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Humphrey Bo-Gratte-moi-les-couilles

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Humphrey Bo-Gratte-moi-les-couilles Empty Humphrey Bo-Gratte-moi-les-couilles

Message  LCbeat Lun 18 Mar - 18:21



Trois mecs sur la scène – Ahmad Jamal Israel Crosby Vernell Fournier -, un lieu : le Pershing Lounge, date 16/01/1958. Il neige sur Chicago comme si Dieu faisait des ballots de sperme pour les envoyer colissimo à la gueule des citoyens. C'est comme ça, l'hiver à Chicago. Avec la misère, pas mal, et les écoles de blues. Trottoirs plaques de glace, à se casser le cul pour trouver une pute qui voudrait bien le faire pour pas grand-chose. Les réverbères dégueulent grésil grizzli. Minuit c'est pour bientôt.
J'entre – tiré le blé à une vieille qui n'avait rien à faire là, lui ai dis que c'était pour la caisse d'épargne, sans rire. Complet gris, galure gris, yeux polaires. Me joue détective privé. Humphrey Bo-gratte-moi-les-couilles. Comme un capitaine des bals de fin d'année, reniflant les gonzesses sous les aisselles.
Sous perfusion,
cigarette vissée au bec,
le pélican sort de sa tanière.
J'ai les crocs m'enfile deux trois bières, puis le rhum, la vanité du rhum ambré. Martinique ou une autre île à la con. Elle m'a rencardé. Elle c'est des jambes de bagnoles de course, un cul à se regarder dedans – comme on en fait que dans les revues spécialisées. Mamelles frisotis face de louve arctique. Institutrice à faire rougir les puceaux. Me rappelle : jeune l'école madame devait avoir dans les soixante-dix balais, cravate noisette et peau de papier d'Arménie.
1958, le jazz joue ses plus belles mesures, ses dernières aussi.
Comme privé je tiens la rambarde façon marin d'océan. La houle aux lèvres – une voix de suceur de guêpes. L'alcool me vérifie les entrailles. Je tiens bon. Il en faut des caisses pour abattre un boxeur. Un serveur sauce chasseur parvient jusqu'à mes oreilles. Vous renouvèle ? Je rempile. Le temps m'accusera mais d'ici là.
Toutes gaulées comme des feux d'artifice, bourgeoises somatiques, psychanalysées jusqu'à la moelle. Les gars quasi-invisibles, professionnellement obsolètes, trous du cul de papa. Je programme la minuterie. Fiche mon billet qu'elle sera à l'heure. Me goure pas. Ce n'est pas au vieux clébard... Une porte qui s'ouvre – les bagnoles klaxonnent. Les écoutilles aux aguets, je veille. Pas dormi depuis combien ? Toutes les lunes se ressemblent – ma mère disait si tu regardes bien c'te lune tu verras que c'est la même qu'hier, approximativement. Les femmes, pareil. Le buffet qui craque comme le vent terrible. Si les ténèbres ouvraient leur clapet – sûr que les dieux nous ont élus parmi les paumés – on m'entendrait gémir. Une porte qui se referme – coin de cimetière sous la pluie. Me reste plus qu'à faire semblant. Le chapeau tourne comme un lapin dans un mouchoir de poche.
Je m'enroule une pincée de tabac dans un ticket de stationnement. Goût d'encre. Solstice à la bourre.

Je suis contente, dit-elle.
J'apprends à parler comme un être humain. Je ne pouvais pas rater cette occasion, je réponds.
C'est pas dans l'habitude du Prince de se laisser emmerder par ces petites branleuses – vingt sacs de subsides pour qu'elles se taisent, ces petites enculeuses de première à qui on donnerait père et mère, pour leur filer le pichet en pleine poire. Contente alors ? On verra ce que tu en diras plus tard. Ma chouette avaleuse de bobards éméchés, mon tire-larcin qu'en a plus dans le cul que dans les nibards.
Je pensais pas que tu viendrais – voix de minauderie, chatte brûlante sur un toit hurlant.
Dur d'être le comportement d'un être humain. Je souris, c'est con – comme sourire on fait pas plus con. Les mirettes sur la scène. Trois beaux putains de beaux diables – la bouche grande ouverte de Jamal, ses dents serrées comme des vis. J'entends rien aux sentiments, mais la musique – ça, mon pote, la musique j'en connais un wagon – les sentiments c'est la plèbe qui fait une descente au casino sans un rond dans le froc.
Poches pleines cliquetis de la quincaillerie rimailleurs des bouches de métro. Elle reprend sursaute et dit :
Tu m'en veux toujours, je crois bien que tu m'en veux toujours mais t'es venu quand même va falloir que tu t'expliques, tu saisis, les femmes faut leur expliquer les choses sans ça c'est des conneries ! Elle s'esclaffe. Pas moyen d'y voir clair ; tu sèmes tu récoltes.
On est sur du vinyle – rouge craqué marques de patins à roulettes traces de sauce tomate. J'enfonce mon corps – rémanence de la mémoire, pas de prescription. Souvenirs mes chers souvenirs. Plus jeune de quelques semaines. Jours qu'on oublie puisqu'il faut bien oublier quelque chose – n'est-ce pas ? Cigarette aux lèvres, ficelles des heures qui cristallisent.
On peut pas en vouloir aux femmes comme toi, je dis. Avec un peu de méthode et beaucoup d'énigme. Elle comprend qu'on ferait mieux de se jeter d'un pont, sur les rails carbonisés du chemin de fer. Qu'après minuit, le mot ne sert à rien – comme enfoncer un clou dans l'œil d'un cadavre. M'arracher à la pensée, sombrer méticuleusement en véritable découvreur. Elle boit comme moi, beaucoup, nous buvons trop, l'alcool érige des églises de muséographe. Contrebasse virevolte. Le piano pour conclure – applaudissement bourgeois. Deux doigts. La paume.

Elle mate ses mains – foutus véhicules de la mobilité des enfers. Ongles blancs, propres comme une mauvaise conscience. Dis quelque chose, dit-elle. Petite girl perdue dans l'épouvantable silence des monstres. N'importe quoi.
Sur la table basse, mégots, cendre : méandres. Vernell à la bourre d'un temps. Le rattrape, file aussi vite qu'une loco. On n'a pas toute la nuit devant nous. Faut rendre des comptes fissa. Ses cuisses sont des douleurs. Yeux qui cherchent la lumière – lieu sordide, humeur fumeuse – yeux qui savent que quelque part, la lumière cassera les immortels. En guise d'immortel je lui pousse un coup de coude dans les hanches – geste mou comme une alerte ratée – ni prise au dépourvu ni entichée de colère, elle voit à l'intérieur de mes yeux. Pas de plaisanteries. Gentleman des cœurs brisés s'est fait baiser et il aime pas vraiment ça. Pas oublier. N'oublie pas poupée, je siffle – entre mes dents une rage. La basse-cour applaudit encore. Ou si peu. Premier set 0/0. Elle me tend une sèche comme si elle disait – sirop édulcoré dans la bouche, le miel de Winnie l'Ourson – peace man, carpe-diem-moi.
Faut que j'aille pisser, je dis. Langage fondé comme une volonté de gagner du temps. Ses paupières glissent. Si vaniteuse malgré tout – rien à perdre encore moins à gagner, je comprends pas. Creuse-moi une tombe, gentleman. Son âme fend les flots, j'accroche, et je marche comme un chevalier des temps obscurs. Genre Templier débile. Urinoir jet d'urine jaune, bière qui fuit, voisin gay qui me jette un de ces regards sous-entendu – direction la poubelle – chasse d'eau porte que j'ouvre sur la musique. Jazzmen défoncés, cuités comme des hommes en pleine guerre. Je cligne Ahmad. M'ignore, les yeux dans le verre la tête dans des putains de nuages.
Le vinyle accueille mon cul – on a une petite affaire à régler toi et moi je dis à la madone des baisodromes. Un vrai froid dans le dos cette fois-ci – son échine se courbe, position du missionnaire : l'antre. Tu vas pas me faire de mal, elle dit ça la tête coincée entre la fumée de cigarette et l'effluve de l'alcool. La chatte suinte de conscience vérolée. Fluor des canines troussées comme de vilaines pensées. Si tu savais – si elles savaient -, je pense mais ne dis pas. Silence des radios les nuits de tempête. Quand le bateau fout le camp dans les ténèbres. Appelle-moi Killer Claude. Mains qui font crisser le vinyle.
Cristal matérialisé comme une satanée barrière.
On a passé du bon temps ensemble, Claude, dit-elle en enroulant le problème d'une tonne de mystères. Hein, dis, qu'on a passé du bon temps ensemble. Cordes vocales dans un nid de frelons.
Le jazz pénètre les entrailles – soir de bûchers, feux de la Saint-Claude. Pénètre les nuits d'hôtel, les baises en un coup dans les pissotières des aires d'autoroute. Ruban d'asphalte comme un miroir dégueulasse.
On a vécu, je dis empruntant les chemins de traverse. La cour des miracles, c'est pour les puceaux. Maman dit : te laisse pas emmerder par les femmes. Dépucelage nuit de neige et de vin écoeurant - tapis gueule d'Orus. Cheminée fumant les arpèges de ses mains – maman dit : te laisse pas emmerder par les femmes. Le sang comme du ketchup sur les draps d'ivoire.
Si c'est ce que tu veux entendre, elle fredonne, je regrette. Tu peux pas savoir comme je regrette.
Pas envie de savoir, envie de me comporter comme Frank Sinatra – enchaîner cigarettes tubes cigarettes whisky standards... Au tour de Israel Crosby : manque le virage, dérape distancé, coup de patin l'embrayage craque un peu, trop, mais se remet d'équerre. Sourire d'Ahmad. Putain de sourire. On recommande, je dis. Elle lève son cul fin, je reluque comme un chien de l'enfer qui montre les canines, rond comme trois pommes – la robe colle et s'enfile dans la raie, poisson surnageant dans l'océan des black magic men. Se rassied l'œil vide après avoir chaloupé comme un tango imbécile. Le sol se démet sous les pieds, c'est le jazz. Je soulève un pan de ma veste – la crosse miroite, lac de fureur. L'épouvante blanche de Louise. Ma belle Louise ma si putain de belle Louise ! Chicago ne compte plus ses morts – les fleuves sont là pour ça. Faire swinguer son trousseau de clés dans la poche comme pour les jeter sur la moquette et qu'un petit mec blanc les ramasse avec de l'obséquieux – marre de servir de paillasson à merde aux bourgeois.
Claude l'Embroché n'aime pas qu'on se foute de sa gueule – je n'aime pas qu'on confirme les paroles de maman. My sweet bloody memory. Fin du deuxième set : 1/0.
Dans un même mouvement : aimer et haïr. Aligner les planètes et les relier de trous de balles. Je fourraille mes poches – clés mouchoirs minuscule réservoir d'huile désir de donner la mort. Le Pershing diffuse des musiques insipides pendant l'entracte. Je demande, tu veux qu'on aille faire un tour dehors ?
Oh, non, Claude pas maintenant, voix de puceron sur une feuille de salade quand vient la grosse pluie.
Silence.
Brisé par le cristal qui tinte dans les mains des manucurées du crépuscule. Silence des dents blanches de ma Louise – ses lèvres à baiser à faire des choses pas orthodoxes.
Je ne comprends pas, je dis. Elle retrousse les babines : ce n'est pas à une vieille singe...
Ce que j'ai fait, reprend-t-elle. Photographies noir et blanc – mauvais cliché du genre feuille de chou à la ramasse. Une bite une chatte deux bouches – le fric en liquide pour le photographe. Ce que j'ai fait, elle répète alors que les trois musiciens reprennent leur place, plus ivres qu'une armée de communistes en vadrouille devant les bureaux des républicains.
J'essaie de voir où se cachent les fantômes. Autour de nous, dans le brun de ses cheveux, châtaignes dans le regard – tout autour de moi comme des avions-léopards. Mon palais est en carton, nos vies en papier. Ce que j'ai fait, je l'interromps, ne parlons pas de ça maintenant. Ses épaules hurlent comme si elles hébergeaient des hiboux : des putains de hiboux ! Sais ce qu'elle a fait. Pas de détails, pas d'explication.
Tu ne me regardais plus, sa voix perdue dans les fantômes et les notes de piano. Une femme il faut qu'on la regarde tout le temps. Faut de l'attention. Petite frappe chirurgicale. Drone ni vu ni connu. Sa langue sur ses lèvres – lécher le vin, s'absoudre de ses pêchés. Esprit impresario : faut régler le problème au plus vite, budget serré, crédits limités, faut trouver une solution – refroidir ou se faire refroidir – son nouveau(-ex) : maquereau des bas-fonds sapé comme Gabin / armurerie transportable.
Les mac' ça a du verbe ?, je demande.
Fais chier, Claude ! Quelques têtes se dévissent, des index sur des lèvres fuchsia, des cils fringués comme des mulâtres. C'était pas un mac'.
N'empêche.
Et toi, tes pépées, elle lance. But de l'avant-centre, je fléchis un peu – mais ne perds la boussole. Le jazz piétine mes organes – statu-quo. Penser à la neige, au fleuve parcouru de glace, penser au corps qui tombe comme une pierre. Ce ne sont pas des fantômes ce sont des monstres. Mes pépées comme elle dit, juste des trous à rat. Partir avant que tout le monde se lève – faire craquer les boiseries. Je prends sa main, elle tremble un peu – ce n'est pas si drôle que ça de voir les femmes trembler. Troisième set 1/1.

Ça te dit de marcher un peu sous la neige, je dis. Plus le choix, pas d'échappatoire sinon crier ameuter la sécurité se faire embarquer par des flics corrompus – ni elle ni moi ne le souhaitons vraiment. Elle suit le mouvement, plutôt cadavérique, empruntée. La porte s'ouvre sur les flocons – petites cartes du temps et de l'intemporalité. Nos semelles font crépiter la neige sur les trottoirs. Lumières visqueuses des réverbères.
Personne dans la rue.
Là, au bord du fleuve, une avancées de vilaines pierres. Les lieux sont parfaits dès lors qu'on leur approprie une fonction. Groupe de pédés qui cherchent un porche pour s'enfiler : nous regardons la ville comme si on débarquait à Staten Island. Le froid s'insinue, être fier et ne pas frissonner. L'enfant regarde sa mère : pourquoi m'as-tu fait ça ? L'incompréhension réprime un sarcasme. Ce n'est pas l'œuf qu'il faut tuer. Maman !, quand l'étincelle jaillit et que se répand le ketchup sur les draps d'ivoire. Tout se répète ; l'histoire, les hommes, les femmes, l'histoire impudique des hommes et des femmes délabrés. Le froid siffle dans le vent de sales love stories.
Tu as froid, je dis, comme si j'allais m'occuper d'elle enfin. Comme si je la regardais de nouveau : mais je n'admire plus rien, je vagabonde bêtement dans ma mémoire. Mausolée de maman, ivresse quotidienne – à vomir sur les tapis – juste des cendres, il ne reste au final de nous que des cendres, comme si rien ne s'était passé. Moniteur branché sur les souvenirs, le présent saoul, moniteur qui crache des images magnifiées par la peur. Pourquoi tu m'as fait ça, je me répète : pauvre écrivaillon des leitmotivs. Visage gueule béante visage béatifié. Quelques pas et c'est la flotte qui nous attend. Je m'approche de Louise, comme un lynx dans la neige. Les jointures qui blanchissent contre la crosse. Déconne pas, je lui dis quand elle retrousse les babines. Déconne pas, elle dit. Ce sera rapide et sans douleur, je pense. Chaque question possède sa réponse ; quelle que soit la réponse. La lune dans le fleuve. Pas le moment de la baiser une dernière fois. D'autres trous à rats qui se bousculent dans ma tête. Seule la souffrance est irremplaçable.

Les nuages déambulent comme des pantins froids dans le ciel. Lune couverte, étincelle de mort pour la deuxième fois de ma vie – maman et maintenant Louise. Je rapproche les corps – explosion magnifique dans le crâne et dans le cœur – je rapproche les identités les sexes open-space, la fébrilité des mirages. Le sang qui tâche le complet gris au moment de la jeter par-dessus bord – capitaine, mon capitaine, terre en vue ! Le fleuve se repait d'un corps de plus, la ville lève un doigt, un corps de plus dans le ventre de Chicago la ténébreuse.

Toutes les mémoires vivent gémissent s'immiscent et tournoient inlassablement dans les bas-fonds des cathédrales de l'existence. Tout n'est que sable qui fuit des mains des dieux venus tout droit des enfers. Pour se divertir. Les ombres ne sont ni des fantômes ni des monstres.
Nous sommes les ombres.

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Humphrey Bo-Gratte-moi-les-couilles Empty Re: Humphrey Bo-Gratte-moi-les-couilles

Message  Nilo Dim 28 Juil - 9:58

Comme si on y était.



Nilo, aussi pour moi.

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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
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