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Larcin et stratège
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Larcin et stratège
Larcin et stratège
L’histoire du jour, je ne sais pas si je dois la raconter ; elle avait bien commencé, c’était très prometteur et ça a fini en apothéose. Mais, entre temps, j’ai connu l’angoisse et vécu l’horreur. C’est ce dernier point qui me retient de raconter et aussi, je dois le reconnaître, ce qui ferait un récit sensationnel. C’est que je suis encore sous le choc - difficile d’être concentré sur les mots alors qu’il y aurait sans doute beaucoup mieux à faire. Mais quoi ?
Et comme il n’y avait rien à faire, je devais coucher sur le papier mes fantasmes les plus fous dans le seul et unique but de me calmer. Je crois bien que je serais devenu fou autrement, j’aurais mal tourné.
J’aimais pas l’état dans lequel m’avait plongé cette histoire ; je ne l’aimais pas parce que c’était un retour en arrière, en équilibre acculé au gouffre infini de la perversité, comme un aveux d’impuissance, un sentiment terrible qui en appelle nul autre : la folie.
Tout a commencé la veille. J’avais piqué un gros dorin de surface que j’avais déposé chez la patronne dans sa maison de la Jetée.
- Je tâcherai d’en prendre un autre demain pour le manger avec Renie >>. Ça se goupillait très bien puisque ce soir ils sortaient.
Le lendemain, j’avais prévu de faire une journée complète de chasse - matin et soir - pour piquer le deuxième poisson. Je décollai à 13 heures de la villa, direction le port. Sur le chemin, je tombai sur le gardien des Bruyères dans sa voiture avec sa femme. Je lui dis que j’allais pêcher et que j’avais la pêche. Toujours très pessimiste et orgueilleux, il me dit que c’était le matin qu’on prenait du poisson, pas après midi. Je lui dis simplement que rien n’était moins sûr...
À l’eau. Après avoir longé la longue digue de rocher sans grand succès, j’arrivai au bout et décidai de traverser l’entrée du port, plus calme à l’heure de la sieste. Trois coup de palmes et j’étais de l’autre côté, à l’abri des moteurs. En face de la Batterie reconvertie en Club de voile, il y avait des pontons flottants d’un petit port estival, plein de bateaux hors-bord. Je décidai d’aller inspecter ces lieux entre les pontons. Premier passage, rien. Je loupai seulement un gros loup car c’était trop facile : immobile et à moins d’un mètre de moi. Revenu au point de départ à l’aplomb du petit phare rouge et des pompes à essence, je décidai de faire un second passage ; l’intuition du chasseur sans doute, car je piquai une dorade royale de trente centimètre, une belle bête. Je ne revis pas le loup.
Quand je me retrouvai à mon point de départ pour la seconde fois, il était temps de rentrer. Au moment où je m’apprêtais à m’élancer pour traverser l’entrée du port, la vedette bleue de touristes surgit comme un bouchon de Champagne ! C’était moins deux ! J’attendis patiemment qu’elle accoste et coupe ses moteurs avant de m’engager. La seconde tentative fut un succès. Sur le chemin du retour, je piquai un gros sar occupé à détacher une arapède d’un bloc géant. Belle bête et même taille que la dorade. La pêche était bonne. Mission accomplie.
J’avais suivi mon instinct de chasseur et, l’expérience aidant, mes attentes furent exhaussées.
Il était 15 heures quand je quittai le port, après un petit repos nécessaire au soleil, et mérité. Quelques passants jetèrent un oeil étranglé à ma pêche étendue sur le rocher, sans toutefois s’arrêter. De toute façon, je n’étais d’humeur à parler à personne, même pas à moi-même. C’était une journée d’action et pas politique du tout !
En longeant la grande plage sur le trottoir récemment carrelé et déjà tout défoncé, à l’ombre des grands pins, j’atteignis mon coin de plage favori au tamaris sauvage. Il y avait une jolie femme blonde bronzée de la tête aux pieds avec des seins superbes ; quand son mari sortit de l’eau avec un poulpe au bout de sa fouine, suivi de son fiston et de sa fillette, je cessai de la mâter et plongeai dans la lecture d’un auteur “méconnu mais prodigieux”.
Il saignait à la cheville, bien fait, et se piqua à la rascasse quand il voulu l’enlever héroïquement de la fouine de son fiston. Sa femme partie faire un tour sur le rocher en se rapprochant de moi, sans rien dire ; j’esquissai un sourire qu’elle me rendit aussitôt. Je me levai pour changer de place avant de perdre mon sang froid - il avait une sale gueule que la piqûre venimeuse tordait dans tous les sens comme un vieux crapaud... “Allez jouer les enfants, allez jouer” réussit-il à dire en étouffant un sanglot.
À ma place habituelle, juste derrière le tamaris, la place venait d’être libérée ; deux enfants finissaient de rassembler lentement et maladroitement les derniers paquets ; le pic du parasol lui échappa des mains et atterrit entre mes orteils ; je faillis recevoir aussi la nasse qu’il lança à son acolyte resté assis en arrière plan. C’est seulement une fois partis que je crus reconnaître le gosse que j’avais sauvé de la noyade l’an passé. Toujours aussi dégourdi !
La mère veillait en haut du talus : “c’est bon ? Vous n’avez rien oublié ? Dépêchez-vous un peu...”
J’étais tranquillement allongé sur la serviette en attendant l’heure “dite” pour aller à l’eau. Quinze minutes qui me parurent longues, tant j’étais pressé de remettre ça “au petit bonheur la chance”.
Arrivé au rocher isolé en pleine eau au large de l’hôtel rose, je surpris un banc de quatre dorin de surface, énormes - j’avais déjà choisi ma proie - le plus gros - et la tactique : les rabattre vers le bord rocheux pour les surprendre dans un trou d’eau dans les bulles, (comme le seul passage était devant, vers moi.) Il tourna une fois, deux fois, commença à s’affoler en restant sur place ; au moment où je tirai, une vague d’écume m’aveugla et dû détourner ma flèche. Je sus aussitôt que je l’avais loupé. Jurant dans mon masque : Mince ! J’ai trop attendu, j’ai trop visé, je suis un con, un pauvre, un vieux... Quand l’eau s’éclaircit de nouveau, je cherchais à voir où il avait pu filer, en vain. Je le cherchai encore une heure sur trois mille mètres de côtes, en vain. Il ne s’agit pas seulement de choisir le bon côté, non plus d’avoir de la chance, non plus de vouloir rattraper avec entêtement un mauvais coup : le poisson était plus fort - maître dans son élément -, lui le roi moi le forçat. À la prochaine fois, petit…
Je rentrai exténué en me laissant échouer comme un cadavre dans mon couloir d’eau tiède, devant ma serviette. En levant la tête de l’eau, je crus entrevoir quelque chose de bizarre dans cette direction, mais ne réagit pas. Je fus bientôt fixé : on avait piqué mon sac de plage avec tout dedans. Me restaient le sac de chasse kaki de l’armée, mes chaussures bateau sanguines et ma serviette jaune. C’est pas Dieu possible, je l’crois pas, ça, je l’crois pas, les salopards !
Je jetai un oeil alentours dans un mince espoir de le retrouver, lui ou son contenu éparpillé, rien. Je n’ai plus rien à foutre ici. Je jetai ma serviette sur mes épaules, mes affaires de plongée dans le sac et quittai les lieux maudits, mal fréquentés du diable. Quel horoscope ce matin ?...
Après avoir arpenté la côte et ouvert toutes les poubelles “vacances propres”, j’arrivai chez la patronne pour lui raconter le larcin. Je lui dis la chose sans détours ;
simplement que j’avais pommé mes clés en trimballant mes affaires, mais que je ne pouvais plus rentrer chez moi. Je lui demandais si par hasard mon père n’avait pas laissé un trousseau chez eux, tout en sachant qu’il l’avait récupéré la dernière fois. Elle fit l’effort d’ouvrir le tiroir des clés, sans surprise. - “ Tu as bien regardé au fond de ton sac ? - Oui, j’en ai bien peur. - Il n’y a pas un endroit où tu peux passer ? Tu n’as pas laissé une fenêtre ouverte ? - Non. Il va falloir défoncer une serrure - Et les grilles, comment tu fais ? Y’a des grilles partout ! - Bien, je vais chercher mes clés, on ne sais jamais ; il est sept heures, si à huit heures je ne suis pas revenu, c’est que je les ai, autrement, il faudra qu’Henri me prête un short et un T. shirt pour la soirée. - Oui, bien sûr ! Bonne chance !” me cria-t-elle de sa cuisine où elle épluchait des tomates.
Je rentrai directement à la villa avec ma serviette sur les épaules. Passé le portail (facile, même si j’étais pas plus avancé !) je commençai à élaborer un plan de fortune pour tenter quelque chose.
Dans le cagibi il y avait une épuisette avec un très long manche que je rallongeai encore en l’enfilant dans le pic d’un parasol et dont je serrai à mort la visse papillon. J’avais une canne de six mètres de long prête à faire des ravages dans la maison si j’étais maladroit. Sous l’escalier, à droite et à l’ombre était un meuble bas qu’on appellera maie. Sur la partie qui dépassait était posé le téléphone et, appuyé sur la rampe de l’escalier deux cadres dont un sous-verre, pour cacher ce qui était derrière. Mais qu’est-ce qu’y avait derrière ces cadres, je vous le donne en mille : un vase tunisien en cuivre, coupe timbale, carafon, lécyte, topette fiole flacon bouteille calice ciboire patène burette comme vous voudrez - toujours est-il que la chose était remplie de clés de cadenas et, je l’espérais bien, d’un trousseau de clé de la maison. Réfléchissant trente seconde avant d’enfiler ma canne entre les barreaux de la grille, je décidai qu’il fallait fignoler l’engin ; j’ôtai le filet vert de l’épuisette (qui était troué) pour me servir du cercle en fer comme crochet. J’en sortis une extrémité pour la tordre en forme d’hameçon géant. L’engin ressemblait maintenant à quelque chose. Le premier obstacle furent les cadres, que je fis basculer en avant et tomber à terre sans même les casser. C’était bien parti. Je ne voyais pas le carafon avec les clés, mais sus l’avoir trouvé au bruit métallique de ce-dernier ; mon père avait pour manie d’enfiler les clés dans un filin muni d’un liège de filet de pêche trouvé si et là en faisant les plages. La première ficelle que je tirai était un lot de trois clé avec cadenas au bout, assez lourd, que je pris quand même la peine de ramener jusqu’à moi, histoire de ne rien casser des poteries posées sur la table. La seconde “pioche aveugle” était identique ou presque, sans cadenas.
La troisième pioche mystère était la bonne, par miracle. Je pris grand soin de ne pas les perdre en les amenant à moi, même si c’était impossible. Une seconde après, la maison était ouverte et j’étais sauvé.
Je n’ai pas parlé du chat noir qui entrait et sortait sans difficulté parce qu’il avait faim, pendant que je m’escrimais avec ma perche. Je n’ai pas dis non plus que le téléphone sonna pendant ma petite expérience ineffable, et que, recevant les cadres, le combiné fut décroché et laissé là, sans voix, comme un fantôme. Je tendis l’oreille à cet instant et reconnu mon oncle Bernard qui hurlait quelque chose avant de raccrocher - fatale erreur - car il n’aura plus aucune chance de m’avoir avant longtemps1. Il pourra fantasmer à loisir sur la cause de ce “silence” impromptu. Sûr qu’il m’en parlera à la première occasion. De toute façon, je n’avais pas le temps de chercher son numéro à la montagne dans l’annuaire de mère ; il était huit heures et je devais prendre ma douche, m’habiller pour rejoindre la maison de la Jetée où j’étais attendu.
La soirée : bon repas, bon film et bonne nuit. Grâce au ciel et au vin j’oubliai toute l’affaire.
Au lit : j’en étais arrivé aux suppositions et très vite aux scènes de violences qui s’imposent. “Je suis un peu arabe par mon père, j’ai perdu l’accent et le physique mais pas certaines manières - vous êtes droitier ou gaucher ? Droit... ! - et je lui plante ma flèche dans l’oeil opposé. Une autre action de folie consistait à lui labourer le front avec ma pointe aiguisée à mort. Plus je me vengeais et plus j’étais excité, ça n’allait pas.
Ma nuit sera agitée et tendue de la tête au pieds, les yeux grands ouverts.
*
_____________________
1 - À propos du coup de téléphone, ce qu’il faut savoir : J’appris plus tard (au téléphone) par ma mère, que les Bernard étaient sur la côte et voulaient passer à la villa pour dormir avant de repartir à la montagne. Avec un peu de chance, ils auraient pu débarquer pendant l’opération spéciale de repêchage. Une chance !
Le lendemain après midi, après avoir écrit ce que vous venez de lire, calmé donc, et en forme d’attaque, je partais du même côté des rochers, chasser (dur à dire), avec le stricte minimum. Je dépassai le tamaris sauvage en me laissant bien voir et je fixai d’un sale oeil la famille du vieux crapaud toujours à la même place ; la femme blonde gisait seins nus allongée sur le dos les yeux fermés ; le mari la regardait dans une pose pitoyable en grimaçant - le pauvre. Les gosses nageaient.
Je continuai mon chemin jusqu’à un coin rocheux où poussaient des pins affalés, dont certaines branches mortes léchaient le sol ; sortis le matos du sac et récupérai le trousseau de clés fiché dans les palmes ; puis j’ôtai mon T. shirt blanc, y roulai les clés, la serviette le tout fourré dans le sac kaki de l’armée. Ce dernier se confondait parfaitement avec le sol, si bien que personne n’aurait pu le voir sans avoir le nez dessus ; par précaution tout de même, je dénichai un trou hors du passage des cons, jetai le sac et le recouvrai d’aiguilles de pins - aiguilles que je pris sur la branche basse et morte de l'arbre - un beau petit nid bien odorant.
Pour un camouflage venu d’en haut, c’était un sacré leurre - personne n’aurait pu le trouver là, même en sachant qu’il était dans les parages.
Après ça, n’ayant pas de livre, je restai assis un long moment avant d’aller me tremper. À quatre heures, la même heure exactement qu’hier, je m’avançais, chaussons aux pieds et tête cagoulée. C’était un peu tôt mais je devais m’activer si je ne voulais pas être transformé en rocher.
Il faut que je tue quelqu’un, il faut que je tue... me disais-je avant d’aller à l’eau, de me laisser couler au sein de Sa révérante mer, toujours victorieuse.
La première proie que je visai était la bonne, pas très grosse mais parfaitement piquée au dessus du dos, immobilisée après l’impact... Et ne me dites pas qu’ils n’y sont pour rien, eux, vous n’en savez rien. Rien du tout. Ma joie était réelle, comme si c’était là une vraie vengeance, un retour en force victorieux. Et ça l’était vraiment. Devinez pourquoi ? Cela, vous pouvez le savoir. Fin de l’histoire.
*
Le lendemain matin, je retrouvais Renie au café Le Florida, près de la mer.
- Tiens, lui glissai-je, j’ai apporté quelque chose », et je sors la brochure interdite (dont j’avais caché la couverture)
- T’es fou, dit-il doucement, pas ici ! Je tiens à ma réputation quand même...
- Tiens, dis-je, c’est bizarre. Tu disais hier soir que c’était rentré dans les mœurs, au même titre que les coutumes et traditions... Tu dois bien reconnaître que tu te trompais, non ?
- Oui, je sais. Mais je tiens à ma réputation quand même. »
Je rangeai la petite revue mensuelle “spéciale” et sortit le petit livre illustré de Milly d’Hier. Il oublia son journal pour y jeter un oeil. Quand il eut fini de le parcourir (des yeux), je lui posai la question qui s’imposait : “et beau hein ? Mais tu ne trouves pas qu’il y a eu des changements regrettables ?
- Les pavés, dit-il. (Il connaissait mon faible)
- Oui, ils ont presque tous disparu. C’est triste. » Et la mélancolie me gagna soudain pour devenir angoisse et tristesse insurmontable. Je me mis à regretter de l’avoir sorti, celui-ci en noir et gris plutôt que l’autre en... couleurs!
Mais c’était pas les bonnes moeurs.
Dam.
(c’est long mais ça se lit vite)
L’histoire du jour, je ne sais pas si je dois la raconter ; elle avait bien commencé, c’était très prometteur et ça a fini en apothéose. Mais, entre temps, j’ai connu l’angoisse et vécu l’horreur. C’est ce dernier point qui me retient de raconter et aussi, je dois le reconnaître, ce qui ferait un récit sensationnel. C’est que je suis encore sous le choc - difficile d’être concentré sur les mots alors qu’il y aurait sans doute beaucoup mieux à faire. Mais quoi ?
Et comme il n’y avait rien à faire, je devais coucher sur le papier mes fantasmes les plus fous dans le seul et unique but de me calmer. Je crois bien que je serais devenu fou autrement, j’aurais mal tourné.
J’aimais pas l’état dans lequel m’avait plongé cette histoire ; je ne l’aimais pas parce que c’était un retour en arrière, en équilibre acculé au gouffre infini de la perversité, comme un aveux d’impuissance, un sentiment terrible qui en appelle nul autre : la folie.
Tout a commencé la veille. J’avais piqué un gros dorin de surface que j’avais déposé chez la patronne dans sa maison de la Jetée.
- Je tâcherai d’en prendre un autre demain pour le manger avec Renie >>. Ça se goupillait très bien puisque ce soir ils sortaient.
Le lendemain, j’avais prévu de faire une journée complète de chasse - matin et soir - pour piquer le deuxième poisson. Je décollai à 13 heures de la villa, direction le port. Sur le chemin, je tombai sur le gardien des Bruyères dans sa voiture avec sa femme. Je lui dis que j’allais pêcher et que j’avais la pêche. Toujours très pessimiste et orgueilleux, il me dit que c’était le matin qu’on prenait du poisson, pas après midi. Je lui dis simplement que rien n’était moins sûr...
À l’eau. Après avoir longé la longue digue de rocher sans grand succès, j’arrivai au bout et décidai de traverser l’entrée du port, plus calme à l’heure de la sieste. Trois coup de palmes et j’étais de l’autre côté, à l’abri des moteurs. En face de la Batterie reconvertie en Club de voile, il y avait des pontons flottants d’un petit port estival, plein de bateaux hors-bord. Je décidai d’aller inspecter ces lieux entre les pontons. Premier passage, rien. Je loupai seulement un gros loup car c’était trop facile : immobile et à moins d’un mètre de moi. Revenu au point de départ à l’aplomb du petit phare rouge et des pompes à essence, je décidai de faire un second passage ; l’intuition du chasseur sans doute, car je piquai une dorade royale de trente centimètre, une belle bête. Je ne revis pas le loup.
Quand je me retrouvai à mon point de départ pour la seconde fois, il était temps de rentrer. Au moment où je m’apprêtais à m’élancer pour traverser l’entrée du port, la vedette bleue de touristes surgit comme un bouchon de Champagne ! C’était moins deux ! J’attendis patiemment qu’elle accoste et coupe ses moteurs avant de m’engager. La seconde tentative fut un succès. Sur le chemin du retour, je piquai un gros sar occupé à détacher une arapède d’un bloc géant. Belle bête et même taille que la dorade. La pêche était bonne. Mission accomplie.
J’avais suivi mon instinct de chasseur et, l’expérience aidant, mes attentes furent exhaussées.
Il était 15 heures quand je quittai le port, après un petit repos nécessaire au soleil, et mérité. Quelques passants jetèrent un oeil étranglé à ma pêche étendue sur le rocher, sans toutefois s’arrêter. De toute façon, je n’étais d’humeur à parler à personne, même pas à moi-même. C’était une journée d’action et pas politique du tout !
En longeant la grande plage sur le trottoir récemment carrelé et déjà tout défoncé, à l’ombre des grands pins, j’atteignis mon coin de plage favori au tamaris sauvage. Il y avait une jolie femme blonde bronzée de la tête aux pieds avec des seins superbes ; quand son mari sortit de l’eau avec un poulpe au bout de sa fouine, suivi de son fiston et de sa fillette, je cessai de la mâter et plongeai dans la lecture d’un auteur “méconnu mais prodigieux”.
Il saignait à la cheville, bien fait, et se piqua à la rascasse quand il voulu l’enlever héroïquement de la fouine de son fiston. Sa femme partie faire un tour sur le rocher en se rapprochant de moi, sans rien dire ; j’esquissai un sourire qu’elle me rendit aussitôt. Je me levai pour changer de place avant de perdre mon sang froid - il avait une sale gueule que la piqûre venimeuse tordait dans tous les sens comme un vieux crapaud... “Allez jouer les enfants, allez jouer” réussit-il à dire en étouffant un sanglot.
À ma place habituelle, juste derrière le tamaris, la place venait d’être libérée ; deux enfants finissaient de rassembler lentement et maladroitement les derniers paquets ; le pic du parasol lui échappa des mains et atterrit entre mes orteils ; je faillis recevoir aussi la nasse qu’il lança à son acolyte resté assis en arrière plan. C’est seulement une fois partis que je crus reconnaître le gosse que j’avais sauvé de la noyade l’an passé. Toujours aussi dégourdi !
La mère veillait en haut du talus : “c’est bon ? Vous n’avez rien oublié ? Dépêchez-vous un peu...”
J’étais tranquillement allongé sur la serviette en attendant l’heure “dite” pour aller à l’eau. Quinze minutes qui me parurent longues, tant j’étais pressé de remettre ça “au petit bonheur la chance”.
Arrivé au rocher isolé en pleine eau au large de l’hôtel rose, je surpris un banc de quatre dorin de surface, énormes - j’avais déjà choisi ma proie - le plus gros - et la tactique : les rabattre vers le bord rocheux pour les surprendre dans un trou d’eau dans les bulles, (comme le seul passage était devant, vers moi.) Il tourna une fois, deux fois, commença à s’affoler en restant sur place ; au moment où je tirai, une vague d’écume m’aveugla et dû détourner ma flèche. Je sus aussitôt que je l’avais loupé. Jurant dans mon masque : Mince ! J’ai trop attendu, j’ai trop visé, je suis un con, un pauvre, un vieux... Quand l’eau s’éclaircit de nouveau, je cherchais à voir où il avait pu filer, en vain. Je le cherchai encore une heure sur trois mille mètres de côtes, en vain. Il ne s’agit pas seulement de choisir le bon côté, non plus d’avoir de la chance, non plus de vouloir rattraper avec entêtement un mauvais coup : le poisson était plus fort - maître dans son élément -, lui le roi moi le forçat. À la prochaine fois, petit…
Je rentrai exténué en me laissant échouer comme un cadavre dans mon couloir d’eau tiède, devant ma serviette. En levant la tête de l’eau, je crus entrevoir quelque chose de bizarre dans cette direction, mais ne réagit pas. Je fus bientôt fixé : on avait piqué mon sac de plage avec tout dedans. Me restaient le sac de chasse kaki de l’armée, mes chaussures bateau sanguines et ma serviette jaune. C’est pas Dieu possible, je l’crois pas, ça, je l’crois pas, les salopards !
Je jetai un oeil alentours dans un mince espoir de le retrouver, lui ou son contenu éparpillé, rien. Je n’ai plus rien à foutre ici. Je jetai ma serviette sur mes épaules, mes affaires de plongée dans le sac et quittai les lieux maudits, mal fréquentés du diable. Quel horoscope ce matin ?...
Après avoir arpenté la côte et ouvert toutes les poubelles “vacances propres”, j’arrivai chez la patronne pour lui raconter le larcin. Je lui dis la chose sans détours ;
simplement que j’avais pommé mes clés en trimballant mes affaires, mais que je ne pouvais plus rentrer chez moi. Je lui demandais si par hasard mon père n’avait pas laissé un trousseau chez eux, tout en sachant qu’il l’avait récupéré la dernière fois. Elle fit l’effort d’ouvrir le tiroir des clés, sans surprise. - “ Tu as bien regardé au fond de ton sac ? - Oui, j’en ai bien peur. - Il n’y a pas un endroit où tu peux passer ? Tu n’as pas laissé une fenêtre ouverte ? - Non. Il va falloir défoncer une serrure - Et les grilles, comment tu fais ? Y’a des grilles partout ! - Bien, je vais chercher mes clés, on ne sais jamais ; il est sept heures, si à huit heures je ne suis pas revenu, c’est que je les ai, autrement, il faudra qu’Henri me prête un short et un T. shirt pour la soirée. - Oui, bien sûr ! Bonne chance !” me cria-t-elle de sa cuisine où elle épluchait des tomates.
Je rentrai directement à la villa avec ma serviette sur les épaules. Passé le portail (facile, même si j’étais pas plus avancé !) je commençai à élaborer un plan de fortune pour tenter quelque chose.
Dans le cagibi il y avait une épuisette avec un très long manche que je rallongeai encore en l’enfilant dans le pic d’un parasol et dont je serrai à mort la visse papillon. J’avais une canne de six mètres de long prête à faire des ravages dans la maison si j’étais maladroit. Sous l’escalier, à droite et à l’ombre était un meuble bas qu’on appellera maie. Sur la partie qui dépassait était posé le téléphone et, appuyé sur la rampe de l’escalier deux cadres dont un sous-verre, pour cacher ce qui était derrière. Mais qu’est-ce qu’y avait derrière ces cadres, je vous le donne en mille : un vase tunisien en cuivre, coupe timbale, carafon, lécyte, topette fiole flacon bouteille calice ciboire patène burette comme vous voudrez - toujours est-il que la chose était remplie de clés de cadenas et, je l’espérais bien, d’un trousseau de clé de la maison. Réfléchissant trente seconde avant d’enfiler ma canne entre les barreaux de la grille, je décidai qu’il fallait fignoler l’engin ; j’ôtai le filet vert de l’épuisette (qui était troué) pour me servir du cercle en fer comme crochet. J’en sortis une extrémité pour la tordre en forme d’hameçon géant. L’engin ressemblait maintenant à quelque chose. Le premier obstacle furent les cadres, que je fis basculer en avant et tomber à terre sans même les casser. C’était bien parti. Je ne voyais pas le carafon avec les clés, mais sus l’avoir trouvé au bruit métallique de ce-dernier ; mon père avait pour manie d’enfiler les clés dans un filin muni d’un liège de filet de pêche trouvé si et là en faisant les plages. La première ficelle que je tirai était un lot de trois clé avec cadenas au bout, assez lourd, que je pris quand même la peine de ramener jusqu’à moi, histoire de ne rien casser des poteries posées sur la table. La seconde “pioche aveugle” était identique ou presque, sans cadenas.
La troisième pioche mystère était la bonne, par miracle. Je pris grand soin de ne pas les perdre en les amenant à moi, même si c’était impossible. Une seconde après, la maison était ouverte et j’étais sauvé.
Je n’ai pas parlé du chat noir qui entrait et sortait sans difficulté parce qu’il avait faim, pendant que je m’escrimais avec ma perche. Je n’ai pas dis non plus que le téléphone sonna pendant ma petite expérience ineffable, et que, recevant les cadres, le combiné fut décroché et laissé là, sans voix, comme un fantôme. Je tendis l’oreille à cet instant et reconnu mon oncle Bernard qui hurlait quelque chose avant de raccrocher - fatale erreur - car il n’aura plus aucune chance de m’avoir avant longtemps1. Il pourra fantasmer à loisir sur la cause de ce “silence” impromptu. Sûr qu’il m’en parlera à la première occasion. De toute façon, je n’avais pas le temps de chercher son numéro à la montagne dans l’annuaire de mère ; il était huit heures et je devais prendre ma douche, m’habiller pour rejoindre la maison de la Jetée où j’étais attendu.
La soirée : bon repas, bon film et bonne nuit. Grâce au ciel et au vin j’oubliai toute l’affaire.
Au lit : j’en étais arrivé aux suppositions et très vite aux scènes de violences qui s’imposent. “Je suis un peu arabe par mon père, j’ai perdu l’accent et le physique mais pas certaines manières - vous êtes droitier ou gaucher ? Droit... ! - et je lui plante ma flèche dans l’oeil opposé. Une autre action de folie consistait à lui labourer le front avec ma pointe aiguisée à mort. Plus je me vengeais et plus j’étais excité, ça n’allait pas.
Ma nuit sera agitée et tendue de la tête au pieds, les yeux grands ouverts.
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1 - À propos du coup de téléphone, ce qu’il faut savoir : J’appris plus tard (au téléphone) par ma mère, que les Bernard étaient sur la côte et voulaient passer à la villa pour dormir avant de repartir à la montagne. Avec un peu de chance, ils auraient pu débarquer pendant l’opération spéciale de repêchage. Une chance !
Le lendemain après midi, après avoir écrit ce que vous venez de lire, calmé donc, et en forme d’attaque, je partais du même côté des rochers, chasser (dur à dire), avec le stricte minimum. Je dépassai le tamaris sauvage en me laissant bien voir et je fixai d’un sale oeil la famille du vieux crapaud toujours à la même place ; la femme blonde gisait seins nus allongée sur le dos les yeux fermés ; le mari la regardait dans une pose pitoyable en grimaçant - le pauvre. Les gosses nageaient.
Je continuai mon chemin jusqu’à un coin rocheux où poussaient des pins affalés, dont certaines branches mortes léchaient le sol ; sortis le matos du sac et récupérai le trousseau de clés fiché dans les palmes ; puis j’ôtai mon T. shirt blanc, y roulai les clés, la serviette le tout fourré dans le sac kaki de l’armée. Ce dernier se confondait parfaitement avec le sol, si bien que personne n’aurait pu le voir sans avoir le nez dessus ; par précaution tout de même, je dénichai un trou hors du passage des cons, jetai le sac et le recouvrai d’aiguilles de pins - aiguilles que je pris sur la branche basse et morte de l'arbre - un beau petit nid bien odorant.
Pour un camouflage venu d’en haut, c’était un sacré leurre - personne n’aurait pu le trouver là, même en sachant qu’il était dans les parages.
Après ça, n’ayant pas de livre, je restai assis un long moment avant d’aller me tremper. À quatre heures, la même heure exactement qu’hier, je m’avançais, chaussons aux pieds et tête cagoulée. C’était un peu tôt mais je devais m’activer si je ne voulais pas être transformé en rocher.
Il faut que je tue quelqu’un, il faut que je tue... me disais-je avant d’aller à l’eau, de me laisser couler au sein de Sa révérante mer, toujours victorieuse.
La première proie que je visai était la bonne, pas très grosse mais parfaitement piquée au dessus du dos, immobilisée après l’impact... Et ne me dites pas qu’ils n’y sont pour rien, eux, vous n’en savez rien. Rien du tout. Ma joie était réelle, comme si c’était là une vraie vengeance, un retour en force victorieux. Et ça l’était vraiment. Devinez pourquoi ? Cela, vous pouvez le savoir. Fin de l’histoire.
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Le lendemain matin, je retrouvais Renie au café Le Florida, près de la mer.
- Tiens, lui glissai-je, j’ai apporté quelque chose », et je sors la brochure interdite (dont j’avais caché la couverture)
- T’es fou, dit-il doucement, pas ici ! Je tiens à ma réputation quand même...
- Tiens, dis-je, c’est bizarre. Tu disais hier soir que c’était rentré dans les mœurs, au même titre que les coutumes et traditions... Tu dois bien reconnaître que tu te trompais, non ?
- Oui, je sais. Mais je tiens à ma réputation quand même. »
Je rangeai la petite revue mensuelle “spéciale” et sortit le petit livre illustré de Milly d’Hier. Il oublia son journal pour y jeter un oeil. Quand il eut fini de le parcourir (des yeux), je lui posai la question qui s’imposait : “et beau hein ? Mais tu ne trouves pas qu’il y a eu des changements regrettables ?
- Les pavés, dit-il. (Il connaissait mon faible)
- Oui, ils ont presque tous disparu. C’est triste. » Et la mélancolie me gagna soudain pour devenir angoisse et tristesse insurmontable. Je me mis à regretter de l’avoir sorti, celui-ci en noir et gris plutôt que l’autre en... couleurs!
Mais c’était pas les bonnes moeurs.
Dam.
Dernière édition par Dam le Lun 14 Nov - 12:10, édité 1 fois (Raison : changé une la en Sa - une broutille !)
Re: Larcin et stratège
Retour aux techniques ancestrales de camouflage. Le chasseur ne laisse pas de traces. Un conseil d'ami à celui qui avait piqué le sac, s'il s'en sert du côté des tamaris et des pins affalés, lui aussi a intérêt à bien le camoufler.
franskey- MacadAccro
- Messages : 599
Date d'inscription : 23/03/2011
Re: Larcin et stratège
Bien dit franskey! Voilà une bien jolie morale pour cette histoire.
Dam, en chute libre.
Dam, en chute libre.
Re: Larcin et stratège
Le rasage ressemble assez à l’écaillage du poisson, c’est qu’une question d’outil.
Dam.
Dam.
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