Face à la légende ! (Chronicle)

Face à la légende ! (Chronicle)


Dédé: Salut les gonzesses. C'est Dédé.

Dédé: Face à la légende !

Dédé: Putain, six s'maines ! Ca fait un bail que j'suis pas v'nu vous voir. J'sais bien qu'vous en avez rien à foutre mais quand même, ça fait un bail. Alors même si j'ai pas grand-chose à vous raconter j'pousse la porte et j'viens vous voir pasque moi j'vous aime. Allez pas vous faire des idées non plus, faudrait pas exagérer. J'vous aime mais pas trop, j'préfère Papy. Et M'man, et P'pa. Tiens à propos de Papy, M'man et P'pa, ça fait deux mois bientôt que j'suis chez Papy alors M'man et P'pa y me manquent un peu. Remarquez, c'est pas tant eux qui m'manquent. C'est plutôt que chez les pécores depuis deux mois j'commence à m'faire chier. Viv'ment que j'rentre à Paname. Ouais Papy il habite chez les pécores. Un bled d'à peine deux cent mille péquins où j'ai rien d'autre à foutre qu'd'aller voir mes potes au bistro. Faut dire qu'y a trois mois j'étais chez les chinois, vouv vous souv'nez j'vous ai fait une chronicle de chez les jaunes. Là bas question péquins j'ai été servi, alors maint'nant qu'deux cent mille autour de moi ça m'fait un peu l'effet d'être un touareg perdu sur la route du sel. J'sais pas si vous voyez bien c'que j'veux dire. Ouais d'accord, vous voyez pas, comme d'hab'. Tant pis, moi j'vois bien. Vous avez qu'à lire Papy, vous verrez mieux. Au fait puisqu'on en parle, "péquin" vous savez c'que ça veut dire ? Non pasque faut pas croire, ça a rien à voir avec les chinois de Beijing. Vous savez pas ? Ouvrez un dico ça vous distraira.

Dédé: Donc j'vous disais qu'j'avais rien d'autre à foutre qu'd'aller voir mes potes au bistro. C'est pas qu'j' m'y ennuie au bistro, mes potes y sont sympa, y picolent autant qu'moi et nos refaisages de monde y sont aussi marrants qu'leurs idées elles sont grotesques. J'dis leurs idées pasque j'ai pas d'autres mots qui m'viennent, mais on peut pas vraiment app'ler ça des idées. J'préfère refaire le monde avec Papy. Même si à force de l'refaire on tombe toujours sur le même obstacle : les mecs qui y habitent dans l'monde dans l'quel on vit (ma pauvre dame !) y sont vraiment trop cons pour qu'on arrive à quelque chose qui pourrait marcher. En même temps on s'en fout, pour nous tout va bien. Y r'commence à faire beau, les gonzesses se déshabillent un peu, le vin de l'année va arriver aux comptoirs... Si j'vous jure. Pas par chez vous ? Tant pis vous avez qu'à v'nir chez les pécores de Papy, vous vous f'rez chier mais au moins vous commenc'rez à voir des jupes courtes.

Dédé: Enfin bref. Tout ça pour vous dire que VIV'MENT DIMANCHE ! Ouais, ce week-end M'man et P'pa y viennent chez moi et Papy. Ca, ça veut dire deux choses. D'abord on va bien bouffer et bien picoler. Ensuite j'vais repartir avec eux à Paname. Les gonzesses de Pigalle ont qu'à bien s'tenir, pasque j'ai fait l'plein d'énergie et maint'nant va falloir que j'me vide les … Oh putain ! J'étais à deux doigts de dire un truc qu'y faut pas dire dans un forum de poésie. Vous avez vu les réflexes ? J'deviens bon question réflexes. C'est à force de côtoyer Papy, ça fait des années qu'il a pas pris un pain et pourtant c'est pas les occasions qui ont manqué, mais il esquive plutôt bien. Alors j'apprends avec lui. Tiens là par exemple, juste au d'ssus, j'aurais dit "couilles" je risquais la punition. Ben j'lai pas dit alors j'suis peinard, y peut rien m'arriver. Bon d'accord j'ai failli l'dire, mais j'l'ai pas dit donc je risque rien. Les réflexes j'vous dis. Pour éviter les emmerdes c'est un bon truc. J'm'en sers souvent au bistro d'mes réflexes que j'ai appris avec Papy. Faut dire qu'au bistro à part mes copains y'a parfois des cons qui m'en mettraient volontiers une si y comprenaient tout c'que j'leur dis. Mais en fait y sont trop cons pour trouver la faille. Y cherchent même pas d'ailleurs. Et puis si des fois un étranger, un maladroit, dans une étincelle de lucidité y comprenait que j'me fous d'sa gueule et que moi j'aurais pas les réflexes je sais qu'mes potes y m'protègeraient. Enfin j'espère, sinon ça s'rait plus des potes.

Dédé: Ceci dit j'étais pas v'nu pour vous parler d'mes réflexes. J'avais rien d'particulier à vous dire alors j'me suis laissé emporter. Mais ça m'a donné des idées de trucs à vous dire. Des trucs dont vous avez rien à foutre mais j'ai l'habitude, et vous aussi. Alors y a pas d'raison que j'me prive. Vous allez lire quand même et moi j'vais m'marrer rien qu'à imaginer vos gueules en lisant.

Dédé: Tenez, j'vous fais un cadeau. Je vais commencer par ça que j'ai trouvé la s'maine dernière dans Libé. Ouais j'continue à lire Libé, c'est pas qu'y ait plus d'idées qu'dans la conversation d'mes copains d'bistro mais ça m'fait le même effet : ça me distrait. Y'a pas d'raison que j'm'en prive pasque c'est un canard de gauche (gauche tendance bobo quand même, c'est pas l'grand soir). Alors voilà, et comme toujours quand ça sort de Libé je vous l'offre in extenso. Ca vaut toujours son pesant de cacahuètes. A la virgule et aux parenthèses près j'vous l'file. Et compte tenu du sujet j'vous garantis qu'les virgules sont importantes. Enfin, j'suis pas bien sûr qu'vous connaissiez l'sujet mais si vous l'connaissiez vous sauriez qu'les virgules sont importantes. Pas celles de Libé qui en fout partout pasqu'il a un stock à écouler, mais celles du mec dont il est question. Enfin, vous pourrez toujours aller le lire. Après. Y vous faudra un peu de temps mais ça s'ra pas du temps perdu et pas plus con que c'que vous lisez ici. Moi j'l'ai pas lu c'mec, mais Papy il a tout lu de lui et y m'a raconté. Il a aussi raconté à P'pa et M'man, qui eux l'ont lu. Après. Pas comme vous qu'irez même pas le lire après. Ce s'ra pas faute de vous l'avoir pas dit. Il leur a même filé des bouquins d'lui. Si, j'vous jure j'les ai vus à la maison. J'les ai pas lus pasque j'préfère aller traîner à Pigalle pour m'occuper d'ma p'tite entreprise et jouer au poker mais j'les ai vus et P'pa y m'a raconté lui aussi. Un peu.
Donc, j'vous livre in extenso c'que j'ai trouvé dans Libé du 19 février 2009 (1 Euro 30 chez tous les marchands d'journeaux, ouais ça a augmenté d'puis la dernière fois qu'j'vous en ai filé un extrait).

"Né en 1931, le cryptoessayiste Guy Ernest Debord, issu du lettrisme et du groupe Cobra, prône "ne travaillez jamais" et fonde en 1957 avec le peintre Asger Jorn L'Internationnale situationniste (IS), revue qu'il dissoudra en 1972. La Société du spectacle, manifeste 1979 synthétisant les articles de la revue, institue le bonhomme en critique radical de la fin de siècle consumériste. Son œuvre anticipant l'ère médiatique, partagée entre Mémoires anticipés, Panégyriques(s), happenings (Fin de Copenhague), autojustification (Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici), est, hors Correspondances (7 tomes chez Fayard), succincte mais conséquente en dissidence. En 1984, Guy Debord censure son cinéma (gaumont, Gallimard) et en 1994, cyrrhosé, se tue.

Dédé: Vous avez lu le pavé ? Putain y m'a fallu un dico (le gros à Papy pasque dans l'petit j'ai pas trouvé) au deuxième mot après la première virgule. Et après j'l'ai plus lâché.
Et vous avez remarqué le doublon de mots ? Non, cui-là, "anticipant" "anticipé" ? Ben oui, dans Libé y z'écrivent comme ça. Toujours non. Vous êtes indécrottables. En même temps vous risquez rien, c'est pas la peine d'avoir peur "ne désespérez de rien; c'est dans les occasions où tout est à craindre qu'il ne faut rien craindre" (SUN TZU, L'Art de la Guerre).

Dédé: Vous savez quoi ? Non, vous savez pas puisque j'vous l'ai pas encore dit. Faites pas semblant, en fermant légèrement les yeux pour vous donner l'air intelligent de ceux qui suivent quand y suivent pas, de faire comme si vous saviez, d'un air sous-entendu. Vous savez pas, vous avez qu'à l'dire c'est pas compliqué. Comme je suis plutôt gentil j'vais vous l'dire c'que vous savez pas. C'est que Guy Debord, ouais le mec dont y causaient dans Libé du 19 février 2009, il avait dit :

"J'ai mérité la haine universelle de la société de mon temps et j'aurais été fâché d'avoir d'autres mérites aux yeux d'une telle société".

Et ben, j'vous l'donne en mille. Vous savez pourquoi y'avait c't article dans Libé. Non, encore une fois vous savez pas. Encore une fois faites pas semblant.

Dédé: Y'avait c't article pasque Le Ministère de la Culture (si !) y vient de classer l'œuvre intégrale de Guy Debord monument historique (si again !). Pas moins. Ca vous fait pas marrer vous ? Moi si. JE ME MARRE.
Et vous savez pourquoi y l'ont classé monument historique ? Non, ça m'étonne pas. Ben vous allez voir à quel point j'suis gentil avec vous. Ca aussi j'vais vous l'dire. Enfin, leur laisser le soin de vous l'dire pasque ça vaut aussi son pesant de cacahuètes.

"Ces documents, qui illustrent le processus créatif complet de la pensée de l'auteur, permettent d'appréhender sa façon assidue de travailler, sa grande érudition, et son style, héritier des plus grands classiques, mis au service de son analyse critique de la société moderne"

Ouais, c'est pour ça. Y z'ont mis que vingt cinq ans après sa mort à s'en rendre compte. Allez pas vous imaginer que j'sais pas compter et dire "Hou ! Dédé y sait pas que 2009 - 1994 ça fait quinze et pas vingt-cinq". J'le sais quà fait quinze, mais moi j'compte depuis l'année où il a tout envoyé chier pour s'mettre au Whisky-Coca, c'est-à-dire 1984. Vous voyez bien qu'ça fait vingt-cinq. Et pendant ce temps Giscard est entré à l'Académie française, avec quelques autres tocards du même acabit. C'est p't'être qu'ils l'avaient pas lu avant Debord. Remarquez Giscard non plus personne l'a lu. Faut dire que c'est un mec qu'a surtout écrit dans la période Gaullo-Giscardienne (Debord, pas Giscard) et qu'la subversion c'était pas bon à c't'époque. Pourtant vous savez bien qu'j'suis plutôt Gaulliste (pas Giscardien hein, me mettez pas des saloperies sur le dos), enfin anarcho-gaulliste comme Papy, mais faut reconnaître que les idées à Guy Debord en 1968 ça passait pas vraiment bien. Enfin, avant mai, pasque après ça allait mieux. Les étudiants-gnan-gnan et les politiques-tic-tic faisaient comme si y l'avaient lu alors qu'y z'avaient à peine vu deux ou trois slogans sur les murs du métro-trop-trop et qu'y croyaient avoir assimilé la quintescence du situationnisme. En fait y l'ont jamais lu. Même pas les apprentis gaucho-libéraux qui sont v'nus après. Lang y f'sait sa fête à la musique (pauvre musique) il avait pas l'temps de lire Guy Debord.

Dédé: Alors ouais, vingt cinq ans y ont mis à s'réveiller. Remarquez c'est pas vraiment étonnant, y z'ont jamais trouvé l'temps d'se réveiller pour André Breton alors son œuvre à lui elle a été classée monument historique chez les gens qui se la sont partagée aux enchères à Drouot. On va dire que comme ça au moins elle est chez des mecs que ça intéresse. Pasque celle de Debord, dans des coffres à la BNF elle est pas près de sortir du placard. Peut-être pour deux ou trois "chercheurs". Entre deux grèves !

Dédé: J'allais oublier de vous donner la justification suprême, le truc qui tue dans la déclaration d'intention du Ministère de la Culture. Putain, quel con j'ai failli être. Ouf, j'm'en tire bien encore une fois. Les réflexes, toujours !

Dédé: Attention, roulement de tambours, je cite :

"La pensée de Guy Debord sera bientôt accessible dans sa totalité et sa cohérence. Face à la légende"

Dédé: Vous avez vu, j'suis encore retombé sur mes pattes. Dites le que vous vous demandiez c'que le titre de ma chronicle il avait à voir avec c'que j'vous ai raconté depuis l'début. Vous savez jamais de toute façon c'que mon titre il a à voir avec le contenu. Vous l'savez que quand j'vous l'dis pasque vous suivez pas. Alors d'ici que vous anticipiez ma pensée y va couler de l'eau sous les ponts et du rouge dans mes verres.

Dédé: Au fait bande de nazes, vous êtes allés voir l'expo "Picasso et les maîtres" comme j'vous z'y invitais dans ma dernière chronicle ? Non, bien sûr. Tant pis, vous crèverez la gueule ouverte et les yeux fermés.

Dédé: Face à la légende.


Ciao les gonzesse, c'était Dédé.