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Le repère
Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Le repère
Occupé à remonter le courant en luttant contre la force des vagues , les dorins jaillissaient à porté de doigt, devant la flèche, et il fallait sûrement compter sur la chance pour en piquer un au dessus du dos ou en pleine tête - là où la proie ne se défait pas en déchirant ses chairs. La vigilance n’avait d’égale que leur vitesse surprenante. C’était une vraie partie de chasse comme je les aimais.
*
Pris par surprise
Le repère
Quand je dévalais le haut talus herbeux pour atteindre plus vite le bord de mer, je tamponnai presque l’homme assis devant son chevalet, que la visière de ma casquette avait masqué. Même de dos, je voyais qu’il était vieux ; sandales ôtées, cheveux rares et grisonnant. Il faisait face à un truc blanc qui, en m’approchant, s’avéra être un gribouillis sans âme - << Bon courage ! >> Et je partis sur le rocher à la recherche d’un coin désert.
Partie de chasse
Top secret, ma page sera blanche - comme le mur d’écume qui cache un méga loup. Pour la petite histoire, sachez que je ne vis pas la bête quand ma flèche la transperça de part en part. Et il est fort à parier qu’elle ne vit pas la flèche arriver. C’est bien ce qu’on appelle “un moment fatidique”.
Au sortir de l’eau, c’était l’impression forte ; une famille venait s’installer sur ma serviette! D’abord le père : “belle pêche !” - “Merci ; il y en a en ce moment, là bas (je montre le rocher isolé entouré d’écume). - L’eau est claire ? - “Oui, très claire, grâce au mistral, mais aussi elle est froide.”
Les nattes s’étalaient lentement mais sûrement autours de moi. Les gens n’en finissaient pas de descendre l’escalier du tableau “Rocher au diable” - l’invasion.
Je serais jamais resté là une seconde de plus, même entouré de sirènes en petite tenue ; je voulais être au calme et seul. Après avoir demandé l’heure à la grosse dame italienne, je suis partis sans rien ajouter d’autre qu’un merci plat, sans ponctuation.
Arrivé au niveau du tamaris qui était fleuri, il y avait encore du monde qui signaient leur passage par des rubans de papier rose ; des vieux. Comme les jeunes étaient en chasse. Tous des cons. Je le dépassai pour voir derrière : personne. Parfait!
Comme toujours à cet instant je me sentis épié - le temps de sortir mes poissons du sac pour les tremper. En jetant mon sac-attirail, je débusquai deux sacs plastique de chez Continent “L’achat gagnant”, qui dormaient tranquillement sous une pierre, mettant un terme à leur hibernation éternelle. Pollution. Je m’en servirai pour y mettre les deux poissons et libérer ainsi l’accroche-poissons, car j’avais bien l’intention d’y retourner dans deux heures. Sur le sac, je lis “Résistance 10 Kg”, ça devrait juste aller ; ainsi que la mention “à écarter des enfants pour prévenir tout risque d’accidents domestique”. Je dirai à la patronne plus tard : “ça vient pas de chez Continent1 !” Ce qui la fera rire...
(1: allusion au livre de marine 'Le Sixième Continent’.)
En scrutant le littoral à la recherche d’un trou de rocher pas trop bouillonnant pour m’équiper et glisser à l’eau sans complications, je notai la présence d’un tubas périscopant droit comme un “i” et immobile ; le bout rouge était son oeil et ceux du chasseur devaient l’être aussi, rouges, car le masque avait sauté. Il avait dû faire le même chemin que moi par voie d’eau, en longeant les rochers pour ne pas me perdre : un espion ? L’homme grenouille se mit debout sur un rocher à fleur d’eau, et porta les mains à la tête pour finir d’ôter son masque ; la crosse du fusil coincée entre les cuisses, la flèche pointée outrageusement dans ma direction ! Je rigole : “il n’y a que moi qui puisse chasser, peindre et parler ainsi. Ici, c’est chez moi.”
Ce qui devait arriver arriva ; il s’emmêla les chevilles dans le cordon du fusil et perdit l’équilibre en criant, son masque à la main. Le tubas avait déjà coulé par le fond. Je m’étais équipé et j’allai l’aider avant qu’il ne se noie, quand une déferlante l’envoya s’empaler sur les oursins. Le pauvre. J’attrapai une cheville ligotée et le tira violemment hors du tumulte des flots vers une eau plus calme, en lui maintenant la tête hors de l’eau. J’avais pied jusqu’à la ceinture, lui jusqu’aux épaules : c’était un gosse. Quand je su qu’il ne craignait plus rien, je cherchai la flèche au bout du fil, en dévissai la pointe et libérai le coulisseau - manquerait plus qu’il s’embroche ! En plongeant, je lui arrachai la palme gauche, tirai les boucles autour de son pied pour le libérer. Il n’avait même pas de poignard ! quoiqu’il aurait put se blesser. Le gosse gémissait, me donnait des coups de pieds en buvant des tasses.
- Ferme la bouche, je te ramène au bord.
Au bord, c’était l’attroupement, l’affolement. On ne voulait pas croire ce qui arrivait. J’entendis un nom répété dix fois, un nom seulement, le sien. Au moment de le mettre debout, je mis en garde Christophe de ne pas trop appuyer ses pieds par terre, à cause des oursins. Un homme au ventre énorme le comprit avant lui et le prit dans ses bras jusqu’à la serviette. L’incident est clos. Je dis simplement à la grosse italienne qui ne m’avait pas reconnu : “Vous savez qu’il allait se noyer ? Vous me devez une fière chandelle !” Je repartis aussitôt à la chasse.
*
En mer, en vrai...
Après cette partie, j’avais tiré tout droit chez la patronne pour déposer ma pêche. On les ferait griller au barbecue demain. Elle fut fort heureuse, surprise et impressionnée. Non. Mais quand-même elle était contente. Moi aussi. C’était dur de contenter la patronne, mais elle avait sa bonne tête des jours heureux. Je lui apportais ma pêche et lui imposait ma compagnie pour les repas à venir - à elle et surtout à son mari qui devait m’apprécier. Quand j’étais bon, il m’aimait, quand j’étais mauvais, bourru, soupçonneux, il ne m’aimait pas. Que dire alors quand je lui apportais du poisson ! Il était ravi aux anges et oubliait tout. Il faut dire que c’était pas très difficile d’oublier tout quand on avait un loup grillé dans son assiette. Et sa bonne humeur, grâce au ciel, était communicative. J’y avait contribué.
Je dois avouer que je tenais beaucoup à assurer ma présence ; et pas simplement pour fuir la solitude dans un cadre insolite - l’enfilade féerique barrée des troncs noirs et noueux des tamaris sur fond de mer. La jalousie envieuse de ce cadre de vie semi-aquatique semi-terrestre était vite passée, mais ne manquait jamais de surprendre le visiteur le mieux logé ! C’était comme un rêve qui se suffisait à lui-même, et au mur étaient disposés de nombreux tableaux parmi les miens en meilleure place - et non des moindres ! (Il fallait que ça se sache) Mais j’imaginais avec amertume les jours gris où les lieux seraient vidés pour accueillir d’autres occupants. Enfin...
Je méritais ça car j’étais méritant, comme l’amant déchut qui demeure le génie de la belle ingénue, comme le maçon dont les hardes passent au second plan, toute apparence confondue dans la beauté magique et utile de son art. Comme le peintre qui vient se ressourcer, prendre des forces pour un ultime voyage imaginaire - car l’imagination est un fruit défendu mais de la vie aussi - la preuve en était cette construction entre ciel, mer et terre.
La conversation irait sur des sujets banals et brûlants sans jamais devenir brutale ou embarrassante, car nous discutions simplement : nous savions que jamais les mots ne changeaient la face du monde - seulement les actes.
Une maison comme ça, on pouvait la rêver, mais il fallait la construire pour qu’elle existe. Et elle existe belle et bien. Les miracles après ça...
Les mots ne changeaient rien aux événements mais c’était quand même bon d’en débattre, utile et bon. L’indifférence était mensongère, la sincérité était la maîtresse du soleil et nous devions l’honorer pour ne pas faire pleuvoir...
C’était pas si facile ; le monde devait mériter sa misère et ses morts inutiles. Il devait payer ses erreurs ; dame nature n’était pas insensible et indifférente à tout ça. Vu sous cet angle fort simple, c’est fou comme les choses paraissent limpides ! Reste l’injustice des hommes at éternum.
Les évocations générales de Société-politique avaient un boudoir, une case noire, un buttoir : la drogue et les assassins d’enfants ; s’y étaient ajouté depuis peu les terroristes Islamiques, après la vague d’attentats meurtriers sur Paris et qui semblaient s’étendre à la France entière depuis ce soir. Partisan de l’éradication du mal par le mal, nous étions tous d’avis à couper les couilles des violeurs sur la place publique, avec la Rapette, une espèce de tapette géante pour les roupettes - monstrueuse. La mise en scène de ce spectacle était signée << Dam : le Justicier Héros de notre temps >>. Une foule amassée autours d’un seul homme qu’une estrade de filles en chaleur faisait bander, ainsi que des photos “vivantes” de star du X dressées sur chevalet (pour les plus récalcitrants à bander ferme, on passait des films XXX sur écran géant.) Un chariot à roulettes s’avançait vers la chose en alerte, s’arrêtait en butée sur une touffe noire volumineuse qu’on avait champoïnnée la veille. C’était moins deux pour la délivrance des pauvres parents. Moins un, Zéro. CLAC ! La suite allait très vite. On remontait son froc à l’assassin sans enlever la Rapette - car on savait qu’il devait tout couper lui même pour s’en débarrasser.
Non. Pas de pitié pour les violeurs de la gente juvénile - le viol étant l’apothéose en matière de vice sexuel. La vie est bien assez difficile comme ça, injuste même.
Après venait un discours passionné, dont les mots forts étaient : << Il faut les aider >> ... << Il faut décourager les autres... en dégoutter certains autres >> ... << Ne pas laisser impunis ces crimes >>. Le discours continuait sur un ton qu’on aurait pu trouver cynique, mais c’était un cynisme sensé et éclairé : << Ne pas laisser fantasmer à vie ces pauvres victimes ... Leur montrer qu’on est avec elles, que la société est toujours avec eux. >> ; << Il faut marquer un grand coup, il n’y a que comme ça qu’on arrivera à rétablir un certain “savoir vivre” ; devenu boutade et sujet risible de plaisanteries lugubres et grotesques, je veux dire aux gens que le “savoir vivre” peut concerner tout le monde, riches pauvres ou malades, c’est un état d’esprit, pas une fatalité. Cela s’apprend et ça met plus ou moins longtemps à venir et s’installer dans les esprit comme une condition première, une priorité absolue dans la vie et à vie. Une priorité qui devrait être transmise de génération en génération comme moi-même en ai hérité de mon père qui, lui, tenait cette notion de “savoir vivre” de son grand-père... Après ce que nous venons de voir, j’en appelle à la bienséance et à l’esprit de Famille du Monde, ouvert et digne, pour que plus jamais il ne vous soit donné d’assister à ce genre de spectacle dans votre cher état libre. En espérant que d’autres suivront cet exemple... etc. etc. >>
Le discours se terminait par un salut fraternel et valeureux à la vedette du spectacle : << Le moribond n’est pas mort, mais rendu à la raison du plus fort, simplement. Paix à son esprit. >>
Et pour finir sur une note d’humour : << Il a payé pour son crime et surtout pour qu’il ne recommence jamais ce qu’il a fait >>.
La discussion était animée, l’excitation montait d’autant qu’on se sentait “responsable” et pas du tout indifférents à la chose - la souffrance de nos frères nous révoltait - c’était insoutenable et la justice-vengeance d’autant plus cruelle. Cruelle, mais juste. Cela ne ferait peut être pas baisser le nombre des agressions dans le monde, mais en France certainement ! Je m’en porte garant : voilà un bon remède qui calme les nerfs et guéri les plus aguerris. Qu’on essaye, qu’on applique cette doctrine : un vrai rapport de force est né - la société n’est plus soumise mais révoltée, bien décidée à faire face, à rendre coup pour coup.
Ne croyez pas que j’ai pris plaisir à me retrouver dans la peau d’un vergobret, mais il faut bien faire quelque chose, et on ne peut pas laisser impunis les crimes d’enfants.
Ce texte fera sûrement rougir quelques avocats sans âme, pâlir d’autres juges inconscients et irresponsables, déserter des chefs politiques à la socia-débilité exacerbée, etc... mais reverdir la Société.
*
En mer, en vrai... (suite)
- L’autre jour, dis-je, à la tombée de la nuit, je suis tombé nez à nez, bec à masque avec un calamar géant. Ce cylindre rouge avec ses ailettes de diable m’a effrayé, comme un obus de dissuasion rapide. J’ai eu peur tout le temps de le revoir.
- Mais pourquoi tu l’as pas tiré ! lança énergiquement la patronne. « T’es bête ! » C’est bon les calamars...
- Oh, je suis très bête tu sais, moi ? »
- Oh pardon. »
Tandis qu’elle se mordait la lèvre en baissant la tête, portant sa main à la bouche en demandant pardon, Renie, lui, aurait eu une réaction parfaitement contraire - “Oh oui t’es bête, t’es très bête !” Là était toute la différence entre eux deux. Je dois dire que cette fois ma préférence allait à la patronne, laissant Renie dans le noir d’un mutisme contraint, mais justifié. C’était moi le chasseur. S’il voulait piquer cet obus, il n’avait qu’à y aller. Je savais qu’il n’irait pas, qu’il aurait peur lui aussi. Qu’il prendrait ses palmes à son coup pour détaler comme un chenapan. Cette vision crépusculaire était vraiment effrayante - qu’on se le dise - comme pour bien rappeler qui était le maître des lieux.
Dam.
*
Pris par surprise
Le repère
Quand je dévalais le haut talus herbeux pour atteindre plus vite le bord de mer, je tamponnai presque l’homme assis devant son chevalet, que la visière de ma casquette avait masqué. Même de dos, je voyais qu’il était vieux ; sandales ôtées, cheveux rares et grisonnant. Il faisait face à un truc blanc qui, en m’approchant, s’avéra être un gribouillis sans âme - << Bon courage ! >> Et je partis sur le rocher à la recherche d’un coin désert.
Partie de chasse
Top secret, ma page sera blanche - comme le mur d’écume qui cache un méga loup. Pour la petite histoire, sachez que je ne vis pas la bête quand ma flèche la transperça de part en part. Et il est fort à parier qu’elle ne vit pas la flèche arriver. C’est bien ce qu’on appelle “un moment fatidique”.
Au sortir de l’eau, c’était l’impression forte ; une famille venait s’installer sur ma serviette! D’abord le père : “belle pêche !” - “Merci ; il y en a en ce moment, là bas (je montre le rocher isolé entouré d’écume). - L’eau est claire ? - “Oui, très claire, grâce au mistral, mais aussi elle est froide.”
Les nattes s’étalaient lentement mais sûrement autours de moi. Les gens n’en finissaient pas de descendre l’escalier du tableau “Rocher au diable” - l’invasion.
Je serais jamais resté là une seconde de plus, même entouré de sirènes en petite tenue ; je voulais être au calme et seul. Après avoir demandé l’heure à la grosse dame italienne, je suis partis sans rien ajouter d’autre qu’un merci plat, sans ponctuation.
Arrivé au niveau du tamaris qui était fleuri, il y avait encore du monde qui signaient leur passage par des rubans de papier rose ; des vieux. Comme les jeunes étaient en chasse. Tous des cons. Je le dépassai pour voir derrière : personne. Parfait!
Comme toujours à cet instant je me sentis épié - le temps de sortir mes poissons du sac pour les tremper. En jetant mon sac-attirail, je débusquai deux sacs plastique de chez Continent “L’achat gagnant”, qui dormaient tranquillement sous une pierre, mettant un terme à leur hibernation éternelle. Pollution. Je m’en servirai pour y mettre les deux poissons et libérer ainsi l’accroche-poissons, car j’avais bien l’intention d’y retourner dans deux heures. Sur le sac, je lis “Résistance 10 Kg”, ça devrait juste aller ; ainsi que la mention “à écarter des enfants pour prévenir tout risque d’accidents domestique”. Je dirai à la patronne plus tard : “ça vient pas de chez Continent1 !” Ce qui la fera rire...
(1: allusion au livre de marine 'Le Sixième Continent’.)
En scrutant le littoral à la recherche d’un trou de rocher pas trop bouillonnant pour m’équiper et glisser à l’eau sans complications, je notai la présence d’un tubas périscopant droit comme un “i” et immobile ; le bout rouge était son oeil et ceux du chasseur devaient l’être aussi, rouges, car le masque avait sauté. Il avait dû faire le même chemin que moi par voie d’eau, en longeant les rochers pour ne pas me perdre : un espion ? L’homme grenouille se mit debout sur un rocher à fleur d’eau, et porta les mains à la tête pour finir d’ôter son masque ; la crosse du fusil coincée entre les cuisses, la flèche pointée outrageusement dans ma direction ! Je rigole : “il n’y a que moi qui puisse chasser, peindre et parler ainsi. Ici, c’est chez moi.”
Ce qui devait arriver arriva ; il s’emmêla les chevilles dans le cordon du fusil et perdit l’équilibre en criant, son masque à la main. Le tubas avait déjà coulé par le fond. Je m’étais équipé et j’allai l’aider avant qu’il ne se noie, quand une déferlante l’envoya s’empaler sur les oursins. Le pauvre. J’attrapai une cheville ligotée et le tira violemment hors du tumulte des flots vers une eau plus calme, en lui maintenant la tête hors de l’eau. J’avais pied jusqu’à la ceinture, lui jusqu’aux épaules : c’était un gosse. Quand je su qu’il ne craignait plus rien, je cherchai la flèche au bout du fil, en dévissai la pointe et libérai le coulisseau - manquerait plus qu’il s’embroche ! En plongeant, je lui arrachai la palme gauche, tirai les boucles autour de son pied pour le libérer. Il n’avait même pas de poignard ! quoiqu’il aurait put se blesser. Le gosse gémissait, me donnait des coups de pieds en buvant des tasses.
- Ferme la bouche, je te ramène au bord.
Au bord, c’était l’attroupement, l’affolement. On ne voulait pas croire ce qui arrivait. J’entendis un nom répété dix fois, un nom seulement, le sien. Au moment de le mettre debout, je mis en garde Christophe de ne pas trop appuyer ses pieds par terre, à cause des oursins. Un homme au ventre énorme le comprit avant lui et le prit dans ses bras jusqu’à la serviette. L’incident est clos. Je dis simplement à la grosse italienne qui ne m’avait pas reconnu : “Vous savez qu’il allait se noyer ? Vous me devez une fière chandelle !” Je repartis aussitôt à la chasse.
*
En mer, en vrai...
Après cette partie, j’avais tiré tout droit chez la patronne pour déposer ma pêche. On les ferait griller au barbecue demain. Elle fut fort heureuse, surprise et impressionnée. Non. Mais quand-même elle était contente. Moi aussi. C’était dur de contenter la patronne, mais elle avait sa bonne tête des jours heureux. Je lui apportais ma pêche et lui imposait ma compagnie pour les repas à venir - à elle et surtout à son mari qui devait m’apprécier. Quand j’étais bon, il m’aimait, quand j’étais mauvais, bourru, soupçonneux, il ne m’aimait pas. Que dire alors quand je lui apportais du poisson ! Il était ravi aux anges et oubliait tout. Il faut dire que c’était pas très difficile d’oublier tout quand on avait un loup grillé dans son assiette. Et sa bonne humeur, grâce au ciel, était communicative. J’y avait contribué.
Je dois avouer que je tenais beaucoup à assurer ma présence ; et pas simplement pour fuir la solitude dans un cadre insolite - l’enfilade féerique barrée des troncs noirs et noueux des tamaris sur fond de mer. La jalousie envieuse de ce cadre de vie semi-aquatique semi-terrestre était vite passée, mais ne manquait jamais de surprendre le visiteur le mieux logé ! C’était comme un rêve qui se suffisait à lui-même, et au mur étaient disposés de nombreux tableaux parmi les miens en meilleure place - et non des moindres ! (Il fallait que ça se sache) Mais j’imaginais avec amertume les jours gris où les lieux seraient vidés pour accueillir d’autres occupants. Enfin...
Je méritais ça car j’étais méritant, comme l’amant déchut qui demeure le génie de la belle ingénue, comme le maçon dont les hardes passent au second plan, toute apparence confondue dans la beauté magique et utile de son art. Comme le peintre qui vient se ressourcer, prendre des forces pour un ultime voyage imaginaire - car l’imagination est un fruit défendu mais de la vie aussi - la preuve en était cette construction entre ciel, mer et terre.
La conversation irait sur des sujets banals et brûlants sans jamais devenir brutale ou embarrassante, car nous discutions simplement : nous savions que jamais les mots ne changeaient la face du monde - seulement les actes.
Une maison comme ça, on pouvait la rêver, mais il fallait la construire pour qu’elle existe. Et elle existe belle et bien. Les miracles après ça...
Les mots ne changeaient rien aux événements mais c’était quand même bon d’en débattre, utile et bon. L’indifférence était mensongère, la sincérité était la maîtresse du soleil et nous devions l’honorer pour ne pas faire pleuvoir...
C’était pas si facile ; le monde devait mériter sa misère et ses morts inutiles. Il devait payer ses erreurs ; dame nature n’était pas insensible et indifférente à tout ça. Vu sous cet angle fort simple, c’est fou comme les choses paraissent limpides ! Reste l’injustice des hommes at éternum.
Les évocations générales de Société-politique avaient un boudoir, une case noire, un buttoir : la drogue et les assassins d’enfants ; s’y étaient ajouté depuis peu les terroristes Islamiques, après la vague d’attentats meurtriers sur Paris et qui semblaient s’étendre à la France entière depuis ce soir. Partisan de l’éradication du mal par le mal, nous étions tous d’avis à couper les couilles des violeurs sur la place publique, avec la Rapette, une espèce de tapette géante pour les roupettes - monstrueuse. La mise en scène de ce spectacle était signée << Dam : le Justicier Héros de notre temps >>. Une foule amassée autours d’un seul homme qu’une estrade de filles en chaleur faisait bander, ainsi que des photos “vivantes” de star du X dressées sur chevalet (pour les plus récalcitrants à bander ferme, on passait des films XXX sur écran géant.) Un chariot à roulettes s’avançait vers la chose en alerte, s’arrêtait en butée sur une touffe noire volumineuse qu’on avait champoïnnée la veille. C’était moins deux pour la délivrance des pauvres parents. Moins un, Zéro. CLAC ! La suite allait très vite. On remontait son froc à l’assassin sans enlever la Rapette - car on savait qu’il devait tout couper lui même pour s’en débarrasser.
Non. Pas de pitié pour les violeurs de la gente juvénile - le viol étant l’apothéose en matière de vice sexuel. La vie est bien assez difficile comme ça, injuste même.
Après venait un discours passionné, dont les mots forts étaient : << Il faut les aider >> ... << Il faut décourager les autres... en dégoutter certains autres >> ... << Ne pas laisser impunis ces crimes >>. Le discours continuait sur un ton qu’on aurait pu trouver cynique, mais c’était un cynisme sensé et éclairé : << Ne pas laisser fantasmer à vie ces pauvres victimes ... Leur montrer qu’on est avec elles, que la société est toujours avec eux. >> ; << Il faut marquer un grand coup, il n’y a que comme ça qu’on arrivera à rétablir un certain “savoir vivre” ; devenu boutade et sujet risible de plaisanteries lugubres et grotesques, je veux dire aux gens que le “savoir vivre” peut concerner tout le monde, riches pauvres ou malades, c’est un état d’esprit, pas une fatalité. Cela s’apprend et ça met plus ou moins longtemps à venir et s’installer dans les esprit comme une condition première, une priorité absolue dans la vie et à vie. Une priorité qui devrait être transmise de génération en génération comme moi-même en ai hérité de mon père qui, lui, tenait cette notion de “savoir vivre” de son grand-père... Après ce que nous venons de voir, j’en appelle à la bienséance et à l’esprit de Famille du Monde, ouvert et digne, pour que plus jamais il ne vous soit donné d’assister à ce genre de spectacle dans votre cher état libre. En espérant que d’autres suivront cet exemple... etc. etc. >>
Le discours se terminait par un salut fraternel et valeureux à la vedette du spectacle : << Le moribond n’est pas mort, mais rendu à la raison du plus fort, simplement. Paix à son esprit. >>
Et pour finir sur une note d’humour : << Il a payé pour son crime et surtout pour qu’il ne recommence jamais ce qu’il a fait >>.
La discussion était animée, l’excitation montait d’autant qu’on se sentait “responsable” et pas du tout indifférents à la chose - la souffrance de nos frères nous révoltait - c’était insoutenable et la justice-vengeance d’autant plus cruelle. Cruelle, mais juste. Cela ne ferait peut être pas baisser le nombre des agressions dans le monde, mais en France certainement ! Je m’en porte garant : voilà un bon remède qui calme les nerfs et guéri les plus aguerris. Qu’on essaye, qu’on applique cette doctrine : un vrai rapport de force est né - la société n’est plus soumise mais révoltée, bien décidée à faire face, à rendre coup pour coup.
Ne croyez pas que j’ai pris plaisir à me retrouver dans la peau d’un vergobret, mais il faut bien faire quelque chose, et on ne peut pas laisser impunis les crimes d’enfants.
Ce texte fera sûrement rougir quelques avocats sans âme, pâlir d’autres juges inconscients et irresponsables, déserter des chefs politiques à la socia-débilité exacerbée, etc... mais reverdir la Société.
*
En mer, en vrai... (suite)
- L’autre jour, dis-je, à la tombée de la nuit, je suis tombé nez à nez, bec à masque avec un calamar géant. Ce cylindre rouge avec ses ailettes de diable m’a effrayé, comme un obus de dissuasion rapide. J’ai eu peur tout le temps de le revoir.
- Mais pourquoi tu l’as pas tiré ! lança énergiquement la patronne. « T’es bête ! » C’est bon les calamars...
- Oh, je suis très bête tu sais, moi ? »
- Oh pardon. »
Tandis qu’elle se mordait la lèvre en baissant la tête, portant sa main à la bouche en demandant pardon, Renie, lui, aurait eu une réaction parfaitement contraire - “Oh oui t’es bête, t’es très bête !” Là était toute la différence entre eux deux. Je dois dire que cette fois ma préférence allait à la patronne, laissant Renie dans le noir d’un mutisme contraint, mais justifié. C’était moi le chasseur. S’il voulait piquer cet obus, il n’avait qu’à y aller. Je savais qu’il n’irait pas, qu’il aurait peur lui aussi. Qu’il prendrait ses palmes à son coup pour détaler comme un chenapan. Cette vision crépusculaire était vraiment effrayante - qu’on se le dise - comme pour bien rappeler qui était le maître des lieux.
Lundi 12 Septembre 95
Dam.
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