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Le syndrôme de l'hallali.
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
Page 1 sur 1
Le syndrôme de l'hallali.
Il était une fois un petit homme qui parcourait les routes
la tête baissée. Il avait une drôle de démarche, retenue, prudente, comme s’il
cherchait à ne pas faire de bruit sur un parquet grinçant. Etrange animal,
disaient les vaches ; il a tous les chemins pour lui, et toute l’herbe
verte qu’il voudra. Bien vrai, disaient les taureaux ; a sa place,
j’encornerais tout ce qui passe, fermier, fermière, businessman, buildings, et
ce jusqu’à tomber du monde.
Mais toujours le petit homme levait une jambe après l’autre,
lent et lourd, et ne soulevait ni derrière ni devant de poussière. De temps en
temps, il prenait une grosse pierre qu’il plaçait sur sa route ; et
revenant en arrière il s’acharnait, pendant quelques heures, à s’y prendre les
pieds. Quelques citadins en pique-nique admiraient le spectacle en riant, et la
fumée de leurs cigarettes se tordait comme eux de rire.
Un jour le petit homme aboutit à une grande ville. C’est
bien trop grand pour moi dit-il. Et passant par les plus petites rues il
faisait en sorte de cogner sa tête à toutes les enseignes. Il tordit sa
cheville dans un caniveau et se dirigea, à pas mesurés, vers l’enceinte de la
ville où passaient les voitures. Il se fit prudemment renverser et,
dégringolant d’un pont suspendu, termina sa course dans une rivière peu
profonde où il s’ouvrit le crâne. Un passant appela des secours et on le décolla,
tout tordu, de son cercueil de vase.
Quelques jours après, n’ayant rien pour payer l’hôpital, on
contracta pour lui un emprunt dont il était convenu qu’en travaillant dur, le
petit homme n’aurait plus rien à payer dans dix ans. C’était bien. On le vit
suer sous les cageots de pommes, découper la même tête de poisson dix heures
durant, ramasser les crottes des riches ; et toujours le soir, en rentrant
à sa cahute, il cognait sa tête aux enseignes des magasins. Il en savait la
forme et le poids, les façons de ne s’ouvrir le crâne qu’en surface et les
angles qui faisaient mal. C’était bien.
Au bout de dix ans, comme l’employé de la banque lui serrait
la main, frétillant de la cravate et craquant des chaussures, le petit homme
reprit sa route. Il avait en provisions une barre-à-mine dont il se fit, en
quittant la grande ville, des crocs-en-jambe vicieux. Poussé par le vent, il
marcha longtemps jusqu’au massif central ; et trouvant de petites
montagnes il montait et dévalait les pentes sans relâche ; et n’ayant plus
le goût des pierres il s’en fut en forêt. Il laissait au sol ses habits et s’en
allait nu dans les ronces. Chaque jour il prenait un bain d’orties, brûlant ses
yeux et son sexe contre les plantes. C’est ainsi qu’un promeneur le trouva,
demi-mort, les chairs bouffies. Il appela des secours et le petit homme fut
emmené à la grande ville la plus proche.
Il se trouva que c’était la même qu’hier ; et
l’infirmier qui s’occupait de lui, retrouvant le nom et la situation identiques,
se posait bien des questions. Voilà un homme de malchance, pensait-il ; il
tombe des ponts et se brise les os ; il tombe dans les orties et se
brûle ; et il demanda au petit homme s’il avait toujours joué de déveine.
Je suis heureux comme ça, dit l’homme, qui zozotait dans son
bandage. J’ai compris il y a longtemps le problème de mon bonheur : je ne
sais pas en jouir comme les autres. J’aimais mal ; et pour une
liberté factice je crevais les yeux des chats. Je suis mauvais : j’ai en
souvenir une connaissance dont mes mots ne trouvent plus le nom. Toujours il
fait venir les larmes. Un jour, j’ai eu les bras plus lourds que jamais :
ils tombaient autour de mon corps et pesaient, à m’en briser les épaules. Ayant
à portée toutes les choses ils n’avaient plus le sens de se lever, pour les
saisir. Ainsi, ballant comme eux, j’ai laissé mes jambes tout faire : et
n’ayant que la force de tomber, je m’en suis fait une raison. L’échec mène un
homme comme le reste.
L’infirmier rit, lui fit une petite tape sur l’épaule et
sortit de la pièce. Demain on appellerait la banque, pour contracter un
prêt ; il ne s’agissait pas d’héberger les clodos dix nuits à l’œil. Le
petit homme fermait les yeux et tomba dans un gros sommeil. C’était bien.
Z 29 01 12
la tête baissée. Il avait une drôle de démarche, retenue, prudente, comme s’il
cherchait à ne pas faire de bruit sur un parquet grinçant. Etrange animal,
disaient les vaches ; il a tous les chemins pour lui, et toute l’herbe
verte qu’il voudra. Bien vrai, disaient les taureaux ; a sa place,
j’encornerais tout ce qui passe, fermier, fermière, businessman, buildings, et
ce jusqu’à tomber du monde.
Mais toujours le petit homme levait une jambe après l’autre,
lent et lourd, et ne soulevait ni derrière ni devant de poussière. De temps en
temps, il prenait une grosse pierre qu’il plaçait sur sa route ; et
revenant en arrière il s’acharnait, pendant quelques heures, à s’y prendre les
pieds. Quelques citadins en pique-nique admiraient le spectacle en riant, et la
fumée de leurs cigarettes se tordait comme eux de rire.
Un jour le petit homme aboutit à une grande ville. C’est
bien trop grand pour moi dit-il. Et passant par les plus petites rues il
faisait en sorte de cogner sa tête à toutes les enseignes. Il tordit sa
cheville dans un caniveau et se dirigea, à pas mesurés, vers l’enceinte de la
ville où passaient les voitures. Il se fit prudemment renverser et,
dégringolant d’un pont suspendu, termina sa course dans une rivière peu
profonde où il s’ouvrit le crâne. Un passant appela des secours et on le décolla,
tout tordu, de son cercueil de vase.
Quelques jours après, n’ayant rien pour payer l’hôpital, on
contracta pour lui un emprunt dont il était convenu qu’en travaillant dur, le
petit homme n’aurait plus rien à payer dans dix ans. C’était bien. On le vit
suer sous les cageots de pommes, découper la même tête de poisson dix heures
durant, ramasser les crottes des riches ; et toujours le soir, en rentrant
à sa cahute, il cognait sa tête aux enseignes des magasins. Il en savait la
forme et le poids, les façons de ne s’ouvrir le crâne qu’en surface et les
angles qui faisaient mal. C’était bien.
Au bout de dix ans, comme l’employé de la banque lui serrait
la main, frétillant de la cravate et craquant des chaussures, le petit homme
reprit sa route. Il avait en provisions une barre-à-mine dont il se fit, en
quittant la grande ville, des crocs-en-jambe vicieux. Poussé par le vent, il
marcha longtemps jusqu’au massif central ; et trouvant de petites
montagnes il montait et dévalait les pentes sans relâche ; et n’ayant plus
le goût des pierres il s’en fut en forêt. Il laissait au sol ses habits et s’en
allait nu dans les ronces. Chaque jour il prenait un bain d’orties, brûlant ses
yeux et son sexe contre les plantes. C’est ainsi qu’un promeneur le trouva,
demi-mort, les chairs bouffies. Il appela des secours et le petit homme fut
emmené à la grande ville la plus proche.
Il se trouva que c’était la même qu’hier ; et
l’infirmier qui s’occupait de lui, retrouvant le nom et la situation identiques,
se posait bien des questions. Voilà un homme de malchance, pensait-il ; il
tombe des ponts et se brise les os ; il tombe dans les orties et se
brûle ; et il demanda au petit homme s’il avait toujours joué de déveine.
Je suis heureux comme ça, dit l’homme, qui zozotait dans son
bandage. J’ai compris il y a longtemps le problème de mon bonheur : je ne
sais pas en jouir comme les autres. J’aimais mal ; et pour une
liberté factice je crevais les yeux des chats. Je suis mauvais : j’ai en
souvenir une connaissance dont mes mots ne trouvent plus le nom. Toujours il
fait venir les larmes. Un jour, j’ai eu les bras plus lourds que jamais :
ils tombaient autour de mon corps et pesaient, à m’en briser les épaules. Ayant
à portée toutes les choses ils n’avaient plus le sens de se lever, pour les
saisir. Ainsi, ballant comme eux, j’ai laissé mes jambes tout faire : et
n’ayant que la force de tomber, je m’en suis fait une raison. L’échec mène un
homme comme le reste.
L’infirmier rit, lui fit une petite tape sur l’épaule et
sortit de la pièce. Demain on appellerait la banque, pour contracter un
prêt ; il ne s’agissait pas d’héberger les clodos dix nuits à l’œil. Le
petit homme fermait les yeux et tomba dans un gros sommeil. C’était bien.
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Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: Le syndrôme de l'hallali.
C'est un petit texte bien travaillé, bien fait, tout rond et luisant comme un petit pain : pour le quatre heure. J'adore et la morale, faudra que j'y revienne...mais
C'était bien. Oui c'était bien.
C'était bien. Oui c'était bien.
asphalt- MacadMalade
- Messages : 221
Date d'inscription : 09/01/2013
Localisation : maine et loire : angers
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