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Je me suis faite ….
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Je me suis faite ….
Gary était tout ce que mon père détestait : Beau parleur, insouciant, volontiers frimeur au point d’étaler ses possessions et d’en faire l’article sans éprouver le moindre sentiment de honte. Gary souriait sans cesse, sans que cela paraisse forcé. Il était né la même année que mon père, mais cela ne se voyait pas. Il était habillé comme les copains du lycée, les cheveux mi-longs, une barbe de trois jours, un concentré de beau gosse sans aigreur. Un croisement de rocker et de présentateur télé.
Il paraissait être taillé pour la solitude, comme d’autres le sont pour le mariage et c’était aussi l’une des choses qui déplaisait à mon père, ce côté frondeur et libre. De temps à autres, Gary entreprenait ma mère, flattait sa toilette, frôlait sa coiffure d’un doigt expert et, lorsqu’il finissait par obtenir des gloussements, mon père, secoué de tics de son côté, se mettait à fumer ou à blêmir.
Notre chalet jouxtait le sien et chaque été, nous retrouvions Gary, fidèle au poste, bronzé, luisant, lumineux. Le visage pâle de mon père achevait de les ranger dans deux catégories bien distinctes, comme l’ombre et la lumière. Mon père faisait toujours la tronche. Il était soit fatigué, soit en colère, soit excédé par les caprices de ma mère. Une chose était sûre, il était toujours indisponible en cas de besoin, spécialement si lesdits besoins étaient exprimées par sa femme. Et cela était d’autant plus vrai en période de vacances. « Born to be pénible », voilà ce qui devrait être écrit sur ses tee-shirts !
Il fait froid.
Savoir que je suis enfouie à quelques mètres du lac, aux pieds des montagnes, ne fait qu’accroître ma peine. Mon paysage s’est rétréci à quatre pans sombres et un plafond bas.
Le sourire de Gary n’est plus le même depuis quelques semaines. Je dois être très gentille, je dois me plier à sa « gymnastique », je dois me servir des accessoires qu’il me tend. Gary se lasse vite, ou peut-être suis-je mauvaise à cela. Chaque fois, il faut aller un peu plus loin, avoir un peu plus honte, un peu plus mal. Son regard se nourrit d’une souffrance qui rebondit, comme au squash sur les murs du cachot. Cette envie de vivre, de lâcher du lest, de s’envoler au dessus d’un corps envahi de chair et d’envies dures. Je sens qu’il me faut préserver cette flamme, coûte que coûte.
Toux rauque, draps humides, comme la mort qui s’invite sous la couette avec ses pieds gelés. Toujours dans cet enfer. Que fait donc mon père ? Auprès de qui glousse ma mère ? Gary m’affirme que les recherches me concernant sont terminées, que ma tête n’apparaît plus aux journaux télévisés, que mes parents parlent de vendre le chalet pour acheter près de la mer. « Tu es un fait divers recouvert par cent nouveaux drames !» C’est ce qui me tue le plus et Gary s’en est rendu compte. Souvent il quitte mon cachot en me rappelant que je n’existe que pour lui. Je laisse le froid m’envahir, la fièvre m’ébranler. Je reste gentille dans mes quelques mètres cubes. On est toujours seul, c’est ce que répétait sans cesse mon père quand ma mère lui reprochait de s’isoler. « On vit seul, on souffre seul, on crève seul. C’est pas des conneries » ajoutait-il « Françoise Sagan disait à peu près la même chose. »
Je suis dure avec ma mère. Il s’est servi du même sourire pour me flatter. Et la veille du 14 juillet, tandis que mes vieux ronflaient en cœur sur fond de blancs limés, je suis allé sans contrainte au rendez-vous fixé par Gary. Comme elle, je me suis laissée approcher, vaniteuse, flattée par son intérêt adulte. Quatorze ans, des cris, des pétards, de l’ivresse et de la musique ; Ajouté à cela la perspective d’un truc d’enfer à raconter aux copines à la rentrée scolaire. Je me suis faufilée à travers la haie et Gary m’attendait torse nu sur la terrasse. Les verres se sont vidés, les mains se sont attardées, puis le trou noir. Rien jusqu’au réveil dans le cachot et l’ombre de Gary sur moi. Embastillée un 14 juillet. C’est vraiment trop con.
Born to be pénible. Mon père. Je songe à lui tout le temps. Il est comme moi, sans réponse sur la durée de sa peine. Je pense qu’il souffre, qu’il crève autant que moi, que sa cellule est aussi sombre que la mienne, peut-être plus encore. Je ne suis plus seule, je suis avec mon père contre Gary. Ma meilleure chance c’est lui : Il le détestait d’instinct, quand tout le monde l’appréciait. Il pouvait le haïr sans preuve, le soupçonner sans raison. Bientôt quinze ans. Je vais peut-être crever ici, à force de tenter de séduire mon ravisseur. Je deviens une vraie femme selon lui, je m’affine comme un fromage en cave. Je suis plutôt en train de pourrir sur pied, à nourrir mes rêves d’images apaisantes comme la surface lisse du lac au matin et les balcons enneigés…
Trouvez-moi avant qu’il ne soit trop tard. Je veux connaître le jour où Gary aussi se fera…
Il paraissait être taillé pour la solitude, comme d’autres le sont pour le mariage et c’était aussi l’une des choses qui déplaisait à mon père, ce côté frondeur et libre. De temps à autres, Gary entreprenait ma mère, flattait sa toilette, frôlait sa coiffure d’un doigt expert et, lorsqu’il finissait par obtenir des gloussements, mon père, secoué de tics de son côté, se mettait à fumer ou à blêmir.
Notre chalet jouxtait le sien et chaque été, nous retrouvions Gary, fidèle au poste, bronzé, luisant, lumineux. Le visage pâle de mon père achevait de les ranger dans deux catégories bien distinctes, comme l’ombre et la lumière. Mon père faisait toujours la tronche. Il était soit fatigué, soit en colère, soit excédé par les caprices de ma mère. Une chose était sûre, il était toujours indisponible en cas de besoin, spécialement si lesdits besoins étaient exprimées par sa femme. Et cela était d’autant plus vrai en période de vacances. « Born to be pénible », voilà ce qui devrait être écrit sur ses tee-shirts !
Il fait froid.
Savoir que je suis enfouie à quelques mètres du lac, aux pieds des montagnes, ne fait qu’accroître ma peine. Mon paysage s’est rétréci à quatre pans sombres et un plafond bas.
Le sourire de Gary n’est plus le même depuis quelques semaines. Je dois être très gentille, je dois me plier à sa « gymnastique », je dois me servir des accessoires qu’il me tend. Gary se lasse vite, ou peut-être suis-je mauvaise à cela. Chaque fois, il faut aller un peu plus loin, avoir un peu plus honte, un peu plus mal. Son regard se nourrit d’une souffrance qui rebondit, comme au squash sur les murs du cachot. Cette envie de vivre, de lâcher du lest, de s’envoler au dessus d’un corps envahi de chair et d’envies dures. Je sens qu’il me faut préserver cette flamme, coûte que coûte.
Toux rauque, draps humides, comme la mort qui s’invite sous la couette avec ses pieds gelés. Toujours dans cet enfer. Que fait donc mon père ? Auprès de qui glousse ma mère ? Gary m’affirme que les recherches me concernant sont terminées, que ma tête n’apparaît plus aux journaux télévisés, que mes parents parlent de vendre le chalet pour acheter près de la mer. « Tu es un fait divers recouvert par cent nouveaux drames !» C’est ce qui me tue le plus et Gary s’en est rendu compte. Souvent il quitte mon cachot en me rappelant que je n’existe que pour lui. Je laisse le froid m’envahir, la fièvre m’ébranler. Je reste gentille dans mes quelques mètres cubes. On est toujours seul, c’est ce que répétait sans cesse mon père quand ma mère lui reprochait de s’isoler. « On vit seul, on souffre seul, on crève seul. C’est pas des conneries » ajoutait-il « Françoise Sagan disait à peu près la même chose. »
Je suis dure avec ma mère. Il s’est servi du même sourire pour me flatter. Et la veille du 14 juillet, tandis que mes vieux ronflaient en cœur sur fond de blancs limés, je suis allé sans contrainte au rendez-vous fixé par Gary. Comme elle, je me suis laissée approcher, vaniteuse, flattée par son intérêt adulte. Quatorze ans, des cris, des pétards, de l’ivresse et de la musique ; Ajouté à cela la perspective d’un truc d’enfer à raconter aux copines à la rentrée scolaire. Je me suis faufilée à travers la haie et Gary m’attendait torse nu sur la terrasse. Les verres se sont vidés, les mains se sont attardées, puis le trou noir. Rien jusqu’au réveil dans le cachot et l’ombre de Gary sur moi. Embastillée un 14 juillet. C’est vraiment trop con.
Born to be pénible. Mon père. Je songe à lui tout le temps. Il est comme moi, sans réponse sur la durée de sa peine. Je pense qu’il souffre, qu’il crève autant que moi, que sa cellule est aussi sombre que la mienne, peut-être plus encore. Je ne suis plus seule, je suis avec mon père contre Gary. Ma meilleure chance c’est lui : Il le détestait d’instinct, quand tout le monde l’appréciait. Il pouvait le haïr sans preuve, le soupçonner sans raison. Bientôt quinze ans. Je vais peut-être crever ici, à force de tenter de séduire mon ravisseur. Je deviens une vraie femme selon lui, je m’affine comme un fromage en cave. Je suis plutôt en train de pourrir sur pied, à nourrir mes rêves d’images apaisantes comme la surface lisse du lac au matin et les balcons enneigés…
Trouvez-moi avant qu’il ne soit trop tard. Je veux connaître le jour où Gary aussi se fera…
Re: Je me suis faite ….
Et bien voilà une entrée digne d'intérêt.
Nilo, à suivre.
Nilo, à suivre.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Je me suis faite ….
waoufffffffffff !!!
encore un texte pris en pleine gueule, plein les tripes ( je me répète mais tu peux pas savoir, tu viens d'arriver ! )
Yzaé, bouleversée
encore un texte pris en pleine gueule, plein les tripes ( je me répète mais tu peux pas savoir, tu viens d'arriver ! )
Yzaé, bouleversée
Yzaé- MacadAccro
- Messages : 696
Date d'inscription : 07/10/2009
Age : 65
Localisation : touraine
Re: Je me suis faite ….
A te relire après m'être cogné dans le mur à Dédé je me dis que tu ferais bien de revenir poser tes lignes ici.
Parce que souvent la pêche est bonne.
Nilo, être et ne pas avoir.
Parce que souvent la pêche est bonne.
Nilo, être et ne pas avoir.
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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Je me suis faite ….
Ben me revoilou...
du boulot... de la romance... un petit tour à Paris, à Tours, puis vers l'ile bouchard pour les connaisseurs, pendant les fêtes peu d'écriture au milieu de tout cela... peu de lecture également. je vais me rattraper...
du boulot... de la romance... un petit tour à Paris, à Tours, puis vers l'ile bouchard pour les connaisseurs, pendant les fêtes peu d'écriture au milieu de tout cela... peu de lecture également. je vais me rattraper...
_________________
"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Je me suis faite ….
pfff... la vie va trop vite parfois...
de passage après un long silence. je continue d'écrire dans mon coin et de jongler avec les éléments de mon petit monde...
de passage après un long silence. je continue d'écrire dans mon coin et de jongler avec les éléments de mon petit monde...
_________________
"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Je me suis faite ….
merci...
à chaque fois, je me dis que je devrais passer plus souvent par ici... et je repousse au lendemain. Pourtant j'y trouve souvent de très bonnes choses.
à chaque fois, je me dis que je devrais passer plus souvent par ici... et je repousse au lendemain. Pourtant j'y trouve souvent de très bonnes choses.
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"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Je me suis faite ….
Moi aussi mon premier vivant, et comme tout le monde j'ai bien aimé, tu as très bien su te mettre dans la peau de cette adolescente.
Au début je n'imaginais pas que l'histoire tournerait de cette façon et du coup la lecture passe vite.
Au plaisir de te relire.
Au début je n'imaginais pas que l'histoire tournerait de cette façon et du coup la lecture passe vite.
Au plaisir de te relire.
spandrell- MacadAccro
- Messages : 573
Date d'inscription : 14/09/2009
Re: Je me suis faite ….
J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Quatorzième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
_________________
Ciao les gonzesses, c'était Dédé.
Dédé- MacaDédé
- Messages : 1885
Date d'inscription : 04/09/2009
Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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