Le paladin chagriné

Je les vois souvent pendant leurs ballades,
S’échanger de longs baisers langoureux.
Et quand moi, j’erre, seul, sous ces cieux maussades,
Sourires aux lèvres, ils gambadent, amoureux.

Mon cœur, oubliant toute sa tristesse,
Pourrait-il, dans un élan généreux,
Sourire devant cette belle allégresse,
Quand las, je demeure si malheureux ?

Chevalier esseulé, sans dulcinée,
A qui, me dévouer ou avouer ma flamme,
J’arpente, sous mon heaume calciné,
La terre, à l’ombre de mon oriflamme.

A mon sort soumis, je souffre et, sans cesse,
Un griffon semble me mordre le foie.
Comment apaiser ce mal qui me blesse ?
En mon avenir, j’ai perdu la foi.

Mon chemin croisa celui de Pandore,
Responsable de presque tous nos maux.
La fable l’ignore, mais elle revint encore,
Et m’ôta l’espérance sans dire un mot.

Depuis ce jour où la Parque funeste,
Hasarda ses longs ciseaux sur un fil,
Dérobant la vie à tes yeux célestes,
Le monde me semble froid, immobile.

Cruelles destinées ! Sort impitoyable !
Et vous tous, ô dieux, éternels absents !
Comment supporterais-je l’insupportable,
Quand toujours, je sens bouillonner mon sang ?

Je pourrais mourir, renaître cent fois,
Epuiser ces vies sans goûter de joie,
Ou bien rebâtir puis rebrûler Troie,
Pour revivre juste une heure avec toi.

Si traverser l’Hadès était chose aisée,
Je volerais vers ses funèbres rives,
Tenter de cueillir un de tes baisers,
Ou ravir ton ombre dans ma dérive.

Empourpré du sang de Cerbère gisant,
Je parcourrais ces obscures contrées.
Mais, il faut me résoudre à, soi-disant,
Vivre sans plus jamais te rencontrer.

Alors de nos moments passés, je garde,
Soigneusement à l’abri dans mon cœur,
Des souvenances glacées sous mes hardes,
Témoins précieux de mes temps de bonheur.

Un beau texte. J'aime le décasyllabe, peu utilisé et très mélodieux quand il est maîtrisé. Un plaisir de forme donc, auquel se rajoute le fond, sans fausse note, mélancolique et tendre. Je suppose que la plainte est bien toujours la plus belle.

Z.

Comme je l'ai déjà dit ailleurs j'ai été sensible à ces vers bien écrits et qui nous racontent une belle histoire, même si ce n'est pas celle du narrateur.
Le bonheur des uns fait parfois les beaux poèmes d'un autre.

Nilo, chant de bataille.

Du solide certainement, manque un peu de "sensible" à mon gout mais c'est le premier que je lis de toi.

#Zlatko

J'aime alterner un décasyllabe avec un alexandrin, mais je n'en abuse pas non plus. Pour ce poème, je regrette que la rigueur métrique ne soit pas au rendez-vous, ou du moins, y vienne en tenue négligée. Je suis d'accord pour affirmer que l'élégie ou la plainte, en fait tout texte nous empoignant par son ton mélancolique, porte en lui une puissance émotive immense. Je sais bien qu'au final, tout n'est affaire d'idiosyncrasie, mais je persiste dans l'idée selon laquelle l'Homme apprécie trembler sous des airs chagrinants.

#Nilo

Merci beaucoup! Effectivement, j'ai le malheur d'avoir égaré ma bannière et rangé mon heaume sous mon lit. Je ne suis donc pas ce paladin, quoique comme lui, j'ai pu éprouvé ce genre de blessures, qui nous paraît sur le moment, toujours inguérissables.

#Lalou

Ah oui? J'aurais pensé l'inverse: que la solidité métrique brille par son absence et que certaines phrases tournent à la mièvrerie, à la sensiblerie. Ca doit être mon petit côté maso, je cherche toujours un peu de sel pour apaiser mes blessures.

Chic, un poète paladin ! Avec ce nouveau "Chevalier Chagrin" tu t'inscris dans une belle et noble tradition.