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Cyndel
Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Cyndel
Cyndel
Lundi 9 mai 2011, 23h48
Driiing, driiing.
« SOS amitié, Wendy à votre écoute, répondit la jeune femme en reposant
sa tasse de café noir au milieu des papiers qui jonchaient son bureau.
- Bonsoir, Wendy, fit la voix d’un homme à l’autre bout du fil, une voix suave et lointaine.
- Comment vous appelez-vous monsieur ?
- Si cela avait une quelconque importance, je vous répondrais bien
James, John ou Julian, mais parce que cela n’en a aucune, je vais vous
répondre Philipe.
- Vous semblez affectionner les prénoms en J, Philipe, observa Wendy
avec un sourire ; ils commençaient tous ainsi, par un échange de
banalités sous lequel couvait bien souvent la plus profonde des
solitudes sinon des souffrances.
- Connaissez-vous l’histoire du petit loup, Wendy ? interrogea l’homme d’un ton toujours aussi calme.
- Non, je ne la connais pas, admit-elle en se redressant sur sa chaise, légèrement mal à l’aise.
- Je vais vous la raconter, Wendy, ensuite vous me direz ce que vous en
avez pensé, poursuivit-il avec une satisfaction manifeste.
Après un long silence, tout ce qu’il y avait de plus volontaire, il se lança.
- C’est l’histoire d’une petite fille, une petite fille nommée Cyndel.
Car voyez-vous, Wendy, Cyndel aimait son prénom, et il m’est donc imposé
de le préciser. Sinon je l’aurais bien appelée Jessica, Judith ou même
Joséphine. Bref. Cyndel avait neuf ans, quand on lui offrit une peau.
Une peau de loup. Et savez-vous, Wendy, qui peut offrir un tel cadeau à
une si jeune enfant ?
- Je…
- Non bien sûr, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas. Eh bien, il n’y a
que le diable qui puisse faire cela. Que le diable, Wendy… !
La voix de l’homme résonnait dans le combiné, vibrant d’une douce
passion. Sentant poindre en elle une vague d’inquiétude, la jeune femme
jeta un regard furtif en direction des autres bénévoles encore présents à
cette heure tardive.
- Vous ne m’écoutez déjà plus, Wendy, observa Philipe après un instant de flottement.
- Oh… excusez-moi, le café manque de corps, bafouilla-t-elle, confuse.
- Dans ce cas, ajoutez une cerise noire à votre café, conseilla l’homme.
- Je… oui, merci du conseil, balbutia-t-elle en secouant la tête, dépitée par son manque d’aplomb.
- Reprenons, si vous voulez bien, je n’ai pas toute la nuit, contrairement à vous, dit-il, en proie à une légère impatience.
- Je vous en prie.
- Cyndel aurait pu vous ressembler, avec ses boucles blondes et son
teint anémique. Pardonnez, son teint de porcelaine – il s’agissait d’une
charmante enfant. Mais contrairement aux contes ordinaires, nous n’en
ferons pas la plus charmante des enfants du village ou même du monde.
Bref. La charmante petite Cyndel traînait tous les soirs jusque tard
dans le jardin, les mains dans la terre, la robe tâchée d’herbe, les
bottillons couverts de boue. Elle jouait à la magie. Mais la magie,
voyez-vous, Wendy, n’est pas une chose anodine. Elle ouvre la porte
d’autres mondes, et dormir la porte ouverte, c’est accepter de laisser
entrer les loups.
- Je ne suis pas certaine de vous suivre… intervint la jeune femme qui
s’était inconsciemment enfoncée dans le dossier de son fauteuil.
- Cyndel non plus, n’avait pas compris qu’elle était sur le point
d’inviter le diable à entrer dans sa vie, continua l’homme. Elle reçue
la peau du loup par une nuit sans lune – encore une incohérence de
l’histoire, n’est-ce pas ? Une histoire de loup sans pleine lune, en
connaissez-vous seulement une ? Peu importe. Celle-ci en tout cas, n’en a
pas. Parce que le diable n’attend pas, parce que le diable frappe 365
jours par an, quelque soit la hauteur du soleil ou la face de la lune.
Bref. Cyndel aima tout de suite la peau du loup, elle l’aima d’un
véritable amour, celui qui réchauffe, qui prend aux trippes et se finit
au bord des lèvres. Si bien qu’elle se mit à la porter jour et nuit.
J’imagine sans peine qu’on l’appela alors Cyndel la Bargeotte, Cyndel
Garou, ou bien Cette Folle de Cyndel – quelque chose dans ces eaux-là.
Mais la gamine jouissait du pouvoir du loup, et elle se mit bientôt à
prêcher.
Suspendue au téléphone, Wendy avait fermé les yeux et s’imaginait la
singulière petite fille, sa lourde peau de loup gris lui retombant sur
le front et sur les épaules.
- Que prêchait-elle… ? souffla la jeune femme.
- Tout et rien. La gamine avait hérité du diable le sens des affaires,
mendiante, grenouille de bénitier ou cantatrice à l’envoûtante candeur,
elle revenait chaque nuit sourire aux lèvres, son vieux sac de toile sur
le dos, ventripotent, rempli de pièces d’or, de pierres et de prières.
Elle le faisait ensuite cracher sur l’autel au fond du jardin, comptait
la recette du jour, et se mettait à hurler. Un hurlement de loup. Le
tocsin du diable. Celui-ci se déplaçait alors en personne, sa canne à la
main, oui parce qu’il avait une canne voyez-vous, Wendy, sinon comment
aurait-on pu être sûr qu’il s’agissait du diable si celui-ci n’avait pas
l’apparence de monsieur-tout-le-monde ? Un diable avec une tête de
diable, la belle affaire ! nous ne sommes pas dans une fable pour bonne
femme. Nous sommes dans une fable pour vous et moi.
Nous sommes dans une fable pour vous et moi, les paroles de
Philippe résonnèrent aux oreilles de la jeune femme qui sentit un
frisson lui parcourir le dos. Autour d’elle, le silence était retombé.
Ronnie somnolait sur son bureau, Jo griffonnait sur une feuille de
papier tout en grommelant parfois de brefs hmm hmm, oui, arf, rofl.
- Vous ne m’écoutez à nouveau plus, Wendy, s’inquiéta la voix doucereuse de l’homme dans le combiné.
La bénévole se redressa et toussota avant de le rassurer.
- J’ai toute la nuit.
- Vous êtes une fille charmante Wendy, vous comprenez vite. Mais pas
assez peut-être, observa-t-il dans un petit rire bienveillant qui glaça
pourtant le sang de la jeune femme.
- Ainsi le diable avait-il une canne ? s’enquit-elle pour couper court à
la tournure personnelle que menaçait de prendre la conversation.
- Oui, une canne. Mais soyons un peu imaginatifs, une canne qui ne
faisait non pas « clac clac » ou « toc toc » sur le sol, mais une canne
qui chantait. A chaque fois qu’elle touchait le sol, une nouvelle note
s’élevait, une note inconnue, terriblement mélodieuse, maléfique par
essence. Le diable a le sens de l’esthétique, c’est un fait.
Philipe s’était mis à fredonner alors que les yeux de la jeune femme se
fermaient à nouveau, son esprit tout entier absorbé par l’inquiétante
voix au goût de miel.
- Vous n’êtes guère curieuse, Wendy. Vous n’avez même pas demandé où le
diable avait trouvé une peau de loup, de quelle couleur était la dite
peau, et si l’on voyait les yeux de l’animal sur la dépouille de sa
tête.
- Grise, elle était grise. Et l’on ne voyait pas les yeux. Ce n’est pas
le diable qui a tué le loup, déclara Wendy avant de sursauter ; elle
n’avait pas la moindre idée de ce qui l’avait poussée à répondre cela.
- Bien Wendy, bien, je vois que vous commencez à vous ouvrir. Vous êtes
dans le truc à présent, nous allons pouvoir poursuivre cet échange qui
n’en était pas un jusqu’alors, se réjouit Philipe dont la voix s’animait
à nouveau de cette étrange passion qui avait transparue à l’évocation
de l’histoire du petit loup.
- Qu’est-il advenu de l’enfant ? s’intéressa la jeune femme en prenant une gorgée de café froid qui lui arracha une grimace.
L’homme soupira à l’autre bout du fil.
- Comment voulez-vous que l’histoire se termine ? renchérit-il d’un ton
désinvolte. Peut-il seulement y avoir un choix ? Nous parlons là du
diable, d’un loup, et d’une enfant, les trois faisant rarement bon
ménage dans les contes.
- Mais nous ne sommes pas dans les contes, n’est-ce pas ? anticipa Wendy dont la curiosité était piquée.
- Non, nous ne sommes pas dans les contes. Mais dans l’un des autres
mondes, celui dont vous et moi n’avons pas refermé la porte cette nuit.
- Philipe… pourquoi avez-vous appelé SOS amitié ce soir ?
- J’avais besoin de parler.
- Du diable ?
- De ce qui me passe par la tête. C’est douloureux, vous savez, d’avoir
le crâne si plein de ces images, de ces voix et de ces idées qu’il n’en
ressort plus qu’un atroce tourbillon qui vous martèle jusqu’à migraine
ou épuisement, mais jamais jusqu’à endormissement…
- Je…
- Vous savez, oui je sais. Je sais que vous savez.
- Qu’est-il arrivé à Cyndel ensuite ? répéta Wendy dont le portrait hypothétique de l’enfant demeurait imprimé devant les yeux.
- Vous avez toute la nuit, ne l’oubliez pas, se contenta de répondre Philipe.
Il souriait derrière le combiné, la jeune femme en aurait mis la main à couper.
- Faut-il que toutes les brebis égarées soient sous l’égide de dieu pour avoir grâce à vos yeux, Wendy ?
- Pardon ?
- Vous croyez en dieu, n’est-ce pas ?
- Je…
- Vous ne savez pas. Et vous mentez à présent. Toute à l’heure au moins,
vous étiez sincère dans votre ennui, et votre dédain vous allait à
ravir, s’offensa soudain l’homme, d’une voix affectée.
- Je…
- Jouons, vous voulez bien ?
- Oui…
- Imaginez que vous êtes Cyndel. Que se passerait-il ensuite ?
- Je refuserais d’aider le diable.
- Ainsi, dans votre version, Cyndel n’aimerait-elle pas le diable ?
s’amusa-t-il en retrouvant aussitôt son enthousiasme tranquille. Cela
tombe bien, le diable non plus, n’aime pas Cyndel. Poursuivez.
- Je ne l’aiderais plus, et ne lui répondrais plus. J’enlèverais la peau
et la brûlerais, continua Wendy après un instant d’hésitation.
- Permettez-moi de vous arrêter, vous faites fausse route. En aucun cas
Cyndel ne quitterait la peau et la brûlerait. Cyndel aime le loup, le
loup fait partie de Cyndel, leurs âmes sont éprises l’une de l’autre. Ce
sont là deux amants, retirer l’un à l’autre reviendrait à les tuer tous
les deux. Et vous ne voudriez pas mourir, n’est-ce pas ?
La jeune femme demeura saisie un instant. Tout se mélangeait dans sa
tête. La voix de Philipe lui semblait si distincte par instant qu’elle
ne pouvait s’empêcher de se retourner, comme si elle s’apprêtait à le
voir apparaître derrière elle.
- Non, bien sûr que non, Cyndel ne mourrait pas. Mais elle offrirait
alors au diable quelque chose en échange de la peau et de leur liberté,
reprit-elle avec une certaine agitation, le cou humide de sueur.
- Et que pourrait-elle bien avoir à offrir au diable qui soit assez
précieux pour calmer la vanité de celui-ci ? s’intéressa Philipe.
- Je ne sais pas… admit la jeune femme en mordillant nerveusement sa lèvre inférieure.
- Oh si, vous savez. C’est ainsi dans toutes les histoires de diable, de loup et d’enfant.
- Non, je… je ne vois pas, je vous assure.
- Oh si, vous voyez, vous voyez même très bien. C’est là, sous vos yeux, à nager sous la peau moite de votre poitrine.
- Non… s’opposa Wendy en sentant son cœur faire un bond.
- Dites-le, asséna l’homme avec une savante fermeté.
- Non.
- Dites-le, je vous en prie, je n’ai pas toute la nuit, moi !
La bénévole soupira. Les larmes lui montaient aux yeux.
- Son âme ! lâcha-t-elle avant de se mettre à gémir, les pieds sur le fauteuil, genoux remontés sous son menton.
- Vous voyez Wendy, l’histoire ne peut pas bien se terminer. Il n’y a
jamais de happy end pour les contes de diable, de loup et d’enfant. Et
pourtant, le monde est rempli d’histoires de ce genre, nous sommes tour à
tour l’enfant, le loup puis le diable. Pas nécessairement dans cet
ordre, cela va de soi. Alors qui êtes-vous, Wendy ?
- Wendy… murmura-t-elle dans un sanglot fiévreux.
- Faites un effort, je vous prie, insista Philipe.
- Cyndel… consentit-elle à répondre en fermant les yeux, à la fois soulagée et accablée.
- Respirez, ne vous mettez pas dans un tel état ma chère, ce n’est qu’une histoire.
- Qu’est-ce que…
- Oui ?
- Je veux savoir ce qu’il est advenu de Cyndel… dans votre…
- Vous n’avez toujours rien compris, pauvre enfant. Ce n’est pas mon
histoire, c’est la nôtre, la vôtre autant que la mienne. Vous avez
laissé la porte ouverte, Wendy. Il est trop tard pour la refermer. »
La jeune femme se retourna vivement vers la porte du bureau. Celle-ci
était close, tout comme chacune des huit fenêtres qui jalonnaient les
murs gris de la pièce. Elle se maudit alors. Les autres étaient partis
et elle n’avait rien remarqué, absorbée par le récit flippant de ce
tordu.
Fermement décidée à couper court à l’échange, elle colla son oreille au combiné et se sentit défaillir.
Bip bip…
Philipe avait raccroché. Mais bien loin d’être rassurée, elle se leva et
alla verrouiller la porte d’entrée avant de mettre en route la machine à
café.
« Une cerise noire, n’oubliez pas… Je ne m’étais pas trompé, vous auriez
pu être la Cyndel de mon histoire, et vous êtes assurément celle de la
nôtre, déclara alors la voix toute proche et bien réelle de l’homme.
La jeune femme laissa échapper un cri avant de se réfugier dans son
bureau. L’air hagard, elle se mit à fixer l’encadrement de la porte
restée grande ouverte.
- Vous me ravissez chère Wendy, vous ne donnez pas dans le cliché. Ces
femmes apeurées, constamment au bord de l’hystérie, c’est passé de mode !
- Vous êtes le diable… ? articula la jeune femme d’une voix à peine audible.
- Le diable ? répéta l’homme avant d’éclater de rire. Grand dieu, non !
- Alors qui êtes-vous… ?
- Je suis le loup, Wendy.
- Que voulez-vous… ?
- Je suis venu chercher Cyndel pardi !
- Cyndel… ? fit la jeune femme en levant enfin les yeux vers la silhouette sombre dont la présence occupait toute la pièce.
- Ma jolie, ma tendre et sadique petite Cyndel, s’amusa la silhouette
dont le sourire s’élargit pour laisser apparaître deux crocs
étincelants.
- Vous n’êtes ni le diable ni un loup… ! s’écria Wendy, horrifiée.
Philipe éclata à nouveau de rire, d’un rire profond et sincère.
- Un loup, un vampire, quelle diable différence cela fait-il ? Moi je ne porte pas de canne.
La jeune femme, recroquevillée sur elle-même, gémissait de plus en plus
bruyamment. Touché, l’homme s’avança vers elle, s’agenouilla à ses côtés
puis posa sa joue glacée contre la sienne et dit :
- Cyndel piégea le diable en faisant croire à la mort du loup. Mais n’ayez crainte, même maudit, je n’en suis pas moins heureux.
- Que voulez-vous… répéta Wendy, prise de tremblements.
- Au début, je voulais simplement vous raconter cette histoire, car je
l’aime bien, et, n’ayant personne sous la main, je me suis dit qu’elle
divertirait une pauvre âme accoutumée au malheur des autres. Je
souhaitais humblement égayer votre soirée. Gageons que vous ne
nourrissiez peut-être pas le même goût que moi pour les histoires
sombres enrobées d’une élémentaire absurdité, s’expliqua-t-il d’un ton
tranquille. Puis j’ai voulu tirer de vous un peu d’espoir. L’espoir se
crée à deux, voyez-vous, il se partage. Et je me suis laissé dire que la
petite Cyndel au fond de vous baiserait bien le diable en ma compagnie,
car votre vie est au moins aussi merdique que la mienne, il faut bien
l’avouer. Vous autres humains passez une existence éclaire sur terre à
chercher un but que vous poursuivez becs et ongles jusqu’à la tombe, les
plus intelligents renonçant avant. Nous les vampires, c’est ce trop
plein de temps qui nous pourrit, cela fait tourner la tête, et vous avez
tôt fait de perdre le fil pour vous retrouver à disséquer un vieux
conte sans queue ni tête avec ce qui pourrait être votre repas. Vie de
merde, vous ne trouvez pas Wendy ? »
Driiing, driiing
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