J'ai bu du rouge-sang

J'ai bu du rouge-sang


J'ai bu du rouge-sang
Dans des bistrots sans nom
Où coulaient des tonneaux
Les larmes en gésine
De femmes faméliques
Engrossées et livides.

Les hommes qui passaient
De bar en bar, liquides,
Ne posaient pas les armes
Et vidaient des chopines
En pleurant sur les femmes
Qu'ils n'avaient pas baisées
Puis crachaient sur les filles
Venues les consoler.

Parfois il arrivait
Après quelque naufrage
Qu'un passant débarqué
Peu avant sur le port
Vienne là s'échouer
Avec larme et bagage
Se faisant rédempteur
Des putes du grand large
Et finisse à confesse
Derrière le comptoir.

Il suffisait d'un rien
Dans les vapeurs d'alcool
Pour que le mot de trop
Mette le feu au lac
Et que tous les marins
En rejoignant leurs bords
Viennent faire une halte
Au bistrot sur le port
Histoire de mêler
Leur odeur d'hareng-saur
A ce parfum de femme
Dont se pare la mort.

Plus tard, quand la marée
Descendait des terrasses
Et qu'au petit matin
Se baissaient les rideaux
On voyait sur les quais
Les restes de la nuit
Débordant des poubelles
D'où sortaient quelques cris.

Et les femmes ancrées
A des bras trop virils
Réajustaient leurs bas
Qui filaient sur les quais.






Et quand certains matins
Je rampe à demi-mot
Je vois devant ma porte
Une poubelle vide
Où je vomis ma nuit.

Dans des bistrots sans nom
J'ai bu du rouge-sang
Qui laisse sur ma langue
Comme un arrière-goût.


Nilo.

La vie peut être ainsi...  la poésie dit la misère humaine et  les rêves sous-jacents avec tant de délicatesse !
Carmen qui vient de voir partir un ami (il n'avait rien trouvé de mieux que l'alcool pour noyer ses angoisses existentielles... et pourtant, il avait tant de qualités qui n'ont pas pu s'exprimer sur cette terre)

Un beau texte.. j'y étais, dans un tripot de dock, avec la mer qui lape les flancs du béton dehors et qui rythme les heures de la nuit. J'ai été touché par ce 'Je' qui arrive aux deux dernières strophes et qui d'un seul coup ramène le propos a celui qui raconte ; comme l'ultime confidence que ferait, a la toute petite aube, un homme de la mer à un autre.

Z.

Il suffisait d'un rien
Dans les vapeurs d'alcool
Pour que le mot de trop
Mette le feu au lac

 
Toujours en troubadour, la guitare dans la main, tu chantes le monde que notre œil évite souvent par le confort... pour moi c'est une promenade enrichissante.
Cordialement Solweig

Merci à vous trois d'être venus vous joindre à cette beuverie portuaire.

Nilo, docks en stock.

Un texte au rythme impécable et qui m'a vraiment plongée dans l'ambiance.

" Les restes de la nuit
Débordant des poubelles
D'où sortaient quelques cris."

Un délice !

Merci Nilo d'être là et je te remercie aussi pour tes lectures