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Les vieux et Dubaï.
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Dam
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Les vieux et Dubaï.
Il était une fois deux petits vieux devenus vieux sans s’en rendre compte. Ils s’aimaient depuis peu semblait-il : voilà qu’ils étaient vieux. Alors, ils firent deux sacs à dos de ce qu’ils aimaient bien, abandonnèrent leurs noms et s’enfuirent en vélo. La sédentarité, disait le vieux en pédalant, c’est le fléau du monde, ça pue comme une merde de chien sur un trottoir. Ouais, disait la vieille, on ferait mieux de fuir quelques années encore, ça réveille les instincts de vie.
En deux ans, comme la fuite aiguillonnait leurs jambes, ils traversèrent la Belgique, l’Allemagne et la Turquie. Ils croisaient sur leur route des gens rigolos et bizarres, et des empêcheurs de fuir tranquille qui leurs racontaient qu’à cet âge, on ne fait pas les guignols sur les routes. Le vieux rigolait, il pédalait plus fort en pensant au prochain crépuscule, à la prochaine nuit qui se coucherait sur eux, despotique et merveilleuse comme sont les nuits.
Lors d’une veillée Turque, un enfant vint tourner autour de leur feu. Il avait les yeux gris et se mordait les lèvres, en traçant sur le sol des sillons, avec une branche. Il demanda à la vieille ce qu’elle pensait des perroquets. Elle dit qu’elle aimait beaucoup ça, et que lorsqu’elle serait vieille, elle achèterait un perroquet plutôt qu’un caniche. Le petit garçon rit, dit qu’elle était déjà vieille, quand même. Elle regarda le vieux, qui regardait le feu : il pleurait de grosses larmes, qui séchaient très vite.
Ils roulèrent encore longtemps, ça n’était pas quantifiable, en tout cas. Un jour, la route les mena au bord d’une ville. Sur un écriteau rose, ils lurent : Dubaï. Tiens, dit le vieux, j’ai les jambes lourdes. Comme ils avaient bien fui, ils trouvèrent un appartement, dans un immeuble en forme de lune. Ils y firent quelque chose comme un nid. Le soir, ils partaient dans les rues de la ville, pour sentir, comme au temps de la route, la nuit tomber sur eux. Ils goûtaient les odeurs de la rue, et les pluies rares de l’autre monde. La pluie c’est chouette, disait la vieille en tordant la tête. A l’envers, les gouttes s’envolent.
Pour fêter qu’ils étaient sédentaires, ils prirent à nouveau des noms. La ville s’habitua à ce couple errant, toujours sortis, toujours ailleurs, amoureux des ruelles et des places : Mr Theophanous et Mme Delicata, on les appelait. On trouvait au vieux un air de gaillard, long truc sensible aux yeux durs ; à la vieille, l’inclinaison étrange et gracieuse d’une plante. Peu à peu, ils furent aimés des habitants. Mr Banzept, le maire de la ville, les aimait bien : il disait, vieux comme ils sont, c’est beau d’avoir pédalé aussi loin.
Mais la vieille dormait mal. Elle cauchemardait de ses nuits turques, de la morsure du barillet sur ses mollets, des soleils gloutons du Sud. L’autre nuit encore, levée sans le vieux, elle avait parcouru la rue de leur immeuble, de haut en bas, sans but. Elle avait, tout bas, des grondements et des râles : une colère la mangeait vive. Ca sert à rien, sifflait-elle, c’est du boulot de mécréants. On a pas fui assez loin, le vieux, on a la même vieille croûte qu’hier, les mêmes cors sous la plante. Quand je serai vieille, je serai vivante encore, et je m’achèterai un perroquet.
Mais le vieux, dans sa caboche bruyante, n’allait pas mieux. Pendant les crises de la vieille, il ouvrait l’œil dans le lit : reposé sur un coude, il regardait ses mains en disant, Bon dieu, je ne sors pourtant pas du bain. Il cherchait la raison de ses crampes, de ses douleurs de ventre et des cheveux tombés chaque jour, qu’il planquait dans des chaussettes sales. On a beau vivre dans la lune, crachait-il au mur bleu, on a beau pédaler ! Sauvages ! Parfois, il avait de beaux moments : il se voyait debout, bête grise au milieu de la savane ; il se voyait regarder les hommes vivre et mourir, dans la bonhomie de sa tonne. Il rêvait, et disait : je suis un éléphant.
Il advint qu’un jour, on n’entendit plus parler d’eux. Mr Banzept, inquiet, allait chaque jour sonner à leur porte ; un samedi, comme le concierge venait de mourir, avalant, dans un ultime sursaut de fierté, toutes les clefs de l’immeuble, le maire fit défoncer la porte. L’appartement était vide. Rien n’y bougeait plus. La voisine dit qu’hier, il y a une semaine, mais pas longtemps, sûrement la veille ou pas encore, elle avait cru voir s’envoler, par la fenêtre, un éléphant tenu par un perroquet.
Z 4 01 12
pour bestiole
pour Abel Korzeniowski
En deux ans, comme la fuite aiguillonnait leurs jambes, ils traversèrent la Belgique, l’Allemagne et la Turquie. Ils croisaient sur leur route des gens rigolos et bizarres, et des empêcheurs de fuir tranquille qui leurs racontaient qu’à cet âge, on ne fait pas les guignols sur les routes. Le vieux rigolait, il pédalait plus fort en pensant au prochain crépuscule, à la prochaine nuit qui se coucherait sur eux, despotique et merveilleuse comme sont les nuits.
Lors d’une veillée Turque, un enfant vint tourner autour de leur feu. Il avait les yeux gris et se mordait les lèvres, en traçant sur le sol des sillons, avec une branche. Il demanda à la vieille ce qu’elle pensait des perroquets. Elle dit qu’elle aimait beaucoup ça, et que lorsqu’elle serait vieille, elle achèterait un perroquet plutôt qu’un caniche. Le petit garçon rit, dit qu’elle était déjà vieille, quand même. Elle regarda le vieux, qui regardait le feu : il pleurait de grosses larmes, qui séchaient très vite.
Ils roulèrent encore longtemps, ça n’était pas quantifiable, en tout cas. Un jour, la route les mena au bord d’une ville. Sur un écriteau rose, ils lurent : Dubaï. Tiens, dit le vieux, j’ai les jambes lourdes. Comme ils avaient bien fui, ils trouvèrent un appartement, dans un immeuble en forme de lune. Ils y firent quelque chose comme un nid. Le soir, ils partaient dans les rues de la ville, pour sentir, comme au temps de la route, la nuit tomber sur eux. Ils goûtaient les odeurs de la rue, et les pluies rares de l’autre monde. La pluie c’est chouette, disait la vieille en tordant la tête. A l’envers, les gouttes s’envolent.
Pour fêter qu’ils étaient sédentaires, ils prirent à nouveau des noms. La ville s’habitua à ce couple errant, toujours sortis, toujours ailleurs, amoureux des ruelles et des places : Mr Theophanous et Mme Delicata, on les appelait. On trouvait au vieux un air de gaillard, long truc sensible aux yeux durs ; à la vieille, l’inclinaison étrange et gracieuse d’une plante. Peu à peu, ils furent aimés des habitants. Mr Banzept, le maire de la ville, les aimait bien : il disait, vieux comme ils sont, c’est beau d’avoir pédalé aussi loin.
Mais la vieille dormait mal. Elle cauchemardait de ses nuits turques, de la morsure du barillet sur ses mollets, des soleils gloutons du Sud. L’autre nuit encore, levée sans le vieux, elle avait parcouru la rue de leur immeuble, de haut en bas, sans but. Elle avait, tout bas, des grondements et des râles : une colère la mangeait vive. Ca sert à rien, sifflait-elle, c’est du boulot de mécréants. On a pas fui assez loin, le vieux, on a la même vieille croûte qu’hier, les mêmes cors sous la plante. Quand je serai vieille, je serai vivante encore, et je m’achèterai un perroquet.
Mais le vieux, dans sa caboche bruyante, n’allait pas mieux. Pendant les crises de la vieille, il ouvrait l’œil dans le lit : reposé sur un coude, il regardait ses mains en disant, Bon dieu, je ne sors pourtant pas du bain. Il cherchait la raison de ses crampes, de ses douleurs de ventre et des cheveux tombés chaque jour, qu’il planquait dans des chaussettes sales. On a beau vivre dans la lune, crachait-il au mur bleu, on a beau pédaler ! Sauvages ! Parfois, il avait de beaux moments : il se voyait debout, bête grise au milieu de la savane ; il se voyait regarder les hommes vivre et mourir, dans la bonhomie de sa tonne. Il rêvait, et disait : je suis un éléphant.
Il advint qu’un jour, on n’entendit plus parler d’eux. Mr Banzept, inquiet, allait chaque jour sonner à leur porte ; un samedi, comme le concierge venait de mourir, avalant, dans un ultime sursaut de fierté, toutes les clefs de l’immeuble, le maire fit défoncer la porte. L’appartement était vide. Rien n’y bougeait plus. La voisine dit qu’hier, il y a une semaine, mais pas longtemps, sûrement la veille ou pas encore, elle avait cru voir s’envoler, par la fenêtre, un éléphant tenu par un perroquet.
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pour bestiole
pour Abel Korzeniowski
Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: Les vieux et Dubaï.
Cette douce nostalgie mérite mieux que l'indifférence générale.
Swann, père hoquet
Swann, père hoquet
Swann- MacadAccro
- Messages : 1023
Date d'inscription : 31/08/2009
Age : 72
Localisation : entre deux cafés
Re
Je conjure l'indifférence Swann car cette nouvelle fait écho à un stage effectué l'été dernier dans une maison de retraite ( je déteste cette appellation) où j'ai pu mesurer encore une fois le désastre social et culturel de nos sociétés dites modernes dans l'accompagnement des anciens. La solitude extrême de la plupart d'entre eux, le manque affectif et l'indifférence parfois majeure des proches quant aux conditions de leur "détention" m'ont profondement affecté. Certains et malgré le dévouement extraordinaire du personnel administratif, médical et d'animation ( ils font ce qu'ils peuvent malgré le manque de budget et de moyens matériels) ne souhaitent qu'une seule chose : fuir dans la mort ou dans les brumes voilées de la maladie. J'ai donc été particulièrement ému à la lecture de ce road movie salutaire. Mieux vaut partir à temps avant que l'ombre...
Dernière édition par léo le Ven 6 Jan - 12:30, édité 1 fois
léo- MacadAccro
- Messages : 1224
Date d'inscription : 25/03/2010
Age : 40
Localisation : Nord
Re: Les vieux et Dubaï.
Un texte superbe et d’une simplicité redoutable qui montre tout ton talent de conteur. Il y a une gravité aussi.. belle et sans appel. Voilà qui fait rêver, également donne à réfléchir.
Dam.
Dam.
Re: Les vieux et Dubaï.
Oui, superbe et écrit par une plume jeune.
Bravo !
Bravo !
Carmen P.- MacadAccro
- Messages : 1525
Date d'inscription : 18/11/2009
Re: Les vieux et Dubaï.
Encore un joli conte que cette histoire d'éléphant jaune et de perroquet rose (enfin, c'est ainsi que je les vois).
Pleine de grâce et de douceur de vivre vieux.
Nilo, paire aux quais.
Pleine de grâce et de douceur de vivre vieux.
Nilo, paire aux quais.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Les vieux et Dubaï.
Oui cette indifférence la que l'on condamne souvent à bien des egards...
_________________
LaLou
Re: Les vieux et Dubaï.
Poétique et tripal, quel superbe hommage à ces deux ancêtres vagabonds ! Je m'en vais le relire de ce pas.
franskey- MacadAccro
- Messages : 599
Date d'inscription : 23/03/2011
Re: Les vieux et Dubaï.
Relu par plaisir. A quand le recueil de contes?
Swann,
Swann,
Swann- MacadAccro
- Messages : 1023
Date d'inscription : 31/08/2009
Age : 72
Localisation : entre deux cafés
Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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