C'est ça ou le cancer de la prostate!

Cette journée est vraiment fatigante. Je sais que ce n’est pas moi qui suis au fond du trou pour creuser mais je m’ennuie, posé contre ma pelle.
Je suis celui qui n’est jamais au fond du trou, vous savez le type qui regarde les autres bosser et qui dit à un moment : « t’as oublié le coin à gauche. »
C’est incroyablement épuisant de ne rien faire et d’attendre en roulant ses clopes. Remarquez, je n’en roule pas beaucoup, une ou deux par jour. Je me contente de l’allumer et de la laisser pendre sur le coin de ma bouche jusqu’à ce qu’elle soit tellement imbibé de bave qu’elle flanche complètement.
J’attends au bord du gouffre sombre. Dans le trou, c’est l’enfer quel que soit le temps. Quand il fait chaud, on cuit sous le cagnard et quand il fait froid, nos mains deviennent glacées et le sol devient tellement dur qu’à chaque coup de pioche, les vibrations nous brisent les os.
- « Saïd ! Allez dépêche toi ! Il faut qu’on finisse avant la nuit ! »
- « Va te faire foutre ! J’en ai marre vas-y toi ! »
- « Ah non pas moi ! Saïd je suis crevé ! »
J’attrape la pioche en me disant qu’il ne reste pas grand chose, quelques coups. Si je traîne un peu, la nuit va tomber et je pourrais rentrer chez moi me bourrer gentiment la gueule. Je donne un coup. Putain que c’est dur, j’ai déjà mal aux mains. A tous les coups je vais avoir des ampoules. Deuxième coup, il y a comme un bruit de verre. Je gratte un peu la terre. Il me semble que c’est une bouteille, je la nettoie. C’est une bouteille de Cognac, on distingue une date sur l’étiquette. 1758 ! Oh putain ! ça y est je suis riche !
- « On l’a trouvé tous les deux Jean-Pierre ! »
- « C’est ça Saïd dans tes rêves ! Si t’étais moins feignant ! En plus l’alcool c’est pécher dans ta religion alors que moi c’est recommandé au contraire. »
Je rentre chez moi avec le précieux nectar. En regardant sur internet, je me rends compte qu’une bouteille de la même année a été vendue aux enchères 25000 Euros. J’ouvre une bouteille de rouge pour l’occasion, 2 euros 50 au Lidl année 2009. C’est pas génial mais ça passe. Je regarde les offres des agences de voyage en m’imaginant descendre une bouteille de Maï Taï sur les bords du Mékong ou avec du pastis de contrebande au Kenya. J’ouvre la deuxième bouteille et puis…

Nous sommes le lendemain, une veine sur ma tempe frappe aussi fort que la pioche de Saïd sur du bitume glacé. Heureusement que je ne bosse pas. Les souvenirs me reviennent peu à peu. Le trou, Saïd, puis la bouteille. Je regarde sur le bord de la cheminée si mon trésor est toujours là. Je l’attrape pour la regarder de plus près. Elle est très légère et surtout elle est…Vide ! Je me vois titubant au milieu du salon en quête d’un fond de bouteille et, tombant sur le cognac, la vider en quelques traits en me léchant les lèvres. Putain ! Une cuite à 25000 Euros ! Si je pouvais remonter le temps !
On sonne à la porte. J’ouvre et je découvre une femme blonde avec les cheveux courts. C’est Laurence Parisot.
- « Bonjour. Vous savez qui je suis ? »
- « Oui, vous êtes Laurence Parisot, la patronne du Medef. »
- « Non, je suis Satan ».
- « Quoi ? Oui, d’accord mais j’avais 12 ans pour l’histoire du vin de messe et puis c’était qu’une seule fois, enfin non, plein de fois mais ce curé me regardait bizarrement et puis merde… J’ai bien aimé quand il m’a mis une fessé mais je venais de lire les confessions de Rousseau… »
- « Je sais pour la bouteille de cognac et je peux t’aider à revenir dans le passé. »
- « Ah oui ! C’est gentil mais tu vois Laurence, c’est à dire que je ne peux pas signer de contrat avec mon sang. En fait, je suis hémophile. Et puis l’enfer ça me dit trop rien… »
- « Il ne s’agit pas de l’enfer, ni d’un contrat. Tu vas revenir dans le passé et vendre cette bouteille. Ensuite, tu vas investir dans une gamme de machine à laver. Les gens en ont marre des machines grises ou blanches. Ils s’en foutent de tous ces programmes et des normes écologiques. Toi, tu vas tout miser sur le design et faire des machines à laver de toutes les couleurs. »
- « Ah oui mais c’est à dire qu’il faut bosser non ? Ca m’arrange pas trop là. »
- « fais-le ! Ou je te refile un cancer de la prostate. »
- « Ok. »
- « Le Medef compte énormément sur ta cotisation. »


Je suis la veille. La bouteille de Cognac est intacte. C’est puissant le Medef ! Je demande à mon chat de me surveiller.
- « Surtout Moussaka, si jamais je picole trop et que je déconne, n’hésite pas, tu me griffe ! »
Elle me regarde d’un air entendu. Je tourne en rond dans la pièce en réfléchissant à ce que vient de me dire Laurence. C’est vrai qu’on choisit pas sa machine à laver selon des caractéristiques techniques mais vraiment sur le design. L’électroménager c’est un meuble comme les autres après tout. Les gens ont des cuisines ouvertes voir des salles de bain ouvertes. Avec la mode des lofts et des open spaces. Le bruit de la sonnette interrompt une nouvelle fois mes pensées.
- «Bonjour, je suis Belzébuth, patron de la CGT»
- « Bernard Thibault ! »
- « Quel genre de patron veux-tu devenir ? La CGT a besoin de cotisation et je peux te rendre très populaire. »
- « Merde ! Vous allez pas me foutre la paix non ?
Je claque violemment la porte. J’aurais jamais dû pactiser avec le Medef.
- « salaud Bourgeois, on aura ta peau ! »
- « Vas sucer des bites au purgatoire Bernard ! »

On sonne une nouvelle fois à la porte.
- « J’ai dit non Bernard ! »
- « C’est pas Bernard ! C’est sœur Emmanuelle !
- « Sœur Emmanuelle ! Mais vous êtes morte !
- « Bonjour, je suis Lucifer. Sais-tu qu’en faisant des dons au Secours Catholique, tu peux avoir de fortes réductions d’impôt. »

Trop c’est trop ! J’attrape la bouteille de Cognac et la vide d’un trait. Je regarde mon chat.
- « En même temps, le cancer de la prostate tout le monde l'a. Alors. »
- « Bonjour, je suis François Mitterrand. J’ai moi-même eu un cancer de la prostate. Sais-tu que la fondation pour la recherche contre le cancer… »
- « Nooooonnnnnn ! »


Je me réveille sur ma chaise. Je suis au boulot, finalement ce n’était qu’un mauvais rêve. En face de moi Saïd me jette sa pioche.
- « Vas-y toi c’est ton tour ! »
- « Alors là non ! Pas question ! »
- « J’en ai marre de me crever pendant que toi tu pionces ! »
- « Ne me pousse pas à bout Saïd ! Est-ce que tes papiers sont vraiment en règle ? »
- « C’est à dire que j’attends ma carte de séjour… »
- « Je peux t’avoir très facilement un aller simple sur Air Algérie tu sais… »
- « Attends, j’ai trouvé quelque chose. C’est une bouteille de Cognac année 1758 !»
- « Ne touche pas cette bouteille Saïd ! Elle est maudite ! »
- « Je peux rien en faire de toute façon, j’ai même pas le droit de la donner et encore moins de la vendre. »
Il jette la bouteille qui s’écrase sur le sol.
- « Tu as bien fait. Excuse-moi pour tout à l’heure. Viens, je te paye un café.»

Dans le bistrot d’en face, je me sens apaisé après quelques picons et un ou deux rapidos.
- « Marcel ! Mets-moi un cognac s’te plaît !
- « Ok. Un cognac qui marche ! »
- « Dis-moi. On est obligé d’écouter le CD des enfoirés en boucle ?
- « Tu vas jamais me croire. Mais c’était ça ou un cancer de la prostate. »

En direct de Cognac Jet.... Je me suis bien bidonné. le sourire jusqu'à Laurence Parisot, ,puis le rire franc. une belle tranche de France d'en bas.

Ha! ça fait du bien de lire ça un samedi matin quand dehors c'est le total déluge.

Ce qui m'a fait rire ( entre autre du reste) c'est ton histoire de machine à laver!

Tu es un anti électroménager Pic?

Bon, il faut aussi dire que au travers de l'humour, ça fout un peu les ch'tons ton histoire.

Sylvie

Ah que c'est bon !
Moi je les ai tous rencontré et n'ai cédé à aucune de leurs sirènes. Je me demande ce qui m'attend parce que j'ai déjà échappé au pire. Mais ce dont je suis certain c'est que si j'en trouve une (ce qui n'est pas demain la veille parce que moi et les pioches on n'est pas vraiment copains) je la boirai.

Nilo, fine Napoléon (c'est de famille).

Enorme, et super sympa... Moi si je trouve ça, je la siffle d'un coup et je paye un thé à la menthe à saïd.

Swann, partageur

Subtile et absurde mais pas tant que ça.
La piquette à 2 euros 50 du Lidl année 2009 aura fait beaucoup trop de dégâts... Les mélanges, c'est jamais bon, la preuve. Une vraie tête de pioche ce Jean-Pierre je trouve.

Dam.

Entre deux mots n'est-ce pas ?
Sinon reste à creuser avec les dents...

Excellent !!!

Vive le Crédit Macadamien de Dédé qui me permet de remettre une pièce ici.

Nilo, On ne prête qu'aux riches.

Je n'ai pas saisi le sens de cette nouvelle, mais sans doute est-ce encore une question de références culturelles...

Je retiens donc mon commentaire.