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Le Soleil s’est noyé
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Le Soleil s’est noyé
Au début d’un chemin caillouteux qui desservait la maison, un petit panneau rectangulaire en bois mangé par l’humidité indiquait un indéchiffrable nom. Un nom ancien et absurde : plus aucune organisation humaine ne subsistait désormais.
L’homme détourne la tête.
Son visage est décharné, sa peau si tendue qu’elle dessine, d’un trait noir et grossier, le contour des os. Des bleus presque violets s’étalent sous ses yeux, dévorant ses joues devenues d’un jaune maladif.
Et, au milieu de ce masque de cadavre, un regard brûlant, de vie, de volonté.
Sur son dos repose l’Enfant muette.
Son corps d’adolescente est presque aussi grand que celui de l’homme. Ses bras et ses jambes s’enroulent doucement, infiniment, autour du torse, du ventre de l’homme.
Mais déjà elle ne pèse presque plus rien, que le poids de la peau et des os.
Ses cheveux de soleil clair, d’aube d’été, sont maintenant presque tous tombés.
Ca fait six jours.
Mon Soleil, ma Lumière.
Toujours, je te ferais un abri de mon corps.
Jour 1
L’Enfant a cessé de parler dès le premier jour. Dès que l’eau s’est mise à monter.
Tôt ou tard, les hommes savaient que cela arriverait. Tous les météorologues l’avaient prédit : les hommes poussaient la terre, chaque jour davantage, à l’extrême limite de ses capacités, la terre, un jour, réagirai.
L’eau a jailli des mers, jailli du ciel. Pendant vingt-quatre heures apocalyptiques, pour tout recouvrir, tout laver, épurer comme à l’acide. De l’eau âpre par torrents interminables. De l’eau, interminablement.
Les puissants avait peut-être prévu leur arche. Au cas où, depuis longtemps.
L’homme et l’Enfant devenue muette n’étaient pas des puissants.
Quand les vagues ont déferlés, ils ont fui sur les chemins, corps de pantins, corps agités au rythme des grondements. Ils ont couru en se tordant les jambes sur les routes devenus mouvantes, carnivores.
Ils ont cherché. Instinctivement. Ou se réfugier. Comme quelque onze milliards d’humains.
Ils ont grimpés dans des immeubles surpeuplés d’hommes affolés, fourmilière négligemment écrasé du pied.
L’Enfant s’est faite bousculer, piétiner, des heures entières.
Son corps s’est peu à peu couvert de bleus et de blessures.
Sa respiration s’est faite violente et saccadée, celle d’un animal n’ayant connu que la quiétude, soudain pourchassé à mort.
Son arcade s’est ouverte, des filets de sang coulaient sur son visage creusé, s’entremêlant à la crasse, à la boue, entachant jusqu'à le faire disparaître le diaphane de sa peau. Le sang a coulé sur ses yeux grand ouverts et sa vision est devenue cramoisie, enflammée, enfiévrée.
Alors que le ciel commençait à esquisser une aurore grise et terrible comme le métal d’une lame, dans la folie des escaliers, un attroupement a si violemment heurté l’Enfant que, plaquée et coincée contre les fissures du mur, tous les doigts de sa main droite se sont cassés. Cinq craquements distincts, sonores. Ses ongles se sont retournés. Arrachés.
Elle a hurlé bestialement.
C’est le dernier son que l’homme a entendu surgir de sa bouche.
Plus jamais, elle n’a parlé.
*
Puis, l’eau a baissé. Puis, l’eau s’est retirée.
Et les survivants, les rares, sont redescendus dans les rues.
Il n’y avait plus de vie. C’était aussi simple que cela : il n’y avait plus de vie.
Les structures les plus frêles avaient été rasées. Les bâtiments toujours débout semblaient datés de plusieurs siècles. Des cadavres par milliers jonchaient jusqu'à dans les lieux les plus isolés.
Et quelques groupes d’hommes hébétés, çi et là, repartait dans ce monde stérilisé sans savoir si il était possible d’y faire autre chose que s’y laisser mourir doucement.
Jour 3
L’homme et l’Enfant muette, après une marche solitaire, ont rencontrés un rassemblement de survivants organisés. Ils étaient une vingtaine. Des cabanes brinquebalantes, faites des branches mortes, les abritaient.
Un corps de bébé rôtissait à la broche. A côté de deux jambes découpées sur les restes de cadavre.
L’homme a spontanément couvert de sa main les yeux de l’Enfant. D’une seule main, il pouvait recouvrir tout son visage, de la naissance du front jusqu'à la base du menton. Il sentait son souffle, son souffle à bout, plus âcre d’heure en heure.
Les hommes assemblés autour du feu leur ont fait signe de s’approcher. Ont haussé les épaules quand l’homme a mis son bras autour du corps de la Petite, et qu’ils se sont éloignés
« On ne fait rien mal »
« Il y a plus rien. Faut bien manger. Il n’y plus rien. »
*
Cacher le visage de l’Enfant devant ce spectacle était peut-être devenu dérisoire. Elle semblait ne pas l’avoir vu. Ne pas avoir senti la puanteur infernale des morceaux de viandes cuisant paisiblement. Ne plus ressentir la nécessité de se nourrir.
Son beau corps souple au parfum léger de fruit se racornissait, se recroquevillait, s’étirait inexorablement.
Cette maigreur exacerbée sur son corps en bouton de fleur lui donnait une allure paradoxale de fœtus-vieillard, usé par les excès de ces géniteurs avant d’avoir vécu elle-même, une allure souffreteuse de plante à la sève exsangue, agonisante sans avoir fini de naître, sans avoir éclose.
Je t’aime. Je t’aimé comme on aime le jour. Je t’ai aimé comme on prie anxieusement le soleil, au plus profond de la nuit, comme on le supplie de renaître à nouveau. Je t’ai aimé comme on remercie humblement la lumière, chaque matin, à la première lueur. Je t’ai aimé comme on aime chacune des étoiles au milieu d’un ciel noir, noir de sang infecté, coagulé, figé.
Jour 5
L’homme a trouvé des racines, des plantes. L’homme une fois même, a tué un chat, l’a découpé au format d’un steak banal du vieux temps, l’a cuit et le lui apporté.
Mais l’Enfant muette, devenue prisonnière d’elle-même, enfermée dans son propre corps, en a continué la destruction.
Alors, pour pouvoir continuer leurs errance, parce que s’installer quelque part, c’était risquer de devenir le repas d’une bande plus nombreuse, l’homme s’est mis à porter l’Enfant sur son dos, comme lorsqu’elle était toute petite. Elle pesait le poids d’une herbe déshydratée, brulée par un trop cruel soleil.
L’homme l’étendait chaque soir, caressant ses lèvres hermétiquement close, ses yeux vides. L’eau de ses yeux à lui coulait sur son visage à elle. C’était le seul instant ou le regard de l’Enfant se réanimait, juste le regard, et l’eau des yeux de l’homme paraissait un pâle remède à l’eau de la meurtrière nature.
Jour 7
Au matin, l’Enfant n’a plus bougé du tout. Ses yeux étaient restés ouverts, fixés sur le ciel, son corps était raide.
Un sang de cendre coulait de sa bouche jusqu'à la racine de ces cheveux de lumière disparus.
L’homme sert contre lui le corps qui déjà, part en morceau.
Toujours. Tu es toujours là, ma Petite.
Tu ne parleras plus jamais, je le sais bien, depuis le premier jour.
Mais je peux toujours serrer ton corps de lys contre le mien.
Même les crabes n’osent plus t’approcher. A cause de ton odeur. Ton odeur de décomposition.
Jour 10
L’homme s’est crevé les yeux.
Il a saisi un morceau de la main livide, glacée de son Soleil agonisé et s’est enfoncé les ongles dans les orbites.
Il n’y a plus de lumière. Il n’y a plus rien à voir.
L’homme s’est crevé les yeux.
Pour ne plus rien voir, s’abimer dans le noir, dans le vide poisseux de son esprit. Pour échapper à l’horreur qui désormais, sans cesse, se posait sous ses yeux.
Horreur dont il est coupable. Le monde pour lui vient de s’éteindre, et ce n’est que maintenant, maintenant qu’il y a rien d’autre à faire que regarder, qu’il le comprend. Coupable comme tous les hommes, comme chaque homme un par un.
Coupable de n’avoir jamais agi, jamais réagi.
Coupable d’avoir passivement assisté à la destruction de la nature, à l’autodestruction des êtres humains.
Coupable de s’être endormi devant une télévision, mangeant une nourriture produite en gangrénant la terre, avalant le fluide vitale de l’herbe, des forets, de l’eau. Habillé de vêtements tachés du sang d’hommes exploités.
Coupable de ne s’être jamais poser aucune question, alors que, pendant ce temps-là, l’Enfant grandissait. Elle était devenue une adolescente aux yeux bleus délavés et confiants. Heureuse et légère, aux mots qui se déployaient dans l’air comme des rubans transparents. Légère et broyable d’une main, comme un fétu de paille.
Tu étais si jolie, ma chérie. Jolie comme le ciel avant que des nuages noirs, suintants ne le recouvre. Jolie comme les roses des poèmes de jadis. Tu n’a jamais vu de roses. On a arrêté d’en cultiver la même année que ta naissance. « Sur ordre des ministères, il ne sera plus produit que des plantes destiné à nourrir la population ».
Tu étais la fille la plus vivante que je n’avais vue, une porcelaine animé.
Il n’y a plus que du noir, maintenant.
*
Pourtant non.
Au loin, il y a toujours des lumières, des lumières que l’homme ne peut plus voir.
Mais on ne saurait dire ce qu’elles sont.
Des feux de joie ?
Des survivants qui calment leur peau en recherchant des derniers fragments d’humanité ?
Ou encore une bataille ? Encore.
( Ecrite pour le concours de nouvelle d'Aubigny )
Re: Le Soleil s’est noyé
J'ai lu...j'ai eu la gorge nouée, j'ai ressenti plein d'émotion; notamment les passages où "il lui parle".
C'est sinistre et désespéré , lugubre et triste mais plein de poésie, je trouve.
Le style colle à l'histoire et rien ne se heurte à la lecture, si ce n'est l'émotion qui peut se dégager plus fortement à certains moments.
et puis, pour le fond du propos, j'espère que cela ne restera que fiction. Parfois on se demande si ce n'est pas ce qui nous attend.
Merci Litchi pour ce partage.
C'est sinistre et désespéré , lugubre et triste mais plein de poésie, je trouve.
Le style colle à l'histoire et rien ne se heurte à la lecture, si ce n'est l'émotion qui peut se dégager plus fortement à certains moments.
et puis, pour le fond du propos, j'espère que cela ne restera que fiction. Parfois on se demande si ce n'est pas ce qui nous attend.
Merci Litchi pour ce partage.
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LaLou
Re: Le Soleil s’est noyé
Je n'adhère pas au fond mais il est vrai que c'est plutôt bien écrit et "agréable" à lire malgré la dureté du propos.
Nilo, sous le soleil.
Nilo, sous le soleil.
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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Le Soleil s’est noyé
ben toi tu as du lire la route de cormac mac carthy ou voir le film... car c'est la même ambiance à peu de choses près... je n'adhère pas trop non plus à la morale un peu trop voyante, mais j'ai trouvé ça plaisant à lire, peut-être un peu trop d'adjectifs parfois à mon goût, mais intéressant.
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"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
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