Pharmacopée

On jouera du piano
comme si on savait jouer du piano

je sens le métabolisme de la pieuvre d'ivoire
couler ses peurs entre mes yeux
je marche longtemps
comme s'il y avait quelque part une solution aux fenêtres

la pharmacienne distille ses alcools sulfureux
l'éther, lui dis-je, l'éther est un enfer cotonneux
sous sa robe en transparence
comme une vieille image de quand on était môme
se dessine l'épouvantable beauté

la cruelle inanition de la beauté

on jouera du saxophone
comme si le saxophone était une vérité

en marchant, j'écoute Hampton Hawes
me délivrer des messages qui n'existent pas
en marchant, je décrypte l'attirail des femmes fugitives
elles sont la couleur de l'angoisse et de la démence

écris-moi, me dit la pharmacienne, écris-moi quelque chose de laid
alors je détourne les yeux
je regarde le monde s'affaisser, déculotté, amoureux de son miroir
et je dis à la pharmacienne : vous êtes d'une épouvantable beauté

la face cachée du désespoir est une beauté endormie

je marche longtemps
je m'embouteille dans la circulation peut-être sanguine
peut-être illusoire
tandis que... l'instrument sexualise l'immensité du frisson

l'orchestre se multiplie, octobre comme le début des festivités
l'automne, hululai-je, l'automne me découpe en rondelles
comme un grand duc à qui on ne peut plus la faire
les feuilles me rougissent des timidités absurdes

j'attends

on se baisera l'un l'autre
comme si nous savions encore la direction des corps

la pharmacienne est morte, me dit un vieux en rêve
- aqueux -
elle a emporté avec elle tous ses alcools et ses poésies
un cercueil en tire-bouchon, dit la rumeur du village
et des obsèques de faon

le fantôme d'Hampton Hawes plante des arbres fruitiers
dans mon jardin suspendu
je suis Bellebylone, simulacre aux cheveux décolorés
avec des mots dans le holster, sous ma combinaison spatiale
l'intemporalité de la jeunesse m'effraie

avais-je eu le temps de vieillir mes papiers d'identité ?

on fait encore semblant
comme si nous pouvions alors faire la différence
entre la réalité et son négatif

le ciel se lève, l'armée nébuleuse chaparde mes conceptions
je suis né sous une lumière d'août
et je me dis que j'aimerais crever un crépuscule d'automne

dans l'ombre inanimée d'une psychologie féminine
comme un arganier froussard
fuyant la fugacité des empreintes corrompues

dans l'ombre des mirages pharmacopéens

Beaucoup de choses sont passées dans ma tête en te lisant mais ce qui domine le plus est :

" Je voudrais être vieux avant d'être jeune" !

Et oui

J'ai aimé celui-là, qui ne fait pas que constater et regretter les choses, mais qui les pose sur la table encore encombrée des restes de la veille. Beaucoup aimé.

Dam.

Beaucoup aimé aussi ces vapeurs d'alcools et ces titubements de bateau ivre...
Belle imagination servie par un style imagé.

Encore un verre de cet alcool sulfureux et on écrira des poèmes au son d'un saxo déjanté comme si le monde était un poème

La pharmacienne est belle derrière son comptoir et à l'évidence tes mots lui confèrent une insoutenable beauté.
De celle qu'on envie aux feuilles quittant leur arbre à l'orée des automnes mordorés. On sait que la mort approche mais l'heure est belle tant qu'elle dure.

Nilo, seconde latente.