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La lettre

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Message  Dam Sam 27 Nov - 13:30

La lettre

La dernière lettre de cette correspondance d’été était longtemps restée sur la table, retournée, cachée aux regards indiscrets ; c’était aux alentours du quinze août, et cela me donnait une maigre excuse si la fille s’impatientait, mais aucune si elle perdait patience. Il suffisait d’acheter un timbre, et ça n’était pas chose simple ; trois fois, en allant chasser, j’avais tenté d’y remédier, mais à chaque fois je me heurtais à un mur de foule et de bruit étouffés dans un couloir brûlant sans air et puant la transpiration ; pensant à mon devoir de chasseur, je ne pouvais absolument pas risquer l’asphyxie, même si j’aurais dû faire cet effort pour être tout à fait tranquille. Bon, j’ai pas acheté le timbre, la lettre est toujours là, et je le regrette bien. Pas pour moi, qui sait, qui sait ? Il fallait tenir ses engagements, et les bases était une lettre/une réponse, jamais deux lettres/trois réponses (ou plus). Ayant écrit la première, j’en avais toujours une d’avance sur elle, mais c’était à moi de répondre, sans quoi la correspondance cesserait sûrement. Sûrement. S’il ne veut pas répondre, c’est qu’il en a assez d’écrire, peut-être peint-il, peut-être ne voit-il rien venir pour l’instant, de bien, de bon, de mieux ; je ne sais pas ; et j’aimerais savoir.

N’y tenant plus, avec cette lettre sur les bras, il n’y avait rien de bien ce soir à la télé et un concert de jazz sur la place où se trouvait la poste, je pris donc la lettre et j’allais la poster quand je trouvais ma soeur qui rangeait la remorque en vue de son déménagement futur dans sa nouvelle maison de Sollies Pont, près de Toulon. Elle me prit la lettre des mains et en plaça les coins opposés sur ses deux index, souffla dessus en essayant de la faire tourner. L’enveloppe trop lourde ne bougea pas, elle la fit même tomber parterre, tout près d’une flaque d’eau. “Merci ! ça suffit, j’ai compris, je vais la mettre et elle arrivera sans problème.” En descendant jusqu’à la poste, je sifflotais en espérant juste que le postier ait un souffle d’enfer.

Le jour se levait sur la campagne, un jour de grande chaleur sans vent. La jeune femme sortit seule pour voir le courrier. Elle attendait toujours. En fait, il y avait deux courriers pour elle : une enveloppe longue lourde facturée de majoration et un courrier de l’A.P.I. (aide pour parents isolés), dont elle attendait beaucoup. Ç’avait été son combat de l’été - obtenir le soutient d’une association pour évoluer dans la légalité avec son enfant. Elle lirait ce dossier avant tout. Parce que ça la concernait elle mais pas seulement. Après, elle se ferait plaisir avec moi, elle se détendra. L’aide promise par l’organisme de soutient s’avéra être moins extraordinaire qu’ils le lui avaient laissé entendre au téléphone. Elle accepta les conditions d’aide, parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement ; elle était trop isolée pour savoir si elle pouvait demander réclamation, sans aller jusqu’aux dommages et intérêts pour promesses non tenues et espoir déchus. Mais elle ne voulait pas trop en faire non plus, parce que, depuis qu’on se connaissait, elle éprouvait comme une honte, elle faisait des bulles dans l’air avec mes promesses d’ouvertures - “J’attends qu’il rentre, j’attends de le voir, de lui parler, de lui sourire, de l’engueuler, de l’amadouer. Je ne sais pas encore s’il viendra habiter avec moi, mais je sais que j’irai le voir - non plus le voir -, le trouver. J’aimerais tant que tout soit plus simple, il me faut compter avec lui, son talent, son amour volé mille fois en éclat s’est posé sur moi, je le sais, je le sens. Un sixième sens qui n’est pas un sens interdit. Il aura eu raison du temps, en persévérant. Il aura gagné la paix des âmes sensibles, mérité mon amour enfin, si énigmatique, si étrange, si clair et évident. Il aura éclairci ça dans ma vie, l’aurait pu être indifférent et distant, muet comme une carpe, secret comme avec son art, étrange et mystérieux. C’est cela qui m’avait poussé à le revoir après toutes ces années qui se sont mal terminées. S’il était resté comme je l’avais laissé, avec son art et seul avec son art, ne comptant que là-dessus pour son ouverture, je n’aurais pas aimé ça. Mais ce ne fut pas le cas, heureusement. J’ai ma chance...”

La lettre lui fit un réel plaisir. L’angoisse de le revoir bientôt grandissait chaque jour, comme un ultimatum guerrier, comme une urgence inéluctable ; pourvu qu’il ne tarde pas trop. Je vais lui demander quand il compte venir ; je vais lui dire pourquoi je veux le savoir, et ça va pas être de la tarte ! Peut-être arriverons-nous à sauver les dernières baleines ? Peut-être ferons-nous réellement des miracles, et que notre vie sera une louange. Je ne vois pas comment, mais je ne peux espérer autre chose, je ne vois pas, je ne vois pas. Lui, il est peintre, et il voit. J’ai besoin de cette vision simple, double, inspirée. Je sens qu’il a besoin de quelqu’un pour en faire profiter le monde, pour aller au bout de ce qu’elle promet, cette vision simple, vision double. J’en profiterai d’abord, je sais, d’abord, et je pense que ça n’est pas un luxe gratuit, une fantaisie de la vie, mais la vie elle-même, vraie, avec ses obligations quotidiennes, ses complications insensées, ses dangers et ses risques multiples. Je sais qu’il est dans la vie, il est dans le vrai. J’ai envie de participer à ça, pour le meilleur et pour le pire, c’est pas pour rien.

La jalousie des autres, la jalousie des autres... Je veux de cette jalousie, cette haine farouche, preuve de folie, preuve du diable. Je veux qu’on dise que notre histoire est une fantaisie absurde, un risque insensé et inutile. Que notre union finira aux orties ; les baleines trouvent le salue dans des poubelles, des usines mortes : nous sauveront les dernières baleines. S’il faut, nous voyagerons jusqu’en orient. Le Commandant ne sera pas mort pour rien. En mer, en vrai. Notre histoire commencera près de la mer, se passera sur mer, et s’achèvera au ciel ; quoi qu’il en soit, je serai du voyage. Lui, il l’est déjà, du voyage. S’il ne me dit pas tout, c’est qu’il espère doublement. Il ne veut pas tout me dire, c’est qu’il y a tant de surprises et si peu, à partager. C’est son cadeau, il veut me faire la surprise. Un cadeau qu’il faut découvrir : la découverte du monde. L’emballage des foules. C’est ça son présent, un cauchemar souvent, parce que seul...

Les baleines n’ont pas besoin d’être raisonnées, l’homme si. Il faut emballer l’homme. Il faut essayer. Si le message est un tableau, un livre, on sait que ça n’a rien changé jusque là, qu’il y en a eu cent autres, mille autres, et que ça n’a rien changé à rien. Chacun a pris ça avec le recul qui convient, obéissant au doigt et à l’oeil aux règles de consciences établies d’avance, par faiblesse. La morale ah ! S’il y avait une morale dans le monde, il n’y aurait plus d’hommes, que des bêtes, et ça s’équilibrerait en nombre, avant de s’équilibrer en force, en influence.
L’amour ne comprend pas ça, une fois de plus, encore un truc que l’amour ne comprend pas ; comprend rien, l’amour aveugle. Il faudrait comprendre quelque chose encore ? Il faudrait apprendre et comprendre, après cet engagement divin ? Je ne comprends pas ça. Le choix que j’ai fait est exclusif et pourtant, il n’a rien à voir avec le mystique, les choses admises avec et sans démonstration ; j’ai choisi ça pour imposer ma loi, mes règles de conduites nouvelles, parce que je sais, pour les avoir suivies, que c’est une impasse - viccolo ciecco - comme disent les italiens. Un cul de sac. Maintenant je veux voir la lumière avec un peintre vivant, jeune et beau. Maintenant je veux voir l’ouverture que j’aspire, même si je donne l’impression de me fermer, de rentrer en moi comme une longue vue. Maintenant je veux voir si c’est possible de voler de mes propres ailes, sans tomber. L’oiseau que je serai parlera, mais il sera libre, c’est la seule différence. Il ne fera pas de différence. Je ne veux pas qu’il fasse de différence, lui. Il n’y a aucune différence entre l’oiseau et la liberté d’être. Aucune différence non plus entre la baleine et la mer ; la baleine et la mort, c’est du passé ! Le ton neutre d’analyse ne dure pas plus longtemps que le reigne de l’homme tel qu’il est, tel qu’il est devenu au fil du temps : faible et impuissant. Tu enlèves la machine à l’homme et ça devient une merde. Le jour où il comprendra ça, tout sera fini, sera trop tard, allé trop loin.

Je suis avec toi pour l’éternité des astres et la nuit des temps. Perdu dans l’immensité du doute toujours croissant, dans l’infini petit du progrès ou sur les rails du train miniature - modélisme tu me tues ! Faisons les choses à l’échelle humaine pour une fois, première et dernière - car ça ne prendra pas - je sais, je sais. Cela rendra notre combat de vérité et de liberté plus fort encore, unique - ainsi marche le monde - par exception - celle qui confirme la règle, vous savez ? Un jour nous vivrons en harmonie, j’en suis sûr. Mais je veux y participer, à défaut de pouvoir le voir, je veux le vivre. Je veux te voir. Vite !

L’amour était ainsi défini sur les bases du progrès ; un sens nouveau était conféré au mot progrès ; il n’était plus question de machine, mais... “Comment voulez-vous faire du progrès social avec la machine, c’est une plaisanterie ou quoi ? Il faut compter avec, ah oui, pourquoi ?
(le politique Smile “Qu’entendez-vous par machine, exactement ?”
- Vous vous foutez de moi ? Z’êtes aveugles, sourds, ou bien simplement idiots ? Je ne veux pas perdre mon temps avec vous, cela m’est insupportable. Ce que j’entends par machine, c’est justement ce que j’entends, et ce que je vois ensuite.
- Mais quoi ? insistait le politique parlementaire de mes deux.
- Quoi ? qu’est-ce que vous entendez par “mais quoi” exactement. (silence.) Je vous dis que la machines rend les gens complètement cons et dépendants, et je n’obtiens que des questions bêtes et inconsistantes. Je ne vous considère pas pour responsable, mais je vous dis que ce que vous essayez de faire, c’est nul. Vous voulez que le français accepte la machine au quotidien comme chose naturelle, comme on va faire ses courses, comme on donne le sein au nourrisson, comme on rote et comme on pète, mais vous vous prenez pour qui ? Vous vous rendez compte de la responsabilité que vous avez, si on vous suit ? Je ne pense pas qu’on vous suivra, j’espère pas. Parce que si on vous suit dans votre programme de machine infernal, on finira par où on a commencé, dans la mer de l’oubli, froide et sauvage, tout sera à refaire, avec en plus des blessures à panser qui retarderont encore notre reconversion, comme une punition des dieux et des diables, notre purgatoire. Alors l’histoire de l’humanité ressemblera à un grand fiasco de destins mal contrôlés et assouvis dans la frustration permanente, par ce que la dépendance, qu’on le veuille ou non...
>> Et par quoi vous allez remplacer ça ?
- Par l’homme.
- Plus de religions ?
- Oui et non - disons le culte de l’homme.
- Vous savez où cela peut nous conduire tous ?
- Non. Et je n’imagine même pas. Mais je sais ce que nous vivons et ce que nous allons vivre si ça continue ainsi.
- C’est un formidable retour en arrière, je ne peux pas en être heureux ! À vous écouter, le diable a pris trop de place dans notre vie à tous, et la seule façon de le réduire à néant, c’est de repartir sur des bases nouvelles où la nature serait reine, et l’homme derrière, se nourrissant de ses bienfaits pour se refaire une santé, contrôlant tout très bien sans faire ni excès ni bavures ? vous rêvez mon vieux, vous rêvez. >>
- Et l’esprit, l’esprit, qu’en faites-vous ? Il ne s’agit pas de s’endormir sur la nature, de se reposer sur ce bienfait des dieux et du ciel infini, mais d’agir au contraire dans son sens, comme elle nous en donne l’exemple, si simple, comme elle nous montre le chemin de la liberté pour goûter au bonheur divin. Pur. Seul cela peut nous faire réviser nos positions, et nous remettre dans le droit chemin.
- Pensez-vous que c’est si excitant comme projet d’avenir ?
- Avant qu’il n’y ai plus rien, ni passion ni droit au bonheur, ni liberté ni rien, je dois dire que je vois là une sacrée chance, une sacrée ouverture.
- Que reniez-vous, exactement, dans le monde moderne ?
- Le monde est moderne à toutes les époques, mais là, il est allé trop loin. Disons que c’est la dernière phase de la modernité, celle qui prend sa source dans le cambouis, comme il n’y a plus rien à tirer d’ailleurs et de nulle part. Si c’est pas un constat d’échec ça alors !
- Et l’espace ? La conquête de l’espace ?
- C’est une fuite, rien qu’une fuite, pour aller chercher ailleurs ce qu’on n’a pas su trouver sur terre. C’est grave. Si vous voulez mon avis, on peut chercher longtemps.

Je trouve ça tellement grotesque ; je trouvais ça tellement grotesque, avant et après, toujours. Il fallait rester artiste en attendant. C’était bien la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Artiste en marge, non pas artiste impliqué dans une cause politico-sociale à l’eau de rose, d’un jour, d’une heure, d’un instant. Celui qui se voue tout entier à son travail n’a pas le temps de penser au Social, sauf si ce travail implique les autres directement, alors je ne réponds plus de rien.

*

Quand un ami arrive ici, dans ce havre de vacances, il est serviable avant d’être lui-même. Ce lui-même, je le retrouvai sur la plage en parlant de la rentrée, du travail à venir. Là, il me propose très sincèrement de me vendre, sans presque me demander mon avis. La concurrence avec ma soeur était serrée, car elle devait vouloir à elle seule représenter la chance, comme elle s’était proposée à me trouver une galerie pour Septembre ou Octobre. Seule elle voulait savoir si elle était capable “quand tu as vendu des assurances vie, tu peux tout vendre, c’est pas un problème.”
Mais vendre dans une société fondée et organisée, c’est pas comme vendre dans la nature à des passionnés, des collectionneurs ou des spéculateurs. Et puis un tableau, ça ne se vend pas par téléphone, sauf pour épater la galerie. Un tableau, c’est pas les mêmes conditions de vente. C’était une chance immanquable à saisir bien sûr, tout en sachant à qui cela profiterait d’abord.

Il y a des choses qui irritent dans la vie, dès le matin, le bruit des voitures qui tournent la rue derrière les persiennes. Elles montent péniblement et moi je me lève difficilement, en grognant.

Douceur, onctuosité,
sensibilité, suavité, souplesse, docilité, bienfaisance, indulgence, compréhension, dévouement, générosité, gentillesse, largesse, bonté, humanité, féminité ? je ne crois pas ; la belle image de la femme dans les livres et dans les films, c’est encore une fiction dans la tête des gens, car en réalité... Pourquoi ? Moi, je suis très bien avec lui, il est beau, intelligent, doué mais pas trop passionné, il fait attention à moi, il est donc faux mais tellement beau ; je suis fière d’être avec lui, surtout quand il y a du monde pour nous voir, et tous les deux seuls... Profitez mes enfants, profitez bien. Jalous, moi ? Envieux ? Non, pas un brin. Un beau brin de fille... j’en ai une qui m’attend et qui me lis et que je lis et relis en attendant. Présente, absente, unis, seuls... je ne suis pas seul. Aztèque ou pastèque ? Mais je fuyais quoi ? Je fuyais où ? Qu’est-ce que tu veux ? T’es pas content ? Ecoute, si t’es pas content, c’est ton problème, pas l’mien d’accord ?

Ah ! la gentillesse cachée des femmes ; leur méchanceté apparente est bien trop réelle pour moi, je ne le supporte pas - qu’elle se sente tout permis, comme le pape, d’accord, mais je n’adhère pas. C’est irrésistible, nécessaire et fatal. C’est une chose d’avoir envie (irrésistible), d’avoir besoin (nécessaire), de se faire avoir (fatal), parce que c’était une beauté fatale, une brute épaisse, un éléphant de mer : c’est une vie. J’adhère et je rejette, mais pas dans le dos, je déballe sur le tapis volant, en planant, dans l’indifférence générale - “je suis comme ça, c’est tout ! si ça ne te plaît pas, tu n’as qu’à partir, ou m’ignorer, je ne changerai pas pour toi. [...] Tu ne changeras jamais, tu es trop fière, pour personne je te dis, tu ne changeras jamais. Je ne te le souhaite pas, de changer, je sais que tu en est incapable, mais je ne te le souhaite pas. [...] Mais ce que tu ne comprends pas, c’est que je n'ai aucune envie de changer, je suis très bien comme ça. [...] ça te plaît alors, surtout ne change pas, si ça te convient ; surtout reste pareille, ça pourrait te faire du mal d’évoluer un peu, ça pourrait te tuer. Si un jour tu changes, on ne sait jamais, appelle-moi, fais-moi signe, ça pourra peut-être marcher entre nous. Mais en attendant...”

Moi, son frère, je ne devais pas représenter assez à ses yeux pour qu’elle se donne un tel mal ; j’aurais préféré que ce soit naturel, comme une prise de conscience, mais je sentais qu’elle jouait un jeu solitaire qui, malheureusement ne m’impressionnait plus. C’était toujours la même chose, et je me lasse vite dans ces conditions, très vite. La discussion avec elle, c’était un outrage, inutile, une blessure inclassable qui ne se refermait jamais ; elle avait son point de vue bouché parce qu’elle n’écoutait pas, ne tolérait pas qu’on puisse avoir le notre, fut-il bouché comme le sien, elle voulait remporter la partie sans discuter, bien avant d’avoir gagné ou perdu, parce qu’elle avait peur de se mesurer aux autres, peur de perdre, justement. Elle devait avoir tout le temps tort volontairement, et consciente de ça, elle ne pouvait pas continuer, pas folle. Elle le faisait volontairement, parce qu’elle attendait toujours autre chose, impatiente... cette féminité qui lui faisait tant défaut lui avait fait perdre la raison déjà, elle n’arrivait pas à tirer un trait sur le passé, passer sur ses complexes, fermer les yeux sur les autres pour se voir elle, en femme, et non en juge. Il faut savoir se regarder soi parfois, avant de regarder les autres, autrement que dans un miroir. Il faut pouvoir être égoïste parfois, terriblement seul, pour apprendre que les autres ne sont pas si mauvais que ça, pas si bons, pas autre chose que les autres. Alors qu’importe, qu’importe. On peut apprendre en toute tranquillité, sans méfiance, sans problème. Et partager en suite.

Si elle faisait tant d’histoires et de blocages c’est qu’elle avait des choses à se reprocher. Des problèmes ; problèmes qui ne devaient pas changer de main, demain, ni jamais. C’était mon point de vue de frère, je n’espérais pas me tromper ni avoir raison, car je m’en foutais. Ça me faisais juste un peu de peine. Il fallait qu’on s’adapte à elle mais elle ne s’adaptait pas à nous, parce qu’elle ne voulait pas, parce qu’elle ne pouvait pas. Elle croyait ferme que si elle n’était pas là, avec ses piquants et ses humeurs, la vie serait ennuyeuse et d’un banal à l’épreuve des balles ! Compliquée.
La morale, à défaut d’en avoir une, elle réveillait la mienne, ce qui n’était pas pour me plaire, ni elle ni personne : c’était aussi ça son jeu.

Cette nuit, il avait plu, et la terrasse était mouillée ; je me levai tôt pour profiter de la fraîcheur matinale. J’ai décroché la lanterne de pêcheur en fer à l’angle du mur extérieur de la maison, pour la repeindre en bleu canard. Cela n’éclairerait pas sa lanterne non plus. Non plus celle des canards ; mais la mienne sûrement. Elle poussait au pessimisme, à l’ennuie, à la méfiance, comme un poisson traqué par le fusil du chasseur. Elle faisait beaucoup de vague pour pas grand chose, elle aimait le bruit de la mer, le bruit de fond de la mer.

Elle avait peur de la vie enfouie dans les profondeurs secrètes
S’ennuyait à mourir de la vie ouverte au grand jour
Partagée
Entre le bien et le mal, ne savait choisir
Pour être bien ou pour rendre bien un être
Elle avançait en terrain vague,
Occupée par l’ennemi invisible de ses songes.

Pourquoi dramatiser ?
Pourquoi ne pas s’en foutre
Comme du temps, de la pluie et
De l’amour

Pourquoi ne pas laisser
Tomber la pluie
Et changer d’air
La fille compliquée
Passer la vie.

Faire ou ne pas faire, telle était la question, dramatrisante si on avait la tête ailleurs, toujours ailleurs, comme à l’image d’un vice inavouable car indigne qu’on fuyait sans cesse, en vain. Avoir la tête sur les épaules, c’était pas forcément très folichon dans la vie de tous les jours, mais il fallait choisir le chemin, avant que le chemin nous choisisse : question de vie ou de mort. Moi, j’ai choisi le difficile qui construit le chemin entre mer et montagnes, forêts et déserts ; j’ai choisi le chemin le plus constructif de vie, celui où les vices ont droit de séjour et l’amour a tous les droits. Difficile mais pas déplaisant. Reste que l’art devait trouver sa place dans la vie...



*

Prologue


Un soir,

J’ai tiré un coup de harpon dans les rayons-roue avant gauche d’une mobilette qui n’arrêtait pas de faire des ronds autours du pâté de maison. Le type a dérapé pour de bon, la gueule sur le gravier, j’ai récupéré la flèche foutue, et on a eu la paix.

Ce soir, avec le petit, on est parti attendre le bus de ma cousine sur la place de San Peire ; on était assis sur un banc en bois sous le grand pin cuit, mort, terrassé par les travaux de terrassement deux ans plus tôt - le second à périr - il en restait deux. Le terre plein en gravier sous les arbres avait été bétonné. Il restait un rond de terre de vingt centimètres autours des troncs. Je dis à Cypi : “Tu vois le macaque dans l’arbre ? Un macaque, disons, c’est un singe (mais pas seulement, pensais-je en regardant le pin cuit.)
Le bus arriva et on partit pour la villa, moi portant le gamin ayant refusé les bras de Frédérique, elle croulant sous ses sacs.
- Vas, tu marches toi ! Avant les escaliers, je lui dis, tu me donneras tes sacs, sinon j’vais m’faire tuer ! Cours pas !
- Attends, y’a la route...
- Y sait, y sait.
- ça c’est caca. (un hibiscus bleu qui dépassait trop). Je l’agrippe par le poignet et c’est mon tour de crouler sous les sacs. J’ai la courtoisie de lui ouvrir le portail et de la laisser passer en lui disant “vas-y entre” ; elle fait la marche en tête jusque dedans - personne - Ils se cachent ou quoi ? Des pas qui descendent l’escalier et je suis sauvé ! Ma soeur...
- Salut Frédi !
- ça c’est caca.
- Quoi ? ma cousine Frédi ? estivante Stivalienne se démène comme elle peut après une journée complète de transports en trains gris, en soufflant...
- Pas mal pas mal -, avait-elle remarqué.

Après le repas du soir, je tapais sur mac avec la musique dans les oreilles, quand quelqu’un m’appelle derrière, ça me fait sursauter :
- Salut !
- J’ai fini, j’arrive >> Elle tend sa joue et je l’embrasse près des potiches. J’arrive dans la chambre.
- ben t’es là !
- Oui ! Y fait chaud !
- Ben oui...
Elle file à la salle d’eau et j’éteins ; elle revient, se prend les pieds dans les tableaux, les toiles et les sacs ... gagne son lit - un temps : ça va, dit-elle (un temps) - il dort ?
- Non, je ne dors pas ; il fallait que je tape un texte, mais le problème, c’est que je ne peux pas lire dans le noir.
- Ben allume
- T’es sûr ? >>
“Ben oui, tant pis pour les moustiques”
J’ai pas allumé. Elle m’a demandé ce que je faisait alors, et je lui ai expliqué très clairement dans le noir. J’ai pas allumé, pas la peine...
J’ai quitté la chambre une heure plus tard, pour finir de taper effectivement mon dernier texte.

J’avais accompagné ma cousine au lit, fait semblant de vouloir dormir, éjecté du lit après analyse des premiers ronflements discrets. Je vais dormir comme un bébé.
Elle disait presque vrai.

Dam.
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Message  November rain Sam 27 Nov - 20:42

ça la jalousie des autres, tu la décris bien !
Et j'adore les baleines qui n'aiment pas être raisonnées Wink
Je t'avoue que j'ai tout lu, malgré que je sois une grande paresseuse dès que ça devient long.
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Message  Dam Sam 27 Nov - 21:07

Je te remercie de m'avoir accordé ta patience en espérant qu'elle fut récompensée. (pour moi, elle l'est. Wink

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Message  Sylvie Lun 29 Nov - 7:46

Besoin de temps pour bien lire

Je reviendrais donc Dam

A suivre...................

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La lettre Empty reponse marc

Message  tremsal Sam 30 Avr - 12:33

j'ai bien apprécié ta lettre et trouve que tu as une prose agréable, qui surprend par son caractére imaginatif, continu dans cet esprit affections marc
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