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Comme un semblant d'ordinaire (5)

2 participants

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Comme un semblant d'ordinaire (5) Empty Comme un semblant d'ordinaire (5)

Message  Epiphyte Jeu 28 Jan - 21:57

Avec du recul, je dois reconnaître que le calvaire n’a pas duré dix mois, seuls les trois premiers furent véritablement douloureux. La suite ne fut qu’ennui et futilité, où l’oisiveté de cerveaux lobotomisés ne se confrontait qu’à une bêtise ambiante sans cesse renouvelée.
Je dois reconnaître également que je n’ai pas grand-chose contre les armées de métier, même à mes utopies les plus pacifistes j’ai conscience de leur nécessité au maintien en vie d’une espèce où fanatisme et folie font trop souvent bon ménage. Même si, au fond, je ne suis pas certain d’approuver tant d’acharnement à vouloir sauvegarder la vie de milliards d’imbéciles, perpétuer l’espèce reste un instinct profondément ancré dans l’esprit collectif de masse.
La société nous martèle sans cesse ses messages subliminaux vantant la vie de couple et les joies de la parentalité, même précoce, j’ai moi-même constaté à quel point il pouvait être aisé de façonner tout esprit rendu docile par la force.
Au bout de trois mois, j’aurai pu docilement monter dans un hélicoptère et aller me faire sauter sur des mines adverses, provenant probablement des mêmes usines de fabrication que les nôtres, mais plus dangereuses parce que belliqueuses, obtenir la paix à coups de tanks alliés passe toujours mieux à la télévision aux heures de repas.
Je n’en avais naturellement pas conscience en temps réel, il aurait fallu pour cela conserver quelques facultés à réfléchir, et tout était fait pour nous en empêcher ; mais en un sens, j’ai vécu à ma manière ce que doivent subir les kamikazes de tous horizons, et, dans une moindre mesure, tout bon religieux pratiquant, voire tout usager traversant un magasin Ikéa en suivant avec précaution le parcours fléché à l’intention de son portefeuille.
Une carte bleue dans une machine, une pièce pour un cierge, un avion dans une tour ou un débarquement de troupes en Afghanistan, tout n’est jamais qu’affaire de conditionnement collectif. Nous sommes les acteurs de Matrix depuis toujours, et les seules pilules auxquelles nous n’aurons jamais accès attendent déjà aux pharmacies des maisons de retraite, si la canicule le permet, fondre la banquise à coups de grosses cylindrées et d’hélicoptères hors-écrans, c’est vrai que ça débarrasse.

Avec du recul, je reconnais également que la joyeuse bande de gradés destinés à nous encadrer n’était pas constituée uniquement d’imbéciles sans cervelle. Nous n’avons pas fréquenté les moins cons, c’est une certitude, mais une fois les échelons grimpés, la relative tranquillité d’un quotidien de gradé en temps de paix sautait aux yeux des plus sceptiques. Logé en maison particulière avec toute sa famille dans un lieu surprotégé, nourri au mess des officiers de bons petits plats sauces contribuables, retraite anticipée et priorité à l’emploi, certains de mes compagnons sont restés là-bas à l’issue des dix mois, et ils n’auraient pourtant jamais payé la voyante osant un tel affront aux incertitudes de tout avenir humain.
Ainsi donc, il ne faudrait jamais dire jamais.
Ces types-là sont peut-être aujourd’hui capitaines, ça doit enfin devenir intéressant pour eux, dix ans plus tard, ce n’est finalement pas plus long que des études de médecine, et même si les médecins appelés étaient automatiquement gradés, si une guerre vient tout foutre en l’air, l’odeur d’un fauteuil en cuir épousseté chaque jour par un larbin de première classe a toujours plus de saveur que celle d’un hôpital militaire grouillant de blessés.
Aujourd’hui l’armée est un choix, qui vaut souvent mieux que la rue, mais même si tout ce recul me permet enfin de replonger dans certains souvenirs de cette époque volontairement occultés depuis, jamais je ne pourrai pardonner cette obligation-là.

Il faut avouer que notre adjudant fut la plus grande gueule de con jamais rencontrée dans ma vie, mais il me serait probablement impossible de le reconnaître aujourd’hui si je le croisais, tant mieux pour tous les deux je suppose, après dix mois d’uniforme, vingt ans de prison serait la pire des conséquences à la docilité subalterne.
Et puis, nous étions les derniers à partir par obligation, il fallait nous en faire baver au maximum. Les temps changeaient, avec une armée de métier, moins de main d’œuvre pour les basses besognes, moins d’humiliations, moins d’asservissement. On ne change pas une équipe qui gagne à coup de hiérarchie bien organisée, mais nous étions les derniers sur lesquels s’acharner.
Cela nous fut carrément avoué à la fin des classes par l’adjudant, dans un discours où il devenait soudain notre bon pote d’armée, allez les gars, j’enlève mon masque, je ne suis pas le patron de la fête foraine, c’est pas Scoubidou ou la fête du slip ici, mais finalement je suis un chic type, vous comprendrez plus tard et vous me remercierez, vous avez tous fait des études et vous allez tous passer le reste de votre temps dans des bureaux, alors puisqu’on réserve la fermeture des casernes allemandes aux moins nantis, fallait bien vous en faire chier au maximum pendant le stage.
Ils appelaient ça un stage, vous noterez que le militaire n’a pas son pareil pour développer un sens de l’humour des plus grinçants.
En face, lessivés, meurtris par les marches forcées, les parcours du combattant, et autres joyeusetés hivernales aux montagnes alpines, nous avions juste envie de lui cracher à la gueule et de lui faire comprendre qu’il avait fait de nous de vrais combattants, assez insensés pour oser lui sauter au cou malgré des préparatifs si laborieux.
Nous n’étions pas de vrais combattants.
Nous n’avions ni l’intention de le remercier ni même de le considérer comme un bon vieux pote d’armée.
Mais le pire, en réalité, c’était de se prendre en pleine tronche cette vérité parfois supposée par les moins atteints d’entre nous, ceux qui avaient encore une once de réflexion à portée de l’esprit, d’avoir payé la fermeture des casernes à grands coups d’obligations puériles, et de devoir considérer cela comme un simple stage.

Après son discours, il nous demanda, et la fragilité du lien entre une demande et un ordre de la part de tout gradé militaire n’échappait à personne dans la section ; il nous demanda, donc, de nous prononcer sur le sujet, sans arrière-pensée, et sans aucune représailles, cela allait de soit que mentionner ce détail cachait encore quelque chose.
J’ouvris pourtant ma gueule comme quelques autres, mais leur conditionnement était si bien rôdé que je fus à court d’arguments au bout de trois mots, et finalement tout aussi ridicule que mes compagnons d’infortune, contraints malgré nous d’accepter des évidences impunément nationales.
Il n’y eut pas de représailles à cette incapacité de se prononcer individuellement.

Certes, le salaire, solde pour les intimes, avait tout du stage, du haut de ses 537 francs que je vous laisse convertir à votre gré. Mais je ne souhaite à personne de rentrer au foyer après deux semaines d’absence dans l’état où je le fis moi-même, aucun stage ne vaut de faire peur à ce point à ses proches, aucun régime non plus ne vous apportera un tel résultat des plus spectaculaires, et un tel teint cadavérique, n’en déplaise aux créateurs de mode en quête des couleurs tendances aux plages de l’été qui vient.
Mais manger un bon repas confectionné par maman, retrouver la douce quiétude d’un quotidien paisible, me fondre dans les bras d’une compagne aimante et me blottir à l’affection des miens, voilà les seules quarante-huit heures de ce mois de février que ma mémoire avait conservées jusque-là.

Puis, peu à peu, les événements sont remontés à la surface, dans un chaos sensoriel des plus civils, par bribes et par à-coups ; le froid est une sensation civile, on nous l’a répété tant de fois pour justifier l’interdiction de mettre ses mains nues dans ses poches que ma mémoire avait fini par geler ces instants-là.
Je crois que tout a fini par revenir à moi, hormis la chronologie, même si paradoxalement, l’écoulement du temps fut la seule chose concrète à laquelle se raccrocher croix après croix sur mon petit calendrier fidèle durant cette période.
Comme quoi, avec le temps, ne restent que des croix aux souvenirs humains.
Epiphyte
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Message  Yzaé Lun 1 Fév - 21:00

ta mémoire dégèle et c'est un plaisir !
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