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Le musée de l'Homme-lombric.

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Le musée de l'Homme-lombric. Empty Le musée de l'Homme-lombric.

Message  Zlatko Jeu 1 Aoû - 17:32

Il était une fois un homme qui n'était pas né comme il faut. C'est-à-dire que sa douceur n'était pas proportionnelle au monde qui l'entourait : il se découvrit à seize ans une passion pour les fleurs ; à dix-huit, une autre pour la flûte traversière. Pauvre taré, disaient les hommes : en effet ils rotaient sur leurs motos et faisaient des batailles de barbes. Pauvre bébé, disaient les femmes, il ne saura jamais nous battre comme il faut.

Ainsi il allait au gré du vent. A vingt-deux ans on lui trouva une place dans une Fabrique à Tubes. C'était la révolution du Siècle. Depuis qu'on avait remplacé les aliments par une mixture universelle à base de crotte de chien, colorée et parfumée selon les goûts, l'humanité vivait beaucoup mieux. D'ailleurs, la campagne menée pour les Fabriques à Tubes était très bien faite. Tout le monde pouvait y travailler, de huit à cent ans. Un Savant ayant en plus prouvé que la crotte de chien correctement préparée contenait autant de fibres et de protéines qu'un pot-au-feu complet pour cinq personnes, on fut réellement satisfait.

L'homme travaillait depuis trois ans. Installé dans son Siège à Tubes, un bouton dans chaque main, sous chaque pied, il attendait que la crotte de chien mauve, bleue et jaune les remplisse entièrement. Il appuyait sur le bouton et le tube se bouchait. La beauté de l'exercice tenait en une chose : les approvisionnements de crotte n'étant pas réguliers, il lui arrivait d'attendre, les yeux rivés aux tubes, plus d'une demi-heure sans rien faire ; tandis qu'aux heures de pointe, chaque tube se remplissait en moins de trois secondes. C'était du sport.

Au moins le travail était doux ; boucher un tube, même plein de crotte, ça ne fait de mal à personne.

Il advint qu'un matin, le petit homme amoureux de la réceptionniste depuis longtemps se décida à lui déclarer sa flamme. Au déjeuner, posé devant elle il dit, Jolie chose, je vous veux dans mes bras, et il entama son plus bel air de flûte. La réceptionniste se gratta dans la culotte et soulevant son chemisier, lui dévoila un dos lardé de coup de fouets : voilà, dit-elle, ça c'est ce que j'attends d'un homme. Et elle s'en fut manger son tube de crotte du midi.

Le lendemain on ne vit pas l'homme au travail ; ni le jour suivant. Bientôt son appartement fut fouillé ; une flûte, posée en travers du lit, ne servait plus à personne ; des fleurs en pots achevaient de mourir. On mit quelqu'un d'autre dans son Siège à Tubes et on n'en parla plus.

Pourtant, l'histoire était tout à fait intéressante. Désespéré, il avait sauté par la fenêtre et s'était brisé les jambes. Pas mort du tout, rampant parmi les poubelles, l'homme était sorti de la ville ; au premier champ, creusant toujours plus profond, soulevant de grandes brassées de terre il se fit, à l'aurore, quelque chose comme un nid. Il prit en quelques heures une résolution merveilleuse. Et traînant derrière lui ses jambes inutiles il creusa.

Au bout de quelques mois, une rumeur commençait de se répandre : là, on avait aperçu un homme à la peau grise sortir du sol ; ailleurs, une fermière jura ses grands dieux avoir vu, tout en face d'elle, un lombric de la taille d'un homme. En effet le joueur de flûte n'arrêtait plus de creuser. Il engrangeait la terre, la digérait ; sa peau en prenait la couleur ; ses jambes atrophiées, collées l'une à l'autre de gangrène et de sucs, ondulaient au rythme de ses explorations. Bientôt repu de fuite, il se fit une caverne, badigeonnée de salive et consolidée de bois ; tout était prêt.

Une nuit il sortit la tête : c'était Noël. Le vent gonflait de flocons doux. Il rampa jusqu'à la maison la plus proche, décorée de guirlandes ; ses yeux, habitués au noir du sous-sol, en suivaient fascinés les illuminations électriques. Il bavait, et arrachant la première qui venait, il croqua dedans. C'est bon, dit-il, bien meilleur que la crotte de chien. Son ventre rendit un son satisfait. Un morceau de guirlande jaune y clignotait. Ensuite il frappa à la porte. C'est pour quoi quoi, dit une voix de femme chantante ; comme elle ouvrait, il lui faucha les jambes, écrasa de tout son poids sa tête sous ses poings et disparut, en quelques minutes, dans son seul abri : les profondeurs.

De retour à la caverne, il prit un plaisir songeur à la regarder mourir. L'ayant vidée, il piocha dans un gentil tas de foin de quoi la rembourrer, et l'installa nue contre un mur. Je suis un grand artiste, dit-il. En effet il avait accroché au plafond un écriteau : Musée de l'Homme-Lombric. Et son ventre clignota jaune, de plaisir.

C'est ainsi qu'il commit la première œuvre d'une longue série. Il gagnait en assurance ; ayant pris le soin de piller quelque étable d'une ration de foin, il sélectionnait une maison isolée, écoutant parfois plusieurs semaines, contre le bois d'un mur, les voix à l'intérieur. Assuré du départ de l'homme à barbe, il cognait à la porte, frappait fort et coulait, lesté de son fardeau agonisant, sous la terre. Son appétit sans fin pour les guirlandes le poussa bientôt à ne plus sortir qu'à Noël : il aimait regarder la mort des femmes, la dernière lumière au fond de l'œil s'éteindre, tandis qu'il nourrissait son ventre de lampions. Lorsqu'elles trônaient jolies, le ventre gonflé de foin, contre l'angle arrondi de la terre des murs, il repensait à la réceptionniste en souriant, et sifflait tout bas un air de flûte.

Ayant enrichi sa collection, il sentit passé trente ans un autre désir : celui d'un autre chez-soi, où les femmes n'auraient pas toujours la peau blanche ; et il creusa de-ci de là, jusqu'aux limites du Continent, puis sous la mer. Il installait des Musées partout, tuant et vidant aux quatre coins du monde. Je suis l'Homme-Lombric, disait-il, le Taxidermiste. Il raffinait l'acte de tuer, arrachant ici et là œil, dent ou doigt, pour prolonger l'agonie ; jouissant de la souffrance des femmes, comme elles le désiraient.

Il advint qu'un lendemain de Noël il sentit, au réveil, le plafond d'un Musée gronder. Quelque chose roulait au-dessus de sa tête. Curieux, il creusa jusqu'à la surface et vit, arrêté non loin de son terrier, un immense train violet, tordu et fumant, en attente de voyageurs. Au dernier wagon il se laissa couler contre un siège. Le train repartait. A l'arrêt suivant il aperçut une pancarte qui annonçait : Station Dortoir des Chiens. Un énorme bâtiment noir se dressait, tassé, menaçant, entre quatre murs de briques.

Ayant rampé jusqu'à l'entrée il vit un comptoir ; derrière, une vieille femme aux lunettes rondes, dont les yeux roulaient dans leur orbites, le regardait. Bienvenue au Dortoir des Chiens, dit-elle. Je suis le Dynamiteur.

 

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Le musée de l'Homme-lombric. Empty Re: Le musée de l'Homme-lombric.

Message  Nilo Sam 3 Aoû - 16:34

Mon Dieu, c'est affreux !
Mais le pire c'est sans doute ça :
Pauvre bébé, disaient les femmes, il ne saura jamais nous battre comme il faut.

Tout vient de là, et y retourne.

Nilo, imberbe.

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Le musée de l'Homme-lombric. Empty Superbe et terrifiant!

Message  debby Dim 4 Aoû - 9:01

La première impression que j'ai eu en lisant le début de cette histoire était "que c'est bien écrit!", puis "il a su planter en quelques lignes un univers incroyable, duquel on ne peut plus se décrocher", puis "l'histoire prend une tournure bizarre, inattendue" et "C'est horrible, mais tellement bien raconté". En résumé, quel talent! On aurait dit un peu l'univers de Tim Burton, j'adore.
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Le musée de l'Homme-lombric. Empty Re: Le musée de l'Homme-lombric.

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