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Les oursinières

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Les oursinières Empty Les oursinières

Message  Mano Jeu 2 Déc - 11:01

Les oursinières

Ils ont laissé la voiture sur le parking en terre battue plus haut derrière les pins. Une Sköda Octavia Tour turbo diesel, break de couleur gris métallisé, dont la porte avant droite est marquée d’une éraflure rouge provoquée par une borne à incendie approchée de trop près quelques jours plus tôt.

Pendant la descente vers la mer, le long de la falaise, sous les branches basses, ils ont veillé à ce que les enfants ne s’écartent pas du chemin. Il n’y avait personne sur les rochers lorsqu’ils sont arrivés en bas. Il aimait lorsqu’il n’y avait personne en bas. Le soleil avait déjà amorcé sa descente vers la droite, un léger vent soufflait du large et la température avoisinait les 20°.

Une fin d’après-midi comme il fallait.

Face à la mer ses yeux se brouillent et commencent à piquer de tant fixer les scintillements du soleil. Il n’a plus de focus, juste cette impression de métal en mouvement. Le bruit. L’écume qui se retire en milliers de petites explosions après le fracas de l’eau sur les rochers découpés.

Et le vent.

La dilatation des narines favorise l’arrivée de l’air à pleins poumons. Se concentrant sur les expirations il tente de s’abandonner, d’être complètement là, présent. Il essaye de ressentir, de revenir, de se réapproprier. Le bateau pour la Corse, petit rectangle jaune devant l’horizon, quitte la ville en direction du sud-est. Sa couleur attire son regard malgré lui. Le focus revient. La distance est de nouveau là.

Un goéland, reconnaissable à la tache rouge sur son bec du même jaune que le ferry qui disparaît dans la distance, plane à quelques mètres au-dessus de son épaule droite. Ailes immobiles dans le vent. Juste porté. Quelques mouvements de tête de l’oiseau vers le bas lui font penser que celui-ci l’observe par à-coups. Il s’imagine un instant vu par l’animal : grande silhouette sombre et immobile sans l’éclat d’une écaille. Pas de quoi paniquer, pas d’intérêt apparent. D’ailleurs, le goéland repart déjà en criant, en riant ?

Sur sa gauche, le haut de la colline est recouvert d’une végétation rase d’un vert tendre de repousse. La partie basse est un aplomb de roches dénudées. Cette portion de la côte a entièrement brûlé il y a trois ans – un gamin de quatorze ans qui voulait voir des flammes pour son anniversaire selon le journal. La colline s’arrête nette dans la mer. La falaise n’a rien perdu de ses couleurs. Succession de violets de différentes intensités, tirant sur le rose pour les plus clairs.

En couches horizontales.

Depuis tout petit qu’il vient ici, elles lui évoquent les glaces à la napolitaine qu’il mangeait dans la cuisine de sa grand-mère. Il revoit encore la colline recouverte de hauts pins aux épines sombres qui stridulaient du chant des insectes, la précision atomique de la limite entre le ciel et la crête des arbres, comme un fil tranché dans l’azur. Son corps se souvient de cette chaleur particulière et violente qui le faisait se sentir vivant, tellement respirer et se déplacer devenaient conscients. Et la fraicheur de l’eau lors du plongeon…

Tout lui semble si loin.

Entre la colline et lui, du coin de l’œil, en contrebas, il aperçoit sa fille la tête penchée sur un trou d’eau. Accaparée. Cela doit faire quelques minutes qu’il n’est plus avec elle, à la guider, à tenir ses mains potelées, à faire attention à ce qu’elle ne tombe pas car ses sabots rouges, ses crocs© qu’elle prononce « trokss », tiennent si mal aux pieds sur les rochers.

Rouges ?

Il a vu du rouge il n’y a pas longtemps. Il n’arrive pas à se rappeler quand, ni où. Il ne se souvient plus du bec du goéland, de l’éraflure sur sa voiture, de la borne à incendie percutée pour éviter un chauffard. Il réfléchit en fronçant les sourcils, les lèvres serrées, la tête baissée. Les yeux perdus sur la toile noire de son entrejambe, il voit sans les voir ses poings qui gonflent ses poches. Impossible de se souvenir.

Il relève son visage et sa fille n’est plus là.

Son cœur fait un bond. Il sort les mains de ses poches. Un bras d’eau peu profond passe entre le rocher sur lequel il se trouve et ceux que sa fille était en train d’explorer. Il jette un coup d’œil vers la mer, vers la ligne des vagues qui se brisent. Rien. Ses yeux reviennent fouiller l’autre rive mais il n’a pas le temps d’appeler que sa fille est de nouveau là. Au même endroit, exactement. Comme si elle n’avait jamais bougé. Pas un instant.

Il la regarde intensément. Le goéland crie.

Des picotements traversent ses intestins. Une grande fraicheur descend le long de sa colonne. La peur est revenue. Il sait qu’elle ne partira plus. Ce n’est pas une peur de père. C’est ancré tout au fond depuis toujours. Il voudrait que sa fille se retourne et qu’elle le regarde aussi mais ce n’est pas son rôle, ce n’est pas sa vie à elle. C’est à lui de veiller et d’accompagner, de rassurer.

Ses yeux retournent vers le large, vers la mer. Il inspire fortement dans le même mouvement.

Il perd toute attention à nouveau, flottant au gré des reflets de couleur à la surface de l’eau. L’air est chassé de ses poumons d’une lente contraction abdominale qu’il poursuit jusqu’à l’apnée. Son cœur bat plus fort dans sa poitrine. La sensation d’étouffement arrive. Des bruits soudains lui font tourner la tête à droite. L’air revient frais, neuf et vif.
Son fils, une vingtaine de mètres en amont, joue sur un éboulis de rochers.

Il est plus grand que sa fille, il a huit ans. Le contraste le frappe d’un coup. Elle est encore toute ronde tandis qu’il est sec et élancé. Des imprécations à moitié emportées par le vent sortent de la bouche de l’enfant. Les mots perdent tout leur sens avant d’arriver jusqu’à lui. Il hurle maintenant sans s’arrêter. Probablement pas par colère, juste par plaisir, par force pure. Il pointe un bâton qui, suivant les attitudes, pourrait être tour à tour sabre au laser, baguette de sorcier ou épée de chevalier. Un monde de garçon qu’il a aidé à construire mais qu’il ne partage déjà plus.

Les éboulis pourraient être dangereux. Il le laisse faire, las d’interdire.

Sa femme, qu’il ne voit pas dans son dos, dit à son fils de descendre. Double vigilance. Elle les surveille aussi, lui compris. Cette présence derrière est comme un trou sombre qui l’obligerait à vérifier chacun de ses pas, le rappelant à l’ordre sans cesse. Du moins, il ne peut s’empêcher de le penser. Il lui prête cette intention. Chose dont il reconnait lui-même qu’elle ne voudrait probablement pas. Pourtant, il sait qu’elle ne le quitte pas des yeux.

Qu’elle ne le quitte pas…

C’est à cet endroit, sur ces mêmes rochers, que onze ans plus tôt il avait senti que c’était avec cette femme et pas avec une autre qu’il aurait des enfants. Ils se connaissaient déjà depuis dix ans, bons amis. Mais ce jour-là, devant ces yeux verts remplis de tristesse, devant ces lèvres blanchies par la fatigue, devant ces bouclettes au vent de part et d’autre de son visage rougi par les pleurs d’une fin d’histoire, il s’était dit que jamais plus, qu’il fallait lui donner ce qu’elle méritait et que lui le pourrait. Mais le savait-il ?

Sur ces mêmes rochers des enfants courent maintenant, les leurs.

Au bord du trou noir qui l’effrayait plus que tout il n’avait jamais réussi à s’imposer. Des enfants étaient nés, vraiment désirés, d’étreintes pauvres et rapides en tous points désastreuses. L’amour n’était pas en cause, le sexe si. Le sien. Il regarde la mer et la mer scintille. Comme un souffle mécanique les vagues continuent de se briser sur la roche. Le goéland est toujours là. A moins que ce n’en soit un autre ?

Un deuxième oiseau tourne plus haut.

Et tout à coup des bras entourent son ventre qui s’est arrondi dernièrement. Il le rentre instinctivement en se maudissant de le faire. Le parfum quelle porte lui arrive aux narines. Le nez froid de sa femme se blottit dans son cou, ses lèvres chaudes articulent :

- On y va ?
Et il répond :
-On y va.

Alors qu’il voudrait rester. Disparaître. Tout faire plutôt que d’y aller parce qu’ils vont rentrer à la maison et que l’heure du coucher va approcher. Cette heure maudite entre toutes où il ne va pas la prendre dans ses bras de peur de réveiller en elle des désirs assoupis qu’il ne pourra pas combler. Il sait toucher ses enfants, leur donner des caresses, les embrasser comme il faut. Être doux et rassurant. Fort. Mais toucher sa femme comme cela n’est pas suffisant. La tendresse ne suffit pas. L’amour qu’il a ne suffit pas.
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Message  Nilo Jeu 2 Déc - 17:46

Du Mano, neuf pour moi mais du Mano quand même. Je retrouve ton savoir-faire, la mise en scène, la narration, les mots justes. Les phrases courtes puis longues qui installent l'ambiance, font monter la tension.
Et toujours une fin qui arrive doucement puis se fait brutale, comme pour se dispenser de point final.

Nilo, Maniaque.

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Message  Do you BnF Mer 6 Avr - 21:06

le Printemps de la prose a décidément du bon. Je découvre ce texte,
ciselé, attentif,
d'une "précision atomique" lancinante et dévastatrice.
Du très beau.
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Message  sasvata Mer 6 Avr - 21:20

Pareil que Do You...
Vraiment, un rythme parfait, une précision de photographe, j'ai envie de dire, dans tous ces détails qui pourraient casser le récit et qui pourtant lui apportent tant.
Et une chute qu'on ne pouvait pas prévoir...

Une belle découverte.

Sasvata, comme si j'y étais...
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Message  Nilo Ven 8 Avr - 17:57

Do you BnF a écrit:le Printemps de la prose a décidément du bon. Je découvre ce texte,
ciselé, attentif,
d'une "précision atomique" lancinante et dévastatrice.
Du très beau.
Je confirme.

Nilo, content de lire du Mano.

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Message  LCbeat Ven 8 Avr - 19:50

Oh comme c'est beau et bien ficelé cette histoire.
Cette détresse de l'homme qui pointe son nez si tard dans le récit.

Taillé aux ciseaux, ton texte reste encore un cristal brut.
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Message  Dam Sam 9 Avr - 1:35

Un joli texte, dans un cadre que je connais bien.
Et c'est toujours troublant de voir son monde vivre sous une autre plume. Ca le fait plus que revivre, ça le fait renaitre.

Dam, ça le fait !
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Message  Swann Lun 11 Avr - 16:28

Il faut que je le lise, mais plus tard, là j'ai pas le temps.

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Message  Dédé Jeu 9 Fév - 17:40

J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Six-septième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...

Dédé.

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Ciao les gonzesses, c'était Dédé. Cool
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