La drôle d'histoire de Marcus.

Il était une fois un petit ukrainien qui s’appelait Marcus. A un an, c’était un drôle de bébé: il ne marchait que sur les mains. Ses parents, inquiets, tentaient en vain de le remettre dans le bon sens. A cinq ans, au cirque, Marcus aperçut un jongleur. Se remettant d’aplomb pour la première fois, il prit les premières choses qu’il trouva : des oranges, et se mit à jongler pendant des heures. Ses pauvres parents, résignés, l’emmenèrent consulter les plus grands médecins du monde. Ils rendirent un drôle de diagnostic : ce garçon avait un grave problème de pesanteur. Il voyait l’endroit à l’envers. Tout ce qui tenait au sol l’exaspérait.

Marcus grandit. A huit ans, sans avoir jamais dit un mot, il s’enferma dans le garage. Ses parents, qui avaient abandonné tout espoir depuis longtemps, continuèrent à regarder la télé et à manger des plats surgelés abominables. Lui travaillait dur. Il vissait, soudait, avec beaucoup de sérieux. Une nuit, ses parents se réveillèrent dans les courants d’air : la maison n’avait plus une seule fenêtre! Par la porte du garage, ils virent Marcus, un drap autour de la tête, des lunettes d’avion sur les yeux, enfourcher un gigantesque vélo à fenêtres et disparaître dans la nuit. Comme c’était Noël, il avait coincé un nez rouge au bout de la selle, qui clignota, clignota.

La police fouilla tout le pays, et même un peu plus loin, pendant deux ans. Nulle part on n’avait de trace de Marcus. L’Ukraine commença à frémir d’une légende : des villageois avaient aperçu, à l’Ouest, l’ombre immense d’un squelette de métal filer dans les ruelles. Autour de lui, des fenêtres brillaient sur d’autres mondes! A son passage, les mois et les saisons changeaient : les fleurs mourantes repoussaient, les fleurs nouvelles mouraient. C’était le printomne en févrembre.

Un jour, Marcus passa en coup de vent sous une église. Un orgue mourait des dernières notes d’une messe. Pour la première fois en deux ans, il posa pied à terre et écouta, subjugué. L’histoire le retrouva sur une aire d’autoroute : il avait démonté la bicyclette et entamait, bravement, la construction de son orgue. A treize ans, il n’en était qu’à la moitié : le vélo à fenêtres avait bien servi, pour les tuyaux. Manquaient le bois et le cuir des soufflets. Les enfants de la ville, qui l’aimaient bien, lui en apportèrent. Il lui fallu encore trois ans et voilà : l’orgue était prêt.

Marcus comprit qu’il s’agissait d’un sacré moment de son existence. Le problème, c’est qu’il avait quinze ans, ce qui était déjà très vieux. Il avait oublié le son de l’orgue. Il ne savait pas le reproduire. Il convoqua tous les enfants du village, qui lui rappelèrent d’où vient la musique. Alors il s’assit et joua. Les policiers, qui avait entendu parler de choses bizarres, firent immédiatement le lien avec Marcus : ils n’étaient pas policiers pour des prunes. Ils contactèrent les parents du petit garçon, qui étaient devenus gros et bêtes. Malgré tout, ils se rendirent sur l’aire d’autoroute.

Marcus était là, assis devant son orgue. Il y avait un embouteillage monstre : les voitures ne parvenaient plus à garder les roues par terre, et se retournaient sur le toit. La police fit appel à des éléphants qui furent très efficaces, et permirent aux parents de Marcus de s’approcher. Autour de l’orgue, le sol était instable comme un trampoline, ce qui était la cause supposée de l’embouteillage dit le chef de la police. Marcus, les enfants en cercle autour de lui, était un petit morceau de colère en sueur. Il jouait comme un possédé. Le vent, qui l’aimait bien, portait le son de l’orgue dans toute l’Ukraine, et même un peu plus loin.

Quand le son s’éteignit, Marcus agita les bras en direction de ses parents, et s’envola. Il avait toujours eu un grave problème de pesanteur.


Pour Chloé K.
Z 3 01 11

Elle est belle, cette histoire. A l'envers à l'endroit, à l'endroit à l'envers, en éter ou au printomne, j'ai bien envie de la faire lire aux enfants du boulot... Y'a-t-il eu des contraintes d'écriture?

http://www.orgelbau.ch/site/index.cfm/id_art/4462/vsprache/FR

Non, elle est née en quelques minutes: la Chloé à qui je la dédie m'a inventé un type qui cheminait le monde en vélo à fenêtres, et faisait le "printomne en févrembre". Le reste est venu petit à petit dans ma tête.

Merci de ton passage!

Z, lis-leur, lis-leur!

ll me faut toujours un certain temps pour me consacrer aux nouvelles et ce matin, je m'arrête sur la tienne pour plusieurs choses interpelantes :

- L'invention de certains mots et ce n'est jamais pour me déplaire...j'adore ça!
- L'imagination qui est de loin le dominant de cette histoire folle, il faut le dire.
- Cette envie de "liberté" qui est là aussi bien présente
- Un choix de vie qui n'est pas toujours évident à affronter face à l'entourage.

L'histoire en elle même peut être appropriée à un conte mais je ne vais pas dire qu'à mes yeux, il en est un parce que j'y ai retrouvé ces envies que beaucoup convoitent en silence comme le désir de réaliser des choses qui pourraient paraitre si folles et décalées à l'heure d'aujourd'hui. mais quand le premier avion a été inventé, cela a du paraitre aux yeux de la foule comme une folie irréalisable et pourtant!

J'ai bien aimé l'ensemble surréaliste qui se dégage de ton texte et la complicité aussi.

Sylvie

Marcus me rappelle un peu ce personnage d'un film qui voulait voler... Tu comprendras.

Swann, poisson volant

Un texte remarquable de densité et de tenue. On y est bien dans ton délire, (comme dans un film - Arizona Dream - je le cite parce que ça rime)

Dam

Très belle histoire Z., pleine de poésie et de douceur. Un joli conte qui ne s'en laisse pas compter.
Et puis belle découverte puisque je ne te savais pas ce talent.

Nilo, vélo à bretelles.

drole d'histoire pleine de poésie (tu m'étonnes) !

où tu es bien present!

Une jolie histoire comme je les aime et joliment écrite de surcroit. Je retrouve ta plume bien affutée.

Une nouvelle tendrement surréaliste qui se rapproche du conte.
J'ai aimé.

Merci de vos réactions! Je retire certaines paroles un peu dure que j'ai eu contre la prose et ses "micmacs" : elle offre parfois d'agréables moments d'écriture.

Z.

Agréable, c'est le mot!
On suit Marcus dans sa quête de liberté, et Dieu qu'il est inventif! C'est ça, sans doute, quand on voit la vie différemment. J'ai beaucoup aimé, à la fois le personnage, les situations qu'il crée, la narration, l'emploi des mots...
Un joli texte sous une belle plume...

Sasvata, j'aimerais ça, moi, l'apesanteur...

Histoire qui n'a rien perdu de sa superbe et qui tient toutes ses promesses et le haut du pavé de Macadam.
Ca me donnerait bien l'envie d'en refaire... du vélo.

Si on les prend au berceau avec ça, tout espoir est peut-être permis (qu'ont-ils fait les grands quand on y était ?) Pour les maternelles, primaires, secondaires etc., c'est déjà trop tard. Mais qui sait ?...

Dam, dernier détour.

Encore un joli coup du Printemps de la Prose qui va nous dénicher un conte de Z.

Nilo, aime sans compter.

J'avais lu mais je viens signer pour le printemps de la prose.

C'est encore une initiative de Dédé, son On ne prête qu'aux riches qui permet de remettre ce joli conte sur la table de chevet de Macadam.

Nilo, rond de lumière.

Je n'ai jamais ecrit de conte, enfin si ..un !
et c'est loin d'être evident ! ne pas tomber dans le déja vue, dans une narration trop enfantine aussi , et de plus tenir en haleine le lecteur.
J'aime lire les tiens Z..car tu réussis tout ça plutot bien et surtout, un univers loufoque , plein de choses bizarres et inventées qu'on prend un fou plaisir à imaginer..

Un conte pour adulte, presqu'allégorique...