Les cartons à dessins

Les cartons à dessins

Pour chasser quelques idées ténébreuses et occuper mon temps plus intelligemment qu’à ruminer, j’ai laissé aller ma curiosité à ces vieux cartons à dessins - du temps où j’allais encore à l’école. J’ai passé une heure à me marrer tout seul ; un quart d’heure d’hilarité, ça fait du bien ! Je crois à tout bien considérer que j’étais meilleur avant - sur le plan imaginatif et de la spontanéité... car je ne le savais pas. Mais un jour, tôt ou tard, on sait, et on ne voit plus jamais les choses pareil. Le simple fait que cette «revue» me fasse rire indique clairement que j’ai changé d’optique et de jugement. Je ne sais pas si c’est le cadre de l’école qui m’empêchait de rire de ces gribouillis ou... En attendant, si tu veux rire, je t’assure, regarde mes vieux cartons que je garde intactes pour toi et la postérité. Ils sont à même de faire de moi un type drôle, dont l’humour était inné et si sincère qu’il se retrouvait dans ses œuvres. J’y crois.
Ca c’est beau ! (un carton long palette de couleurs gouache jaune vert marron.) Ca c’est Deux grosses, un nu au nombril ; ça c’est Banane, ça c’est nase. Ca c’est Zovatt. Ah ! Les textes sont drôles aussi, d’autant qu’il en manque des morceaux...*1 C’était sûrement pas destiné à en faire un livre, mais aussi beaucoup plus intéressant à lire que... Ca c’est bon pour Beaubourg. Ma période gribouillis. Tiens Molière ! Molière aux traits de règle, sans doute pour souligner sa rigueur, montrer le vrai, montrer le vrai : 2. Comment le prof a du se marrer... Il aura cru que je me foutais de lui et m’aura mis un 2, pour se venger. Mais non mais non, sûrement pas, car ça ne correspondait pas à la demande ! Dommage qu’on ne fasse pas des “Molière” aux cours de dessin d’imagination ; mais j’aurais été capable de rendre un Molière plus vrai que nature dans tous les cas. Pompidou ! (encre de chine sur papier blanc). Ca oui, je me souviens : c’était un prof qui voulait qu’on fasse de la matière ; j’avais commencé au crayon à griffonner quelque chose, tandis qu’il tentait depuis une heure de nous exprimer son souhait, et il m’a gueulé dessus comme un fou., sans que je m’en rende compte ! Il voulait qu’on frotte, gratte, use... pour rendre l’aspect des choses, en bas relief. Enfin, comme ça : 14. (Je ne me rappelle pas avoir fait ça. Une côte méridionale avec falaise, pin et poissons.) Et j’en passe, des hirondelles et des perroquets.
J’ai remis tous les dessins à leur place dans le carton. Je les avais sortis pour en encadrer certains pour la pièce du train. “Ma plage à moi” a rejoint le gros nu au nombril, Pompidou Molière et les hirondelles. Un seul avait échappé au refuge obscure, au sommeil forcé des soumis. Il trône dans son cadre en allu au dessus du bureau : E.T. avant l‘heure, Le Vrai.


Le don, c’est pas tant d’avoir un Univers secret, mais aussi de savoir le partager - ce que je fais à ma façon, souvent seul. Et dire que j’ai navigué à travers les âmes pour en arriver là. Quelle injustice ! Suis-je allé trop loin, là où les gens se rétractent comme la dionée sur sa proie, un insecte ! Oui, c’est injuste. Le monde est injuste. Il ne supporte pas cette introspection picturale, ce qui fait la preuve parfaite de sa suffisance liquide ! D’accord on doit se protéger des voleurs comme des barbares, mais ce sentiment prend des proportions telles qu’on se sent barbare et voleur à son tour. On voudrait simplement qu’ils sortent de leur léthargie, qu’ils s’ouvrent à l’art comme une fleur à la lumière. Mais il y a bien celle qui s’ouvre la nuit pour rétracter ses pétales au matin. Fleurs ! pur reflet des hommes, toi, tu ne les offenses pas. Mais dans un sens, c’est toi qui est offensée, pour te fermer ainsi à leur regards. Fleur qui fleurit la nuit, tu es plus intelligente, plus clairvoyante, plus humaine. Pourquoi en être arrivé là, pourquoi ne pas penser et dire le contraire ? Je ne suis peut-être pas bon juge depuis cet amour perdu, cet espoir envolé... Et les pavés continuent de voler en éclats sous les ordres de dame machine dans le bruit et les cris. Dame nature, où es-tu donc passée ?

...Mais don divin ne veut pas dire inspiration divine... tout le temps, sans arrêt. Alors, soyons humain autant que possible.

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*1 - Textes à propos de perdre des influences divines pour se réaliser.


Dam.