Pensées (fragment)

Je viens de penser à autre chose - et cela frise encore le ridicule. Cette brusque redescente d’égo, cette effusion soudaine à propos de moi - écrire plus d’une page d’affilée est un effort suprême - n’est que la résultante de mon orgueil blessé. Un manque de ces compliments que j’ai pris tant de plaisir à dénigrer. Je n’arrive pas à écrire. Quelqu’un m’a laissé là, récemment, quelqu’un qui me rassurait énormément sur moi-même. Au moment où je devenais trop odieux, trop autoritaire ou trop pervers peut-être ou trop lâche, elle m’a laissé là. Dans une mélasse de doutes et de colère qui ne me quittent plus.

Et voilà que la poésie me fuit ! J’y ai joué mes plus belles pièces, mes plus beaux mensonges, j’y ai reçu mes plus belles déclarations. Et elle me quitte, après que l’autre muse cruelle m’ait quitté ! Les deux choses que j’aimaient le plus au monde me fustigent toutes ensemble. Elles appellent ce long blâme. Comment est-il possible que ces deux entités, la Muse et son enfant - ma poésie - se rejoignent tout à coup pour me renvoyer mes bassesses au visage ? Serais-je devenu si mauvais ?

Depuis tout petit, depuis que je n’ai pas d’amis, j’ai peur d’être abandonné. Le problème est classique, tout est dit. Et d’un seul coup, en l’espace de quelques mois, j’ai tout perdu. La répulsion de cette fille que j’aime tant, le dégoût de la poésie qui me quitte, et la constatation amère que je n’ai qu’un fantôme de mère, et un père qui ne me comprend pas, et si peu d’amis autour à qui parler...
Je suis terriblement seul. Je rumine toutes mes défaites, comme un Néron qui hésite encore à se suicider. Je ne comprend pas qu’on m’aime si peu. Je ne demande qu’à aimer, et qu’à être aimé en retour. Je suis prêt à donner tellement pour ça. Je suis prêt à aider n’importe qui, n’importe quand, pour qu’il m’aime. Et malgré tous mes efforts, toutes mes belles attitudes conquérantes et mes déclarations vibrantes à la liberté, les gens me fuient. Je suis déjà à l’âge où les parents commencent à ne penser qu’à eux, lassés de donner du temps et de l’énergie - faut qu’on se démerde ; je suis à l’âge boiteux, toujours adolescent, où l’amour est une canne providentielle au chaos dans les têtes. Je suis à l’âge où l’écriture s’ébroue, foudroie les vices, élève les vertus, canalise la rage ou le désespoir. J’ai besoin d’elle.
Comment faire sans eux ? Comment faire, tout seul ?

Le pire restant, dans ce tourbillon louable de repentirs et de contrition, que j’en ressortirai identique. Tout le monde connaît ça ; l’attitude de l’enfant gâté, ou de l’ivrogne, ou du drogué qui, pour quelques secondes ou quelques minutes, vous émeut ; soudain son visage change, il est pris d’une sorte de bonté indescriptible. Elle rayonne, elle innerve ses yeux et son visage et lui fait dire toute sortes belles choses. Il promet de ne plus être vilain, ou de ne plus boire, ou de ne plus sniffer. Il a conscience que c’est mal. Et votre coeur l’absout, votre coeur optimiste qui vous dit que l’homme est bon par nature.

Je crois être destiné à vampiriser. J’avais déjà constaté chez moi cette aptitude au mimétisme... Je me nourris des gens que je fréquente, je prend leur voix, leur visage, leur démarche, parfois leur culture, pour quelques heures. Je serai à coup sûr un très mauvais acteur devant une caméra, puisque mon égo prendrait le dessus, et j’en ferai des tonnes, comme font les mauvais. Mais je peux, anonymement, mimer quelqu’un à la perfection.
Pourquoi ? Je ne vois que deux raisons : primo, je n’imite que ceux que les gens aiment ou admirent et j’ai par procuration la sensation d’être aimé en reproduisant leur attitude. Secundo, et cette hypothèse vient de jaillir, parce que cela m’éloigne un peu de moi.

Alors, suis-je spécial ? Ais-je souffert autant que je le dit ? Ais-je créé ne serait-ce qu’une œuvre originale ? Non, non, non. Je joue en permanence pour être plaint, pour éviter les coups, pour être admiré - pour être aimé. Comme si toute mon existence tendait vers ce but-là, suprême au-dessus de tout le reste. Je crois que certains hommes passent leur temps à chercher un sens à leur vie : peut-être l’ais-je déjà trouvé. Je veux être aimé, énormément, et que ce soit grandiose, passionnel, incommensurable. Je veux de l’admiration par paquets de dix tonnes. Je veux du pouvoir, de la gloire, et faire croire que je suis pauvre et humble. Je veux faire l’amour sans jugement, ici et là, m’ériger phallocrate et continuer à écrire sur la beauté des êtres qui se trouvent par miracle, et se reconnaissent...

Et la seule manière pour moi de me pardonner est celle-là : me dire que ces actes sont conditionnés par cette soif terrible d’amour. Toutes mes lâchetés, mes mensonges, mes bassesses, mes perversions, mes manipulations ont le but de plaire - séduire. Je suis prêt à tout pour cela. Au fond, peut-être suis-je même prêt à sacrifier la qualité à la quantité : tant que je vend, tant que je touche du monde, allons-y ! Tout ce public est à moi, rien qu’à moi et il m’aime. Tant pis, s’il ne m’aime plus dans dix ans ! Je suis capable d’écrire un autre genre de merde, qui séduira encore d’autres foules, d’autres amours par centaines de milliers. Cette soif-là ne peut pas s’éteindre. Tout la justifie, même ce que je regrette, même ce qui ne serait pas, à priori, “moi”.

Et pourtant, quand la seule femme que j’aime vraiment me quitte, tous ces amours-là n’ont plus d’importance. Ne reste que le dégoût.


Z 2 06 10

De l'admiration en ce jour, j'en ai énormément pour toi. Sans vouloir louer outre mesure ton texte plutôt mélancolique, je me contenterai d'un "c'est tellement vrai"... Et tellement bien écrit. L'amour dérange, mais nous en avons besoin. C'est ainsi. Alors aime ce que tu écris, il y a de quoi.

Même si je n'ai jamais eu ton talent Z...ce qui tu exprimes la, m'est tellement familier.
Pourtant, on se forge, sans s'endurcir, on s'apprend, et on devient plus, tellement plus indulgent, envers soi- même.
L'amour est le graal pour tout le monde et même de ceux qui l'ignore.
Tu le sais déjà , voila tout, tu le ressens déja.

...j'aurais tellement envie de te dire d'être moins dur envers toi même, que tout ce que tu exprimes la, est juste une reflexion plus poussée, plus profonde sur tes agissements et ressentis...et sur ce qui t'arrive.

..j'aurais envie d'écrire ici d'autres choses mais j'y reviendrais. Je voulais déja faire ce petit echo la.

En tout cas, chapeau pour la sincérité.

"Serais-je devenu si mauvais ?" Non Z ! C'est juste un mauvais, et pour toi, un très mauvais moment à passer.
Tu connais cette phrase du philosophe Diderot :
" L'amour ôte l'esprit à ceux qui en ont et en donne à ceux qui n'en ont pas. "

Tu es alors en mesure de te demander pourquoi cela t'arrive à toi et ce que tu devrais faire pour rectifier le tir, retrouver la confiance perdue, le goût de l'expression, et donc, de la vie.
Tout doit te sembler dérisoire, je sais. Et comme si l'amertume ne suffisait pas, la culpabilité s'en mêle, on est prisonnier ! Même si l'on sait qu'il y a tellement pire, tellement plus injuste, tellement plus moche, on n'arrive plus à relativiser ! Et tout ce qui nous construisait comme par magie désormais nous détruit, nous enfonce, nous ridiculise, nous minimise encore ; est-ce à dire que nous étions mauvais avant, que nous nous bercions d'illusions ? Non. Seule la voix du mourant, de celui qui se sait condamné est juste (et tellement dure !) Le mourant veut se rassurer, il voit clair dans l'autre et il n'a rien à perdre... Le mourant dit ce qui est, il faut l'écouter et le croire. Il faut retenir son avis et tâcher de le faire mentir désormais.
Ce que tu fis n'est pas mauvais, ce n'est pas mal ! Mais il y a un juste retour des choses, voilà tout. L'inconscient imaginatif et collectif te nourrissait, te donnait une force extraordinaire, une liberté que je qualifierais de Divine, bonté divine ! Le temps change, les lignes bougent, les repères se brouillent et la trouille s'en mêle, de devoir changer de cap, découvrir l'inconnu (voir plus loin)

Dam, solidaire

Dam en a déjà beaucoup dit et j'ai tendance à le suivre. Son commentaire me paraît juste.
Se flageller ne sers à rien. Sauf si c'est pour se donner des coups de fouet salutaires.
Je pense, pour l'avoir éprouvé (qui de nous ne l'a pas éprouvé ?) que ton inspiration n'est pas tarie, en repos simplement. Et ce repos est nécessaire pour la regénérer. Elle revioendra plus forte, quelle qu'en soit la source, et ton écriture renaîtra de plus belle. Peut-être auras-tu remis tes automatismes en cause, peut-être seras-tu moins à l'affut des compliments, peut-être auras-tu trouvé ta place parmi les tiens et au milieu des autres.
Et peut-être pas tout ça, peut-être même rien de tout ça. mais ton écriture sera nouvelle, tes attentes le seront.
Tu retrouveras le plaisir (le bonheur ?) d'écrire, avec ou sans les "Whaou !" qui t'accompagnaient avant.
Peut-être de temps en temps te satisferas-tu d'un "Putain !".

Quoi qu'il en soit tu nous as posé là un joli fond de tiroir.

Nilo, peut-être.