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Jersey
Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Jersey
Le soleil se lève doucement sur la Manche… A côté de moi, un jeune à capuche fait tinter ses bouteilles de vodka dans son sac Duty Free. Le vent siffle contre mon blouson alors qu’un groupe d’Allemands grabataires rentrent s’abriter. J’ai une chanson de Sinatra dans mon MP3. J’ai envie de rester là pour contempler le spectacle.
Le bateau est incroyablement plus « humain » que l’avion. Alors que coincé dans une boîte à sardine, on se sent prisonnier, bloqué des heures durant sans tabac, dans le bateau, le sentiment de liberté est total. On a l’impression qu’on pourrait aller n’importe où. « Eh ! Capitaine ! Cap sur les Antilles ! »
J’aime le bateau, ça me rappelle mon enfance et les moments joyeux. J’habitais sur l’île d’Aix et je devais prendre le bac le matin et le soir pour me rendre au collège. Les premières cigarettes et les premières conneries. Une fois, les marins m’ont attaché sur le pont pendant toute la traversée tellement j’étais insupportable. Je devais patienter des heures souvent seul sur le port, parfois un peu moins selon la marée. Quand je voyais le bateau accoster, c’était le signe que j’allais rentrer chez moi au bout d’une petite demi-heure. C’était quand même autre chose que le RER.
La houle ne me dérange pas mais semble perturber les autres qui se cramponnent à tout se qu’ils trouvent. Je décide de retrouver ma copine qui pionce dans la cabine.
- On est presque arrivé. On voit les côtes de Jersey, tu devrais venir dehors c’est beau avec le soleil qui se lève.
- Excuse-moi j’ai dormi ! On arrive dans combien de temps ?
- Je sais pas, une demi-heure je dirais.
- T’as préparé ton discours ?
- Non.
- T’avais dit que tu le ferais dans le bateau ! c’est ce soir !
- Arrête de me stresser ! tu sais bien que je supporte pas !
- C’est pour toi mon chéri que je dis ça.
- Oui bah ça m’aide pas.
- Mon pauvre chéri.
- Laisse-moi tranquille.
Lorsque nous arrivons, les passagers évacuent dans le calme. Une file ordonnée se met en place. Sans le faire exprès, je bouscule un des passagers. Il s’excuse poliment et je lui réponds d’un signe de tête. « les gens sont vraiment polis ici » dis-je à Véronique. Nous débarquons et passons à la douane. Des panneaux indiquant la présence de chiens douaniers me tendent légèrement. J’ai eu plusieurs expériences malheureuses avec ces chiens. Je me revois encore il y a quelques années, couvert de honte et de peur parce qu’un des chiens avait flairer quelque chose de suspect dans une de mes poches. « Cherche le jouet » encourageait gaiement un agent des stups. Je regardais fixement le berger Allemand pour lui faire comprendre par la pensée que je n’avais pas envie du tout de jouer et que s’il y avait un jouet enterré quelque part ce n’était sûrement pas dans mes poches. « non ! » dis-je dans ma tête « le jouet n’est pas ici. Va donc chercher du côté du rasta un peu plus loin ! » Mais c’était trop tard, il avait reniflé sa proie. Tout ce qu’il restait à faire était de me lever de tendre les mains vers le flic et d’avouer. « Je suis une saloperie de criminel. Foutez-moi les menottes et jetez moi en tôle ! Bien des chefs-d’œuvre ont été écris en prison n’est-ce pas ? »
Nous traversons le port. Le ciel est d’un bleu limpide et l’eau est claire et calme. Le fait que les gens roulent à gauche me procure une incroyable angoisse à chaque fois que je traverse la route. Il semble qu’eux mêmes se perdent dans les méandres de la circulation puisque à chaque passage piéton des inscriptions indiquent s’il faut regarder à gauche ou à droite. Le détail qui est le plus marquant reste encore une fois la politesse des conducteurs qui s’arrêtent systématiquement pour nous laisser passer. On est bien loin de Paris où les chauffeurs donnent l’impression qu’ils préfèreraient écraser une école maternelle entière plutôt que de perdre une minute. Ce qui est idiot puisque l’écrasement de piéton et, à fortiori de mineur, est incroyablement chronophage. Voilà ce qu’il faudrait écrire à l’entrée de la ville : Attention éviter des constats inutiles, n’écrasez pas de piétons !
La vieille, nous étions invités dans une soirée chez des gens de gauche. L’une des invités s’occupe, par exemple, de régulariser des sans papiers chinois. Il m’a fallu de gros efforts pour ne pas commenter ce type de loisir. Véronique n’a pas réussi à se taire et à dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas : « Tu ne trouves pas qu’il y en a déjà trop ? » On a tous éclaté de rire. Heureusement qu’il y a des jolies filles pour balancer ce genre de réflexion. Ce qui est sûr, c’est que si j’avais osé dire un truc pareil j’aurais été marqué à vie du sceau indélébile du fascisme. C’est incroyable de voir que chez ces gens pétris d’humanité, défendant corps et âme la liberté, on ne tolère pas la moindre pensée déviante même si c’est de l’humour, sauf bien sûr si ça sort d’une jolie fille d’apparence aussi innocente que Véronique. J’étais déjà légèrement tendu en arrivant. J’avais apporté un grand cru pour faire bonne impression. Notre hôte, n’ayant pas beaucoup de verre, a servi le vin dans des tasses. Ils l’ont bu à grandes gorgées avec des commentaires du genre : « il est pas mal le pinard !». Je voyais partir ces euros durement gagné à la sueur de mon front dans le gosier de ces rustres. La soirée a définitivement basculé quand un des invités s’est offusqué qu’un passager de métro, bloqué entre deux stations, a dit au téléphone « je me suis encore tapé un suicide ! ». « c’est vraiment la négation de l’être humain ! » dit l’un des convives. « arrêtez un peu vos conneries ! « dis-je, déjà peut-être un peu bourré. « Quel est le besoin de mettre fin à sa vie de merde en faisant chier 200 personnes ! C’est juste qu’il pourra se dire qu’il aura été un connard jusqu’au bout ! ». C’était fini pour moi et le sourire de Véronique n’a pas suffit à rattraper la situation surtout quand j’ai pris à partis l’assemblée en évoquant le fait qu’il m’arrivait fréquemment de regarder des documentaires sur la famine en Afrique, les pieds sur la table en bouffant des chips.
Après avoir tourné un peu en rond nous arrivons à l’hôtel en maudissant la fille qui nous a certifié que l’hôtel n’était qu’à 10 mn à pied de l’embarcadère. Nous déposons les bagages et partons à la découverte de Saint Hélier en attendant que la chambre soit prête. Nous déjeunons dans un petit fast-food à côté d’un marchant de poisson. J’ai pris le breakfast numéro 3 avec bacon, œufs, saucisses, flageolets (je ne sais plus comment ça s’appelle). Nous regardons le resto avec des grands yeux émerveillés de touristes. Je suis même heureux que ce soit vraiment dégueulasse parce que ça correspond à mes clichés des Anglais. Les deux jeunes filles en face de moi sont extrêmement laides. « je t’avais dit que les Anglaises étaient moches » dis-je à Véronique. Elle me répond : « au moins ici, je peux te laisser seul avec l’esprit tranquille. Je pense que c’est les îles, tu sais la consanguinité ». « Décidément si tu n’existait pas, il faudrait t’inventer ! »
Lorsque nous arrivons dans le centre ville, elle pousse des exclamations de joie en voyant tous les magasins. Je la laisse fureter dans les rues et me réfugie dans un pub. Je m’assois sur une table libre et commande une pinte de bière. Le décor est vraiment magnifique. Les lumières sont douces et tamisées et les fauteuils club en cuir incroyablement confortables. Le barman est un vieux monsieur très distingué à tel point que je me demande si tout n’est pas fictif tellement c’est conforme à l’image d’Epinal. Est-ce qu’un metteur en scène gère les passants à la manière de figurants. « Attention lord Anglais ! Tu traverses la rue et tu vas discuter avec le gros du fond. Accessoiriste ! j’avais demandé une canne avec un pommeau en argent ! » Ecolières en uniforme ! Top !
Je m’installe en terrasse en plein soleil, simplement pour prouver à mes collègues que l’on peut bronzer au large de la Normandie. J’ouvre mon calepin pour préparer mon discours. Je n’ai absolument pas d’idée. J’étais encore bourré quand j’ai promis à mon oncle que j’allais faire un speech pour ma cousine Justine. La dernière fois que je l’ai vu, elle devait avoir 8 ou 10 ans. Je me souviens juste que c’était une jeune fille agréable et gentille malgré son environnement familial. Toujours prête à faire la vaisselle ou passer l’aspirateur. Brave petite ! Un vrai personnage de la petite maison dans la prairie. « Maman, est-ce que je peux faire mes corvées, j’ai finit mes devoirs ? »
Sa mère mettait un point d’honneur à ce qu’elle ne fréquente que des blancs à sa crèche. Pauvre gamine ! ça a dû être difficile de se retrouver entre le fils de l’ambassadeur de Norvège et la fille d’un industriel américain. C’est un vrai miracle si elle n’est pas devenue une pétasse bourgeoise avec sac Vuitton et lunettes Chanel. Je me souviens qu’elle a fait un blog de mariage. Il y a une vidéo de leurs voyages sur une musique de Coldplay. Un texte sur leur histoire d’amour. Bof, rien de bien croustillant ni de bien original. Je commande une autre bière, griffonne un truc bateau en attendant Véro. Elle me rejoint un peu plus tard et commande une tasse de thé. Le serveur nous l’apporte dans un beau service de porcelaine. A côté de nous, Pétunia une vieille dame très élégante raconte devant un verre de vin la mort de son mari.
- Tu n’as rien remarqué Véro ?
- Non quoi ?
- Regarde autour de toi.
- Qu’est ce que tu as vu mon petit chéri avec tes yeux espiègles ?
- Mais regarde.
Autour de nous, des vieilles dames marchent tranquillement, et des hommes se saluent d’un coup de chapeau. Des petites chaises roulantes électriques s’arrêtent devant les bijouteries.
- Cette île est entièrement peuplée de personnes âgées !
- Je crois que tu as raison.
- J’espère qu’ils ne vont pas nous attaquer.
- J’ai vu une carte postale. J’aime bien les maisons. Ça a l’air joli, on pourrait peut-être y faire un tour.
- De toute façon on a le temps demain, notre bateau ne part qu’à 19h00.
- Et ton discours ?
- J’ai fait un truc vitre fait.
- Tout le monde sait que tu écrits dans la famille, ils vont sûrement s’attendre à quelque chose.
- Ah ! Arrête, arrête ! Mais pourquoi j’ai dit que je ferais quelque chose. Encore une occasion raté de fermer ma gueule.
Je me tiens la tête entre les mains, alors que Véro me passe sa main dans le dos pour me rassurer.
- Si tu savais comme ça me chier de me taper le mariage alors qu’on aurait pu passer la soirée tous les deux.
- Mais non. Je suis sûr que ça va être bien ton discours.
- Oui mais, on aurait pu se balader tranquillement le long de la côte sous la lumière tamisée des réverbères, On aurait été dans un restaurant avec des jolies fleurs sur des nappes blanches et on se serait amusé à tapoter la table pour faire vibrer des desserts en gelée et des machins à la sauce à la menthe.
- Tu exagères.
Nous faisons un dernier tour dans les rues de Saint Helier. Véronique regarde l’architecture Anglaise et ses façades un peu Rococos et désuètes avec beaucoup d’intérêt. Elle aime les vieilles choses un peu passées de mode. C’est quelqu’un qui est capable de s’extasier devant le pire des plats à asperge.
Nous rejoignons ma famille à L’église Baptiste. Il s’agit d’une secte protestante de gros tarés intégristes (G.W.Bush en fait parti). Après quelques chants de Rock Chrétien, un sermon à l’Américaine avec évanouissements dans la salle, témoignages d’anciens toxicos et mises en garde sur l’arrivée de l’apocalypse, les époux s’échangent enfin leurs vœux. Ça fait déjà un moment que Véronique a quitté la salle parce que la cérémonie lui a foutu les jetons. Il y a deux types de réaction pour le néophyte : Soit ça lui colle la gerbe et une trouille bleue soit il tombe dans une transe extatique frappé par la révélation. Il suffit de pas grand-chose pour basculer, rien qu’une petite faille dans votre esprit. Les pasteurs utilisent les mêmes techniques que les conférenciers américains du genre « devenir un winner » et comptent sur la galvanisation collective qui frise parfois d’hypnose et l’hystérie. J’ai vu par exemple une salle entière applaudir, les yeux révulsés tournés vers le ciel, après un sermon bien « couillu » sur le thème : l’abstinence est le seul moyen efficace de contraception et de protection contre le sida. Pendant le prêchi-prêcha, des spectateurs ponctuent les phrases par « AMEN ! » ou « ALLELUIA ! » repris en choeur par toute la salle. C’est pire encore qu’un troupeau de pisseuses devant un concert du Patrick Bruel de la grande époque.
Je rejoins Véronique dehors et j’allume une cigarette pendant la sortie des mariés. Les invités me scrutent d’un air furieux. « Tu sais que Jésus peut t’aider à arrêter ? » me dit un des fidèles. « Oui je sais ! J’ai toujours pensé que les patchs ressemblaient étrangement à des hosties » dis-je. Nous partons saluer la mariée et son mari et les féliciter. « C’est super que tu sois venu. » lance joyeusement Justine. Décidément, j’aime bien cette fille. Son mari à l’air déjà moins rigolo mais j’imagine que la famille a dû être contente d’accueillir ce jeune expert comptable blond comme les blés et fils de médecin. Je sais déjà que le gendre et le père partagent les mêmes passions : Le bon vin et l’argent. Je déteste mon oncle, pour lui, je ne suis qu’un raté congénital. Il n’a jamais pu encaisser que sa sœur ait épousé mon père qui passe son temps sur son île à boire du Ricard avec ses potes vêtu en permanence d’un bleu de travail et d’un marcel alors que lui, chef de la sécurité du conseil de l’Europe à Strasbourg, ne fréquente que des médecins, des avocats et des diplomates. Belle ascension social pour celui qui n’avait qu’un diplôme de réparateur de machine à écrire, métier qu’on pensait plein d’avenir à l’époque. Il a pu rentrer au conseil de l’Europe grâce à ses parents qui ont réussi a obtenir un piston de la comtesse Sforza leur voisine. Mes grands-parents ont toujours eu une dévotion naturelle pour cette aristocrate et ils étaient très heureux de pouvoir nourrir son chien ou tondre la pelouse en leur absence, ils en tiraient même une grande fierté.
Après une sieste bien méritée à l’hôtel, quelques plongeons dans la piscine et avoir enfilé nos costumes, nous nous rendons à la fête. Nous marchons le long de Green Street. Je suis de très mauvaise humeur. Mon discours est naze et je n’ai vraiment pas envie de faire bonne figure toute la soirée. Véronique s’extasie sur la grande demeure prêtée pour l’occasion par un ambassadeur Anglais. Il faut dire que ça a de la gueule. De l’extérieur, la maison paraît gigantesque, des sculptures de lions nous accueillent à l’entrée. Il y a un voiturier et des portiers. Nous devons présenter nos cartons à une hôtesse d’accueil aux jambes interminables.
Nous nous faisons servir des verres de champagne devant l’orchestre qui joue douce musique de chambre. Véronique est conquise par le décor. Un tableau gigantesque est accroché sur un des murs et au milieu de la pièce trône un superbe piano à queue. Les tables sont joliment arrangées avec des fleurs et de nombreux couverts. J’ai même entendu dire qu’ils avaient amené un cuisinier français.
Je contemple le tableau quand mon oncle vient me rejoindre.
- Il y a quelque chose d’étrange avec ce tableau mais j’arrive pas à mettre la main dessus.
- Oui, celui-là je l’aime bien. Enfin, tu sais ce que je pense de l’art.
- Je sais oui. C’est pas productif. J’imagine que tu dois être content que ton gendre soit expert-comptable.
- C’est un garçon qui a la tête sur les épaules. Et toi ? Tu continues à vouloir écrire ?
- Oui, tu sais bien.
- Et alors ? Tu gagnes bien ?
- Bah non.
- Ha ha ! Je te l’avais bien dit. Petit déjà, tu passais ton temps dans les bouquins. Et qu’est-ce que je t’ai dit ?
- Que ça sert à rien et que c’est pas les livres qui allaient me faire gagner de l’argent.
- Exactement.
Quand j’étais gamin, je partais de chez lui et j’avais pensé optimiser les douze heures de train qui me séparait de chez ma mère avec la lecture de « huit clos » de Sartre. Il m’avait vu le livre à la main et m’avait dit : « ça sert à rien ça ! » « Quoi ? » lui avais-je dit « Jean-Paul Sartre ? » « non. Les livres. » C’est un truc qui m’avait toujours poursuivi. A chaque fois que j’ouvrais un bouquin ou que j’écrivais quelque chose. Au bac de philo mon sujet était : « L’art est-il utile ? ». On peut parler de la révolution, des lumières, de ce qu’on veut mais je sens au plus profond de moi que l’art ne sert à rien d’autre qu’à embellir l’âme et alléger le poids de l’existence. Mais n’est-ce pas une raison suffisante ?
Je rejoins Véro au buffet qui avale tout ce qui passe à son passage. Elle parle la bouche pleine une main devant le visage avec un sourire de contentement. Je la regarde et déchire le papier que j’avais rédigé.
Un peu plus tard, nous sommes assis à table. Le frère du marié vient de faire son discours. J’avoue que c’était assez maîtrisé. Il a su mêlé un peu d’humour avec quelques anecdotes sur leur enfance puis il a conclu sur le sens de l’amour et de l’engagement. C’est un peu ce que j’aurais fait si je n’avais pas eu cette conversation avec mon oncle. Mais il m’a vexé et il va devoir payer d’une façon ou d’une autre. Je monte donc sur l’estrade, le cœur battant, prêt à un Hara-kiri familial.
« Bonjour, Messieurs Dames. Tout d’abord, je tiens à remercier mon nouveau cousin pour ce discours poignant. Je remercie aussi ma cousine de m’avoir invité même si j’aurais apprécié d’avoir un carton à mon nom et pas à celui de la famille. Je plaisante bien sûr, je sais que les invitations coûtent cher.
Enfin bref… Justine et Nicolas,
J’ai longtemps pensé à mon discours et j’ai eu beaucoup de mal à l’écrire parce que l’on ne se connaît pas très bien Justine et moi. J’y ai pensé tout à l’heure dans ma baignoire. Je savonnais consciencieusement mes épaules velues, bercé langoureusement par le coin-coin de Robert, mon canard Vibromasseur. J’ai d’abord imaginé faire un comparatif entre Nicolas, le marié, et Robert mon canard. Robert lui n’est pas éjaculateur précoce Justine, il ne compte pas scrupuleusement toutes tes dépenses. Il ne sera pas fatigué le soir après le boulot et ne se vautrera pas dans le canapé devant un match de foot. Il saura t’écouter lui. Même si, comme ton mari, il n’en aura rien à cirer de tes états émotionnels. Mais il fera semblant. Après cette pensée, je me suis dit que, devant une assemblée de gens aussi distingués que vous, il fallait faire quelque chose de plus original. J’ai commencé alors un anti-discours de mariage. Ça faisait ça : « est-ce bien raisonnable de se marier en 2011 ? Justine, Nicolas, je vous demande d’y réfléchir. La terre se réchauffe et la banquise fond, la guerre fait rage dans le moyen orient, la dette de l’Europe augmente. Aujourd’hui c’est la Grèce mais demain la France ? Nous serons peut-être devenu un pays du Tiers-monde ? Et qu’est ce que vous direz à vos enfants ? « Désolé mon garçon mais les ours polaires n’existent plus, le dernier s’est noyé alors qu’il regardait des braconniers tabasser à coup de pioche un pauvre phoque innocent. Allez ! Prends un ticket de rationnement et va t’acheter un Kinder Bueno ! » Et puis Nicolas, tu savais que seulement 10% des maris divorcés voyaient leurs enfants régulièrement. Parce que vous allez divorcer c’est mathématique. Aujourd’hui elle est belle dans sa robe de mariée. Mais demain ? Dans 10 ans, elle aura des varices, elle va grossir et plus tard ? Elle finira comme toutes les vieilles par prendre son temps en comptant sa monnaie alors qu’il y a une queue de 3 kms de long à la boulangerie… Tout en faisant part à tout le monde de ses commentaires sur l’influence de la météo sur son arthrite du genou… C’est à ce moment que Robert, d’un « coin-coin » râleur émerge de la baignoire pour me dire que je fais fausse route. Tu as raison coin-coin, personne n’a envie d’écouter la Traviata et d’allumer le gaz. Je décide alors de sortir du bain. La mousse renvoie des petites étincelles dorées sur le miroir. Je me tapote délicatement les pectoraux avec ma serviette-éponge. J’enfile négligemment mon peignoir de soie sauvage puis traverse mon immense salon second empire (acquis grâce au rôle joué par mes grands-parents durant l’occupation. Merci papi mami !) ne laissant derrière moi qu’un subtil parfum de Tahiti douche. Je m’assois sur mon bureau pur style Ikea 95 et mon ordinateur s’allume avec son joyeux. Je vais sur votre blog afin de puiser quelques idées. Je n’ai pas besoin d’aller chercher bien loin puisque dès la première ligne ça commence mal. Il paraît que Nicolas a fait sa demande au son d’un Gingle SNCF. Ce n’est pas très joli. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un gingle ? À moins que vous cherchiez à dire Jingle avec un J. Donc Nicolas a fait sa demande sur une faute d’orthographe. Ce n’est pas très brillant. Le fondement même de votre relation est bancal. Ton père me disait encore tout à l’heure que les livres ne servent à rien. Tu vois Albert, si tu l’avais encouragé à lire, ça lui aurait éviter de passer pour une conne le jour de son mariage. Ou alors c’est peut-être toi qui a écrit le texte ? Bon j’arrête de faire le pitre. Justine je te souhaite sincèrement beaucoup de bonheur et j’espère Nicolas que tu prendras bien soin d’elle. Et pour cette histoire de collaboration avec Papi et Mami, je plaisantais bien sûr. Comme dirait ton père : « On leur a peut-être donné les Juifs mais jamais les bons coins à champignon ! »
Le résultat n’est pas celui auquel je m’attendais. A la place d’un silence gêné, la salle entière se met à applaudir en s’étouffant de rire. Je me mets à rire moi aussi jusqu’à ce que mon regard se focalise sur l’assemblée. Quelques gros plans me sautent au visage : Des dents jaunes déchirant des morceaux dégoulinant de Homard sauce rouille. De la fumée de Havane s’échappant de narines poilues et une rangée inquiétante de gamins tous habillés pareil, tous blonds aux yeux bleus. Je pense à cet instant au grand tableau. C’est une peinture d’inspiration antique, il représente Persée tenant la tête de Méduse mais je n’avais pas remarqué au premier regard les traits étranges de Méduse. Pourquoi l’avoir affublé de lunettes et d’une barbichette ? « Mon Dieu » me dis-je « c’est Emile Zola ! »
Je rejoins Véro au buffet des desserts qui est occupée à choisir avec soin sa part de pièce montée.
- Je crois qu’on est tombé sur une vraie tribu de Nazi. Il faut qu’on se barre de là.
- Oui mais le dessert ?
- Prends-en pour la route.
Nous profitons que tous les invités, ivres de bon vin et de champagne, dansent sur la musique de « la danse des canards » pour nous ravitailler. Véro attrape tout ce qu’elle peut et le fourre dans son sac alors que je prélève deux ou trois bouteilles de champagne. Nous sortons de la pièce et Véro attrape au denier moment une cuisse de Chevreuil sur un des plateaux au milieu d’une table. Nous quittons la maison dans un grand éclat de rire.
Nous nous installons avec notre butin derrière l’hôtel face à l’océan sous la lumière tamisée des vieux réverbères. La nuit est douce et on se laisse bercer par le bruit régulier de l’océan. Je mastique la cuisse de chevreuil en avalant à la bouteille de grosses gorgées de champagne pendant que Véronique avale les choux à la crème qu’elle prend à pleines mains. Je jette la cuisse de Chevreuil au loin.
- Pourquoi tu la jettes ?
- On va quand même pas ramener ça à l’hôtel ? En tout cas s’était bon, avec le stress du discours j’ai rien bouffé de la soirée. Mais toi par contre, je sais pas comment tu fais pour pas grossir.
- C’est ma morphologie. Dit-elle la bouche pleine.
- Finalement, on a eu notre bout de soirée tranquille.
- Enfin seul.
Elle se réfugie dans mes bras. Je la berce doucement en lui caressant les cheveux. Au loin, nous apercevons l’ombre inquiétante et protectrice d’un fort militaire. Dans la rue, une bande de gamins s’amuse à envoyer des canettes de bière sur un chat. Véro tourne son regard tendre vers moi. Je la regarde en souriant. « les gens sont vraiment tarés » lui dis-je. « On s’en fout ! » me dit-elle avant de m’embrasser.
Le bateau est incroyablement plus « humain » que l’avion. Alors que coincé dans une boîte à sardine, on se sent prisonnier, bloqué des heures durant sans tabac, dans le bateau, le sentiment de liberté est total. On a l’impression qu’on pourrait aller n’importe où. « Eh ! Capitaine ! Cap sur les Antilles ! »
J’aime le bateau, ça me rappelle mon enfance et les moments joyeux. J’habitais sur l’île d’Aix et je devais prendre le bac le matin et le soir pour me rendre au collège. Les premières cigarettes et les premières conneries. Une fois, les marins m’ont attaché sur le pont pendant toute la traversée tellement j’étais insupportable. Je devais patienter des heures souvent seul sur le port, parfois un peu moins selon la marée. Quand je voyais le bateau accoster, c’était le signe que j’allais rentrer chez moi au bout d’une petite demi-heure. C’était quand même autre chose que le RER.
La houle ne me dérange pas mais semble perturber les autres qui se cramponnent à tout se qu’ils trouvent. Je décide de retrouver ma copine qui pionce dans la cabine.
- On est presque arrivé. On voit les côtes de Jersey, tu devrais venir dehors c’est beau avec le soleil qui se lève.
- Excuse-moi j’ai dormi ! On arrive dans combien de temps ?
- Je sais pas, une demi-heure je dirais.
- T’as préparé ton discours ?
- Non.
- T’avais dit que tu le ferais dans le bateau ! c’est ce soir !
- Arrête de me stresser ! tu sais bien que je supporte pas !
- C’est pour toi mon chéri que je dis ça.
- Oui bah ça m’aide pas.
- Mon pauvre chéri.
- Laisse-moi tranquille.
Lorsque nous arrivons, les passagers évacuent dans le calme. Une file ordonnée se met en place. Sans le faire exprès, je bouscule un des passagers. Il s’excuse poliment et je lui réponds d’un signe de tête. « les gens sont vraiment polis ici » dis-je à Véronique. Nous débarquons et passons à la douane. Des panneaux indiquant la présence de chiens douaniers me tendent légèrement. J’ai eu plusieurs expériences malheureuses avec ces chiens. Je me revois encore il y a quelques années, couvert de honte et de peur parce qu’un des chiens avait flairer quelque chose de suspect dans une de mes poches. « Cherche le jouet » encourageait gaiement un agent des stups. Je regardais fixement le berger Allemand pour lui faire comprendre par la pensée que je n’avais pas envie du tout de jouer et que s’il y avait un jouet enterré quelque part ce n’était sûrement pas dans mes poches. « non ! » dis-je dans ma tête « le jouet n’est pas ici. Va donc chercher du côté du rasta un peu plus loin ! » Mais c’était trop tard, il avait reniflé sa proie. Tout ce qu’il restait à faire était de me lever de tendre les mains vers le flic et d’avouer. « Je suis une saloperie de criminel. Foutez-moi les menottes et jetez moi en tôle ! Bien des chefs-d’œuvre ont été écris en prison n’est-ce pas ? »
Nous traversons le port. Le ciel est d’un bleu limpide et l’eau est claire et calme. Le fait que les gens roulent à gauche me procure une incroyable angoisse à chaque fois que je traverse la route. Il semble qu’eux mêmes se perdent dans les méandres de la circulation puisque à chaque passage piéton des inscriptions indiquent s’il faut regarder à gauche ou à droite. Le détail qui est le plus marquant reste encore une fois la politesse des conducteurs qui s’arrêtent systématiquement pour nous laisser passer. On est bien loin de Paris où les chauffeurs donnent l’impression qu’ils préfèreraient écraser une école maternelle entière plutôt que de perdre une minute. Ce qui est idiot puisque l’écrasement de piéton et, à fortiori de mineur, est incroyablement chronophage. Voilà ce qu’il faudrait écrire à l’entrée de la ville : Attention éviter des constats inutiles, n’écrasez pas de piétons !
La vieille, nous étions invités dans une soirée chez des gens de gauche. L’une des invités s’occupe, par exemple, de régulariser des sans papiers chinois. Il m’a fallu de gros efforts pour ne pas commenter ce type de loisir. Véronique n’a pas réussi à se taire et à dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas : « Tu ne trouves pas qu’il y en a déjà trop ? » On a tous éclaté de rire. Heureusement qu’il y a des jolies filles pour balancer ce genre de réflexion. Ce qui est sûr, c’est que si j’avais osé dire un truc pareil j’aurais été marqué à vie du sceau indélébile du fascisme. C’est incroyable de voir que chez ces gens pétris d’humanité, défendant corps et âme la liberté, on ne tolère pas la moindre pensée déviante même si c’est de l’humour, sauf bien sûr si ça sort d’une jolie fille d’apparence aussi innocente que Véronique. J’étais déjà légèrement tendu en arrivant. J’avais apporté un grand cru pour faire bonne impression. Notre hôte, n’ayant pas beaucoup de verre, a servi le vin dans des tasses. Ils l’ont bu à grandes gorgées avec des commentaires du genre : « il est pas mal le pinard !». Je voyais partir ces euros durement gagné à la sueur de mon front dans le gosier de ces rustres. La soirée a définitivement basculé quand un des invités s’est offusqué qu’un passager de métro, bloqué entre deux stations, a dit au téléphone « je me suis encore tapé un suicide ! ». « c’est vraiment la négation de l’être humain ! » dit l’un des convives. « arrêtez un peu vos conneries ! « dis-je, déjà peut-être un peu bourré. « Quel est le besoin de mettre fin à sa vie de merde en faisant chier 200 personnes ! C’est juste qu’il pourra se dire qu’il aura été un connard jusqu’au bout ! ». C’était fini pour moi et le sourire de Véronique n’a pas suffit à rattraper la situation surtout quand j’ai pris à partis l’assemblée en évoquant le fait qu’il m’arrivait fréquemment de regarder des documentaires sur la famine en Afrique, les pieds sur la table en bouffant des chips.
Après avoir tourné un peu en rond nous arrivons à l’hôtel en maudissant la fille qui nous a certifié que l’hôtel n’était qu’à 10 mn à pied de l’embarcadère. Nous déposons les bagages et partons à la découverte de Saint Hélier en attendant que la chambre soit prête. Nous déjeunons dans un petit fast-food à côté d’un marchant de poisson. J’ai pris le breakfast numéro 3 avec bacon, œufs, saucisses, flageolets (je ne sais plus comment ça s’appelle). Nous regardons le resto avec des grands yeux émerveillés de touristes. Je suis même heureux que ce soit vraiment dégueulasse parce que ça correspond à mes clichés des Anglais. Les deux jeunes filles en face de moi sont extrêmement laides. « je t’avais dit que les Anglaises étaient moches » dis-je à Véronique. Elle me répond : « au moins ici, je peux te laisser seul avec l’esprit tranquille. Je pense que c’est les îles, tu sais la consanguinité ». « Décidément si tu n’existait pas, il faudrait t’inventer ! »
Lorsque nous arrivons dans le centre ville, elle pousse des exclamations de joie en voyant tous les magasins. Je la laisse fureter dans les rues et me réfugie dans un pub. Je m’assois sur une table libre et commande une pinte de bière. Le décor est vraiment magnifique. Les lumières sont douces et tamisées et les fauteuils club en cuir incroyablement confortables. Le barman est un vieux monsieur très distingué à tel point que je me demande si tout n’est pas fictif tellement c’est conforme à l’image d’Epinal. Est-ce qu’un metteur en scène gère les passants à la manière de figurants. « Attention lord Anglais ! Tu traverses la rue et tu vas discuter avec le gros du fond. Accessoiriste ! j’avais demandé une canne avec un pommeau en argent ! » Ecolières en uniforme ! Top !
Je m’installe en terrasse en plein soleil, simplement pour prouver à mes collègues que l’on peut bronzer au large de la Normandie. J’ouvre mon calepin pour préparer mon discours. Je n’ai absolument pas d’idée. J’étais encore bourré quand j’ai promis à mon oncle que j’allais faire un speech pour ma cousine Justine. La dernière fois que je l’ai vu, elle devait avoir 8 ou 10 ans. Je me souviens juste que c’était une jeune fille agréable et gentille malgré son environnement familial. Toujours prête à faire la vaisselle ou passer l’aspirateur. Brave petite ! Un vrai personnage de la petite maison dans la prairie. « Maman, est-ce que je peux faire mes corvées, j’ai finit mes devoirs ? »
Sa mère mettait un point d’honneur à ce qu’elle ne fréquente que des blancs à sa crèche. Pauvre gamine ! ça a dû être difficile de se retrouver entre le fils de l’ambassadeur de Norvège et la fille d’un industriel américain. C’est un vrai miracle si elle n’est pas devenue une pétasse bourgeoise avec sac Vuitton et lunettes Chanel. Je me souviens qu’elle a fait un blog de mariage. Il y a une vidéo de leurs voyages sur une musique de Coldplay. Un texte sur leur histoire d’amour. Bof, rien de bien croustillant ni de bien original. Je commande une autre bière, griffonne un truc bateau en attendant Véro. Elle me rejoint un peu plus tard et commande une tasse de thé. Le serveur nous l’apporte dans un beau service de porcelaine. A côté de nous, Pétunia une vieille dame très élégante raconte devant un verre de vin la mort de son mari.
- Tu n’as rien remarqué Véro ?
- Non quoi ?
- Regarde autour de toi.
- Qu’est ce que tu as vu mon petit chéri avec tes yeux espiègles ?
- Mais regarde.
Autour de nous, des vieilles dames marchent tranquillement, et des hommes se saluent d’un coup de chapeau. Des petites chaises roulantes électriques s’arrêtent devant les bijouteries.
- Cette île est entièrement peuplée de personnes âgées !
- Je crois que tu as raison.
- J’espère qu’ils ne vont pas nous attaquer.
- J’ai vu une carte postale. J’aime bien les maisons. Ça a l’air joli, on pourrait peut-être y faire un tour.
- De toute façon on a le temps demain, notre bateau ne part qu’à 19h00.
- Et ton discours ?
- J’ai fait un truc vitre fait.
- Tout le monde sait que tu écrits dans la famille, ils vont sûrement s’attendre à quelque chose.
- Ah ! Arrête, arrête ! Mais pourquoi j’ai dit que je ferais quelque chose. Encore une occasion raté de fermer ma gueule.
Je me tiens la tête entre les mains, alors que Véro me passe sa main dans le dos pour me rassurer.
- Si tu savais comme ça me chier de me taper le mariage alors qu’on aurait pu passer la soirée tous les deux.
- Mais non. Je suis sûr que ça va être bien ton discours.
- Oui mais, on aurait pu se balader tranquillement le long de la côte sous la lumière tamisée des réverbères, On aurait été dans un restaurant avec des jolies fleurs sur des nappes blanches et on se serait amusé à tapoter la table pour faire vibrer des desserts en gelée et des machins à la sauce à la menthe.
- Tu exagères.
Nous faisons un dernier tour dans les rues de Saint Helier. Véronique regarde l’architecture Anglaise et ses façades un peu Rococos et désuètes avec beaucoup d’intérêt. Elle aime les vieilles choses un peu passées de mode. C’est quelqu’un qui est capable de s’extasier devant le pire des plats à asperge.
Nous rejoignons ma famille à L’église Baptiste. Il s’agit d’une secte protestante de gros tarés intégristes (G.W.Bush en fait parti). Après quelques chants de Rock Chrétien, un sermon à l’Américaine avec évanouissements dans la salle, témoignages d’anciens toxicos et mises en garde sur l’arrivée de l’apocalypse, les époux s’échangent enfin leurs vœux. Ça fait déjà un moment que Véronique a quitté la salle parce que la cérémonie lui a foutu les jetons. Il y a deux types de réaction pour le néophyte : Soit ça lui colle la gerbe et une trouille bleue soit il tombe dans une transe extatique frappé par la révélation. Il suffit de pas grand-chose pour basculer, rien qu’une petite faille dans votre esprit. Les pasteurs utilisent les mêmes techniques que les conférenciers américains du genre « devenir un winner » et comptent sur la galvanisation collective qui frise parfois d’hypnose et l’hystérie. J’ai vu par exemple une salle entière applaudir, les yeux révulsés tournés vers le ciel, après un sermon bien « couillu » sur le thème : l’abstinence est le seul moyen efficace de contraception et de protection contre le sida. Pendant le prêchi-prêcha, des spectateurs ponctuent les phrases par « AMEN ! » ou « ALLELUIA ! » repris en choeur par toute la salle. C’est pire encore qu’un troupeau de pisseuses devant un concert du Patrick Bruel de la grande époque.
Je rejoins Véronique dehors et j’allume une cigarette pendant la sortie des mariés. Les invités me scrutent d’un air furieux. « Tu sais que Jésus peut t’aider à arrêter ? » me dit un des fidèles. « Oui je sais ! J’ai toujours pensé que les patchs ressemblaient étrangement à des hosties » dis-je. Nous partons saluer la mariée et son mari et les féliciter. « C’est super que tu sois venu. » lance joyeusement Justine. Décidément, j’aime bien cette fille. Son mari à l’air déjà moins rigolo mais j’imagine que la famille a dû être contente d’accueillir ce jeune expert comptable blond comme les blés et fils de médecin. Je sais déjà que le gendre et le père partagent les mêmes passions : Le bon vin et l’argent. Je déteste mon oncle, pour lui, je ne suis qu’un raté congénital. Il n’a jamais pu encaisser que sa sœur ait épousé mon père qui passe son temps sur son île à boire du Ricard avec ses potes vêtu en permanence d’un bleu de travail et d’un marcel alors que lui, chef de la sécurité du conseil de l’Europe à Strasbourg, ne fréquente que des médecins, des avocats et des diplomates. Belle ascension social pour celui qui n’avait qu’un diplôme de réparateur de machine à écrire, métier qu’on pensait plein d’avenir à l’époque. Il a pu rentrer au conseil de l’Europe grâce à ses parents qui ont réussi a obtenir un piston de la comtesse Sforza leur voisine. Mes grands-parents ont toujours eu une dévotion naturelle pour cette aristocrate et ils étaient très heureux de pouvoir nourrir son chien ou tondre la pelouse en leur absence, ils en tiraient même une grande fierté.
Après une sieste bien méritée à l’hôtel, quelques plongeons dans la piscine et avoir enfilé nos costumes, nous nous rendons à la fête. Nous marchons le long de Green Street. Je suis de très mauvaise humeur. Mon discours est naze et je n’ai vraiment pas envie de faire bonne figure toute la soirée. Véronique s’extasie sur la grande demeure prêtée pour l’occasion par un ambassadeur Anglais. Il faut dire que ça a de la gueule. De l’extérieur, la maison paraît gigantesque, des sculptures de lions nous accueillent à l’entrée. Il y a un voiturier et des portiers. Nous devons présenter nos cartons à une hôtesse d’accueil aux jambes interminables.
Nous nous faisons servir des verres de champagne devant l’orchestre qui joue douce musique de chambre. Véronique est conquise par le décor. Un tableau gigantesque est accroché sur un des murs et au milieu de la pièce trône un superbe piano à queue. Les tables sont joliment arrangées avec des fleurs et de nombreux couverts. J’ai même entendu dire qu’ils avaient amené un cuisinier français.
Je contemple le tableau quand mon oncle vient me rejoindre.
- Il y a quelque chose d’étrange avec ce tableau mais j’arrive pas à mettre la main dessus.
- Oui, celui-là je l’aime bien. Enfin, tu sais ce que je pense de l’art.
- Je sais oui. C’est pas productif. J’imagine que tu dois être content que ton gendre soit expert-comptable.
- C’est un garçon qui a la tête sur les épaules. Et toi ? Tu continues à vouloir écrire ?
- Oui, tu sais bien.
- Et alors ? Tu gagnes bien ?
- Bah non.
- Ha ha ! Je te l’avais bien dit. Petit déjà, tu passais ton temps dans les bouquins. Et qu’est-ce que je t’ai dit ?
- Que ça sert à rien et que c’est pas les livres qui allaient me faire gagner de l’argent.
- Exactement.
Quand j’étais gamin, je partais de chez lui et j’avais pensé optimiser les douze heures de train qui me séparait de chez ma mère avec la lecture de « huit clos » de Sartre. Il m’avait vu le livre à la main et m’avait dit : « ça sert à rien ça ! » « Quoi ? » lui avais-je dit « Jean-Paul Sartre ? » « non. Les livres. » C’est un truc qui m’avait toujours poursuivi. A chaque fois que j’ouvrais un bouquin ou que j’écrivais quelque chose. Au bac de philo mon sujet était : « L’art est-il utile ? ». On peut parler de la révolution, des lumières, de ce qu’on veut mais je sens au plus profond de moi que l’art ne sert à rien d’autre qu’à embellir l’âme et alléger le poids de l’existence. Mais n’est-ce pas une raison suffisante ?
Je rejoins Véro au buffet qui avale tout ce qui passe à son passage. Elle parle la bouche pleine une main devant le visage avec un sourire de contentement. Je la regarde et déchire le papier que j’avais rédigé.
Un peu plus tard, nous sommes assis à table. Le frère du marié vient de faire son discours. J’avoue que c’était assez maîtrisé. Il a su mêlé un peu d’humour avec quelques anecdotes sur leur enfance puis il a conclu sur le sens de l’amour et de l’engagement. C’est un peu ce que j’aurais fait si je n’avais pas eu cette conversation avec mon oncle. Mais il m’a vexé et il va devoir payer d’une façon ou d’une autre. Je monte donc sur l’estrade, le cœur battant, prêt à un Hara-kiri familial.
« Bonjour, Messieurs Dames. Tout d’abord, je tiens à remercier mon nouveau cousin pour ce discours poignant. Je remercie aussi ma cousine de m’avoir invité même si j’aurais apprécié d’avoir un carton à mon nom et pas à celui de la famille. Je plaisante bien sûr, je sais que les invitations coûtent cher.
Enfin bref… Justine et Nicolas,
J’ai longtemps pensé à mon discours et j’ai eu beaucoup de mal à l’écrire parce que l’on ne se connaît pas très bien Justine et moi. J’y ai pensé tout à l’heure dans ma baignoire. Je savonnais consciencieusement mes épaules velues, bercé langoureusement par le coin-coin de Robert, mon canard Vibromasseur. J’ai d’abord imaginé faire un comparatif entre Nicolas, le marié, et Robert mon canard. Robert lui n’est pas éjaculateur précoce Justine, il ne compte pas scrupuleusement toutes tes dépenses. Il ne sera pas fatigué le soir après le boulot et ne se vautrera pas dans le canapé devant un match de foot. Il saura t’écouter lui. Même si, comme ton mari, il n’en aura rien à cirer de tes états émotionnels. Mais il fera semblant. Après cette pensée, je me suis dit que, devant une assemblée de gens aussi distingués que vous, il fallait faire quelque chose de plus original. J’ai commencé alors un anti-discours de mariage. Ça faisait ça : « est-ce bien raisonnable de se marier en 2011 ? Justine, Nicolas, je vous demande d’y réfléchir. La terre se réchauffe et la banquise fond, la guerre fait rage dans le moyen orient, la dette de l’Europe augmente. Aujourd’hui c’est la Grèce mais demain la France ? Nous serons peut-être devenu un pays du Tiers-monde ? Et qu’est ce que vous direz à vos enfants ? « Désolé mon garçon mais les ours polaires n’existent plus, le dernier s’est noyé alors qu’il regardait des braconniers tabasser à coup de pioche un pauvre phoque innocent. Allez ! Prends un ticket de rationnement et va t’acheter un Kinder Bueno ! » Et puis Nicolas, tu savais que seulement 10% des maris divorcés voyaient leurs enfants régulièrement. Parce que vous allez divorcer c’est mathématique. Aujourd’hui elle est belle dans sa robe de mariée. Mais demain ? Dans 10 ans, elle aura des varices, elle va grossir et plus tard ? Elle finira comme toutes les vieilles par prendre son temps en comptant sa monnaie alors qu’il y a une queue de 3 kms de long à la boulangerie… Tout en faisant part à tout le monde de ses commentaires sur l’influence de la météo sur son arthrite du genou… C’est à ce moment que Robert, d’un « coin-coin » râleur émerge de la baignoire pour me dire que je fais fausse route. Tu as raison coin-coin, personne n’a envie d’écouter la Traviata et d’allumer le gaz. Je décide alors de sortir du bain. La mousse renvoie des petites étincelles dorées sur le miroir. Je me tapote délicatement les pectoraux avec ma serviette-éponge. J’enfile négligemment mon peignoir de soie sauvage puis traverse mon immense salon second empire (acquis grâce au rôle joué par mes grands-parents durant l’occupation. Merci papi mami !) ne laissant derrière moi qu’un subtil parfum de Tahiti douche. Je m’assois sur mon bureau pur style Ikea 95 et mon ordinateur s’allume avec son joyeux. Je vais sur votre blog afin de puiser quelques idées. Je n’ai pas besoin d’aller chercher bien loin puisque dès la première ligne ça commence mal. Il paraît que Nicolas a fait sa demande au son d’un Gingle SNCF. Ce n’est pas très joli. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un gingle ? À moins que vous cherchiez à dire Jingle avec un J. Donc Nicolas a fait sa demande sur une faute d’orthographe. Ce n’est pas très brillant. Le fondement même de votre relation est bancal. Ton père me disait encore tout à l’heure que les livres ne servent à rien. Tu vois Albert, si tu l’avais encouragé à lire, ça lui aurait éviter de passer pour une conne le jour de son mariage. Ou alors c’est peut-être toi qui a écrit le texte ? Bon j’arrête de faire le pitre. Justine je te souhaite sincèrement beaucoup de bonheur et j’espère Nicolas que tu prendras bien soin d’elle. Et pour cette histoire de collaboration avec Papi et Mami, je plaisantais bien sûr. Comme dirait ton père : « On leur a peut-être donné les Juifs mais jamais les bons coins à champignon ! »
Le résultat n’est pas celui auquel je m’attendais. A la place d’un silence gêné, la salle entière se met à applaudir en s’étouffant de rire. Je me mets à rire moi aussi jusqu’à ce que mon regard se focalise sur l’assemblée. Quelques gros plans me sautent au visage : Des dents jaunes déchirant des morceaux dégoulinant de Homard sauce rouille. De la fumée de Havane s’échappant de narines poilues et une rangée inquiétante de gamins tous habillés pareil, tous blonds aux yeux bleus. Je pense à cet instant au grand tableau. C’est une peinture d’inspiration antique, il représente Persée tenant la tête de Méduse mais je n’avais pas remarqué au premier regard les traits étranges de Méduse. Pourquoi l’avoir affublé de lunettes et d’une barbichette ? « Mon Dieu » me dis-je « c’est Emile Zola ! »
Je rejoins Véro au buffet des desserts qui est occupée à choisir avec soin sa part de pièce montée.
- Je crois qu’on est tombé sur une vraie tribu de Nazi. Il faut qu’on se barre de là.
- Oui mais le dessert ?
- Prends-en pour la route.
Nous profitons que tous les invités, ivres de bon vin et de champagne, dansent sur la musique de « la danse des canards » pour nous ravitailler. Véro attrape tout ce qu’elle peut et le fourre dans son sac alors que je prélève deux ou trois bouteilles de champagne. Nous sortons de la pièce et Véro attrape au denier moment une cuisse de Chevreuil sur un des plateaux au milieu d’une table. Nous quittons la maison dans un grand éclat de rire.
Nous nous installons avec notre butin derrière l’hôtel face à l’océan sous la lumière tamisée des vieux réverbères. La nuit est douce et on se laisse bercer par le bruit régulier de l’océan. Je mastique la cuisse de chevreuil en avalant à la bouteille de grosses gorgées de champagne pendant que Véronique avale les choux à la crème qu’elle prend à pleines mains. Je jette la cuisse de Chevreuil au loin.
- Pourquoi tu la jettes ?
- On va quand même pas ramener ça à l’hôtel ? En tout cas s’était bon, avec le stress du discours j’ai rien bouffé de la soirée. Mais toi par contre, je sais pas comment tu fais pour pas grossir.
- C’est ma morphologie. Dit-elle la bouche pleine.
- Finalement, on a eu notre bout de soirée tranquille.
- Enfin seul.
Elle se réfugie dans mes bras. Je la berce doucement en lui caressant les cheveux. Au loin, nous apercevons l’ombre inquiétante et protectrice d’un fort militaire. Dans la rue, une bande de gamins s’amuse à envoyer des canettes de bière sur un chat. Véro tourne son regard tendre vers moi. Je la regarde en souriant. « les gens sont vraiment tarés » lui dis-je. « On s’en fout ! » me dit-elle avant de m’embrasser.
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