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Le S.D.F des plages.
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Le S.D.F des plages.
Le S.D.F des plages
Il avait plu toute la journée et, sentant l’ennui me gagner, je sortais sans rivaliser plus avant avec le Tic-Tac-Toe qui courait en diagonale et dans les grandes largeurs. J’enfilais un jeans et un T shirt blanc et m’éjectais en direction des plages à l’air libre, sous une pluie fine qui n’était pas pour me déplaire. Je longeai le Boulevard des murènes jusqu’à la station service, enjambai les voitures à l’arrêt dans les deux sens, pour me retrouver du bon côté, sans danger et sans souterrain ni parapluie.
Les deux filles que je croisais ne semblaient pas joviales,
pauvres victimes de l'embouteillage monstre !
L'envie et l'ennui fichés dans leurs yeux vides.
Bientôt le crachat devint plus gros et le ciel toujours menaçant, s’assombrit. Je m’arrêtai derrière un tamaris sauvage contre le mur en pierres d’une villa sous une pluie battante. J’avais la raie du cul qui me servait de gouttière. Dix minutes plus tard j’étais trempé jusqu’aux os et, mouillé pour mouillé, je décidai de bouger. Je traversai encore un bout de rocher-savonnette et un bout de plage au sable lourd et collant.
Quand j’arrivais à m’abriter enfin sous l’avancée d’un toit terrasse qui avait servi jadis de restaurant “le glacier”, ce serait mentir que de dire que je ne le remarquai pas. Lui aussi. Il partit à l’angle éloigné du triangle bétonné en détournant les yeux, comme s’il avait peur. Je crois bien que s’il n’avait pas plu à cet instant, il serait sorti du triangle au sec pour partir à l’air libre ; je veux croire aussi qu’autre chose que la flotte l’a retenu de partir. Mais aussi, remarquez, s’il n’avait pas plu, je n’aurais pas été conduit sous cet abri. Nous obéissions tous deux aux lois célestes, et c’est donc tout naturellement qu’il m’ignora.
J’ôtai mon T shirt pour le tordre et c’est peu dire si je récoltais dix litres d’eau ! Le bruit que ça fit en tombant sur le sol dur me fit sourire.
C’est lui qui m’adressa la parole pour engager la conversation. Moi, je m’étais contenté de commenter à voix haute la lourdeur du ciel et le côté insolite de la situation : l’atmosphère était étrange pour un début de moi d’août, pluie oblige.
Il regardait ailleurs, le chapiteau dressé sur la jetée avec les drapeaux qui s’agitaient dans tous les sens. Il dit : Il y a des vaches là bas, elles ne doivent pas tellement apprécier ! Ils feraient mieux de prendre des animaux marins pour ce genre de spectacle aquatique... Il avait de l’humour le gars. Je dis : Des baleines ? Pourquoi pas une baleine. Les gens se déplaceraient avec les gosses pour aller voir agoniser une vraie baleine. J’ai bien vu des éléphants l’autre jour, alors pourquoi pas une baleine ? Si ça continue à flotter comme ça, baleine ou vaches, ils vont devoir annuler leur spectacle.
- Il y a des crabes ici ?
- Non, enfin, des petit oui, mais c’est tout. Tout est petit ici : les coquillages, les crabes, les poissons... Ah ! il fallait débarquer ici il y a trente ans - ce devait être le paradis.
- J’ai vu des photos de crabes dans une île du pacifique qui avaient des pinces énormes et des bras d’un mètre de long. T’es sûr qu’c’était des crabes, dis ? La carapace était grande comme ça.
- Ah non, dis-je, y’a pas ça ici. Dommage pour les baigneurs. Un peu de terreur, ça ferait plaisir. Moi je trouve que ça manque. Si l’eau n’était pas salée, je dirait que c’est trop doux. Si le soleil ne brûlait pas la peau, je dirais que c’est froid. Si les gamines ne se découvraient pas toutes, presque entièrement, je dirais que c’est plat... Mais rien ici n’est comme ailleurs, parce que c’est les vacances, une terre où on oublie tout.
Il m’avait tutoyé le premier, alors je lui dis tu aussi.
- Tu fais ça depuis longtemps ?
- ça fait huit ans.
Il me raconta comment il en était arrivé là, à marcher seul sur les routes de France et de Navarre à la recherche d’une vérité perdue, oubliée.
- Et tu te baignes ?
- Non, pas beaucoup. Quand je me baigne, dit-il, ça me donne la nausée. Après j’ai des nausées. Ça doit être l’eau de mer. Je nage la bouche ouverte. Je peux boire la tasse une, deux trois fois, mais après ça me donne la nausée. C’est pas comme le café ou le vin ou... Il se dirige vers son sac de provision pour sortir une grande bouteille de Fanta orange, l’ouvre, boit une gorgée et la remet dans le sac en plastique.
- Si tu en veux, prends en, c’est bon.
- Non merci, c’est bon.
Je lui ai demandé s’il y avait des “squats” pour passer la nuit au sec, aux Issambres ou ailleurs, et il m’a répondu que ça n’était pas sa préoccupation première. “De toute façon, dit-il, quand je dors je parle, je parle beaucoup.
Il y a des S.D.F. avec leur chien, qui leur sert de couverture en hiver,
Il me parle de son sac à dos où un parapluie ocre dépassait - “je ne le sens plus à force de le porter, c’est même rare que je le dépose à terre, seulement pour dormir, et parfois même je le garde sur les épaules. Une fois j’ai été volé, depuis je me méfie toujours. C’est tout ce que j’ai, ça et mes vêtements...” Il regarde le tuyau de douche à l’angle du mur, il dit : avant ils laissaient l’eau, mais maintenant ils la coupent, c’est bien dommage. Je ne sais pas pourquoi ils font ça.
- Peut-être pour l’économiser ; ça doit appartenir au club de plongée.
- Ah ! l’instinct de propriété.
Je peux te demander une cigarette ?
Je lui en allume une et j’en prends une aussi.
Il se penchait un peu au dehors avec la main tendue pour voir s’il pleuvait toujours.
- C’est facile, pour voir s’il pleut, y’a qu’à regarder la surface de l’eau. Ça me semble bon. Le ciel se levait au loin sur Saint Tropez. Les collines étaient violettes et le ciel clair aux teintes pastel. Un nuage déchiqueté était resté accroché à la colline au dessus de la ville maritime et on aurait dit un volcan en éruption.
- Qu’est-ce que tu faisais avant ?
- J’étais plongeur. (un temps) Le patron du bar m’a viré par ce que j’avais cassé une assiette en la frottant trop fort. En fait, il devait chercher un prétexte pour me sortir parce que l’assiette était fendue. Il m’a dit pour se justifier que j’aurais du le signaler avant, que si c’était arrivé en plein service, les conséquences auraient pu être dramatiques.» Il disait ça sur un ton monocorde, sans passion, comme on lit une liste de courses. Mais il était serein, la tristesse et la révolte étaient parties.
- Les gens sont timorés, dis-je, terrorisés à l’idée de faire mal : cela leur enlève toute humanité.
- Un type m’a dit l’autre jour que je portais ma maison sur mon dos, comme les escargots.
Tu es marié ? Tu as des enfants ?
- Non. Je suis libre.
- Ah libre, c’est un bien grand mot. On imagine tous qu’on est libre parce qu’on a fait ci et qu’on n’a pas fait ça. Moi je dis que la liberté, c’est pas ça. On peut avoir le sentiment d’être libre d’action sans pour autant être libre dans sa tête. Et quand on fait les choses par passion, c’est pas gagné non plus. Parce que les passions s’éteignent comme la bougie sous la pluie - les passions c’est fragile.
- C’est vrai.
Je suis partis le premier et il m’a suivi. Sur le trottoir désert il m’a demandé encore ce que je faisais. Des tableaux. Ah, s’est-il exclamé : je croyais que c’était peintre, peintre... en bâtiment, non. Mais l’un n’empêche pas l’autre. Moi, je préfère la peinture artistique.
Il dit : Je sais pas si tu connais un peintre qui a son atelier là haut dans la colline ? Il y a plein de peintres ici. Y’a plein d’expositions, tu dois t’amuser. Tu fais des expositions ? - Oh non, très rarement, trop peut-être... Au début, je faisais le salon sur la place de San Peire “Les artistes du rocher”, mais pour ce que ça m’a apporté... Je préfère dépenser mon fric en matos de peinture plutôt que de le donner à des experts en rien du tout. Mon amusement c’est la peinture, même si parfois c’est dur, j’aime bien me mesurer à plus fort que moi. C’est ma nature. >>
Ce type était très bon, très doux, rien à faire dans le monde des affaires, ni dans la vie active - il se ferait bouffer tout cru - c’était un artiste. Il était un peu philosophe aussi ; il trouvait, non sans humour, que les gens étaient ingrats et fermés, sûrement plus sauvages que lui - les gens sont cons, souvent. J’en ai vu plus de méchants que de gentils, ça doit être à cause de mon aspect extérieur, ma tenue vestimentaire ou ma barbe. J’espère que c’est ça : l’aspect extérieur. Il me dit aussi qu’il s’intéressait aux astres, au cosmos et à tout ce qui touche l’ésotérique. Il me dit qu’il avait un carnet avec des écrits et surtout, surtout, un livre entier dans la tête. Ce n’était pas urgent de l’écrire, car il redoutait que les gens tombent dessus - il en voulait aux gens, beaucoup. Il avait retrouvé l’espoir pour lui, égoïstement, mais il avait appris que les gens ne changeraient jamais, et que son livre n’y pourrait rien changer. Un artiste quoi. Et à quoi bon changer les gens et les choses, c’est très bien ainsi : des supermarchés, des super entreprises, des supergadjets, des superfilles et des supercons... il n’y a que l’argent qui me gène (rien que ça !) Les animaux n’ont pas d’argent pour vivre et ils sont libres ! les animaux sont libres : cela ne les empêche pas de vivre. Nous, parait-il, nous sommes des animaux intelligents et nous avons le don de nous mettre des bâtons dans les roues ; je ne trouve pas cela très intelligent. Nous avons peur de la mort et nous retardons le plus possible l’échéance fatale avec des règles qui ne sont pas des règles de bonne conduite - parce que ce sont des règles... sélectives. La peur de l’ennui est humaine aussi, l’argent peut occuper et distraire, il peut se charger de régler ce problème. Mais pour quoi faire toutes ces complications ? Pour quoi faire ? Pour aller où ?
Quelques jours plus tard, un soir de ciel bleu, comme j’attendais la bonne position du soleil déjà bas sur la colline pour aller chasser, je vis l’homme qui descendait l’allée de terre dans ma direction. Je crus qu’il me faisait un signe amical de la main et je me levai dans son dos pour le saluer. Il se retourna à mon appel
- Ah ! salut, dit-il, je t’avais pas reconnu avec ta casquette.
- Alors ? Quoi de neuf depuis la dernière fois.
- Je me promène toujours, à la rencontre des autres - c’est ce que je fais en ce moment. Tu as peins aujourd’hui ?
Le contact humain avec lui prenait une autre valeur - celle de ne pas être polit par politesse, bourru par principe... Il me raconta ses rencontres, notamment celle avec un peintre S.D.F. Il dit à son sujet :
- Il doit faire du bouche à bouche. Quand on n’est rien, il faut bien ça, faire du bouche à bouche.
- Du bouche à oreilles, on dit normalement, c’est l’expression !
- Du bouche à bouche, sourit-il, oui, du bouche à oreilles, comme tu veux, c’est ça, oui. C’est pareil. »
Il m’a expliqué qu’avant il avait dessiné et fait quelques peintures “surréalistes”. Pour traduire ses rêves et ses espoirs. Il me dit qu’il faisait toujours la même image de ciel clair avec le soleil couchant sur l’horizon et une voie de chemin de fer qui y allait. Et quand je lui demandai s’il y avait un train dessus, il me répondit naturellement que non, rien sur les rails : Tu étais déjà “hors des rails". Salut.
Alors j’eus la preuve que je lui ressemblais ; c’était une chance pour moi, une aubaine, un honneur.
*
Pardonnez-moi mais je sais que je n’ai pas réussi à rendre l’atmosphère de cette rencontre passagère et fort enrichissante à plus d’un titre. Voilà des années que je voyais ce gars marcher le long des routes, s’arrêter pour regarder la mer, le large, mais je doute fort que lui m’ait jamais remarqué quand j’allais chasser, mon sac à l’épaule (lui l’avait dans le dos). La douceur de cet homme me surprendra toujours et me marquera à jamais. J’espère m’en rappeler longtemps. Le bon sauvage. Moi, sauvage des plages. Pour aller où ? Pour changer quoi ? Nous le savions tous deux, mais c’est un secret que je ne sais pas partager facilement.
Dam.
Il avait plu toute la journée et, sentant l’ennui me gagner, je sortais sans rivaliser plus avant avec le Tic-Tac-Toe qui courait en diagonale et dans les grandes largeurs. J’enfilais un jeans et un T shirt blanc et m’éjectais en direction des plages à l’air libre, sous une pluie fine qui n’était pas pour me déplaire. Je longeai le Boulevard des murènes jusqu’à la station service, enjambai les voitures à l’arrêt dans les deux sens, pour me retrouver du bon côté, sans danger et sans souterrain ni parapluie.
Les deux filles que je croisais ne semblaient pas joviales,
pauvres victimes de l'embouteillage monstre !
L'envie et l'ennui fichés dans leurs yeux vides.
Bientôt le crachat devint plus gros et le ciel toujours menaçant, s’assombrit. Je m’arrêtai derrière un tamaris sauvage contre le mur en pierres d’une villa sous une pluie battante. J’avais la raie du cul qui me servait de gouttière. Dix minutes plus tard j’étais trempé jusqu’aux os et, mouillé pour mouillé, je décidai de bouger. Je traversai encore un bout de rocher-savonnette et un bout de plage au sable lourd et collant.
Quand j’arrivais à m’abriter enfin sous l’avancée d’un toit terrasse qui avait servi jadis de restaurant “le glacier”, ce serait mentir que de dire que je ne le remarquai pas. Lui aussi. Il partit à l’angle éloigné du triangle bétonné en détournant les yeux, comme s’il avait peur. Je crois bien que s’il n’avait pas plu à cet instant, il serait sorti du triangle au sec pour partir à l’air libre ; je veux croire aussi qu’autre chose que la flotte l’a retenu de partir. Mais aussi, remarquez, s’il n’avait pas plu, je n’aurais pas été conduit sous cet abri. Nous obéissions tous deux aux lois célestes, et c’est donc tout naturellement qu’il m’ignora.
J’ôtai mon T shirt pour le tordre et c’est peu dire si je récoltais dix litres d’eau ! Le bruit que ça fit en tombant sur le sol dur me fit sourire.
C’est lui qui m’adressa la parole pour engager la conversation. Moi, je m’étais contenté de commenter à voix haute la lourdeur du ciel et le côté insolite de la situation : l’atmosphère était étrange pour un début de moi d’août, pluie oblige.
Il regardait ailleurs, le chapiteau dressé sur la jetée avec les drapeaux qui s’agitaient dans tous les sens. Il dit : Il y a des vaches là bas, elles ne doivent pas tellement apprécier ! Ils feraient mieux de prendre des animaux marins pour ce genre de spectacle aquatique... Il avait de l’humour le gars. Je dis : Des baleines ? Pourquoi pas une baleine. Les gens se déplaceraient avec les gosses pour aller voir agoniser une vraie baleine. J’ai bien vu des éléphants l’autre jour, alors pourquoi pas une baleine ? Si ça continue à flotter comme ça, baleine ou vaches, ils vont devoir annuler leur spectacle.
- Il y a des crabes ici ?
- Non, enfin, des petit oui, mais c’est tout. Tout est petit ici : les coquillages, les crabes, les poissons... Ah ! il fallait débarquer ici il y a trente ans - ce devait être le paradis.
- J’ai vu des photos de crabes dans une île du pacifique qui avaient des pinces énormes et des bras d’un mètre de long. T’es sûr qu’c’était des crabes, dis ? La carapace était grande comme ça.
- Ah non, dis-je, y’a pas ça ici. Dommage pour les baigneurs. Un peu de terreur, ça ferait plaisir. Moi je trouve que ça manque. Si l’eau n’était pas salée, je dirait que c’est trop doux. Si le soleil ne brûlait pas la peau, je dirais que c’est froid. Si les gamines ne se découvraient pas toutes, presque entièrement, je dirais que c’est plat... Mais rien ici n’est comme ailleurs, parce que c’est les vacances, une terre où on oublie tout.
Il m’avait tutoyé le premier, alors je lui dis tu aussi.
- Tu fais ça depuis longtemps ?
- ça fait huit ans.
Il me raconta comment il en était arrivé là, à marcher seul sur les routes de France et de Navarre à la recherche d’une vérité perdue, oubliée.
- Et tu te baignes ?
- Non, pas beaucoup. Quand je me baigne, dit-il, ça me donne la nausée. Après j’ai des nausées. Ça doit être l’eau de mer. Je nage la bouche ouverte. Je peux boire la tasse une, deux trois fois, mais après ça me donne la nausée. C’est pas comme le café ou le vin ou... Il se dirige vers son sac de provision pour sortir une grande bouteille de Fanta orange, l’ouvre, boit une gorgée et la remet dans le sac en plastique.
- Si tu en veux, prends en, c’est bon.
- Non merci, c’est bon.
Je lui ai demandé s’il y avait des “squats” pour passer la nuit au sec, aux Issambres ou ailleurs, et il m’a répondu que ça n’était pas sa préoccupation première. “De toute façon, dit-il, quand je dors je parle, je parle beaucoup.
Il y a des S.D.F. avec leur chien, qui leur sert de couverture en hiver,
Il me parle de son sac à dos où un parapluie ocre dépassait - “je ne le sens plus à force de le porter, c’est même rare que je le dépose à terre, seulement pour dormir, et parfois même je le garde sur les épaules. Une fois j’ai été volé, depuis je me méfie toujours. C’est tout ce que j’ai, ça et mes vêtements...” Il regarde le tuyau de douche à l’angle du mur, il dit : avant ils laissaient l’eau, mais maintenant ils la coupent, c’est bien dommage. Je ne sais pas pourquoi ils font ça.
- Peut-être pour l’économiser ; ça doit appartenir au club de plongée.
- Ah ! l’instinct de propriété.
Je peux te demander une cigarette ?
Je lui en allume une et j’en prends une aussi.
Il se penchait un peu au dehors avec la main tendue pour voir s’il pleuvait toujours.
- C’est facile, pour voir s’il pleut, y’a qu’à regarder la surface de l’eau. Ça me semble bon. Le ciel se levait au loin sur Saint Tropez. Les collines étaient violettes et le ciel clair aux teintes pastel. Un nuage déchiqueté était resté accroché à la colline au dessus de la ville maritime et on aurait dit un volcan en éruption.
- Qu’est-ce que tu faisais avant ?
- J’étais plongeur. (un temps) Le patron du bar m’a viré par ce que j’avais cassé une assiette en la frottant trop fort. En fait, il devait chercher un prétexte pour me sortir parce que l’assiette était fendue. Il m’a dit pour se justifier que j’aurais du le signaler avant, que si c’était arrivé en plein service, les conséquences auraient pu être dramatiques.» Il disait ça sur un ton monocorde, sans passion, comme on lit une liste de courses. Mais il était serein, la tristesse et la révolte étaient parties.
- Les gens sont timorés, dis-je, terrorisés à l’idée de faire mal : cela leur enlève toute humanité.
- Un type m’a dit l’autre jour que je portais ma maison sur mon dos, comme les escargots.
Tu es marié ? Tu as des enfants ?
- Non. Je suis libre.
- Ah libre, c’est un bien grand mot. On imagine tous qu’on est libre parce qu’on a fait ci et qu’on n’a pas fait ça. Moi je dis que la liberté, c’est pas ça. On peut avoir le sentiment d’être libre d’action sans pour autant être libre dans sa tête. Et quand on fait les choses par passion, c’est pas gagné non plus. Parce que les passions s’éteignent comme la bougie sous la pluie - les passions c’est fragile.
- C’est vrai.
Je suis partis le premier et il m’a suivi. Sur le trottoir désert il m’a demandé encore ce que je faisais. Des tableaux. Ah, s’est-il exclamé : je croyais que c’était peintre, peintre... en bâtiment, non. Mais l’un n’empêche pas l’autre. Moi, je préfère la peinture artistique.
Il dit : Je sais pas si tu connais un peintre qui a son atelier là haut dans la colline ? Il y a plein de peintres ici. Y’a plein d’expositions, tu dois t’amuser. Tu fais des expositions ? - Oh non, très rarement, trop peut-être... Au début, je faisais le salon sur la place de San Peire “Les artistes du rocher”, mais pour ce que ça m’a apporté... Je préfère dépenser mon fric en matos de peinture plutôt que de le donner à des experts en rien du tout. Mon amusement c’est la peinture, même si parfois c’est dur, j’aime bien me mesurer à plus fort que moi. C’est ma nature. >>
Ce type était très bon, très doux, rien à faire dans le monde des affaires, ni dans la vie active - il se ferait bouffer tout cru - c’était un artiste. Il était un peu philosophe aussi ; il trouvait, non sans humour, que les gens étaient ingrats et fermés, sûrement plus sauvages que lui - les gens sont cons, souvent. J’en ai vu plus de méchants que de gentils, ça doit être à cause de mon aspect extérieur, ma tenue vestimentaire ou ma barbe. J’espère que c’est ça : l’aspect extérieur. Il me dit aussi qu’il s’intéressait aux astres, au cosmos et à tout ce qui touche l’ésotérique. Il me dit qu’il avait un carnet avec des écrits et surtout, surtout, un livre entier dans la tête. Ce n’était pas urgent de l’écrire, car il redoutait que les gens tombent dessus - il en voulait aux gens, beaucoup. Il avait retrouvé l’espoir pour lui, égoïstement, mais il avait appris que les gens ne changeraient jamais, et que son livre n’y pourrait rien changer. Un artiste quoi. Et à quoi bon changer les gens et les choses, c’est très bien ainsi : des supermarchés, des super entreprises, des supergadjets, des superfilles et des supercons... il n’y a que l’argent qui me gène (rien que ça !) Les animaux n’ont pas d’argent pour vivre et ils sont libres ! les animaux sont libres : cela ne les empêche pas de vivre. Nous, parait-il, nous sommes des animaux intelligents et nous avons le don de nous mettre des bâtons dans les roues ; je ne trouve pas cela très intelligent. Nous avons peur de la mort et nous retardons le plus possible l’échéance fatale avec des règles qui ne sont pas des règles de bonne conduite - parce que ce sont des règles... sélectives. La peur de l’ennui est humaine aussi, l’argent peut occuper et distraire, il peut se charger de régler ce problème. Mais pour quoi faire toutes ces complications ? Pour quoi faire ? Pour aller où ?
Quelques jours plus tard, un soir de ciel bleu, comme j’attendais la bonne position du soleil déjà bas sur la colline pour aller chasser, je vis l’homme qui descendait l’allée de terre dans ma direction. Je crus qu’il me faisait un signe amical de la main et je me levai dans son dos pour le saluer. Il se retourna à mon appel
- Ah ! salut, dit-il, je t’avais pas reconnu avec ta casquette.
- Alors ? Quoi de neuf depuis la dernière fois.
- Je me promène toujours, à la rencontre des autres - c’est ce que je fais en ce moment. Tu as peins aujourd’hui ?
Le contact humain avec lui prenait une autre valeur - celle de ne pas être polit par politesse, bourru par principe... Il me raconta ses rencontres, notamment celle avec un peintre S.D.F. Il dit à son sujet :
- Il doit faire du bouche à bouche. Quand on n’est rien, il faut bien ça, faire du bouche à bouche.
- Du bouche à oreilles, on dit normalement, c’est l’expression !
- Du bouche à bouche, sourit-il, oui, du bouche à oreilles, comme tu veux, c’est ça, oui. C’est pareil. »
Il m’a expliqué qu’avant il avait dessiné et fait quelques peintures “surréalistes”. Pour traduire ses rêves et ses espoirs. Il me dit qu’il faisait toujours la même image de ciel clair avec le soleil couchant sur l’horizon et une voie de chemin de fer qui y allait. Et quand je lui demandai s’il y avait un train dessus, il me répondit naturellement que non, rien sur les rails : Tu étais déjà “hors des rails". Salut.
Alors j’eus la preuve que je lui ressemblais ; c’était une chance pour moi, une aubaine, un honneur.
*
Pardonnez-moi mais je sais que je n’ai pas réussi à rendre l’atmosphère de cette rencontre passagère et fort enrichissante à plus d’un titre. Voilà des années que je voyais ce gars marcher le long des routes, s’arrêter pour regarder la mer, le large, mais je doute fort que lui m’ait jamais remarqué quand j’allais chasser, mon sac à l’épaule (lui l’avait dans le dos). La douceur de cet homme me surprendra toujours et me marquera à jamais. J’espère m’en rappeler longtemps. Le bon sauvage. Moi, sauvage des plages. Pour aller où ? Pour changer quoi ? Nous le savions tous deux, mais c’est un secret que je ne sais pas partager facilement.
Dam.
Re: Le S.D.F des plages.
En tout cas, j'y étais...
Ratoune- MacadAccro
- Messages : 1891
Date d'inscription : 01/09/2009
Re: Le S.D.F des plages.
Ben il est passé où mon com que j'avais mis?
J'ai bien aimé ton texte et surtout le fond avec ce partage qui ne peut que marquer.
Je suis contente d'y être revenue.
J'ai bien aimé ton texte et surtout le fond avec ce partage qui ne peut que marquer.
Je suis contente d'y être revenue.
Re: Le S.D.F des plages.
Sylvie, je dois manquer d’applomb et de concentration en ce moment (peut-être le froid - mystère et boule de gomme/neige) ou un coup du sort ? Toujours est-il que c’est étrange (peut-être que mon Sauvage n’y est pas étranger non plus ?) En tout cas merci à toi.
Dam, quoi qu’il en soit.
Dam, quoi qu’il en soit.
re
Je remonte celle-ci (avec cet extrait qui me parle énormément) et j'en profite pour te souhaiter une excellente année Dam.
- Les gens sont timorés, dis-je, terrorisés à l’idée de faire mal : cela leur enlève toute humanité.
- Un type m’a dit l’autre jour que je portais ma maison sur mon dos, comme les escargots.
Tu es marié ? Tu as des enfants ?
- Non. Je suis libre.
- Ah libre, c’est un bien grand mot. On imagine tous qu’on est libre parce qu’on a fait ci et qu’on n’a pas fait ça. Moi je dis que la liberté, c’est pas ça. On peut avoir le sentiment d’être libre d’action sans pour autant être libre dans sa tête. Et quand on fait les choses par passion, c’est pas gagné non plus. Parce que les passions s’éteignent comme la bougie sous la pluie - les passions c’est fragile.
- C’est vrai.
- Les gens sont timorés, dis-je, terrorisés à l’idée de faire mal : cela leur enlève toute humanité.
- Un type m’a dit l’autre jour que je portais ma maison sur mon dos, comme les escargots.
Tu es marié ? Tu as des enfants ?
- Non. Je suis libre.
- Ah libre, c’est un bien grand mot. On imagine tous qu’on est libre parce qu’on a fait ci et qu’on n’a pas fait ça. Moi je dis que la liberté, c’est pas ça. On peut avoir le sentiment d’être libre d’action sans pour autant être libre dans sa tête. Et quand on fait les choses par passion, c’est pas gagné non plus. Parce que les passions s’éteignent comme la bougie sous la pluie - les passions c’est fragile.
- C’est vrai.
léo- MacadAccro
- Messages : 1224
Date d'inscription : 25/03/2010
Age : 40
Localisation : Nord
Re: Le S.D.F des plages.
Oui Léo, les passions sont fragiles (il faut les faire vivre) et la vie est dure (dixit mon Bon sauvage). Au delà de ça, et sans doute le plus difficile à faire, c’est admettre ses passions comme une raison d’être (et pas comme un extra, voire un luxe). On n’est pas dans la mode là, dans le prêt à porter. Merci en tout cas d’y avoir vu juste. Et tous mes voeux pour toi aussi !
Dam.
Dam.
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