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Message  vivant Jeu 17 Juin - 7:25



De face puis de profil, d'un tour de talon, Rachel s'examinait. En quelques jours, le soleil avait doré sa peau. Le rendu uniforme et souple la satisfaisait. Elle soupesa ses seins volumineux et denses, ornés de mamelons rose sombre tendus à l'horizontale. Un héritage familial nettement plus facile à porter qu'une tache de vin sur le visage. Un vrai piège à regards, un puits de phantasmes qui ne tarissait pas depuis ses quatorze ans. La première fois, elle avait eu un peu peur des doigts tremblants qui la pétrissaient, du nez alerte et fouisseur, et de la respiration hachée de l'adolescent aux pupilles dilatées. Elle se souvenait encore de cette étrange sensation, celle de se faire téter par un bébé monstre, baveux, avide. Il l'avait suçotée en marquant de courts temps de guet avant de s'enhardir en malaxages divers. Il avait été gauche, bousculé par l'urgence. Rachel l'avait laissé un peu sur elle, tandis que son crâne tambourinait les mises en garde de sa mère. Elle avait senti le désir peser sur son ventre, gonfler et palpiter. Tremblante à son tour, elle avait rougi et accueilli une ruche entre ses oreilles. Elle avait alors plaqué ses mains contre le buste de l'adolescent pour l'écarter, puis avait rabaissé son tee-shirt en lançant un regard inquiet alentour. Deux ans plus tard, les abeilles étaient parties bourdonner ailleurs et Rachel avait fait ses classes en termes de désir. Elle suscitait la différence avec aisance, en combinant ses deux rabatteurs tendres à un sourire en coin, enjôleur et défiant.



La cambrure sans démesure, les fesses et le pubis bien dessinés, le reste de son corps donnait l'impression d'avoir été tracé par le bambou biseauté d'un calligraphe oriental. A Vingt-six ans, Rachel était belle comme une vague sur le point de déferler, ondoyante, puissante et libre. Elle s'enveloppa d'un fin paréo blanc et sortit chercher un peu de fraîcheur sur le balcon. Le béton était encore tiède et l'air qui salait ses lèvres sécha ses longs cheveux en quelques minutes. Bientôt, elle se retrouva moite et fiévreuse. Inutile de retourner prendre une douche. Elle ferma les yeux, en se laissant aller à cette langueur familière. Elle fouilla ses souvenirs d'été, d'enfance, sans parvenir à les associer à cette mélancolie légère, à ce renoncement infime. Puis la connexion s'établit. Philippe, bien sûr, Philippe. Son corps toujours chaud, ses longues étreintes, le cheminement interminable de son sexe courbe, la même moiteur et la même fièvre, la même envie de défaillir, de s'abandonner. Presque neuf mois de séparation. Se pouvait-il qu'elle ne l'ait pas tout à fait quitté ? Ses lèvres s'affinèrent en un sourire, à mi-chemin entre la nostalgie et la satisfaction. Non, Philippe avait été comme ces cerfs-volants chinois que l'on construit avec la plus infime minutie et dont on finit par rompre le fil pour n'en conserver que la légèreté aérienne du souvenir. Rachel ne savait que faire de l'amour alors qu'elle composait fort bien avec le désir. Et quand Philippe avait évoqué les fondations d'un couple, Rachel avait fui. Elle était zone non constructible, sable mouvant ne supportant pas la présence du moindre pilotis.

Depuis, il y avait eu six autres partenaires plutôt médiocres, mais dont chaque coup de rein avait éloigné un peu plus la barque de Rachel des berges piégeuses de Philippe. Naviguer, oui, tant qu'elle pourrait, loin des terres et des libertés qu'on enterre. Une vie belle et souple, comme une vague. Jamais Rachel ne trouverait un homme pour la circonscrire. Le bonheur ne s'apprivoisait pas et le mariage… Pouah ! Elle vivrait ça comme un naufrage. Naviguer alors, et faire de courtes escales dépaysantes sans conséquences. L'été était là et la station balnéaire lui fournirait bientôt d'autres caresses, d'autres corps. Il lui suffirait de choisir un coin agréable, de se poser et de profiter des plaisirs de la pêche en rejetant avec dédain les petits poissons.



Lacanau, n'était pas bien grand et elle s'y entendait pour appâter. Elle avait déjà repéré ce type sur le balcon d'en face, le livre dont il ne tournait pas les pages. L'éclairage avait beau être faible, elle distinguait sa silhouette. Un peu vieux, peut-être, mais la pénombre le rendait mystérieux. La moiteur, le souvenir de Philippe, le gars d'en face, la musique cubaine d'un bar proche, tout cela se mélangeait maintenant et Rachel se laissa aller au tangage. Elle partit chercher une bouteille de Loupiac dans le frigo pour lier le tout. Heureuse et libre, sans entrave. Le vin doré glissait, sirupeux, au fond de sa gorge. Bientôt une autre chaleur l'inonda ; elle remuait la tête, suivait les lumières traînantes et se laissait bercer par les percussions assourdies et les rires en terrasse. La lumière était éteinte en face, mais la silhouette était encore perceptible au halo des lampadaires grouillants d'insectes désorientés. Le vin montait rapidement. Rachel se laissait confire à petites gorgées. Elle termina la bouteille à regret car elle n'avait rien d'autre pour entretenir son ivresse et ne souhaitait pas bouger de son appartement. Alors elle se concentra sur le type, le dota d'un charme ravageur et d'une terrible envie d'elle. Elle l'imagina traverser la rue en s'agrippant au câble électrique et sauter à pieds-joints sur son balcon, le visage toujours dans l'ombre. Il ôterait ses lunettes et elle ne verrait que l'éclat de ses yeux dans la nuit, jaillissant et fougueux comme l'écume. Mais il restait assis, imperturbable, face à elle. Rachel était maintenant persuadée qu'il ne la quittait pas du regard. Légèrement titubante, elle poussa la porte vitrée et s'observa à nouveau dans le miroir. Elle ôta lentement son paréo blanc tourna sur elle-même, puis sortit nue sur la terrasse. Le type n'avait pas bougé. Rachel sentit monter l'excitation. Elle rentra vite éteindre la lumière et retourna se poster au balcon. Il était encore là. Elle resta un moment, nue, accoudée, à le fixer, à sourire à l'inconnu, mais il ne fit pas le moindre mouvement.



Le réveil avait été difficile. Rachel avait pris une douche fraîche et bu beaucoup d'eau puis avait décidé d'aller à la plage centrale en début d'après-midi. Elle s'était assoupie quelques minutes, le tee-shirt en boule sur le visage, avant de sautiller sur le sable, comme sur un chemin de braises, pour chercher refuge dans l'eau. Même les estivants les plus organisés fondaient dans leur jus, à l'ombre de leur parasol, la thermos à la main. Rachel souriait dans l'écume, s'abandonnait à cet instant frissonnant où l'on ne sait pas trop bien si l'on gèle ou si l'on brûle. Une vague puissante lui percuta le ventre et la projeta en un souffle entre deux enfants tartinés de crème solaire mêlée de sable. Ils ne lui jetèrent pas un regard, happés par leur construction éphémère. Rachel s'allongea en retrait et les écouta un moment vanter la solidité de leur édifice. Elle aimait cet âge où l'on rêvait sérieusement, où quelques kilos de sable humide représentaient de fiers barrages contre l'Atlantique. En grandissant, tout devenait plus petit, plus étroit, plus mesquin.

Six serviettes cernaient la sienne. Des hommes seuls qui pour la plupart avaient feint l'indifférence à son réveil, mais dont elle avait senti les yeux glisser sur ses courbes. Elle jaugea brièvement le panel : Il manquait de relief. Du menu fretin sans intérêt. Six paires de lunettes opaques à éviter pour ne pas les encourager. Elle décida de rester dans l'eau longtemps, les yeux clos, jusqu'à se dissoudre, saline, jusqu'à convertir ses longues boucles en algues fines. Après l'excès de la veille, elle optait pour une journée légère et sans ombre. Il lui suffisait de respirer profondément, le corps plaqué sur le sable humide et de laisser les vagues éclater puis la couvrir et la découvrir. Libre, toujours libre… Quelques centaines de mètres plus loin, il y avait les nudistes. Elle avait déjà essayé, mais ça ne l'avait pas emballée. Elle avait ressenti un manque à quitter les quelques centimètres de tissu qui l'habillaient. Il lui semblait que rien n'était réellement naturel là-bas, mais que tous s'évertuaient à prouver le contraire. Les corps parfaits étaient ennuyeux sur la plage et les chairs pendantes, de cruels aveux livrés aux rayons crus. Rachel se sentait plus libre dans son lycra noir inspiré des années 40. Ses fesses dansaient sous le tissu et ses seins s'arrondissaient contre la maille fine. Lorsqu'elle était d'humeur taquine, elle s'amusait à monter des chapiteaux : Elle choisissait une victime, en évitant les caleçons larges, lui lançait de petit regards mutins et attendait le résultat. Certains jours, elle avait à ses ordres, une armée de sexes tendus par l'espoir, plus ou moins bien dissimulés. Mais aujourd'hui, elle n'en avait pas envie. Elle se leva, retourna chercher sa serviette et quitta la plage sans prêter attention aux éventuels prétendants. C'était cela aussi la liberté, celle de choisir son moment.



Face au bar restaurant du Kayoc, un gosse hilare lui avait fait signe. Il s'était éloigné dans le petit train blanc qui circulait à dix kilomètres/heure autour de la ville. Rachel avait souri et lui avait rendu son geste de la main. Sur le trottoir d'en face, un type l'avait imitée mais elle avait continué son chemin en dandinements légers. Elle avait décidé de ne laisser aucune chance aux dragueurs aujourd'hui. Elle voulait juste savourer le plaisir libre d'un enfant à la plage. Pour un peu, elle sautillerait d'une jambe sur l'autre en chantonnant, le visage barbouillé de glace au chocolat. Un petit luxe qu'elle s'accordait de temps en temps, loin des lourdeurs adultes. Dans la foulée, elle pénétra dans le Shopi et s'acheta des paquets de gâteaux et de bonbons avant de réintégrer son appartement pour les croquer en terrasse, la tête renversée et la télé en fond. Elle jeta un œil sur le balcon d'en face, mais le reflet l'empêchait de distinguer quoi que ce soit. Il lui plaisait alors de penser que le type était toujours là, à son poste. Assommée par la chaleur, elle alla se chercher une bouteille d'eau dans le frigo, en profita pour éteindre la télé et brancher le poste. Très vite, elle retrouva son énergie et roula d'une fesse sur l'autre en chantant en yaourt sur « hypnotise » de System of a down. Les fesses puis les seins. Une paire de huit horizontaux comme deux appels de l'infini. Rachel balançait ses atouts au vent chaud vers la baie vitrée d'en face. Elle avait découvert cette chanson en plein hiver et la magie avait opéré. Un mélange oriental/hard rock, le charme prophétique du chanteur... Elle l'avait écoutée en boucle pendant quelques semaines. La dernière fois qu'elle avait vibré ainsi, c'était sur « walk away », une chanson douce amère de Ben Harper. Il y avait quelques alchimies comme celle-là auxquelles elle ne pouvait résister. Elles finissaient par devenir personnelles, intimes et elle se les passait comme d'autres avaient recours aux anxiolytiques. La musique était comme Rachel, libre, dans l'air, donc toujours avec elle partout où elle allait. Une onde pour une autre. Bientôt, elle crût percevoir un mouvement et s'interrompit quelques minutes pour scruter en biais vers le balcon d'en face ; Mis à part le passage de quelques mouettes, rien ne venait troubler le reflet de la baie vitrée. Rachel haussa les épaules et s'étendit sur le transat, un goût de carambar dans la bouche. Elle reprit l'air qu'elle chantait à son début et le termina en bâillant, vaincue par la chaleur, les sucreries et la bouteille de vin vidée la veille qui se rappelait à elle.



elle émergea vers dix-huit heures, sa belle humeur avait fui dans les limbes. Elle avait presque oublié le gars du balcon quand il décida d'apparaître. Rachel l'épiait maintenant. Il lui sembla qu'elle avait fait une erreur d'appréciation sur ses intentions. Elle avait pris un raccourci lubrique par facilité, par habitude, mais on pouvait interpréter son attitude de mille autres manières. N'empêche, elle ne pouvait l'ignorer. Les rôles s'étaient inversés. Postée bien en face, elle le détaillait avec minutie. Short bleu marine sans fantaisie, tee-shirt blanc uni, pas de montre au poignet, d'énormes lunettes de soleil qui lui mangeaient la partie haute du visage. Bras et jambes blanchâtres, sans doute protégés par une crème solaire haute protection. Il était seul, sans cigarette, sans alcool, sans musique peut-être, avec juste un livre dont il ne tournait pas les pages et une bouteille d'eau qu'il trouvait de temps en temps, par tâtonnements, et qu'il reposait en suivant le même rituel. Une heure plus tard, il n'avait pas bougé et Rachel, perplexe, décida d'aller prendre une douche tiède puis de plus en plus froide, repoussant ses limites jusqu'aux claquements de dents. Sa peau était tendue comme la surface d'un djembé. Elle s'enveloppa d'une large serviette, passa devant le balcon. Il était toujours là. Ce type immobile la rendait nerveuse. Fini les joies enfantines. Ce soir, elle sortirait, irait dans des bars où l'on bouge sur des rythmes latins. Ce n'était pas vraiment sa tasse de thé, mais il n'a avait pas d'endroit authentiquement rock dans le coin, et aucune chance d'entendre les riffs ravageurs des groupes qu'elle aimait à cinquante kilomètres à la ronde. Les cafés de plages étaient dépourvus d'âme ; Ou plutôt la vendaient-il. Ils surfaient sur la mode et résonnaient aux sons actuels mâtinés de world music. Il fallait plaire au plus grand nombre et séduire un large panel. « Ambiance généraliste » Le programme était clairement annoncé sur les panneaux publicitaires. Rachel avait d'autres objectifs. Elle passerait la faune à l'entonnoir et choisirait celui qui s'occuperait d'elle.



Vers minuit les terrasses luttaient entre-elles, décibels et cocktails, invitations pour les boîtes de nuit locales, annonces au micro, jeux de lumières et d'ambiances. Rachel s'installa en terrasse sous un parasol de paille inutile et décida qu'elle ne paierait pas plus de deux consommations. Son léger tee-shirt, ses deux rabatteurs tendres juste en dessous, elle ne tarderait pas à attirer les regards. Le premier type qui l'accosta avait un look de pirate : bandana noir, boucle d'oreille, débardeur plaqué sur des pectoraux entretenus, et jean large, délavé. Il ne lui manquait que le couteau entre les dents qu'elle imagina tandis qu'il la baratinait. Elle sourit malgré elle. Non, elle n'attendait personne en particulier, mais elle n'était pas intéressée. Elle lui conseilla d'aller tenter sa chance ailleurs s'il ne voulait pas perdre son temps. Il s'exécuta en souplesse, deux tables plus loin. Le serveur apporta le ti'punch qu'elle avait commandé. Pour le moment, personne ne trouvait grâce aux yeux de Rachel. L'ensemble était banal : Des jeunes se donnaient des airs d'hommes, clope au bec et lunettes noires ; cinq ou six adeptes de la cool attitude, posaient avachis, la tignasse au vent, empêtrés dans une fausse décontraction, et quelques lourdauds pavanaient en déployant leur connerie en éventail. Rachel s'était toujours demandé pourquoi les grandes gueules étaient souvent celles qui avaient le moins de choses à dire. Cela avait le don de l'exaspérer. Elle n'avait pas vraiment un type d'homme dans la tête, et bien souvent elle tombait sur les plus inaptes à se fondre dans une catégorie précise. Ils étaient plutôt silencieux, discrets, et leur charme les irradiait plus qu'il ne rayonnait. Philippe était de ceux-là. Séduisant malgré lui, effacé ou fantasque selon les cas, et une ressemblance frappante avec Charles Denner lorsqu'il souriait. Il avait bien failli la garder dans ses filets. Rachel termina son verre pour chasser le fantôme sentimental.



Deux jeunes avaient joué du coude avant de l'aborder. Elle avait repéré leur petit manège du coin de l'œil depuis quelques minutes déjà. Elle ressemblait trop à une actrice de série télé selon eux. Oui, elle était bien sûre que ce n'était pas elle, oui elle était charmante, non elle n'avait pas besoin de leur compagnie, et non elle ne comptait pas donner son numéro de portable. Rachel allait renoncer quand elle aperçut enfin un visage intéressant sur la terrasse d'en face. Elle se centra sur l'objectif et fit tinter les glaçons dans son verre pour annoncer le début du round. A la moitié du verre, il l'avait déjà bien détaillée et s'était tourné pour avoir Rachel dans son viseur. Elle termina d'un trait et se leva pour traverser l'allée, frôler sa table et lancer une dernière oeillade. Elle balança son petit derrière pour mimer un départ. Presque aussitôt, il se leva dans un raclement de chaise et lui emboîta le pas pour lui proposer de s'asseoir à ses côtés. Ferré de belle manière.



La suite de la soirée ne s'était pas déroulée comme prévu. Il s'appelait Romaric, avait quatre ans de plus qu'elle, et avait très rapidement montré ses limites intellectuelles et physiques. Il ronflait maintenant au milieu de son lit. Cette soirée se concluait sur un échec total. Un coup banal comme un simple échauffement. Rachel était prête pour le plat de résistance, mais son partenaire bavait sur ses draps. Elle prenait le frais sur le balcon, un peu ivre et armée d'une colère sans destinataire. La sentinelle n'avait pas quitté son poste. Elle ne savait pas ce qu'il avait vu, mais paria qu'il n'en avait pas manqué une miette. Cette espèce de voyeur, elle imaginait son rictus sardonique. Elle se mit à le détester, à le considérer comme une émanation lugubre, une conscience anthracite. La station balnéaire avait retrouvé son calme et lui donnait l'impression d'être seule face à un ennemi masqué. Des images de westerns spaghetti lui trottaient dans la tête quand le type décida finalement de rentrer et de tirer le rideau sur sa baie vitrée. Rachel resta à l'affût, sans résultat. Le jeu avait perdu son charme. Elle était inquiète. le lendemain, elle fila directement à la gendarmerie pour exposer son problème. On l'écouta aimablement et deux brigadiers zélés promirent d'aller causer au gars du balcon d'en face. Les fonctionnaires ne purent s'empêcher de lorgner abondamment les tendres seins de Rachel au passage. Peu après son départ, ils se tapèrent dans la main en espérant dénicher du matériel vidéo chez le voyeur.

Elle avait croisé Romaric en revenant de la plage. Il était assis à la même place que la veille et espérait sans doute un remake d'un jour sans fin, mais Rachel l'avait simplement salué en lui claquant deux bises sur les joues avant de repartir droit devant, libérée de ce nouveau boulet. Elle avait été happé toute la journée, jusqu'à en oublier l'heure, par un bouquin de poche acheté à la librairie près de son appartement : « rien ne va plus ». Devant tant de rebondissements, sa vie lui paraissait fade. Elle acheta un autre livre de Douglas kennedy « les désarrois de Ned Allen » et décida de consacrer sa soirée à l'auteur plutôt qu'à un mâle sans conversation. Lorsqu'elle vit le type d'en face en poste, elle décrocha son téléphone et composa le numéro que le gendarme Ropart lui avait donné dans la matinée.

_ Nous sommes effectivement allés le voir. Sa version des faits est bien différente de la vôtre. Il dit subir vos strip-teases à longueur de journée.

_Vous voulez rire ?

_Je pense que vous faites erreur sur ses intentions. Il est venu s'isoler par ici suite à un drame familial et, selon ses déclarations, vous le dérangez dans son recueillement en défilant dans le plus simple appareil.

_Et vous croyez à ces conneries ?

_Croire, ne pas croire, ce n'est pas très important, mademoiselle. Techniquement, nous ne pouvons l'empêcher d'être sur la terrasse d'un appartement qu'il a loué. Il pourrait même porter plainte contre vous pour exhibitionnisme. Je vous suggère de fermer vos rideaux à l'avenir.

_Incroyable !

Rachel avait raccroché abasourdie. On lui avait déjà fait des coups tordus, mais celui là dépassait l'entendement. Cet espèce d'hypocrite devait jubiler sur son balcon. Elle se mit à parler seule à voix haute. « Mes rideaux, je les ferme si je veux, et je me balade comme je veux chez moi ». Elle fit voler ses habits et écrasa ses seins contre la baie vitrée. « qu'on vienne m'arrêter, maintenant! » Le type ne broncha pas et Rachel se caressa ostensiblement en ondulant du bassin. Les dents serrées par le défi, elle se faisait presque mal tant elle exagérait l'acte. « Je vais t'en donner, de quoi te recueillir, gros pervers ! » Rachel a sorti son majeur humide et l'a lancé en direction du balcon d'en face avant de fermer les rideaux de rage. Elle s'allongea et commença son livre en tremblant. Au bout de quelques chapitres, elle était suffisamment prise par l'intrigue pour reléguer le voisin à distance.





J'aurais aimé pouvoir sourire ou me détendre, mais ça ne venait pas. Rien ne venait plus, c'était un constat d'échec enlisant. Les gendarmes frapperaient peut-être encore à ma porte. Je songeai à cette éventualité sans y croire vraiment. Que valaient la colère d'une fille légère contre le deuil ? Les gendarmes avaient rapidement lâché prise, leurs yeux avaient balayé la pièce comme des phares, en quête d'indices compromettants, mais n'en avaient pas trouvé. Quelques affaires pliées dans une valise ouverte, une bouteille d'eau au pied du lit et une paire de lunettes de soleil sur la table de chevet. Un décor minimal, lisse, froid comme le marbre. Du vide, voilà ce que je leur avais proposé, et la même béance dans le regard. Un chagrin au delà des larmes. Dehors, il y avait le soleil, la plage, les bikinis, le chahut des enfants, toute cette vie à retrouver d'urgence. Non, je ne les reverrais pas. J'avais été suffisamment convaincant et les limiers avaient perdus leur assurance pour repartir penauds, en bredouillant quelques formules de politesse.

Le malheur suinte, poisse, s'agglutine, et fait fuir ceux qui le peuvent encore. Il s'était abattu sur moi en un coup de masse imparable, lourd comme le poids du monde. Je n'avais pas eu mal tout de suite, il m'avait laissé errer, pantelant dans les travées du cimetière; il avait ensuite niché dans les silences et les regrets, dans les regards perdus de ma femme. Nous agissions mécaniquement, sans désir, le sens fuyait par les murs. Un soir, j'ai quitté le lit, les nerfs mis en pelote par les pleurs de ma femme, je me suis réfugié dans la chambre de Philippe, et je me suis mis à respirer ses affaires, à toucher ses objets, à retourner la chambre pour trouver une explication à son suicide. Et je suis tombé sur une photo de lui avec cette fille, au sourire plein de vie, rieur et effronté. Un prénom et une date au dos. Ma femme est venue voir ce que je fabriquais et je l'ai envoyé paître brutalement. Puis je suis sorti, la photo dans la poche, et j'ai démarré en pensant que je ne remettrai jamais plus les pieds dans cette maison. Je me suis effondré quelques heures plus tard, dans un hôtel et j'ai passé le reste de la nuit au dessus de la cuvette des wc. Les jours qui suivirent, mon cerveau tourna à vide. Je n'avais plus le malheur en miroir dans les yeux de ma femme, mais il dévastait, un à un, chacun de mes organes. Je me suis souvenu de ce que je faisais au moment où l'on m'a annoncé la mort de mon fils. J'étais tombé sur un site internet qui estimait le temps qu'il me restait à vivre. Un compte à rebours morbide, une biopsie de l'existence découpée en secondes, des secondes insaisissables, qui laissent les mains vides. Vivre, c'était perdre à chaque instant. Je réfléchissais déjà à ce genre de choses avant : on voulait engranger, collectionner, économiser, prévoir. On pouvait miser ce qu'on voulait, la partie était truquée, et on finissait les poches vides ; On voulait oublier, se divertir, jouir, s'étourdir, se saouler, se perdre en chemin, mais on ne faisait qu'accélérer vers le néant. Chaque promesse de bonheur m'effrayait, car j'en anticipais la perte. Je ne voulais rien avoir à perdre, et j'avais tout perdu ce soir là.

Cette photo, je l'ai interrogée des milliers fois, avant de me décider à retrouver cette Rachel. Les premiers temps, je suis resté discret, je me suis contenté d'étudier son comportement. Elle survolait chaque instant, chaque amant avec l'aisance du sourire de la photo. Je l'ai suivie à maintes reprises dans les rues, les yeux rivés sur le balancement ostentatoire des ses atours et je me suis mis à haïr sa légèreté. Philippe n'avait été pour elle qu'une péripétie et ses nouvelles aventures me mettaient en rage. C'était autant de couches sédimentaires qui ensevelissaient la mémoire de mon fils. Rachel est devenue mon obsession. Je me suis demandé si j'allais la tuer. Je me le demande toujours. En attendant, j'ai décidé d'agir, de lui montrer que j'incarne son ombre à chaque instant. Je veux peser sur sa légèreté, entraver sa grâce, être le boulet du canon, plomber sa cervelle. Je veux qu'elle soit sans réponse, démunie comme je l'ai été à la mort de Philippe. Je n'ai plus peur de perdre : Je n'ai plus rien. Le temps s'égrène. Le mien s'est arrêté.

Je sors sur le balcon, il fera bientôt jour. La rue est calme en dessous. Je le suis également, le regard centré sur la fenêtre de Rachel, pour cueillir sa première rage comme une fleur pour Philippe.

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Message  Nilo Ven 18 Juin - 19:26

J'aime lire ces pages.
J'aime les gens qui SAVENT ECRIRE.
Tu as le bonheur d'en être.
Fais nous rêver, comme tu m'as fait rêver ici :
Deux ans plus tard, les abeilles étaient parties bourdonner ailleurs et Rachel avait fait ses classes en termes de désir. Elle suscitait la différence avec aisance, en combinant ses deux rabatteurs tendres à un sourire en coin, enjôleur et défiant.

Ce passage annonce la couleur, et tu as le sens des couleur, des harmoniques.

Des textes comme celui-ci tu peux nous en mettre à la pelle, ne te prive pas.
De vrais auteurs nous en avons besoin, tu en es.

Nilo, j'avais envie de le dire, c'est dit.

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Message  Lalou Ven 18 Juin - 19:48

Entierement de l'avis de Nilo

Du grand Vivant : On aime !

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Message  vivant Ven 18 Juin - 23:14

merci à vous deux, parce que j'ai conscience que mes textes sont longs, des pavé à l'écran c'est pas toujours évident... et pour ces compliments qui me touchent vraiment et qui m'encouragent dans une période troublée...

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Message  Lalou Sam 19 Juin - 7:46

Des pavés certes mais qui se lisent avec plaisir...qu'importe le flacon !

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Message  Dam Sam 19 Juin - 13:40

Un contraste saisissant ! Ravi de t'avoir lu.

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Message  Zlatko Sam 19 Juin - 15:47

Un vrai et grand plaisir de lecture. Tu es un véritable romancier, de ceux qui te proposent 90% de bon et 10% de petites facilités, tellement rares qu'on les oublie.

Surtout, ce don pour décrire les atmosphères m'enchante, puisqu'elles sont la structure même de l'édifice romanesque, plus que les descriptions de personnages ou les rebondissements. Toutes ces odeurs, couleurs et sons glanés et restitués ici forment une danse, ta danse, dont il n'est pas facile d'oublier le rythme.

Que dire de plus ? Moi qui ne lis plus de romans ou si peu, j'aurai plaisir à te suivre sur des centaines de pages. Qui plus est tu donnes envie d'écrire, et c'est pour moi la caractéristique des gens de talent.

Z, bavard.
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Message  vivant Ven 9 Juil - 20:57

J'ai pas remercié ce comm' ? ben c'est chose faite...
je viens d'envoyer un manuscrit chez les éditeurs... qui sait ?

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Message  Lalou Ven 9 Juil - 22:01

Tiens nous au courant en tout cas!

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