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Zouar de Corbalioz.

4 participants

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Zouar de Corbalioz. Empty Zouar de Corbalioz.

Message  Zlatko Mar 25 Déc - 13:54

On était au
vingtième Siècle, et Zouar de Corbalioz était un chimiste réputé. Son
dernier livre, La mémoire des clémentines, introduisant la théorie
révolutionnaire d’une conservation par les cellules fruitières de
l’endroit où elles ont poussé (une sorte de nostalgie) avait été vendu à
plus de trois cent mille exemplaires. Les éditeurs se l’arrachaient.
Les savants du monde entier, curieux de cet énergumène, se disputaient
pour le voir. Il était sans trembler, à trente-huit ans, au sommet de sa
vigueur et de son art.

La conversation de Zouar de Corbalioz était sans pareille : on disait
de lui qu’il ne pensait qu’en nombres et en schémas. L’une de ses
maîtresses décrivit, dans un roman qui fit bazar, la façon qu’il avait
de lui murmurer des formules à l’oreille et de réciter, dans les moments
critiques, la classification périodique des éléments en italien. Un
journaliste vit en lui le fameux mélange d’un Dali, d’un Einstein, et
d’un quelconque escroc comme les gens les aiment. C’était assez pour
faire paraître, toutes les quinzaines, un édito expliquant aux bonnes
âmes qu’il était le genre d’homme qu’on admire.

Pourtant, de Corbalioz souffrait de la mélancolie des stars. Les
hommes jalousaient son intelligence, les femmes s’ennuyaient. Il avait
beau sortir le soir et leur expliquer la composition atomique du sable,
la sphéricité imparfaite des planètes et la prodigieuse réaction
produite au contact d’un dromadaire et d’un tricycle, elles le fuyaient.
Acclamé par les médias, désespéré, il s’enferma un jour dans sa cave et
entreprit de nouvelles recherches.

Après de furieuses réflexions, il fut convaincu d’une chose : La
mémoire des clémentines ayant fait son succès, il fallait axer ses
recherches sur un sujet semblable. Il réunit ses dernières boîtes de
conserve, se munit de tubes à essai, de substances dangereuses, d’un
masque-à-gaz de cabaret orné de plumes, enfila son plus joli tablier et
se mit au travail. La possibilité de dresser les poires à faire le
poirier échoua – de peu, il ne leur manquait que les mains. Il tenta
d’inoculer la jaunisse à des citrons sans résultat probant. Il
enchaînait les échecs sans faire mat.

La quatorzième expérience lui rendit espoir : il avait réussi à
prouver l’écrasante supériorité des raviolis sur les lasagnes. Ceux-ci,
quoique moins consistants en apparence, résistaient une semaine dans un
tube à essai lorsqu’on les plongeait dans l’acide. Les lasagnes
faisaient moitié moins bien. Il commença de rédiger sa thèse.

Le lendemain, un évènement inattendu changea ses plans : de retour de
son rituel café à Montmartre, il tomba sur la carriole d’un
bouquiniste. Un petit livre blanc trônait tout en haut d’une pile : Le
Parfum, de Patrick Süskind. Il se plongea dans le livre qu’il termina,
affamé, en deux jours. On était jeudi. Assit sur son lit, il songea que
le temps n’était plus aux clémentines et aux lasagnes : il serait le
nouveau Jean-Baptiste Grenouille de son siècle, à ceci près qu’il ne
s’occuperait pas des odeurs du corps mais de celles de l’esprit. Il
allait diluer l’amour, porter la paresse à ébullition, séparer les
électrons de l’angoisse.

Étourdi par ce programme, il se servit un petit whisky qui installa
en lui une certitude : la palette des émotions humaines était trop
grande… Il fallait n’en étudier qu’une. S’imposa celle qui lui était
quotidienne : la solitude.

Ce même vingtième Siècle retrouva Zouar de Corbalioz consultant son
agenda de connaissances (fourni comme celui des stars). Il parapha à la
hâte quatre noms ; ces gens-là étaient probablement les plus sordides
qu’il connaissait. Leur solitude était immense, ils faisaient peine à
voir, c’était parfait. Il sonna le lendemain chez le premier ministre,
un homme très bête, très influent et très seul. Il lui fit une piqûre
d’un sérum qu’il avait concocté dans la nuit, opérant une dialyse à
partir d’encens d’église dont de Corbalioz était certain qu’il contenait
de quoi filtrer les émotions humaines. La piqûre se faisait évidemment
dans le cerveau, ce qui est un peu douloureux mais les hommes politiques
ont la peau dure. Suivirent trois autres visites.

Un écrivain fauché du 6ème, que sa solitude éclairée avait rendu
agoraphobe et gâteux. Ses divers bouquins ne traitaient que de solitude.
A quarante-trois ans, définitivement cuit, il avait sorti une apologie
des petites cuillères : la brillance de la lumière sur l’inox, la
perfection de leurs lignes, leur utilité incontestable et quotidienne
contrastaient si bien, écrivait-il, avec la constitution foireuse de
l’Homme, qu’il fallait d’urgence remplacer le culte du Christ (homme
comme les autres) par le leur. De Corbalioz fit la piqûre avec
appréhension, en espérant que son idéologie païenne n’altèrerait pas le
sérum.

Il rendit ensuite visite à Madame L., résidente d’un immeuble pourri
de Grenoble, personne seule s’il en fût. Il l’avait rencontré à
l’occasion de la sortie de son livre. Cette brave femme était folle de
clémentines : horrifiée d’apprendre que son aliment principal avait une
mémoire, elle lui avait rendu visite lors d’une conférence. Il lui avait
fallu la rassurer sur le non-cannibalisme de la chose. Il avait
entre-temps appris que depuis le départ de ses enfants, elle vivait une
solitude absolue, presque crade, qui incluait sa chambre à coucher.
Zouar de Corbalioz, considérant sa misère amoureuse, avait prit son
numéro. Il dût sacrifier un peu de son intégrité pieuse mais la piqûre
fut faite.

Le quatrième et dernier gagnant fut plus difficile à trouver : un
esquimau rencontré par hasard, dans un bar, pendant un voyage au Canada.
L’homme avait lu La mémoire des clémentines et, n’en ayant jamais vu,
n’avait rien compris. Le simple fait de rencontrer un auteur l’avait
rempli de joie. Il supplia de Corbalioz d’un jour lui rendre visite dans
son igloo, désert depuis le meurtre de sa femme par un morse. Celui-ci
s’acquitta de cette vieille dette et fit sa piqûre.

Pendant le voyage du retour, une idée jaillit, si tenace qu’il se
résolut à faire un crochet au Pérou. Il avait en effet dans l’idée de
travailler la solitude : le genre humain n’en avait pas la propriété. Il
choisit une montagne et chaussa les bottes appropriées pour la gravir. A
une hauteur raisonnable, il avisa le coin le plus désert possible,
choisit le seul lama qui s’y trouvait et lui fit une piqûre. La solitude
animale en poche, il repartit serein : son étude serait globale,
indiscutable et immortelle.

De retour à Paris, de Corbalioz donna l’ordre de n’être pas dérangé,
avertit quelques journaux qu’il travaillait sur un projet encore plus
incroyable que le précédent et passa aux expériences. Les cinq précieux
tubes à essai luisaient faiblement dans le noir. Il prit en note
plusieurs choses intéressantes ; la couleur des solitudes variait selon
l’individu. L’écrivain, malgré sa noirceur, avait une solitude
tout-à-fait rose ; le lama était bleu-vert ; la mère abandonnée tirait
dans les rouges et sentait la nicotine.

Malgré des semaines de recherches, toutes les expériences furent
vaines. La solitude de l’esquimau, dont le tube rendait une sorte
d’arc-en-ciel, n’était soluble à aucune ; celle de l’écrivain
s’évanouissait derrière les autres. Le politicien tombait au fond du
tube comme une pierre, dès qu’on le mélangeait. C’était à s’arracher la
tignasse. Désœuvré, de Corbalioz prit une boîte de raviolis pour se
faire un casse-croûte : il advint que l’un d’eux tomba dans le tube à
essai du lama. Il restait là flottant, et une idée germa dans l’esprit
du chimiste.

Quatre mois plus tard, il présentait un livre montrant l’écrasante
supériorité des raviolis sur les lasagnes lorsqu’on les plongeait dans
la solitude. Ils tenaient dix-neuf jours dans un tube à essai sans se
détériorer : les lasagnes faisaient moitié moins bien.



Z 24 12 12
en hommage à Courtial des Pereires (et à tous les escrocs savants)
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Message  Dam Mar 25 Déc - 18:00

beaucoup aimé ton Corbalioz Z. ; quelque chose de Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle. Les escrocs en herbe n’ont qu’à bien se tenir !

Dam.
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Message  Swann Mer 26 Déc - 17:24

Certes, mais les canelloni n'ont pas dit leur dernier mot...

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Message  Lalou Lun 7 Jan - 14:36

A l'ere du grand n'importe quoi, il va si bien avec ce siècle ton savant !

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