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L'Eglise
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Zlatko
sasvata
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Swann
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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L'Eglise
L’Eglise
Giovanni avait choisi cette heure chaude pour descendre au village. Personne dans les ruelles sous un soleil implacable. Sa grande silhouette un peu courbée suivait les murets. Quelques cris d’enfants trouaient le silence et habitaient le peu de vie. Sans eux, lointains, le ciel et la terre pouvaient paraitre enfin apaisés.
Giovanni, tourna une première fois dans une ruelle ombragée afin d’éviter la mairie et se retrouva face au tilleul devant l’église. La porte principale était fermée. Connaissant les lieux, il contourna la nef et trouva la porte latérale donnant sur la chapelle de saint Martial. La pénombre le surprit autant que l’odeur de fleurs fanées, de cierges éteints et de salpêtre.
La petite chapelle latérale, délaissée par les fidèles, servait de desserte et on y trouvait les bancs et les prie-Dieu hors d’usage, tout cela sous le regard désolé d’un saint désormais abandonné. Même les saints avaient droit au désamour qui suit l’espérance.
L’église du village n’était-elle pas l’église Saint Martial ? Martial avait déçu, comme n’importe quel politicien. Martial promettait, on lui donnait tout. Mais les enfants ne revenaient pas de la guerre, les haricots poussaient mal et l’ainée faisait une fille-mère de plus…La destinée des saints rejoignait alors celle des pauvres humains et tant pis pour le martyr.
La nef, éclairée par les vitraux, paraissait immense quand la petite église de pierre dépassait, elle, à peine les bâtiments alentours.
Giovanni s’attardait sur les nombreux tableaux qui peuplaient les murs moisis.
Une crasse séculaire les rendait illisibles. Une tâche de couleur trahissait un visage, un ornement. Le pli d’un vêtement, un pied nu, une crosse dorée bravaient l’épaisse couche comme ces os qui percent encore la terre d’un antique champ de bataille. Le peintre pensait à cette noirceur qui couvre la foi des villageois comme cette crasse couvre les œuvres allégoriques. S’il était possible de rendre à ces toiles leur splendeur primitive, il lui semblait bien hasardeux de nettoyer l’âme humaine. Les prêches n’y pouvaient rien, gratter la fange découvrait alors une pourriture bien pire, une pourriture native : l’homme.
Sur une grande toile, au fond de la nef, Abraham brandissait encore son couteau, l’ange éternel apparaissait au dessus de lui, mais nulle trace de bélier. Giovanni se dit qu’Isaac avait bien peu de chance d’échapper ou courroux de Jahvé. Les hommes avaient exaspéré jusqu’à leur créateur, et un des actes fondateur des trois religions du livre se terminerait, ici, dans cette église perdue. Perdue, oui.
Et Giovanni, dans ses pensées, se disait que lui aussi avait perdu son Dieu. Trop peu de temps consacré à savoir, à chercher, à trouver sa foi.
Ce lieu modeste, à présent était vide, livré à la vanité des hommes, à la grossièreté des sentiments humains. Le tabernacle sacré ne contenait rien car la foi ne le remplissait plus.
Le peintre cherchait l’emplacement de la toile qu’il offrirait à cette église. Il voulait être vu de tous et songeait déjà à une représentation qu’il n’aurait jamais osé montrer dans ses œuvres antérieures : un adieu au divin. Et il songeait à cette symphonie où les exécutants ferment l’un après l’autre leurs pupitres jusqu’à la petite note finale, la dernière, l’ultime.
Les hommes tourneraient le dos au Dieu en majesté, partiraient vers un ailleurs sanglant et menaçant. Il le voyait bien ce tableau de la fin. Un exode vers l’apocalypse. Mais il en garderait quelques uns, au pied du seigneur, en prière et en larme.
Le Crétin des montagnes,
Swann,
Giovanni avait choisi cette heure chaude pour descendre au village. Personne dans les ruelles sous un soleil implacable. Sa grande silhouette un peu courbée suivait les murets. Quelques cris d’enfants trouaient le silence et habitaient le peu de vie. Sans eux, lointains, le ciel et la terre pouvaient paraitre enfin apaisés.
Giovanni, tourna une première fois dans une ruelle ombragée afin d’éviter la mairie et se retrouva face au tilleul devant l’église. La porte principale était fermée. Connaissant les lieux, il contourna la nef et trouva la porte latérale donnant sur la chapelle de saint Martial. La pénombre le surprit autant que l’odeur de fleurs fanées, de cierges éteints et de salpêtre.
La petite chapelle latérale, délaissée par les fidèles, servait de desserte et on y trouvait les bancs et les prie-Dieu hors d’usage, tout cela sous le regard désolé d’un saint désormais abandonné. Même les saints avaient droit au désamour qui suit l’espérance.
L’église du village n’était-elle pas l’église Saint Martial ? Martial avait déçu, comme n’importe quel politicien. Martial promettait, on lui donnait tout. Mais les enfants ne revenaient pas de la guerre, les haricots poussaient mal et l’ainée faisait une fille-mère de plus…La destinée des saints rejoignait alors celle des pauvres humains et tant pis pour le martyr.
La nef, éclairée par les vitraux, paraissait immense quand la petite église de pierre dépassait, elle, à peine les bâtiments alentours.
Giovanni s’attardait sur les nombreux tableaux qui peuplaient les murs moisis.
Une crasse séculaire les rendait illisibles. Une tâche de couleur trahissait un visage, un ornement. Le pli d’un vêtement, un pied nu, une crosse dorée bravaient l’épaisse couche comme ces os qui percent encore la terre d’un antique champ de bataille. Le peintre pensait à cette noirceur qui couvre la foi des villageois comme cette crasse couvre les œuvres allégoriques. S’il était possible de rendre à ces toiles leur splendeur primitive, il lui semblait bien hasardeux de nettoyer l’âme humaine. Les prêches n’y pouvaient rien, gratter la fange découvrait alors une pourriture bien pire, une pourriture native : l’homme.
Sur une grande toile, au fond de la nef, Abraham brandissait encore son couteau, l’ange éternel apparaissait au dessus de lui, mais nulle trace de bélier. Giovanni se dit qu’Isaac avait bien peu de chance d’échapper ou courroux de Jahvé. Les hommes avaient exaspéré jusqu’à leur créateur, et un des actes fondateur des trois religions du livre se terminerait, ici, dans cette église perdue. Perdue, oui.
Et Giovanni, dans ses pensées, se disait que lui aussi avait perdu son Dieu. Trop peu de temps consacré à savoir, à chercher, à trouver sa foi.
Ce lieu modeste, à présent était vide, livré à la vanité des hommes, à la grossièreté des sentiments humains. Le tabernacle sacré ne contenait rien car la foi ne le remplissait plus.
Le peintre cherchait l’emplacement de la toile qu’il offrirait à cette église. Il voulait être vu de tous et songeait déjà à une représentation qu’il n’aurait jamais osé montrer dans ses œuvres antérieures : un adieu au divin. Et il songeait à cette symphonie où les exécutants ferment l’un après l’autre leurs pupitres jusqu’à la petite note finale, la dernière, l’ultime.
Les hommes tourneraient le dos au Dieu en majesté, partiraient vers un ailleurs sanglant et menaçant. Il le voyait bien ce tableau de la fin. Un exode vers l’apocalypse. Mais il en garderait quelques uns, au pied du seigneur, en prière et en larme.
Le Crétin des montagnes,
Swann,
Swann- MacadAccro
- Messages : 1023
Date d'inscription : 31/08/2009
Age : 72
Localisation : entre deux cafés
Re: L'Eglise
J'ai aimé te lire avec cette belle précision chirurgicale. J'ose à peine imaginer l'allure des vitraux dans cette église désaffectée au sens premier.
C'est mené tambours battant (malgré la sobriété) comme La cavalerie d'un Giotto et sa « Charité »
Le cavalier noir dans l'Apocalypse de Bamberg de l'an Mil, pris en tenaille entre Le cavalier de la Mort dans une toile de Joseph Mallord William Turner de 1830 et
Albrecht Dürer, toile représentant les Quatre cavaliers de l'Apocalypse. (Chevauchée inaugurant le commencement de la fin du monde, car ils apparaissent lorsque l'Agneau, figure de Jésus ressuscité, ouvre les quatre premiers sceaux.)
Et sur le tombeau ouvert de la crypte poussiéreuse, une tapisserie, pâle reproduction défraichie de l'Apocalypse avec ces même cavaliers.
Tous à la recherche désespérée du temps perdu.
Avec le livre oublié de Vicente Blasco Ibáñez sur l'autel en lieu et place de la Bible.
Vraiment passionnant tout ça, Swann !
Dam.
(tu me pardonneras d'y avoir installé mon musée imaginaire)
C'est mené tambours battant (malgré la sobriété) comme La cavalerie d'un Giotto et sa « Charité »
Le cavalier noir dans l'Apocalypse de Bamberg de l'an Mil, pris en tenaille entre Le cavalier de la Mort dans une toile de Joseph Mallord William Turner de 1830 et
Albrecht Dürer, toile représentant les Quatre cavaliers de l'Apocalypse. (Chevauchée inaugurant le commencement de la fin du monde, car ils apparaissent lorsque l'Agneau, figure de Jésus ressuscité, ouvre les quatre premiers sceaux.)
Et sur le tombeau ouvert de la crypte poussiéreuse, une tapisserie, pâle reproduction défraichie de l'Apocalypse avec ces même cavaliers.
Tous à la recherche désespérée du temps perdu.
Avec le livre oublié de Vicente Blasco Ibáñez sur l'autel en lieu et place de la Bible.
Vraiment passionnant tout ça, Swann !
Dam.
(tu me pardonneras d'y avoir installé mon musée imaginaire)
Re: L'Eglise
Je retrouve toujours avec plaisir l'univers du Crétin des Montagnes.
J'aime la qualité des émotions/réflexions de Giovanni, et l'élégance avec laquelle tu nous les amènes. Tout en finesse.
Sasvata, et les odeurs aussi... ^^
J'aime la qualité des émotions/réflexions de Giovanni, et l'élégance avec laquelle tu nous les amènes. Tout en finesse.
Sasvata, et les odeurs aussi... ^^
sasvata- MacadMalade
- Messages : 495
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: L'Eglise
Une plume que j'ai retrouvée avec plaisir, et qui impose à nouveau cette petite musique, dans sa ponctuation et sa respiration particulière. Moi qui ne suis pas un grand fan des descriptions interminables, celle-ci m'a séduit par sa précision et l'ambiance plus vraie que nature qu'elle installe.
Surtout j'apprécie depuis peu de lire des choses sur la religion, Bloy m'en propose quelques unes (dans ses Propos d'un Entrepreneur de Démolitions, que je vous conseille) et tu en proposes d'autres ici.
Z.
Surtout j'apprécie depuis peu de lire des choses sur la religion, Bloy m'en propose quelques unes (dans ses Propos d'un Entrepreneur de Démolitions, que je vous conseille) et tu en proposes d'autres ici.
Z.
Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: L'Eglise
Un texte fort bien écrit et plaisant.
J'ai apprécié ta façon de raconter même si, personnellement, je ne m'arrête que sur les artistes du présent.
Merci Swann
Sylvie
J'ai apprécié ta façon de raconter même si, personnellement, je ne m'arrête que sur les artistes du présent.
Merci Swann
Sylvie
Re: L'Eglise
Quel plaisir de retrouver une page de ce "Crétin des montagnes" qui comme toujours nous emmène et nous en remontre.
Ces réflexions, par petites touches, nous disent la profondeur des choses, leur ampleur et ce qu'il reste de chemin à parcourir pour toucher au divin.
Le peintre pensait à cette noirceur qui couvre la foi des villageois comme cette crasse couvre les œuvres allégoriques.
Nilo, foi du charbonnier.
Ces réflexions, par petites touches, nous disent la profondeur des choses, leur ampleur et ce qu'il reste de chemin à parcourir pour toucher au divin.
Le peintre pensait à cette noirceur qui couvre la foi des villageois comme cette crasse couvre les œuvres allégoriques.
Nilo, foi du charbonnier.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
re
Une atmosphère mystique imprègne cette nouvelle. Une question se pose : Dieu est-il l'artiste ou est-ce l'artiste qui est Dieu ?
Un très beau moment de lecture !
Un très beau moment de lecture !
léo- MacadAccro
- Messages : 1224
Date d'inscription : 25/03/2010
Age : 40
Localisation : Nord
Re: L'Eglise
..POur remettre à l'honneur , ceux qui ont fait en sorte que Macadam soit ce qu'il est.
_________________
LaLou
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