Jour de traite.

J’ai souvenir d’un lieu qui m’aimait bien, ailleurs.
Une place rêvée de couleurs, de chaleur
Où je m’anoblissait du théâtre morbide.
Alors, je bâtissais des villes sur le vide.
Nous marchions, elle, moi, dans les rues de Paris,
Les fontaines riaient, et la ville aux toits gris
Murmurait alentours : “Il arrive bientôt” !
C’était un monde mien : mon rêve, mon château.
Et celui comme moi condamné, car fautif
D’avoir l’oeil endormi ou bien contemplatif
Comprendrait la douleur d’un règne court, si court ;
Quand le mot n’a servi qu’à vous parler d’amour.

D’autre fois, convaincu d’une guerre imminente
Il fallait oublier les Muses indolentes
Et parler de raison, sans y croire, maté.
Ils nous croyaient vaincus : nous revenions chanter !
- Plus fort ! Écoutez-moi ! Redonnez-moi la vie !
Ô ciel ! Pleure sur moi toute ta poésie !
Arbres, fourrés, ruisseaux, nuages de tempête !
Déracinez l’ennui ! Remplissez-moi la tête !
Ils ont dit de planter les graines du futur,
Et nous crachions encore de nouvelles ratures
A nous briser le dos d’espoirs amoncelés ;
Et je n’en pouvais plus de m’être morcelé.
A toutes les visions écrites et bravaches,
La voix chante moins fort, et le coeur se détache.

Qu’ont-ils voulu me dire, ou me forcer à faire ?
Nous sommes du bétail que les Muses vont traire,
Rien de plus, torturés, anges de contrebande ;
Toujours la même nuit et le vers que l’on scande
On le déteste un peu ; on le hait par dépit.
Divin, poète aimé ! Dois-tu dire merci ?
Lorsque le mot te lève et sans prendre de gants
Couche des idéaux fadasses, arrogants ?
- Allez ! Revendiquez ! Chantez encore l’étoile,
La pluie sur votre front et le bien, et le mal,
Toutes les idioties qu’ils trouveront superbes !
C’est facile, tenez ! Empiffrez-vous de verbes !
Et le matin, vomis, les mots ont pauvre allure ;
Il nous faut bien montrer toutes nos déchirures.

Et quant à ce lieu saint que j’aimais tant, ailleurs,
Je n’y ai rencontré dans la beauté du cœur
Qu’un peu de moi, brouillé, et le fracas des armes.
Aujourd’hui je suis seul à rire de mes larmes.


Z 16 02 09

je dis chapeau, tu as un style vraiment a toi, une signature, un grand plaisir de lire ce texte.

anges de contrebande

Voilà ce que nous sommes quand croyant en nous-mêmes nous n'accordons pas foi aux autres.
Oui, voici ce que nous sommes, et pourtant il nous faut croire en nos écrits en relisant les vôtres.

Nilo, lettre de change.

Oui, comme une remise en question..
mais qu'importe , que vive la poésie quand elle est si bien représentée !

Z,
Cette solitude n'est ni un isolement, ni un drame, mais une chance, et il faut en être digne et fier ! Je sais c'est que des mots, et la réalité toute autre, mais dresse la tête et bats-toi, fut-ce contre le monde entier... Et tu cueilleras un jour la longue fleur...

Dialogue intérieur
"Mots croisés

"Il se fait tard, je ne parviens pas à éteindre la bête, parce qu'il me faut faire encore quelque chose
"et j'ai peur de laisser filer encore des heures et ça je ne me le pardonnerais pas - Est-ce bête !
"Bête, oui, de me précipiter... comme si après je ne pouvais plus le faire, pris par autre chose
"qui ne devrait rien empêcher, au contraire, et je ne t'en voudrais pas de m'en vouloir déjà
"Pour ces mots tardifs, hâtifs et la fatigue aidant...
"Alors je vais me poser et me reposer, sans perdre un instant de vue l'objectif Nouveau, aussi inattendu qu'un rêve peut surprendre
"quand il suspend le temps, transporte nos misères ailleurs, révélant le papillon, se pose sur la longue fleur de nos espoirs éprouvés
"Voilà l'effet de ton retour vers moi !
"et passée par ces quelques mots la fougue de ma vive agitation
"je pourrais calmement, posément et sagement, comme tu savais si bien le faire,..."

Dam extraction de fond

wahou il y a tout un tas de formules magiques dans ce texte.
Les fontaines riaient
Aujourd’hui je suis seul à rire de mes larmes
C’est facile,

J'ai pris un plaisir énorme à te lire Zlat

Je vais rester dans la simplicité la plus nue possible:

J'ai aimé le texte avec la recherche des images

Bel ouvrage

Sylvie

ton poème commence superbement bien :
J’ai souvenir d’un lieu qui m’aimait bien, ailleurs.
et rien dans la suite ne vient gâcher le plaisir de ce premier vers ...au contraire !!!
bravo encore Z et merci
Yzaé

C'est pas moi, c'est Dédé (son mur) qui m'a fait venir ici (et ce n'est pas la peine de dire que c'est pareil personne ne le croira).
bref, je suis ici et je suis heureux d'y être. Une bonne re-lecture n'est pas le moindre des bienfaits que nous offre le mur.
d'ailleurs j'ai du mal à comprendre qu'il ne soit pas plus utilisé...

Nilo, et pourtant je suis capable de comprendre beaucoup de choses. Si !

Très belles images ! La première partie est exceptionnelle, poète en état de grace !

"Nous sommes du bétail que les Muses vont traire"

Superbe Z,
du début à la fin, j'accroche à 100%.

Une facture classique qui convient très bien aujourd'hui à mes yeux las de de ne rien voir.
" Rester seul à rire de ses larmes " je garde.

Un coup dans l'mur

Encore un bel ouvrage que j'avais lu

Sylvie

J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Troisième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant sans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...

Dédé.

Comme Nilo, j'ai aimé les "Anges de contrebande" et le desespoir du poéte déchiré par ses muses frivoles.

Swann,

Dans le cadre de ma promotion des Morceaux de l'An 1 je fais grimper chacun des titres en haut de l'affiche.

Nilo, charité bien ordonnée.