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Message  zenobi Mer 28 Mar - 19:04

Plafonds









Nous nous étions installés tous les
trois dans la même chambre d'un hôtel de la médina. Les draps étaient douteux,
les sommiers pouilleux ; la peinture devait dater de l'an un de l'Hégire, elle
s'en allait par plaques des murs et suscitait la convoitise des trafiquants de
reliques ; il n'y avait pas de fenêtre et les vingt-cinq watts de l'ampoule nue
qui pendait à plus de trois mètres ne nous permettaient guère que
d'entr'apercevoir les colonies de cafards qui batifolaient dans ce cloaque. Il
faut dire qu'ils ne payaient pas, eux.



Les murs exsudaient je ne veux
savoir quels relents fétides d'urine, de vomi, de sperme rance. Je suppose que
le premier jour nous avions dû nous boucher les narines et nous voiler la face
avec le tchador du "cachet local".



Au bout d'une semaine ne subsistait
que l'écœurement. Mes compagnons, pourtant, semblaient s'accommoder des lieux
et même s'y complaire. J'avais essayé, au début, d'user de toute mon éloquence
pour les en extraire. Une tenaille d'arracheur de temps aurait été plus
efficace. Alors, j'avais renoncé. Aussi, les abandonnais-je bientôt et
parcourus seul les rues et les venelles de la ville, poussant de plus en plus
souvent vers la campagne alentour, partant tôt le matin pour ne rentrer fourbu
qu'à la nuit tombée.



Je marchais sans penser, me diluant
sous le soleil et, seuls, m'extirpaient parfois de mon hébétude le charbonneux
regard d'une inconnue voilée ou les rires insolents d'enfants déguenillés.



Exténué, j'allais m'asseoir sous les
oliviers, dans la poussière chaude et suivais des yeux la procession lente des
passants, des muletiers. Il m'arrivait aussi, loin des places inondées de
touristes, à la périphérie miséreuse de la ville, d'ôter mes chaussures et de
me reposer sur les nattes crasseuses de quelque café où, usant de mon maigre
vocabulaire, je réclamais "atey". On me l'apportait bouillant dans un
verre souillé décoré de palmiers ou de minarets et je le sirotais à petites
gorgées gourmandes. Accroché au mur, immanquablement, me fixait le portrait du
roi, flanqué quelques fois de chromos représentant une fantasia sous un ciel
trop bleu.



De temps à autre, des joueurs de
cartes aux djellabas maculées et imprégnées d'odeurs de bouc, ou de vieux
palabreurs aux yeux jaunes m'offraient leur sebsi encore saliveuse ; en retour,
je commandais au patron une théière et l'un d'eux nous servait
cérémonieusement, mettant un point d'honneur à lever le récipient plus haut
qu'il n'était nécessaire.



Marc et Sophie saluaient mon retour
d'un vague "hello! " et me tendaient le joint en cours. Je me frayais
un chemin entre les lits, les godasses, les sous-vêtements, écrasant au passage
sous mes souliers crissant quelques milliers de cafards trop séniles pour
s'enfuir et m'affalais sur mon grabat, au milieu de mes deux larrons.



Je ne crois pas que le sexe tenait
une grande place dans leurs relations. Sans doute s'accouplaient-ils de temps à
autre. Ils se levaient tard, j'imagine, et traînassaient autour de leur tanière
en compagnie d'un quelconque sous-dealer.



La torpeur haschischine, celle-là
même qui me poussait à arpenter les rues de la ville, le pas vif et l'esprit
vide, les plongeait dans un brouillard mou et onirique où l'autre était réduit
à la portion congrue.



Nous faisions caisse commune et
cachions l'argent dans une chaussette au fond de mon sac. Vous ne me croiriez
pas si je vous disais que je n'y ai même pas pensé, quand j'ai décidé de
prendre mes cliques et mes claques et de leur tirer ma révérence. C'était
l'après-midi. J'espérais ne pas les rencontrer afin d'éviter des explications.
Les dieux étaient avec moi. D'ailleurs, les muezzins, de leurs voix éraillées,
toujours à la limite de l'extinction, proclamaient la grandeur d'Allah.



Je me suis installé prés de la place
des conteurs, un coin où j'étais certain qu'ils ne s'aventureraient jamais,
dans un gîte de la même catégorie que celui que je venais de quitter. Les
cafards et les odeurs étaient les mêmes. Mais la peinture récente. C'est
peut-être pour cela qu'il était moins cher.



Cela fait quinze jours, maintenant.
Ils sont rentrés, forcément. J'ai repris mes promenades. L'argent peut bien
durer encore un mois, un mois et demi peut-être. Je n'ai pas envie de calculer.
Il durera ce qu'il doit durer. Après ? Après on verra.



Ce matin, je me suis réveillé
l'esprit encore embué par le kif, mais une idée étonnamment claire avait germé
pendant la nuit. J'ai acheté un crayon, une enveloppe et un timbre. Sur un bout
de papier que j'ai ramassé par terre, je l'ai notée, pour la leur envoyer :






Mon plafond est blanc comme la
plupart des plafonds



Il y a pourtant des jours où je
trouve ma vie



Extraordinaire





La lettre est dans ma poche. Un de ces jours, sans
doute, je la leur enverrai.
zenobi
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Message  Carmen P. Jeu 3 Mai - 7:45

Bien écrit Zenobi, même si je ne peux imaginer l'état d'esprit de quelqu'un qui déambule après avoir fumé du kif. Enfin il a quand même ce désir de sortir de la chambre, contrairement au couple d'amis... de découvrir autre chose... et la poésie vient !
(l'argent aura été plus utile ainsi !)
Carmen P.
Carmen P.
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Message  zenobi Lun 4 Juin - 13:40

Merci de ta réponse.
C'est un conte immoral, à mes yeux. (Ou amoral?)
zenobi
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Message  Sylvie Lun 4 Juin - 17:38

Je vais fonctionner par paragraphe :

1ere partie


« Elle s'en allait par plaques des murs » : j'aurais plutôt mis : «  Elle s'en allait des mûrs par plaques »

La première partie fait peur surtout côté « cafards » berk !

2eme partie

Un complément de la première mais avec encore plus d'horreur !

3eme partie


« Aussi, les abandonnais-je bientôt et
parcourus seul les rues »

Dans ce passage, y a un petit problème qui est que
si « tu les abandonnes » automatiquement, tu seras seul !
Non ??

4eme partie

Chapeau pour avoir trouvé la façon la plus surprenante
de tourner un événement. J'ai même cherché qui était
« seulS » et « extirpaient » ! j'ai bien aimé

5eme partie

bien sympa

6eme partie

« De temps à autre, des joueurs de
cartes aux djellabas maculées et imprégnées d'odeurs de bouc, ou de vieux
palabreurs aux yeux jaunes... »

Ce passage m'a bien plu et j'avoue que ça m'a même fait rire.

7eme 8eme et 9eme partie

Marc et Sophie ( de la série???( à 2 balles j'en conviens )

J'ai trouvé ces 3 passages un peu embrouillés et j'avoue que ça m'a un peu
embrouillée et du coup j'ai perdu mon dynamisme du début.


10 eme partie


« Nous faisions caisse commune » Qui ? Avec Marc et Sophie ?

Ce qui fait que j'ai eu quelques difficultés à comprendre
( mais ça vient peut être de moi ? Alors je relirais

Pour la fin, elle est superbe, ce poème est vraiment réussi.

Et ta dernière phrase aussi. Wink

PS : Je me suis permise toutes ces réflexions pour te
montrer que j'ai bien tout lu et que je m'y suis intéressée:)
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Message  zenobi Dim 10 Juin - 17:15

Ravi de ta lecture.
Il les abandonne, et donc, effectivement, se retrouve seul. la formule est redondante. Je voulais juste montrer qu'il ne recherchait pas d'autre compagnie.
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Message  franskey Lun 11 Juin - 15:21

Atmosphère atmosphère... très bien rendue, l'atmosphère... elle éveille aussi en moi des souvenirs de globe trotteur-sans-un-sou- en-poche-sur-les routes d'Asie où des hippies efflanqués à la tête embrumée s'échangeaient de "bons" tuyaux sur les bouges du crû...
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Message  LauraDavies Lun 11 Juin - 18:40

Qu’importe le plafond ou le flacon !
A Kathmandou ou à Tanger, pourvu que l’ivresse…
Ambiance réussie pour le lecteur.
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Message  zenobi Jeu 14 Juin - 15:22

Merci.
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