2012.
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