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Le Pitbull et le Magicien.
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Le Pitbull et le Magicien.
Il était une fois un homme qu'on surnommait le Pitbull. Il avait en effet, depuis tout petit, l'étrange habitude de taper sa tête contre les murs. Avec le temps, le visage avait prit le pli. Ainsi il traînait sa face écrasée dans les rues de la ville, respirant mal, comme le chien du même nom ; on l'entendait arriver vers soi, aux angles, le nez sifflant ; l'air passait mal, comme s'il ne voulait plus passer du tout.
Il croisa un jour un homme politique dans une boîte de strip-tease. Ca alors, dit l'homme, vous êtes un véritable phénomène. Moyennant finance, il lui promit célébrité et gloire. Le Pitbull, dont les patrons ne voulaient pas, fut d'accord. Et puis l'homme semblait tout bien fait : moustache fournie, c'était un savon bien ventru ; propre, la chair douce, il sentait bon. Tout glissait sur lui et ressortait en petites bulles roses.
Mon bon ami, dit l'homme, vous serez une Révolution à vous tout seul. Je vois la Société de demain : les gens n'aiment pas votre visage ; vous êtes puceau ? Oui, dit le Pitbull. Alors, dit l'homme, vierge et laid, vous serez le premier symbole à détester : je m'en vais dire aux gens qu'ils ne veulent pas être comme vous. Ils me croiront.
Ainsi l'homme politique passa une année entière à réfléchir. Et il créa le Pedigree. En effet, cette entreprise explique au peuple la nécessité de présenter un visage irréprochable, disait-il aux journalistes. Il brandissait le Pitbull devant lui. Voyez cet homme et cet affreux visage. Voulez-vous, comme lui, être le fruit d'une race dégénérée? Voulez-vous promener votre laideur au coin des rues? Non, dit le peuple, nous voulons savoir la beauté ; la taille exacte de nos poches ; et si nous pouvons, dans les couloirs de nos immeubles, remplir les fesses de nos voisines. Alors, dit l'homme, inscrivez-vous au Pedigree.
Au bout de quelques années, tout le monde était inscrit. Le Pedigree fournissait tout. Le Pitbull, pourtant, riche et premier symbole, était haï des gens. Il traînait toujours sa carcasse ; parfois, brutalisé par quelqu'un qu'il dégoûtait, il retournait frapper sa tête contre le mur d'une ruelle. Alors seulement, étourdi, le nez gorgé de sang et de bulles, il rêvait à nouveau d'être aimé.
Il était pourtant, en tant qu'instigateur du Pedigree, régulièrement convié aux réunions. Là, quelques sous-fifres de l'Homme-Savon faisaient le choix des prochaines affiches. Les affiches étaient la vraie révolution du Pedigree. Elles glissaient la bonne phrase, selon la circonstance. Le monde, selon eux, était à régir par l'Affiche. Chaque affiche utilisait le bon slogan pour la bonne circonstance. En effet on ne croisait plus, dans les rues de la ville, d'hommes qui discutaient : l'envie de voyage était un logo ; le désir d'amour, un slogan. C'était enfin arrivé : la Grande Société des Acronymes.
Un jour que le Pitbull se promenait, il fut agressé par un homme du Pedigree. Tu n'es qu'une merde, disait-il, mon pauvre chien ; on a dégénéré ta race. Il tapait fort entre ses jambes et le Pitbull s'en fut dans une autre ruelle. Là on donnait un spectacle. Un Magicien dansait au pied d'un immeuble : je suis l'Illusionniste, chantait-il. Regardez, regardez bien ! Et de ses mains sortaient des visions. Le peuple attroupé applaudissait, prudent. On n'était pas sûr que cet homme-là soit du Pedigree.
Le Pitbull, installé à bonne distance, suivait fasciné les images qu'il faisait jaillir. Une femme qui l'entendait respirer vint se coller contre lui en remuant les fesses. Je suis ta voisine, dit-elle ; je ne suis vraiment pas farouche. Comme il lui caressait la nuque elle se cambra et lui planta une épingle dans l'oeil en le traitant de monstre.
Alors le Pitbull pleura, assis sur une marche. Autour les gens du Pedigree qui partaient passaient près de lui. Certains levaient la patte et lui urinaient sur la tête. On a dégénéré sa race, murmuraient-ils. C'était le slogan d'une affiche.
Pourtant, il s'aperçut en relevant la tête que le Magicien, son spectacle terminé, pleurait aussi. Il lui en demanda la raison. Les gens ne voient pas les images, dit l'homme. Ils ne lisent pas les mots. Ils ne lisent pas les mots. Ils y flânent. Ce sont des lâches... d'affreux touristes de mes visions. Aujourd'hui, je n'ai pas récolté un sou... Ils diront du mal de moi ! Ils ne reviendront pas demain. Et il pleurait de plus belle. Le Pitbull le raccompagna dans sa roulotte ; et pendant quelques années, ils furent bons amis.
Un membre du Pedigree sonna chez le Pitbull un matin : Monsieur, dit-il, il est vital pour vous de vous rendre chez le Tamponneur. Sans quoi nous vous exclurons pour de bon. La mort dans l'âme il s'y rendit ; couché là sur une table métallique il laissa le bras d'acier imprimer, sur son visage plat, le tampon du Pedigree. L'encre se fixa mal ; mais dès qu'il sortit se pressèrent contre lui les hommes qui manifestaient leur respect ; les femmes qui frottaient leur corps. On a amélioré sa race, disaient-ils. C'était le slogan d'une affiche.
Z 28 06 13
Il croisa un jour un homme politique dans une boîte de strip-tease. Ca alors, dit l'homme, vous êtes un véritable phénomène. Moyennant finance, il lui promit célébrité et gloire. Le Pitbull, dont les patrons ne voulaient pas, fut d'accord. Et puis l'homme semblait tout bien fait : moustache fournie, c'était un savon bien ventru ; propre, la chair douce, il sentait bon. Tout glissait sur lui et ressortait en petites bulles roses.
Mon bon ami, dit l'homme, vous serez une Révolution à vous tout seul. Je vois la Société de demain : les gens n'aiment pas votre visage ; vous êtes puceau ? Oui, dit le Pitbull. Alors, dit l'homme, vierge et laid, vous serez le premier symbole à détester : je m'en vais dire aux gens qu'ils ne veulent pas être comme vous. Ils me croiront.
Ainsi l'homme politique passa une année entière à réfléchir. Et il créa le Pedigree. En effet, cette entreprise explique au peuple la nécessité de présenter un visage irréprochable, disait-il aux journalistes. Il brandissait le Pitbull devant lui. Voyez cet homme et cet affreux visage. Voulez-vous, comme lui, être le fruit d'une race dégénérée? Voulez-vous promener votre laideur au coin des rues? Non, dit le peuple, nous voulons savoir la beauté ; la taille exacte de nos poches ; et si nous pouvons, dans les couloirs de nos immeubles, remplir les fesses de nos voisines. Alors, dit l'homme, inscrivez-vous au Pedigree.
Au bout de quelques années, tout le monde était inscrit. Le Pedigree fournissait tout. Le Pitbull, pourtant, riche et premier symbole, était haï des gens. Il traînait toujours sa carcasse ; parfois, brutalisé par quelqu'un qu'il dégoûtait, il retournait frapper sa tête contre le mur d'une ruelle. Alors seulement, étourdi, le nez gorgé de sang et de bulles, il rêvait à nouveau d'être aimé.
Il était pourtant, en tant qu'instigateur du Pedigree, régulièrement convié aux réunions. Là, quelques sous-fifres de l'Homme-Savon faisaient le choix des prochaines affiches. Les affiches étaient la vraie révolution du Pedigree. Elles glissaient la bonne phrase, selon la circonstance. Le monde, selon eux, était à régir par l'Affiche. Chaque affiche utilisait le bon slogan pour la bonne circonstance. En effet on ne croisait plus, dans les rues de la ville, d'hommes qui discutaient : l'envie de voyage était un logo ; le désir d'amour, un slogan. C'était enfin arrivé : la Grande Société des Acronymes.
Un jour que le Pitbull se promenait, il fut agressé par un homme du Pedigree. Tu n'es qu'une merde, disait-il, mon pauvre chien ; on a dégénéré ta race. Il tapait fort entre ses jambes et le Pitbull s'en fut dans une autre ruelle. Là on donnait un spectacle. Un Magicien dansait au pied d'un immeuble : je suis l'Illusionniste, chantait-il. Regardez, regardez bien ! Et de ses mains sortaient des visions. Le peuple attroupé applaudissait, prudent. On n'était pas sûr que cet homme-là soit du Pedigree.
Le Pitbull, installé à bonne distance, suivait fasciné les images qu'il faisait jaillir. Une femme qui l'entendait respirer vint se coller contre lui en remuant les fesses. Je suis ta voisine, dit-elle ; je ne suis vraiment pas farouche. Comme il lui caressait la nuque elle se cambra et lui planta une épingle dans l'oeil en le traitant de monstre.
Alors le Pitbull pleura, assis sur une marche. Autour les gens du Pedigree qui partaient passaient près de lui. Certains levaient la patte et lui urinaient sur la tête. On a dégénéré sa race, murmuraient-ils. C'était le slogan d'une affiche.
Pourtant, il s'aperçut en relevant la tête que le Magicien, son spectacle terminé, pleurait aussi. Il lui en demanda la raison. Les gens ne voient pas les images, dit l'homme. Ils ne lisent pas les mots. Ils ne lisent pas les mots. Ils y flânent. Ce sont des lâches... d'affreux touristes de mes visions. Aujourd'hui, je n'ai pas récolté un sou... Ils diront du mal de moi ! Ils ne reviendront pas demain. Et il pleurait de plus belle. Le Pitbull le raccompagna dans sa roulotte ; et pendant quelques années, ils furent bons amis.
Un membre du Pedigree sonna chez le Pitbull un matin : Monsieur, dit-il, il est vital pour vous de vous rendre chez le Tamponneur. Sans quoi nous vous exclurons pour de bon. La mort dans l'âme il s'y rendit ; couché là sur une table métallique il laissa le bras d'acier imprimer, sur son visage plat, le tampon du Pedigree. L'encre se fixa mal ; mais dès qu'il sortit se pressèrent contre lui les hommes qui manifestaient leur respect ; les femmes qui frottaient leur corps. On a amélioré sa race, disaient-ils. C'était le slogan d'une affiche.
Z 28 06 13
Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: Le Pitbull et le Magicien.
Il te passe de drôles de choses par la tête en ce moment...
Toujours bien écrit mais j'ai moins accroché à celle-ci. Question de tempérament.
Nilo, L.O.F.
Toujours bien écrit mais j'ai moins accroché à celle-ci. Question de tempérament.
Nilo, L.O.F.
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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
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