L'Histoire

Il neigeait depuis la veille et le manteau recouvrait joliment les bosquets de houx et la forêt.
Le froid sec succédait à présent à la douceur relative de la période neigeuse ; le sol craquait sous les pas, l’air glacé coupait le souffle. Il avançait lentement l’arme à la main s’efforçant de se fondre dans la nature, et le faisant très bien. En face de lui le sentier disparaissait sous la neige, mais chacun le connaissait et le suivait sans même y réfléchir. A sa droite, le sentier faisait un coude et filait vers l’Est.
Il progressait avec l’impression d’avoir toujours fait cela, précautions comprises.
Quelques années l’avaient marqué à vie et il retrouvait sans y penser, ces gestes qu’il aurait tant aimé oublier.
Là où il se trouvait une souche faisait un support parfait pour l’arme de petit calibre et pourtant redoutable.
Il était prêt à attendre, mais le hasard en décida autrement. L’autre s’avançait déjà à l’autre bout du sentier ; on n’était plus en guerre, et les choses prenaient un tour tellement simple que le meurtre paraissait aussi facile que d’aller acheter son pain. Quand l’autre fut à cinquante mètre il épaula, sur de ne pas être vu … la tête montait et descendait à l’allure du pas il suivit d’abord le rythme, puis se décida à poser l’arme sur le socle improvisé. Il n’avait plus tué depuis l’époque de sa vie où la mort semblait si normale ; pourtant, aujourd’hui elle lui paraissait beaucoup plus légitime que naguère. L’autre progressait d’un pas lourd, ses grosses bottes fendant la neige en soulevant en rythme un nuage pulvérulent.
La lourde silhouette dégageait une impression de danger que l’homme devait ressentir depuis l’origine de l’espèce face à un adversaire sans pitié et sans âme.
Là où il se trouvait, il pensait être la cible idéale exposée à la vue du prédateur qui s’approchait alors qu’il était l’invisible tueur que l’autre ne prévoyait même pas.
Dans cet environnement de nature et de neige, son arme semblait tout à fait incongrue, grossière, le canon rectiligne et métallique faisait un angle étrange avec la souche et tout cela semblait d’une parfaite irréalité. Il suffisait maintenant de se pencher, de mettre l’œil face à la ligne de mire et d’appuyer sur la gâchette, comme à l’entrainement, avec la deuxième phalange.
Les choses se passèrent autrement, le coup partit sèchement faisant s’envoler toutes les ailes du bois, l’autre s’abattit d’un coup dans la poudreuse où il disparut. Ce fut la surprise du tireur, cette illusion de la cible qui n’est plus là une fois atteinte…
Pas un bruit, le silence de la forêt niait l’événement, en saluait l’audace. Nul ne pouvait distinguer cette volonté : l’écrasante réalité d’une nature tellement supérieure à l’humain.
Le corps, découvert plus d’un mois plus tard par un promeneur étranger portait un trou en plein front. Des traces de pas à droite comme à gauche montraient que de nombreux voyageurs locaux l’avaient contourné sans donner l’alerte, et la mort du Malin était sans aucun doute un élément connu du pays tout entier bien avant sa connaissance officielle. A moins que la neige persistante et le froid n’aient masqué la forme et l’odeur qui, l’été, aurait empesté en quelques heures.
Lorsque le commissaire arriva, les corbeaux avaient transformé l’ancien visage en un masque ridicule orné de deux trous noirs là où l’on attendait au moins la forme des yeux.
L’enquête devait commencer plusieurs semaines après la découverte de cette dépouille grotesque et maintenant mutilée par une nature chargée de venger l’innocence.

In "Le Crétin des montagnes"

Swann

Une écriture trapue, condensée, sèche comme un coup de fusil mais toujours aussi précise et descriptive.
De celle que j'ai plaisir à lire et que je ne rate jamais quand c'est la tienne.

Un bémol cependant pour ce "...lorsque l’on l’a...".

Nilo, à côté de chez Swann.

Merci Nilo pour tes encouragements et tes conseils, effectivement, j'avais remarqué ce passage plutôt laid. je vais y remédier.

Swann,

Court, efficace, comme un coup de fusil.

Z, gros gibier.

Clic-Dédé.
Avec le plaisir que j'ai eu à la relire je ne peux que confirmer ce que j'ai déjà dit.

Nilo, redite.

Et moi aussi. Les ligne défilent avec une vitesse que la curiosité accroît... Le style me plaît toujours autant.

Encore une fois, simple et efficace.

Z.

Clic-Dédé !! chouette j'ai de la chance en ces derniers jours de 2009 !

Mon ami Swann...tu sais quoi? ben j'ai eu des regrets en arrivant à la fin...

Un grand regret surtout :

D'être arrivée à la fin !

Histoire bien écrite et avec de la poésie comme "le coup partit sèchement faisant s’envoler toutes les ailes du bois" que j'ai trouvé superbe.

Dans cette histoire, tu as laissé une grande place à notre imagination ( surtout la mienne et Dieu sait qu'elle est vagabonde, je te le dis)

Du beau et du bien écrit .

MERCI Swann

Sylvie

une relecture de circonstance pour moi et toujours autant appréciée!!

Tiens, le Mur à Dédé n'étant pas innocent dans ses choix je me laisse porter par ses arrêts jubilatoires.
Et puisque nous en sommes à prier Swann de se remettre au turbin je profite de ce coup salutaire dans le mur pour remettre en évidence cette Histoire.

Nilo, pied du mur.

Le crétin des Montagnes !


A quand un autre extrait ?

Oui c'est vrai ça !
A quand un nouvel extrait ?
En tout cas, j'ai relu avec plaisir cette "Histoire".

Nilo, au pied de la colline.

J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Troisième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant sans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...

Dédé.