Mâcher.

« Il mâche tout, même sa soupe ! »

Ça les faisait rire.

Mais c'était vrai, je ne laissais rien passer, ni un légume mal broyé, ni la peau du lait qui me soulevait le cœur. Et je n'avais que faire, déjà, de leurs critiques. Je pressentais qu'on allait me faire avaler un paquet de conneries ; autant les soumettre à la pression des mâchoires afin de les digérer au mieux.

Mes dents ont poussé et j'ai continué mes mastications sur des bâtons de réglisse, et des chewing-gums. J'ai senti qu'on me mâchait aussi. Le travail, parfois, Le cœur, souvent. L'étau des sentiments, l'émail d'un sourire qui saute et la langue molle qui s'abandonne à l'ivresse du contact. Seul, je ruminais, jurais qu'on ne me ferait plus avaler de salades. À disséquer les intentions et les phrases de l'autre, à mâcher patiemment son essence, je me donnais l'illusion de maîtrise. Rien ne coincerait dans l'œsophage. Autant le dire tout net, ça n'a pas fonctionné... j'ai laissé filer des sifflets d'air entre mes dents dans des ambiances à gerber, du blanc limé sur mes dents élimées. La bouche dégoût, les glandes salivaires.

Je continue de mâcher ce qui se présente : les douceurs et les ressentiments. Toutes ces choses qui finiront par m'avoir à l'usure. Je suis un « mastiquambule »: je mâche en dormant et j'en garde la trace grinçante au réveil. Je suis sans caractère sur ma vie de papier mâché, et pour donner le change, je ne mâche pas mes mots sur le papier...

L'espoir ? Une bulle que je viens mendier du bout des mandibules, un rêve phylactère rose comme un malabar, que je mâche, parce que l'enfant qui mettait à l'épreuve la nourriture qu'on lui servait n'est pas mort.