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L'oeuvre au blanc

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Message  Dam Lun 24 Jan - 22:50

L’oeuvre au blanc

Et voilà. Faut qu’j’attende deux jours pour finir mon tableau de “La pointe de San Peïre” (rochers/mer), ma livraison de blanc. Commencé tantôt sur le motif au trait noir, marqueur de surcroît (les gris à la salive), après une partie de chasse où j’en ai bavé dans l’tubas à l’étouffée, épuisante, par rentrée d’Est, dans des vagues plus hautes que toi et un courant tourbillonnant spirale infernale, j’ai arraché trois oursins bruns pour me rassasier... mais malgré cela, je grelotte : trait tremblant mal assuré, mais la construction est solide. Mal assuré comme mes pieds sur ces cailloux du diables, rasoirs et pointes - moi qui danse comme un pied tordu sur des braises ardentes !
Retour ; rince matos, pas de douche, pas de faute... J’amarre une toile de 120 sur un châssis volant, fait deux trois mélanges d’ombre et de lumière... Manque le blanc.
M’arrête au risque de tout gâcher - résultat : anxiété. Attendre deux jours - le week end sera long ! Mais j’attendrai.
J’ai planté un arbre en bas du jardin, un tamaris nain. Euphémisme, puisque c’est toujours nain, un tamaris.

C’est ce blanc de malheur que j’ai commandé que je veux. J’attendrai.

À présent, il faut oublier ça, ce truc, là bas, loin loin... Trois fois j’y retourne et deux fois je l’abîme, une fois pour rien. Faut qu’j’t’oublie si je ne veux pas te perdre - voilà qui me rappelle... quelqu’un. Si je ne veux pas que tu deviennes une chose, une déception matérielle à l’air triste, l’air sombre, sans blanc....
J’ai besoin de blanc. J’attendrai Lundi, le blanc.


Deuxième truc fou après midi : le trou pour l’Arbre du poète rouge (couleur rare) dans le passage de “la tente”, contre le mur de la rue. “Passage de la tente”, car c’est ici que j’avais tendu une toile pour faire une tente. Il y a bien longtemps...

À l’époque, il y avait encore la haie de thuyas, et les troncs avaient servi à la maintenir debout, comme une vraie tente quoi. Mais plus belle. J’y jouais des heures entières le soir, seul ou avec ma jumelle que j’avais entraîné de force - elle qui craignait follement les petites bêtes noires. Je m’entends encore lui dire : “Viens, allez ! Y’a pas d’insectes dans ma tente”. Et elle était venue. Armés de lampes de poches, nous chantions sous la toile blanche des airs à la mode entendus sur des 45 tours dans la journée ; il y avait aussi une sérieuse improvisation géniale - et ça durait des heures. La suite, je l’ai déjà raconté dans un poème - qu’on pourrait attribuer à l’imagination - c’est pourquoi je veux l’écrire dans une forme plus simple et évidente.

Un soir, il y avait le cirque sur la jetée, et ma mère nous avait bien défendu d’y aller seuls ; il y avait le cirque et aussi ma marraine, accompagnée de son éternel compagnon de route, un spécialiste en filtres de piscines à eau, à air, à ch’val et en voiture... (je dirais pas à vélo, car il était manchot) Après qu’ils eurent fini de dîner, n’entendant plus de bruit dans le passage, ils étaient partis à notre recherche, marraine en tête, certainement pour nous passer un savon...
Pendant le même repas, une poubelle était passée par dessus le portail ; une plaisanterie de gosses ou une attaque plus sérieuse, je n’en sus jamais rien. J’étais encore trop jeune pour m’intéresser à ça. J’étais encore à un âge bénit où les problèmes, on les créé aux autres, sans le savoir. Inconscient. Petit inconscient ! Tu n’y penses pas !!! C’est jamais bien méchant...
Finalement, on s’est réveillé ; nous sommes sortis du passage à reculons et on nous a expédié au lit tête par dessus tout : c’était la folie, la panique - je crois même que ma soeur a pleuré. Je n’ai plus aucun souvenir de la tente après ce soir-là. Une triste soirée de clôture.
Parce qu’il n’y a pas de soirée de clôture à bord d’un navire, même quand il est fantôme.

Le deuxième truc de fou, donc, il m’aura rappelé une histoire encore plus folle et qui, je l’espère, vous aura tenu en haleine jusqu’ici. Car maintenant, c’est assez banal je dois dire, et aussi fatiguant qu’il est gonflant de faire un trou, surtout quand c’est du rocher ! Pardon, de la caillasse. Entre deux pelletés, je pensais : «Qu’est-ce qu’on doit être bien dans un trou de terre - c’est frais... et on sent les racines vouloir vous pénétrer les veines et ailleurs - vraiment. Y’a vraiment qu’aux autres que ça cause de la peine.»
- C’est du rocher ! m’exclamai-je haut et fort devant père qui me regardait. Pour bien lui faire comprendre une des raisons de mon agacement. Rocher rocher...
- Y’a du ciment aussi. C’est la terre de l’école quand ils ont fait les travaux...
- Non. C’est une pierre.
Je ne voulais surtout pas entendre parler d’école, même si j’étais en vacances au fond d’un putain de trou dur !
- Va me chercher la petite pioche.
- C’est une sape...
Tu m’sapes le moral !
Il revient au bout d’un quart d’heure avec la grande pioche
- Qu’est-ce que... !
- C’est des bons outils qu’il dit, indifférent ; c’est l’oncle Charles qui allait les piquer sur les chantiers...
- Ah bon ? (je ne connaissait pas cette anecdote) Je veux la petite pioche s’il te plait, celle qui s’enclenche sur le manche de la pelle bleue qui est à tes pieds. (Si c’est pas assez précis comme ça, non ? Attendons...)

Dehors, sur la rue, à travers les canisses, je voyais défiler un cortège de gamines lookettes en soquettes transparentes. En gros plan tous les enfants qui descendaient à la plage. Les fillettes en ultime lingerie Batiste qui allaient se faire rebaptiser Juliette ou les prospérités du vice , frôlaient le grillage que c’en était bandant ! Il y en a même une qui s’est retournée sur moi, en souriant - charmant sourire - ça promet ! Pauvre petite conne. Je serais bien sa protection rapprochée. Je servirais bien comme ça au moins à quelque chose ; servirais la cause humaine... Rocher rocher... la Société. Allez ! mettons tout dans le même sac - le monde - je servirais bien le mal. Mais quand le mal est fait, le monde est fait comme un rat : je ne servirai rien du tout. Ou plutôt si : mon propre plaisir, la réalisation de mes fantasmes en grand... même ça, je sais que c’est vain, une fois de temps en temps, mais c’est vain. Fatigant à force, lassant même. Je préfère rester maître à distance, dans l’ombre de mon trou, à observer les gamines à travers les cannisses mordorés.

La pierre vint en deux parties, en deux coups de pioche quatre mouvements.
- Tu l’as cassée !...
- Tiens, l’autre bout, si tu veux le recoller.
Je continue de creuser et pelleter. Le fait est que bientôt, je tombai sur le morceau de ciment qu’il avait dit - C’est pas vrai, pensais-je en souriant. Il sait tout de ce qu’il y a dans ce trou !» ... «Allez savoir où la mémoire va se nicher parfois, sur quels détails des plus futiles elle va butter - pour quoi faire ? Qui sait ça ? Encore un mystère. Mémoire parasitée : par faiblesse ? L’avidité de tout connaître et de tout retenir, cela conduit au ridicule le plus souvent, un chien savant sans voix, qui n’aboie plus. La vie minée - par les autres dit-on - le cerveau troué comme un tamis ; le travail, vous, rien ne m’est épargné ; j’aurai la paix quand je serai crevé, allez vous faire foutre !»

Quelque chose me gratte dans le dos à cet instant, je touche du doigt quelque chose de vivant qui me fait bondir hors du trou ! Je me secoue comme un tamis qu’a la tremblote, tourne pas rond... J’ai même failli m'empaler sur le râteau... et tout ça pour une étiquette. Cette foutue étiquette blanche que j’arrache toujours d’habitude, d’un T shirt noir sans manche payé 19 francs à Carrefour “je positive” ! L’habit ne fait vraiment pas le moine dans la ruée vers l’or (j’avais dans la tête la chanson d’Mc Sollar “ le Nouveau Western” de 95), ou vers les caisses de l’enfer. La queue..., toujours la queue.

Dès demain, j’ai mon blanc.
Les jeunes filles peuvent toutes aller se frotter, flirter avec le danger que sont tous ces mâles en ruts, je m’en moque. Demain, mon blanc arrive. Et je pourrai remplir les vides, faire la mer et le ciel de mon tableau des rochers/mer et ciel. Rocher rocher... Mer grise, rochers neutres, bruns sur la gauche et gris foncé sur la mer - pas de noir, je sais - pas de noir. Les rochers neutres, dans l’ensemble. Dans la forme, simple et réaliste - simple. Je ne vais rien exprimer d’autre que ce cadre qui m’enchante, de nature universelle, et qui m'angoisse quand, d’un coup, il passe du bleu au blanc... comme on pique une colère. La Méditerranée : c’est l’homme. L’homme avec ses faiblesses, ses charmes, sa force, ses humeurs. Ses racines.


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Message  Nilo Mar 25 Jan - 17:41

Je cherchais de l'or mais n'en ai pas vraiment trouvé.
Cependant il y a là une belle histoire, avec de belles digressions. Peut-être que l'alchimie fonctionnera pour d'autres.
En attendant ton blanc tu aurais dû te mettre à l'oeuvre au noir.

Nilo, Fulcanelliste.

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Message  Sylvie Mer 26 Jan - 5:56

Quelque chose me gratte dans le dos à cet instant, je touche du doigt quelque chose de vivant qui me fait bondir hors du trou ! Je me secoue comme un tamis qu’a la tremblote, tourne pas rond... J’ai même failli m'empaler sur le râteau... et tout ça pour une étiquette. Cette foutue étiquette blanche que j’arrache toujours d’habitude, d’un T shirt noir sans manche payé 19 francs à Carrefour “je positive” ! L’habit ne fait vraiment pas le moine dans la ruée vers l’or (j’avais dans la tête la chanson d’Mc Sollar “ le Nouveau Western” de 95), ou vers les caisses de l’enfer. La queue..., toujours la queue.

J'aime ce passage car ça me rappelle des souvenirs.

Le tout est à lire sans modération....

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