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Les poètes sont des médecines généralistes

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Io Kanaan
Dam
LCbeat
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Les poètes sont des médecines généralistes Empty Les poètes sont des médecines généralistes

Message  LCbeat Sam 27 Aoû - 20:04



Je veux un vertige psychiatrique !
Je veux qu'on m'enferme dans l'isoloir des mélancolies
avec des femmes à moitié nues
qui se baladeraient comme des poèmes
dans les couloirs de ma pathologie

Leurs poitrines sont des paroles de cristal
on perd notre vocabulaire rien qu'en y posant les lèvres
on s'en gargarise des enfantillages
on dit ma-man ma-man dorlote-moi la verge
puisque les verbes s'enfoncent dans nos gorges
comme des larmes foutues d'en dire un peu trop

Alors on ne dit plus rien, on s'assied comme des chiens flingués de torpeur
à quémander des caresses et des massages indiens
Où est l'encre qui coulait dans vos veines ?, nous demandent-elles
aux chiottes !, elle gémit sur la céramique des pissotières !
Je dis à l'infirmière en chef : si je fus un poète, je ne m'en souviens pas
prends-moi dans tes bras, laisse-moi sucer ton ventre

L'identité se confond avec la noirceur des miroirs
elle se comprime comme un coup de reins malades
Les fleurs, dit-on, sont des lumières glissées entre les ombres

Et puis arrive le moment fatal où elles écartent les jambes
dans un tremblement victorieux de souffrances pâles
c'est le service des médicaments
qu'on sert dans de minuscules morceaux de papier
Il n'y a pas d'issue pour ceux qui ont perdu le sommeil
alors je me jette la tête la première dans les royaumes mystérieux
trouvant des lettres mal assemblées qui à force de se mélanger
dessinent des mots criards, des mots comme des mômes terrifiés
ça dégueule des discours sans queue ni tête
Je lui dis : si je suis la ligne discontinue de votre corps
je situerai la place exacte des nénuphars

Un homme à la mère : le crayon des bassesses mélancoliques

Elles marchent comme des pendules
aux horaires disloqués
comment veulent-elles que je vêle en paix
Pour écrire il faut du silence, un silence froid
qu'on peut remplir avec les mains
Mais elles, elles ont déjà tout écrit
plus rien ne les stupéfie, comme les guêpes
de l'assurance multirisques
Alors je suis obligé de parler plus fort que leur silence
Je ne suis pas fou, madame !, c'est votre lascivité qui me tétanise

Je note sur un mouchoir : un chêne peut abriter 284 insectes différents
souvenir de brochure municipale
quand j'habitais encore des lieux usuels
avant de sombrer dans la malédiction et la mauvaise diction

L'infirmière en chef m'arrache le mouchoir des mains
comment savez-vous ce genre de choses
alors que vous n'arrivez même pas à écrire votre propre nom ?
Ô poète, libère-moi des mes liens
laisse-moi entrer dans la fournaise de ton corps
enlace-moi si tu veux, mais que ce soient tes jambes
que ce soit ton cul qui joue le rôle du soleil

Le soleil n'existe plus que dans mes rêves
Le soleil est une vignette autocollante

L'ombre s'approche, elle ne porte sur elle que des sous-vêtements
et des chaussures à talon haut
ses pieds s'accrochent à mes yeux comme un vieux fantasme
Je lui demande : d'où vous vient ce bronzage
depuis quand les poètes sortent sous le soleil ?

Je rate le train des survivants
la roue a tourné, et le monde se suffit à lui-même
Elles zigzaguent l'une après l'autre devant mon visage
comme des particules élémentaires soudées à la détresse
Regardez-moi quand vous me passez devant
n'ignorez pas que je pourrais vous sauter à la gorge

Nul n'entend les cloches sonner les douze coups de minuit
puisque le jour sans soleil s'éternise dans le dortoir
L'infirmière en chef revient, elle fait l'état des lieux de ma conscience
elle a écrit quelques mots sur mon mouchoir
je lis à haute voix : vous êtes un néon
Si je suis un néon, madame, vous en êtes la facture d'électricité

Mes érections sont de plus en plus douloureuses
comme si les doigts d'une femme me pinçaient à l'intérieur
Le fièvre se répand, j'entends les voix se putréfier contre les murs
on court on crie on allume des lumières pour les éteindre ensuite
on me radiographie intégralement, je deviens le scanner des nations
l'existence m'apparaît dans un dégradé de bleus et de blancs
Je gueule : arriverai-je un jour à écrire !
Chut, me souffle-t-on, laissez les machines faire leur travail
J'ai envie de leur dire que je suis moi-même une machine
que la fièvre à force de se répandre, me broie les muscles
que les tremblements de terre sont des nuisettes cardiaques

Voilà, me dit l'infirmière en chef, bougez la tête sur votre gauche
levez la main droite et dites je le jure, essayez de parler maintenant
La soumission est un drôle de carnaval
Aux enfants que je n'aurai pas je dis : aimez-moi comme si j'étais votre père
et le ciel en profite pour éclater des ballons de paille sur le lit
Brûlures de l'oxygène rare, senteurs d'un jasmin ancestral
où sont les femmes qui ne s'habillent pas que de blanc
où sont-elles, ces femmes, qui entretiennent des relations cosmiques
avec le monde
Un instant je sors de mon rêve, je suis aussi loin qu'un horizon
aussi tiède et mou qu'un crépuscule gris
Toute souffrance demande un geste de paix
alors je dis à mon déambulatoire : je viens en paix

C'est assez, dis-je avec la voix de Billie Holiday
C'est assez...

Soudain les projecteurs se sont allumés
j'étais une scène vide, pleine de mouvements vides
il n'y avait plus de vices, il n'y avait plus ces femmes
il n'y avait plus qu'une seule et parfaite femme
Alors
je t'ai écrit
comme on marche sur nos traces
pour trouver où se trouve le cœur de l'histoire

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Message  Dam Sam 27 Aoû - 21:20

J'ai trouvé assez intense
Délirant de lucidité
Un clair obscure comme un compte à rebours du rêve
L'ultimatum d'un cauchemar
... Et j'ai aimé ça.

Dam.
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Message  Io Kanaan Dim 28 Aoû - 9:04

Etre une scène vide... Pas si facile qu'il n'y paraît.
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Message  Nilo Dim 28 Aoû - 16:39

Je veux qu'on m'enferme dans l'isoloir des mélancolies
avec des femmes à moitié nues
qui se baladeraient comme des poèmes

Quelle entame !
Tu nous entraines ici dans une déambulation schizoïde à travers à travers les couloirs de la psychopapoésie. Ca emmène, même si je ne suis pas certain que les drogues aient des effets thérapeutiques.

Nilo, dites trente-trois.


Dernière édition par Nilo le Lun 29 Aoû - 9:39, édité 1 fois

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Message  Sylvie Lun 29 Aoû - 8:32

Après une lecture concentrée, oui, je dis "oui" à ces mots qui sont enfermés dans la tête du poète. Ils sont nos cauchemars et nos envies. Ils sont nus face à notre visage, face à ce miroir qui rappelle la douleur et qui fait fuir.

Le manque, la tendresse et l'univers se lient sur le papier et se lient tout court.

Le silence est très présent mais il tape la plume comme un marteau et poètes enfermés rêvent de liberté absolue.

L'interdit et l'imaginaire deviennent hors loi sauf pour la poésie où l'on a même la liberté de marcher sur les nuages pour aller embrasser sa mère.

Ce genre de remède qui n'a pas besoin d'être accompagné du mode d'emploi.

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Message  LCbeat Lun 29 Aoû - 21:06

Je tenais juste à mettre en avant cette phrase, Sylvie, ça vaut tous les poèmes du monde :

sauf pour la poésie où l'on a même la liberté de marcher sur les nuages pour aller embrasser sa mère
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Les poètes sont des médecines généralistes Empty Re: Les poètes sont des médecines généralistes

Message  marc Lun 29 Aoû - 21:59

un moment d'une grande force
silence ouvert dans lequel je lis ce texte
merci
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Message  eznogood Mar 30 Aoû - 8:46

LCbeat a écrit:Je tenais juste à mettre en avant cette phrase, Sylvie, ça vaut tous les poèmes du monde :

sauf pour la poésie où l'on a même la liberté de marcher sur les nuages pour aller embrasser sa mère


la mère...

la mienne je l'ai laissée un soir d'aôut 97 accrochée au mur des lamentations pendant qu'entre deux vies je me ménageais les méninges à St Antoine,

Moralité: je préfère de loin la mescaline à la ponction lombaire

et comme le disait si bien Michaux "Nous ne sommes pas un siècle à paradis"

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