Fusée

Catherine attendait depuis une heure. Assise sur un banc, au milieu du parc, elle montrait quelques signes d'impatience. Elle était plutôt calme d'habitude, mais aujourd'hui elle ne pouvait se fixer sur quoi que ce soit, et même son occupation favorite, regarder passer les gens, ne la distrayait pas.
Quand arriva Adolphe, nonchalant, elle se leva d'un trait comme si elle allait lui sauter dessus, le regard interrogateur. Le jeune homme ne fut pas surpris de cette attitude et s'assit sur le banc, déposant à coté de lui son petit porte-documents.

• Comme d'habitude, tu es en retard, affirma-t-elle d'un ton légèrement agressif.
  
• Oui, peut-être, mais cette fois ci, c'est la bonne, répondit paisiblement Adolphe. Ma préoccupation principale, le lieu du lancement , est maintenant réglée. Mon père m’a loué un petit appartement avec un accès au toit. Tu peux venir voir l'engin si tu veux.
  
• D'accord, mais allons-y maintenant, proposa-t-elle, je dois être à la fac à 14 heures. Je ne veux pas rater le cours de balistique. Tu devrais venir d'ailleurs, cela te ferait le plus grand bien.
  
• Je n'ai pas besoin de suivre de cours de balistique. Tu verras que je sais me débrouiller tout seul.
  

Les deux camarades se mirent en route pour le studio d' Adolphe qui se situait dans le sixième arrondissement. Des étincelles dans les yeux, Adolphe ne pouvait réprimer ce sentiment de puissance qui l'habitait. Après plusieurs années de recherche, sa fusée était prête. Et rien ne pourrait stopper sa réalisation. Il aurait peut-être quelques ennuis avec les autorités, certes, mais il s'en fichait. C'était le projet de sa vie, les bénéfices qu'il allait en tirer seraient cent fois, mille fois supérieurs aux désagréments.

• J'ai prévu de fuir au Canada après le lancement, avertit Adolphe comme il montait les escaliers menant à son appartement. D'ici une semaine, tout sera prêt, et si tu veux, tu pourras assister à l'événement. Les médias s'empareront bien sûr de l'affaire et tu verras, cela fera la une des journaux.
  
• Mais tu ne m'as toujours pas dit quelle était la destination de ta fusée, interrogea Catherine.
  
• Tu verras bien. Ce sera la surprise, je préfère que tu ne le saches pas.
  

Une fois dans la chambre de l'étudiant, les deux conspirateurs allèrent directement sur le toit pour examiner l'engin. Catherine fût extrêmement surprise par le capharnaüm qui régnait à proximité du dispositif, mais plus encore par la forme de la fusée. En effet, elle était pratiquement creuse, ne transportant pratiquement que du carburant, et bizarrement, aucun chargement.

• Je croyais que tu voulais y placer des explosifs, susurra Catherine.
  
• Je ne vais pas la charger d'explosifs, répondit-il. Ça aussi ça sera la surprise.
  

La jeune femme s'interrogea quelques minutes puis décida de ne pas chercher à comprendre.
Puis elle conclut qu'il était temps de se rendre à son cours.

Les deux camarades ne se revirent pas pendant la semaine, mais le lundi suivant, Catherine fût attirée par la une des journaux : un hurluberlu avait fait décoller une mini-fusée d'un toit de Paris. L'engin avait filé vers l'espace, ne causant aucun dégât. L'enquête se poursuivait dans les milieux étudiants.
Catherine se posait beaucoup de questions sur la santé mentale d'Adolphe. Qu'avait-il donc cherché à réaliser ? Quel était le but final de son projet ? Malgré toutes ses tentatives, elle ne réussit pas à le joindre. Il était peut être effectivement au Canada.
Dubitative, elle oublia cette expérience qui semble-t-il s'était terminée par un fiasco.

Quelques années plus tard, La jeune femme ayant poursuivi avec succès ses études de mécanique, réalisa avec surprise que le monde était petit. En plein été, alors qu'elle lisait sur un banc du jardin du Luxembourg, elle croisa Adolphe, c'était bien lui, toujours porteur d'un petit porte-documents. Celui-ci, nullement surpris, vînt s'asseoir à coté d'elle.

• Tu reviens du Canada ? Interrogea-t-elle.
  
• Oui, j'y suis resté six ans en attendant, et tout s'est passé comme j'avais prévu, répondit-il.
  
• Alors cette fois tu vas me dire, qu'y avait-il à bord de ta fusée ?
  
• Oui, je vais tout t'expliquer, mais il faut que tu viennes chez moi, j'habite juste à côté.
  

Catherine, d'abord surprise, décida de faire confiance à son ami et le suivit dans son nouvel appartement. Curieuse de connaître la suite, elle ne fît pas attention à son regard un peu fou. Une fois chez lui, il confia :

• Tu vois Catherine, dans ma fusée il n'y avait pas d'explosifs, ça n'aurait servi à rien. Il y avait un message. Un message pour les extra-terrestres, avec les coordonnées du système solaire. Ils ont fini par recevoir ce message, et m'ont contacté. Comme je leur ai demandé, ils ont fait de moi leur ambassadeur sur la Terre et m'ont confié une mission : La détruire. Tu ne te rends pas compte, Catherine ! Ambassadeur d'une autre forme de vie ! Je dois obéir ! Je dois vous détruire !
  

Il sortit un objet étrange et fît feu sur Catherine qui tomba au sol.