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Ian Khyrtaz et la Fille-Trompette.
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Ian Khyrtaz et la Fille-Trompette.
Il était une fois deux adultes très gentils, très
intelligents, mais très seuls. Depuis plusieurs années ils tentaient d’avoir un
enfant sans y parvenir. Leur entourage faisait ce qu’il pouvait, mais ça
n’était pas drôle. Ils virent des médecins, des
gens-qui-savent-d’où-vient-la-vie, des chamans à barbes entortillées, des
philosophes à petites lunettes rondes, partirent aux quatre coins du monde pour
changer d’air et revinrent bredouilles. Ils approchaient la trentaine et
commencèrent de se sentir vieux, inutiles et moches.
Avec les mois qui passaient vint la déprime. L’homme passait
son temps dans un fauteuil rembourré à grogner et gober des mouches. La femme
commença de parler à son balai et tentait de s’envoler par les fenêtres. Leur
maison tomba dans un état épouvantable, et ils perdirent tous leurs amis.
Il en restait pourtant un : leur voisin, Monsieur
Khyrtaz, le vieil aigri de la maison d’en face. C’était un ronchon qui se
rappelait un peu trop du passé, du temps qu’il était chef d’orchestre. Un jour,
lassé du fracas des tambours et d’être adulé par la presse, il s’était réfugié
dans la masure la plus loin des villes, la plus ancienne et la plus sordide
qu’il avait pu trouver. Mais quand on s’appelle Ian Khyrtaz et qu’on a dirigé
l’orchestre philarmonique de Berlin, l’anonymat n’est pas en option. Pendant
des années, la presse s’était vengée de lui : épié par les paparazzis,
insulté par ses pairs, il avait acquis une réputation d’ogre.
Seuls, ses petits voisins d’en face dans leur maison rose
trouvaient grâce à ses yeux : Ian Khyrtaz aimait bien sa déprime, mais il
ne supportait pas celle des autres.
Un jour qu’il leur rendait visite, il sentit monter les
larmes : le couple, hier amoureux et charmant, ne s’adressait plus la
parole. L’homme avait soigneusement commencé de démonter la télé et lui
expliqua qu’il comptait la cuisiner en lasagnes. La femme grimpait aux arbres,
s’étonnait de ne pas y trouver un enfant, et retournait griffer les murs. Ian
blêmit. Tout ça était allé trop loin. Il repartit chez lui, lourd dans ses
charentaises, courbé sous le vent, et retourna chez eux. Là il posa sa vieille
platine vinyle, et choisissant avec soin, y déposa religieusement un disque.
Le diamant grattait la surface en spirale, et la musique
commença de s’élever. Ian s’assit dans le vieil escalier de la maison. Il
sentait vibrer en lui un passé si fort, si proche à cet instant, que les larmes
montèrent à nouveau. L’homme interrompit son bricolage et, tel un somnambule,
vint se poster à côté de la platine. La femme l’y rejoignit et prit sa main
sans s’en rendre compte. Aïda. La Marche des Trompettes. Ian riait, maintenant,
redressé sur sa marche, ses mains fines posées sur sa canne. Aïda. La mélodie
tournait, Verdi riait dans la maison, et ce fut comme un vent de couleurs
autour.
Le lendemain fut un drôle de jour : il y eut,
consécutivement, la plus grande joie et le plus grand drame. Un paparazzi
filait sur son scooter, porteur du cliché du mois : Ian Khyrtaz était
mort. On l’avait retrouvé sur son porche, bavant sur le bois vermoulu, un grand
sourire aux lèvres. Au même moment, on criait de joie dans la maison
rose : la jeune femme était enceinte. Il fallut, il paraît, à peine huit
mois : l’enfant était pressé de sortir.
Pourtant, on lui nota dès quelques mois une particularité
bizarre : son nez, à mesure qu’elle grandissait, semblait devenir de plus
en plus jaune. Ses parents, dont l’agenda était fourni depuis leur déprime,
consultèrent à nouveau sages, scientifiques et oracles : ne sachant qu’en
penser, ils diagnostiquèrent tour à tour une jaunisse nasalisée, une allergie
au citron, un trouble de la fidélité amoureuse dans le futur. Découragés, les
parents virent la chose empirer de jour en jour : bientôt, le nez de
l’enfant commença de s’allonger, de se plier, tordre et torsader, chaque jour
plus long et couleur d’or. Vers ses deux ans, le doute ne fut plus
permis : le nez ne bougeait plus et avait pris sa forme définitive, celle
d’une trompette.
Horrifiés, les parents tentaient d’en rire, réconfortaient
l’enfant qui, en grandissant, commença de subir des attaques physiques
permanentes. Lorsqu’un joli garçon refusa de l’embrasser parce que, disait-il,
il n’aimait pas trop les nez en trompette, elle résolut d’en finir. Un soir
elle fit un baluchon, sortit, détacha son vélo et roula longtemps dans le noir.
A vrai dire, à mesure que les heures passaient, il lui
semblait que cette nuit n’avait pas de fin.
Elle parvint dans une ville abandonnée. Il était près de
trois heures du matin, elle n’avait pas sommeil. Résolue, elle s’enfonça dans
un bois des environs pour y passer la nuit. Le vent qui passait dans son nez
d’or rendait un drôle de son pincé. Bientôt la forêt commença de changer de
forme : les arbres devenaient de plus en plus cubiques et de plus en plus
rapprochés. Ils semblaient s’agglutiner les uns aux autres, se renfermer autour
d’elle. Bravant la peur, elle continua de pédaler. Elle commença d’entendre du
bruit, et perçut de la lumière : elle déboula, d’un seul coup, dans un
village. Autour la forêt ne formait plus qu’un voile opaque.
Un vieil homme soutenu par une canne vint à elle : bonsoir,
ma petite demoiselle, dit-il. Vous venez pour l’orchestre ? Croyant à une
nouvelle moquerie, elle tâchait tant bien que mal de cacher son nez rutilant, y
plaquant ses doigts, rendant par mégarde quelques notes. Echauffez-vous si vous
voulez, dit-il en souriant, mais pour commencer, nous n’attendrons
personne ! Et il s’en fut, claudiquant, vers le centre du village d’où
montait la musique.
A vrai dire, c’était un tellement drôle d’endroit, avec ses
vieilles baraques dont toutes les fenêtres, sans exception, étaient de
magnifiques vitraux, que la fillette décida de le suivre. Ils passèrent
quelques maisons, et débouchèrent sur la place centrale : elle contempla,
sans y croire, une gigantesque assemblée à son image. Là, un type au
bras-guitare tendait d’accorder son instrument ; un gros homme-tambour se
frappait le ventre avec mimiques, bouche ouverte pour donner toute sa force au
son ; et surtout, là-bas, au fond, tout un parterre d’enfants-trompettes,
dont un morceau de jambe, un doigt parfois, ou une oreille, avaient les mêmes
circonvolutions bizarres que son nez. Une femme-triangle lui annonça, l’air
grave, que ce soir on jouait Aïda.
Jetant un dernier regard au sombre brouillard du tour, la
petite fille s’avança, et se rangea dans les rangs qui achevaient de
s’accorder. Elle entendit de l’homme-tuba, sans comprendre, qu’on jouait ce
soir ‘au tempo Khyrtaz’. Quoi que ce soit, ça avait vraiment l’air chouette.
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intelligents, mais très seuls. Depuis plusieurs années ils tentaient d’avoir un
enfant sans y parvenir. Leur entourage faisait ce qu’il pouvait, mais ça
n’était pas drôle. Ils virent des médecins, des
gens-qui-savent-d’où-vient-la-vie, des chamans à barbes entortillées, des
philosophes à petites lunettes rondes, partirent aux quatre coins du monde pour
changer d’air et revinrent bredouilles. Ils approchaient la trentaine et
commencèrent de se sentir vieux, inutiles et moches.
Avec les mois qui passaient vint la déprime. L’homme passait
son temps dans un fauteuil rembourré à grogner et gober des mouches. La femme
commença de parler à son balai et tentait de s’envoler par les fenêtres. Leur
maison tomba dans un état épouvantable, et ils perdirent tous leurs amis.
Il en restait pourtant un : leur voisin, Monsieur
Khyrtaz, le vieil aigri de la maison d’en face. C’était un ronchon qui se
rappelait un peu trop du passé, du temps qu’il était chef d’orchestre. Un jour,
lassé du fracas des tambours et d’être adulé par la presse, il s’était réfugié
dans la masure la plus loin des villes, la plus ancienne et la plus sordide
qu’il avait pu trouver. Mais quand on s’appelle Ian Khyrtaz et qu’on a dirigé
l’orchestre philarmonique de Berlin, l’anonymat n’est pas en option. Pendant
des années, la presse s’était vengée de lui : épié par les paparazzis,
insulté par ses pairs, il avait acquis une réputation d’ogre.
Seuls, ses petits voisins d’en face dans leur maison rose
trouvaient grâce à ses yeux : Ian Khyrtaz aimait bien sa déprime, mais il
ne supportait pas celle des autres.
Un jour qu’il leur rendait visite, il sentit monter les
larmes : le couple, hier amoureux et charmant, ne s’adressait plus la
parole. L’homme avait soigneusement commencé de démonter la télé et lui
expliqua qu’il comptait la cuisiner en lasagnes. La femme grimpait aux arbres,
s’étonnait de ne pas y trouver un enfant, et retournait griffer les murs. Ian
blêmit. Tout ça était allé trop loin. Il repartit chez lui, lourd dans ses
charentaises, courbé sous le vent, et retourna chez eux. Là il posa sa vieille
platine vinyle, et choisissant avec soin, y déposa religieusement un disque.
Le diamant grattait la surface en spirale, et la musique
commença de s’élever. Ian s’assit dans le vieil escalier de la maison. Il
sentait vibrer en lui un passé si fort, si proche à cet instant, que les larmes
montèrent à nouveau. L’homme interrompit son bricolage et, tel un somnambule,
vint se poster à côté de la platine. La femme l’y rejoignit et prit sa main
sans s’en rendre compte. Aïda. La Marche des Trompettes. Ian riait, maintenant,
redressé sur sa marche, ses mains fines posées sur sa canne. Aïda. La mélodie
tournait, Verdi riait dans la maison, et ce fut comme un vent de couleurs
autour.
Le lendemain fut un drôle de jour : il y eut,
consécutivement, la plus grande joie et le plus grand drame. Un paparazzi
filait sur son scooter, porteur du cliché du mois : Ian Khyrtaz était
mort. On l’avait retrouvé sur son porche, bavant sur le bois vermoulu, un grand
sourire aux lèvres. Au même moment, on criait de joie dans la maison
rose : la jeune femme était enceinte. Il fallut, il paraît, à peine huit
mois : l’enfant était pressé de sortir.
Pourtant, on lui nota dès quelques mois une particularité
bizarre : son nez, à mesure qu’elle grandissait, semblait devenir de plus
en plus jaune. Ses parents, dont l’agenda était fourni depuis leur déprime,
consultèrent à nouveau sages, scientifiques et oracles : ne sachant qu’en
penser, ils diagnostiquèrent tour à tour une jaunisse nasalisée, une allergie
au citron, un trouble de la fidélité amoureuse dans le futur. Découragés, les
parents virent la chose empirer de jour en jour : bientôt, le nez de
l’enfant commença de s’allonger, de se plier, tordre et torsader, chaque jour
plus long et couleur d’or. Vers ses deux ans, le doute ne fut plus
permis : le nez ne bougeait plus et avait pris sa forme définitive, celle
d’une trompette.
Horrifiés, les parents tentaient d’en rire, réconfortaient
l’enfant qui, en grandissant, commença de subir des attaques physiques
permanentes. Lorsqu’un joli garçon refusa de l’embrasser parce que, disait-il,
il n’aimait pas trop les nez en trompette, elle résolut d’en finir. Un soir
elle fit un baluchon, sortit, détacha son vélo et roula longtemps dans le noir.
A vrai dire, à mesure que les heures passaient, il lui
semblait que cette nuit n’avait pas de fin.
Elle parvint dans une ville abandonnée. Il était près de
trois heures du matin, elle n’avait pas sommeil. Résolue, elle s’enfonça dans
un bois des environs pour y passer la nuit. Le vent qui passait dans son nez
d’or rendait un drôle de son pincé. Bientôt la forêt commença de changer de
forme : les arbres devenaient de plus en plus cubiques et de plus en plus
rapprochés. Ils semblaient s’agglutiner les uns aux autres, se renfermer autour
d’elle. Bravant la peur, elle continua de pédaler. Elle commença d’entendre du
bruit, et perçut de la lumière : elle déboula, d’un seul coup, dans un
village. Autour la forêt ne formait plus qu’un voile opaque.
Un vieil homme soutenu par une canne vint à elle : bonsoir,
ma petite demoiselle, dit-il. Vous venez pour l’orchestre ? Croyant à une
nouvelle moquerie, elle tâchait tant bien que mal de cacher son nez rutilant, y
plaquant ses doigts, rendant par mégarde quelques notes. Echauffez-vous si vous
voulez, dit-il en souriant, mais pour commencer, nous n’attendrons
personne ! Et il s’en fut, claudiquant, vers le centre du village d’où
montait la musique.
A vrai dire, c’était un tellement drôle d’endroit, avec ses
vieilles baraques dont toutes les fenêtres, sans exception, étaient de
magnifiques vitraux, que la fillette décida de le suivre. Ils passèrent
quelques maisons, et débouchèrent sur la place centrale : elle contempla,
sans y croire, une gigantesque assemblée à son image. Là, un type au
bras-guitare tendait d’accorder son instrument ; un gros homme-tambour se
frappait le ventre avec mimiques, bouche ouverte pour donner toute sa force au
son ; et surtout, là-bas, au fond, tout un parterre d’enfants-trompettes,
dont un morceau de jambe, un doigt parfois, ou une oreille, avaient les mêmes
circonvolutions bizarres que son nez. Une femme-triangle lui annonça, l’air
grave, que ce soir on jouait Aïda.
Jetant un dernier regard au sombre brouillard du tour, la
petite fille s’avança, et se rangea dans les rangs qui achevaient de
s’accorder. Elle entendit de l’homme-tuba, sans comprendre, qu’on jouait ce
soir ‘au tempo Khyrtaz’. Quoi que ce soit, ça avait vraiment l’air chouette.
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Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: Ian Khyrtaz et la Fille-Trompette.
Ouep, j'ai beaucoup aime ce conte un peu surrealiste ; ca se lit bien et il est plausible dans son imaginaire. Sinon, ca me rappelle un truc que j'avais ecrit il y a deux ans ou il est question aussi d'enfant "pas comme les autres"et de membres corporels. Le conte s'appelle "Sami"; si l'envie me prend je le posterai dans cette categorie. Bravo encore.
Portefaix- MacadAdo
- Messages : 95
Date d'inscription : 04/12/2012
Re: Ian Khyrtaz et la Fille-Trompette.
Je vais y revenir car ça m'intéresse.
...à suivre
( ça me fait plaisir de te retrouver )
...à suivre
( ça me fait plaisir de te retrouver )
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