Mona Lisa

C'est encore trés long...et malgrès le souhait de ne pas lasser les lecteurs c'était difficile de couper... Milles excuses



Depuis deux ans, elle vivait sa vie Entre la cuisinière et l’armoire à casseroles.
Une vie paisible, une vie de poule. Giovanni l’avais vu arriver en plein après midi alors qu’il sortait de la cabane qui servait de toilettes. Ou plutôt, il l’avait entendu. Un tourbillon de plumes sonores dans la gueule de Van Gogh.
Elle passait par là, comme si cela était normal qu’une poule de ferme passe sur le chemin de la colline. Van Gogh, à son habitude, l’avait trainée par une aile dans la maison ce qu’elle avait, à l’évidence, peu apprécié. Là, hébétée, assoiffée aussi, elle avait trouvé son havre et les miettes de la cuisine.
Depuis son nid, dans un carton de fortune, abritait son trésor. Mona Lisa, aussitôt baptisé par Giovanni, couvait avec ardeur tout ce qu’elle trouvait.
Giovanni respectueux à l’extrême des choses de la nature et des êtres, ressentait plus de compassion et d’empathie à l’égard de ce que d’aucun aurait apprécié avec hilarité. Il comprenait Mona Lisa et son attitude étrange le troublait plus qu’elle l’amusait. Lors des rares visites qu’il recevait, il la cachait derrière une de ses toiles.
Mona Lisa ignorait ce que pouvait être l’humour, mais elle connaissait cet instinct maternel qui faisait tant défaut à ceux d’en bas. Sa tète de poule était pleine d’œufs éclos et de jaunes poussins. Ses ailes appelaient les petits ; ses pattes griffues grattaient pour eux. Même en ignorant le coq, elle pensait pouvoir donner la vie et aimait déjà les successeurs de sa courte existence, enfin, autant que peut aimer une poule…

Giovanni connaissait mieux que quiconque le sens de l’humain et son profond enracinement dans la condition animale.
Il connaissait l’origine des religions et les tabous chargés de préserver et de perpétuer l’espèce humaine; Interdire l’inceste pour garantir la diversité génétique, préconiser la circoncision dans une société ou le phimosis était commun et interdisait à l’âge adulte toute procréation ou interdire de consommer le porc porteur dans ces contrées de parasites mortels…Il voyait à travers ces interdits, la sagesse antique des hommes, précieuse et naïve. Il voyait aussi, dans l’ingéniosité des miracles et des rites l’impuissance humaine à accepter sa condition de mortel sans espoir, l’absurdité de la vie, mais surtout celle de la mort, éternelle et définitive.
Son expérience passée lui faisait apprécier ces secrets jadis redoutablement gardés : Delphes et sa pythie que des rois couvraient de trésors, le mystère de la sainte lance galvanisant des croisés exténués, celui de l’ampoule du sang de saint Gennaro conservée à Naples et qui se liquéfie dans les premiers jours de septembre avec la ponctualité d’un régulateur suisse…Ses connaissances faisaient de lui, non pas un initié supérieur et puissant, mais un être conscient de sa vacuité. En fait, il avait raté de peu la sagesse. Retombé sur terre conscient et volontaire, il avait choisi de rester homme parmi les hommes. Désenchanté pourtant.

Depuis longtemps, Giovanni intégrait et comprenait les tabous sans les condamner. Cette conscience n’entrainait chez lui aucun esprit de supériorité. Il avait définitivement choisi d’être humain. Malgré ce choix christique, il ne croyait pas mais comprenait que l’on ait besoin de croire pour accepter cette pitoyable évidence : vivre et mourir un jour.

Cette lucidité, Giovanni la vivait comme l’extrême pauvreté de celui qui a perdu le tendre espoir de revoir un jour les êtres chers et disparus. Aussi, il enviait ceux qui croyaient encore et conservait beaucoup d’admiration pour les prêtres qui vivaient selon leur foi et savaient pratiquer le pardon et la vraie charité qui n’est pas matérielle.
Le Taiseux, lui, ignorait l’humour comme on évite de passer près de l’échafaud lorsque l’on y a échappé de peu.
Toujours raillé, il savait quelle douleur entrainait le mépris qu’il confondait avec l’humour. En fait, il était trop pauvre, trop affamé, trop souvent battu pour se permettre ce subtil regard sur les autres ou sur soi. Christophe ne riait jamais il ne souriait que lorsqu’il percevait de la douceur dans une parole ou un regard ; cette douceur qui lui manquait depuis le jour de sa naissance.
Christophe était depuis toujours une bête traquée et son énergie déployée entièrement pour survivre. Chez Giovanni, il avait trouvé son port ce qui lui ouvrait des horizons inconnus ; La beauté était présente dans la peinture forte du maître comme elle l’était dans l’âme de celui-ci.
Et puis il y avait le piano, certes désaccordé, mais combien magique lorsque, exténué par une journée de long labeur, Giovanni jouait, absent, les yeux clos.
La beauté explosait aussi dans des gestes simples : la taille douce d’un arbuste, le respect pour la couleuvre de la grange, le soulagement de retrouver les escargots après une sécheresse redoutable…
Avec le calme de la vielle bergerie Le Taiseux découvrait une notion qu’il ignorait depuis toujours et que le terme de luxe désigne mal car il suggère l’inutilité.
Après tout, ce qui faisait couver Mona Lisa, c’était l’amour, même si ce terme s’écrit en minuscule quand il s’agit d’un amour de poule.
Et si celle-ci couvait n’importe quoi finalement ce n’était pas drôle.
Une fois, Giovanni avait cherché son briquet en vain. Il l’avait retrouvé enfin, au chaud sous les plumes de la candidate au rôle de mère. Celle-ci avait défendu l’objet adopté avec la dernière énergie. Il en avait conclu que même les ovipares font des grossesses nerveuses.
Lo semblait comprendre l’animal. Lorsqu’elle protestait dans les nombreux cas semblables avec, tour à tour, un oignon, un quignon de pain, une éponge, il disparaissait et on le retrouvait en boule prostré sous un meuble.
Giovanni, au milieu de ces êtres ne supportant pas la violence, même minime, dormait mal et dans ses nuits entrecoupées d’angoisses où il se levait pour peindre il ressentait l’impression honteuse d’apercevoir un enfant ingénu au milieu d’une scène de luxure.
Dans ce paysage d’indécente, de noire stupidité violente qui ponctuait la vie si proche des villageois, il protégeait, tutélaire, l’innocence et la fragilité.
Giovanni se sentait vieux et impuissant parfois. Il enviait ceux que l’usage de boissons ou de drogues éloignent pour un temps de la cruelle réalité. Mais il se sentait, aussi, tellement responsable, comme arquebouté contre la porte frêle qui sépare de la tempête des autres.

In"Le Crétin des montagnes"

Swann, 2008

Je dois dire que même si j'apprécie toujours la plume, je me perds un peu dans cet extrait. Je ne sais pas qui sont Christophe et Lo, et bien qu'il me semblait avoir suivi jusqu'ici, le long passage consacré au premier ici fait apparaître le manque. J'ai dû passer à côté de quelque chose.

Tu as raison, Sasvata, je me dois de donner la trame de ce roman sans laquelle il semble difficile de comprendre quelque chose. La voici donc pour Toi.

Le Crétin des montagnes

Personnage éponyme. Christophe, dit « le Taiseux « dit le « Crétin des montagnes » par ses détracteurs. Il n’est nullement atteint de crétinisme des montagnes, maladie liée au manque d’iode dans certains massifs montagneux et qui rendait les enfants lents et attardés.
En fait, il est taciturne mais intelligent et sensible. Poursuivi par les gens violents et obscurantistes du village qui le disent possédé par le diable.

Giovanni
D’origine Rom par sa mère et de père présumé italien, Giovanni a vécu longtemps nomade, son père ayant fui l’Italie peu après 1870.
Vit avec son chien Van Gogh, un nourrisson maladif et débrouillard de deux ans du nom de Lo, une poule Mona Lisa.
Lo est abandonné et a été recueilli par Giovanni.
Giovanni est lunaire et sage, se consolant et se nourrissant de la beauté des choses. Peintre, poète à ses heures, Il prend le Taiseux comme apprenti. Celui-ci rêve d’écrire des poèmes mais se désespère car il n’y parvient pas.

Giovanni habite au dessus du village dans la colline.

Le village est situé dans une Provence sans époque et sans aucune technologie.
La colporteuse. Passe dans la campagne et propose ses articles : exclusivement des objets religieux et des objets pornographiques (il n’y a que ça qui se vende, dit-elle…) Amie de Giovanni. Sa laideur et son haleine repousseraient les plus endurcies. Le curé est un fidèle client…

Le châtelain. Personnage énigmatique, ancien combattant solitaire et désabusé, recueille « Muette » une sauvageonne. Il raconte des histoires étranges et inquiétantes. Est-il l’assassin du rebouteux dit »Le Malin » retrouvé mort dans la neige d’une balle en plein front deux années auparavant, et qui faisait chanter les villageois et violait les enfants ?

Les Gens du village, dit « les Gens » stupides, méchants et dégénérés très croyants, méprisent Giovanni et le calomnient.
L’épicière du village, sale et barbue, mène « les Gens » car elle détient un don particulier : elle lit l’avenir dans le calendrier des Postes.

Pour échapper à la vindicte du village, Giovanni offre à l’église un tableau grandeur nature représentant un Christ en croix. La tête du Christ ressemble étrangement à celle du Châtelain.
A peine en place dans l’église, les mains et les chevilles du Christ saignent.
Devant le résultat et après une bagarre générale on décide de crier au miracle espérant amener des pèlerins et la richesse au village.
Hypocritement, tout le monde monte alors pour se recueillir devant Giovanni qui a définitivement disparu.

Swann

waiii! merci, en effet, là je comprends tout et oui, Muette, je me souviens, j'ai beaucoup aimé celle-là aussi ^^
Bon ben... j'attends la suite

Quelques majuscules perdues parmi les minuscules, quelques fautes d'orthographe aussi ("vielle" au lieu de "vieille", plus une autre, me semble t-il). Cela dit, je répète qu'il est difficile d'apprécier ce qui se présente instinctivement comme un roman à part entière à travers ces petits passages.

Z, bien mangé mais pas repu !

Que je l'aime celle-ci. Avec son regard tendre et profond sur les religions. Je sais bien qu'en la matière je ne suis pas neutre et que je prends le risque assumé de me faire railler.
Mais tel Giovanni, qui décidément me séduit de plus en plus avec sa sagesse et sa science, tel un alchimiste discret des choses, de la vie, de la foi, du mystère...

ET moi je me satisfais pleinement de ces bribes que tu nous livres avec la parcimonie qui sied aux choses importantes, à la valeur qu'elles prennent à nous faire languir en même temps qu'elles nous satisfont.

Encore une fois j'attends la suite avec impatience. En espérant qu'il n'y ait pas de fin...

Nilo, Giovanniste.

Merci pour la petite leçon de vie, Gérard

Z, jeune et fou.

Encore un heureux coup de pied dans le Mur à Dédé.
D'autant plus heureux que cette Mona Lisa avait également échappé aux bienfaits de l'Auteur à lu Une.

Nilo, moniste.

C'est maintenant Le Printemps de la Prose qui me permet de remettre à l'honneur cette Mona Lisa et Giovanni.
Et j'aime ça.

Nilo, nouvelle couche.

.... il en avait conclu que même les ovipares font des grossesses nerveuses...
comme il est très tard je m'accroche à quelques notations... l'ampoule de sang qui se liquéfie... le piano désaccordé... et le nom de Mona Lisa... bien sûr...
il faudra que j'y revienne...

Quel bonheur que de se replonger dans ce texte! ^^ (et l'inconscient étant ce qu'il est, cette fois j'ai tout suivi du 1er coup )
Délicat, profond... J'adore <3

Sasvata

Doublement content d'être passé par ici grâce au Printemps de la Prose.
D'abord, parce que le texte est prenant et très attachant, j'aurais jamais cru pouvoir me prendre de tendresse pour une poule couveuse. Et ben si !
Et puis, grâce aux commentaires et au résumé de Swann, j'ai pu commencer à combler mon retard sur "Le Crétin des montagnes", que j'ai abordé hier grâce à "L'épicière". Un régal ! Je vais aller lire la suite dès que j'en aurais fini avec le Printemps de la Prose...
Quant à Giovanni, s'il a "raté de peu la sagesse", j'ai l'impression que c'est vraiment pas de beaucoup...

J'ai moi aussi eu beaucoup de plaisir à retrouver cette plume, qui avec le recul garde toujours sa signature bien caractéristique.

Z.

Un coup dans le Mur à Dédé qui, décidément nous permet de [re]découvrir de bien belles choses.

Nilo, encore et encore.

J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Dixième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...

Dédé