Le creux de la vague,

- En ce moment, chère madame, il nous reste en rayon deux canards en plastique made in china et trois bateaux gonflables made in, attendez je vérifie, oui, made in indonésia.
La boutique sent le « babali » d’Ali Baba pour trois sous de berlingots tu trouves un bonheur de pacotille qui brille tout plié.
Elle se penche sur les emballages scellés dont le parfum de teck et de bambou embrase ses pauvres sens de rancie du voyage. La voilà en bottes sur des cargos fiévreux à crier dans le vent force 10 « terre à bâbord !, euh non, à tribord ! Je me suis emmêlée les radeaux » et de rougir communiante des rugissants dans son ciré de marin d’eau douce.
- Vous les prenez ou pas ?
- Qui ?
- Je ne sais pas moi, les canards ? Les bateaux ?
- Vous n’auriez pas plutôt une mappemonde ?
- Ah non madame, j’ai vendu la dernière à un touriste de passage.
- J’aime bien les boules qui tournent sur leur axe au gré du miracle de la pataphysique ;
- Moi aussi madame, mais je vais bientôt fermer et j’aimerais que vous vous décidiez rapidement
- J’hésite
- Je le vois bien
- Entre cette carte plastifiée et le calendrier perpétuel
- Prenez la carte alors
- Je voudrais bien mais les chats
- Les chats ?
- Mes chats griffent tout sur leur passage, ils détestent les excursions et les planisphères à projection azimutale
- Madame, je vous demande d’abréger ; faites votre jeu.
Elle tourne, pose, dépose, repose les objets fabriqués ailleurs que chez toi, elle sent le bol de riz, les baguettes sales dans le gluant, l’éventail des petites mains ; du bout du monde lui parvient le vol du papillon, le fameux qui bercera l’immonde au premier choc. Le bruissement des palmes, les colibris enchantés, les eaux boueuses du Tonkin et la baie d’Along au loin qui l’appelle. Les étagères prennent des allures de pagodes, de temples encensés, elle titube et se rattrape au dernier parasol synthétique près de la caisse.
Elle ne se décidera pour aucun d’entre eux, trop ravie d’avoir circulé entre les parallèles et les méridiens dans le petit coucou du bazar parfumé.
L’été vient d’assécher l’immeuble, tous les « bonjour-bonsoir » sont en exil dans l’air tremblant des creux, des bosses ajournés.
Elle demeure à l’étage, vigie plantée au seuil des remous, sans barbaresques ni voyous des mers à traquer. Ses deux mousses l’accompagnent. Dans le creux de la vague ses ailleurs se déplient sans rien froisser.

Quand j'ai lu ta nouvelle, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ces boutiques de touristes où ils vendent des trucs horribles, moches, poussiéreux et inutiles et bien sur, le touriste ne peut s'empêcher de rapporter "the souvenir" et d'en faire cadeau à soit disant "l'ami" qui lui va pas savoir où le mettre et n'osera pas le flanquer dans un carton où il sera découvert comme un trésor dans 1000 ans!

Ceci dit, j'ai pas creusé la vague, je me suis juste laissée porter!

A vot'bon coeur m'sieur dame!!

Sylvie

On ne rit pas aux éclat, on sourit juste, avec un peu d'amertume qui reste collé au fond du palais.
Quel talent, RATOUNE !

Messaline

"J’aime bien les boules qui tournent sur leur axe au gré du miracle de la pataphysique "

Moi aussi, j'aime bien... Ainsi que l'ensemble de la nouvelle. Et je pense que Jarry aurait apprécié aussi.

Swann, satrape

Comme Messaline, un sourire, mi-amusé mi-amer.
Mis à mer aussi pour cette remise à flot du voyage immobile.
Entre Zette et Ratoune toujours fort et qui tape au "cœur de cible".

Nilo, sur le sable.

Merci de vos commentaires sur ce texte issu d'un périple géographique en bureau.

Le Printemps de la Prose offre une nouvelle vie à ce périple qu'effectivement Ubu aurait pu accomplir...

Nilo, surfe sur le haut de la vague.

c'est tendre et triste. Envie de la prendre dans ses bras.

Quant à l'écriture : inépuisable de justesse.

Relu avec plaisir...

Swann,

Ces fameux magasins de toc et breloques en deviennent soudain cavernes poétiques truffées de madeleines et autre loukoums.
J'en prendrais bien un p'tit peu plus long...

Quel plaisir de relire ce texte qui a vraiment sa place dans ce On ne prête qu'aux riches.

Nilo, surfeur à crédit.

Parce qu’on ne veut pas y croire, comme Icare, on résiste tout en se laissant porter par la vague sèche (heureusement qu’elle l’est car je te dis pas les coups de jus !)

Dam, entre Ariane et Dédale

Un régal !!!!

Très belle nouvelle que voilà, un trésor de toc et breloques...hihi !