Cinquante-six heures par semaine. (Chronicle)

Cinquante-six heures par semaine. (Chronicle)


Dédé: Salut les gonzesses. C'est Dédé.

Dédé: Cinquante-six heures par semaine.

Dédé: Non, c'est pas le temps que j'passe à regarder les filles, ça m'en prend plus que ça. J'vais vous faire marrer, peut-être pas toutes. Mais j'm'en tape, je prends l'risque pasque moi j'me suis bien marré et qu'y a pas d'raison que j'garde mes marrades pour moi tout seul. Vous l'savez que j'suis généreux et toujours prêt à donner la moitié d'ma ch'mise, en tout cas au moins la moitié d'ma dose de rire aux miséreux d'la gondolade. Faut pas exagérer quand même. On m'appelle pas encore Saint Martin su'l'pavé d'Pigalle même si j'habite à deux pas d'la rue du faubourg.

Dédé: Donc j'suis v'nu vous en raconter une bonne. Et comme d'hab' la bonne c'est pas n'importe où que j'l'ai trouvée. Et vous l'savez où j'l'ai trouvée pasque vous connaissez mes fournisseurs depuis l'temps qu'on s'connaît. Enfin, j'dis "mes" fournisseurs mais vous savez bien qu'j'en ai un quasiment exclusif. Ah non, c'est vrai j'en ai bien trois ou quatre, mais vu qu'y sont tous dans la même orbite, celle des cons qui volent bas et en formation serrée (BHL, Ségolène, les syndicats…) et qu'y causent plus souvent comme y cracheraient en l'air que pour dire des choses intéressantes y vont toujours causer au même endroit qu'est la source quasi unique où j'trouve les bonnes histoires à vous raconter. C'est-à-dire, j'vous l'donne en mille : dans Libé !

Dédé: Donc ce matin j'ai taxé 1€30 à Papy pour m'ach'ter Libé. Faut dire que Papy il avait un truc à faire qu'y pouvait très bien faire sans moi et que même si y m'avait demandé j'y s'rais pas allé avec lui pasque c'était chez l'dentiste et qu'à c'qui paraît on se fend pas vraiment la gueule chez les dentistes, même si on l'a toujours ouverte. Avec moi y s'raient pas déçu r'marquez les dentistes vu qu'c'est difficile de m'la faire fermer. Mais bon, j'avais pas envie d'y aller et vu qu'Papy y allait pas pour s'marrer j'y ai dit "passe moi un peu d'pognon, j'vais t'attendre au bistro en regardant les gonzesses et en lisant Libé, comme ça quand tu r'viendras j'aurai des trucs à t'raconter qui t'feront peut-être sourire, au moins des yeux, et avec de la chance on pourra aussi se payer une tranche de bonne rigolade pour te faire passer le goût du clou d'girofle".

Dédé: Bref, j'suis passé au kiosque et j'me suis installé à une table où j'pouvais voir passer les gonzesses. En c'moment c'est pas top pasque la saison se prête pas vraiment à c'qu'on voit leurs guibolles. On en voit pas grand-chose en fait, on dirait des oursonnes en peluche les gonzesses, même leurs yeux on les voit à peine et pourtant elles ont pas toutes la burka dans le quartier à Papy. Bref, j'me suis assis au bistro, j'ai commandé un demi (il était trop tôt pour le pastis et j'savais que quand Papy r'viendrait on boirait un coup d'rouge) et j'ai posé un œil sur Libé (j'en garde toujours un pour mâter les gonzesses).

Dédé: Alors dans Libé de c'matin comme d'hab' y avait pas grand-chose, allez pas croire qu'y z'ont fait un effort pasqu'y savaient que Papy allait chez l'dentiste. En première page à part un jeu de mot de cour de récré que j'vous donne pour que vous vous fassiez une idée de la haute tenue intellectuelle du canard des bobos philosophes de mes deux (ouais c'est la nouvelle tendance de Libé : la parole aux philosophes. D'ailleurs Platon a muré sa caverne et Nietzsche n'a plus goût à rien depuis qu'ils sont au courant de l'orientation prise par les tenants de la pensée unique). Donc, dans un petit carré en bas à droite de la Une on trouve ça :

Free relance le combat de boxes

Vous voyez l'niveau, j'vous avais prévenus.
Bon, y aussi en Une l'annonce d'un dossier sur Bansky en pages intérieures. Pour les ignares qui sauraient pas qui c'est Bansky j'les invite à s'intéresser un peu à autre chose qu'à leurs jeux vidéos et au fait que la neige tombe en hiver c'est inadmissible, surtout si l'gouvernement arrive pas à la faire fondre avant qu'elle vienne se poser sous les roues de leurs bagnoles.

Dédé: Jusque là y a pas vraiment de quoi s'marrer. Mais ! Ouais, il y a un Mais. Qui laisse entrevoir un moment d'anthologie contestatriste et de mauvaise foi à la hauteur des espérances de tout ours en peluche digne de ce nom installé à une table de bistro pour voir passer les gonzesses en attendant son Papy qu'est chez l'dentiste. C'est-à-dire pour moi tout seul en quelque sorte. Mais c'est bien suffisant. Je suis la caution humoristique de Libé à moi tout seul, et rien que ça ça justifie ma carte de presse et mon titre envié de Chronicleur exclusif d'un Forum de Littérature connu all over the world.

Dédé: Le "Mais" dont j'vous causais c'est ça, en bas de la Une au milieu :

Moi, David S., prof stagiaire…

"Témoignage" y précisent les mecs de Libé. Y s'mouillent pas. Alors pour pas les mettre dans l'embarras, pour les besoins de ma chronicle le mec j'vais l'appeler Goliath comme ça y s'ra tranquille. Et Libé aussi.

Dédé: Ouais j'ai décidé de changer le prénom pour conserver l'anonymat du mec dans mes propos. Pasque j'vais vous en raconter une qui va vous faire marrer mais comme le mec y tient à son anonymat rapport à c'qu'il a pas envie d'se faire virer d'la fonction publique il a pris un prénom qu'est pas Goliath et il a pas mis son nom en entier pour pas qu'on l'reconnaisse. Alors moi j'brouille encore un peu plus les pistes en changeant son prénom qu'était pas l'sien, comme ça il est sûr d'être peinard le mec, personne va venir lui chercher des poux dans la tête. Remarquez bien qu'dans l'Education Nationale y a qu'dans la tête des gamins des écoles maternelles et élémentaires qu'on cherche des poux alors y risque rien le mec, son dirlo y va pas l'avoir sur le dos tout d'suite. Mais il a la trouille quand même, alors moi j'respecte. C'est pas qu'je respecte les trouillards en général mais un mec qui bosse tant que ça dans l'Education Nationale y faut le protéger, y sont pas nombreux et y pourrait se faire taper sur les doigts. Pas par ses patrons, non, par les syndicats. J'comprends qu'y veuille se cacher.

Dédé: Bon, ça y est, on a fait la Une. C'est pas trop tôt vous m'direz, plus de mille mot pour en arriver au vif du sujet. Et alors ! C'est comme ça qu'vous m'aimez, quand le bavarde, que je digresse, que je vous traîne dans les méandres des profondeurs de ma pensée, que je bavasse sur les socialistes et les syndicats, que j'en mets une couche aux profs ou aux postiers. Bref, quand je fais mon boulot de poil à gratter ceux qui veulent pas qu'on les gratte.
On a fait la Une mais on est pas au bout d'nos peines pasque dans Libé c'est la peine à toutes les pages. Enfin, pour dire que c'est pas la peine de le lire. Alors j'vais pas vous les lire, toutes les pages, et je saute directement à la page 20. C'est là qu'y commence à "témoigner" le "prof stagiaire". Y nous le fait façon journal, du 19 novembre au 10 décembre 2010, mais en oubliant plein de jours. Comme un calendrier des éboueurs de Marseille en quelque sorte.

Dédé: Rassurez-vous j'vais pas vous faire la lecture complète. Juste vous exposer les perles qui valent leur pesant de cacahuètes. Vous êtes prêtes les gonzesses ? C'est parti. J'vous conseille de prendre un mouchoir tout de suite. Moi j'en ai d'mandé un en papier au patron du bistro tellement j'en pouvais plus de rire. Mais j'sais qu'y en a parmi vous qui sont un peu sensibles alors on sait jamais, c'est tellement insoutenable par moment qu'vous pouvez en arriver à verser une larme. A chaque fois qu'ce sera Goliath qui dira un truc vous aurez droits aux guillemets de rigueur (comme la politique budgétaire de ce gouvernement de merde auquel il s'en prend entre les lignes sans oser donner franchement son avis de mec qu'a pas les couilles de dire dans Libé que son employeur est un con). Bref, guillemets de rigueur et j'vous préviens c'est un peu long (et pourtant j'vais pas tout vous mettre, loin de là) et parfois insoutenable (j'préfère le redire pour pas qu'vous veniez pleurer de pas vous l'avoir dit) :

"Vendredi 19 novembre : le trimestre touche à sa fin…"
Ah putain, déjà ! 10 jours après les vacances de la Toussaint et un mois avant celles de Noël ! On peut comprendre pourquoi les gamins savent pas lire quand y arrivent à l'Université.

"Samedi 20 novembre : 8h15. Pour ne pas être débordé la semaine prochaine, je prépare un planning. Avec tout ce stress, l'organisation doit être le maître-mot. Je suis plutôt frais ce matin. En une demi-heure mon planning est construit. Si je le respecte, j'aurais droit à quelques heures de repos en fin d'après-midi, au moins deux…"
Mais le pauvre malheureux va se vautrer et patatras
"Résultat : le cours n'est pas prêt, je dois corriger un paquet de copies et faire les moyennes de mes cinquièmes. Je ne peux rien remettre à demain, la nuit sera longue et malheureusement pas dans un bar du quartier."
Là le mec commence à essayer de nous enfumer.

"Dimanche 21 novembre : Je reviens d'un très court séjour en Belgique. Je pensais me changer les idées mais rien n'y a fait…"
En gros il est allé se bourrer la gueule dans un estaminet. C'est sans doute pour ça que le lendemain il "entame la semaine avec une très grande fatigue" d'après c'qui nous dit. Et moi j'veux bien l'croire pasque j'en ai fait des virées dans les estaminets en Belgique, ça craint question bibine j'vous l'dis, c'est pas fait pour des gamins et la gueule de bois qui va avec est pas de tout repos.

"Lundi 22 novembre : J'ai craqué. Avec l'accord du Principal je suis rentré chez moi dans un état de nerfs jamais éprouvé. Dur. J'en ai les larmes aux yeux…"
Pour un peu y m'ferait pleurer ce con.

"Mardi 23 novembre : …Fatigue : énorme. Estime de soi : zéro. Les premiers conseils de classe vont arriver. Il faut faire les moyennes et surtout remplir les bulletins."
Un vrai travail de Titan. On croirait presque deux des travaux d'Hercule. Et pendant ce temps son Ministre essaie de nettoyer les écuries d'Augias, c'est pas gagné.

"Jeudi 25 novembre : J'ai une heure de trou cet après-midi. Je devrais remplir mon cahier de texte mais je suis vraiment cuit, Je préfère zoner sur internet."
Déjà, on voit qu'le mec bosse pas le mercredi, ça doit faire plaisir aux parents d'ses élèves qui triment à l'usine et qui l'payent avec leurs impôts. En plus il est comme ces putains de gamins qui savent ni lire ni écrire mais qui passent leur temps sur un ordi à "zoner sur internet". C'est pas gagné d'les mettre au taf les branleurs si ceux qui devraient leur inculquer les vertus du travail vont glander sur MSN avec leur pseudo d'ado attardé.

"Vendredi 26 novembre : …Cette semaine se termine bien, mais je ne peux dire que je suis un stagiaire heureux. N'en déplaise aux hautes sphères du rectorat."
Fallait bien qu'elle vienne la première pique à l'autorité administrative… Il a failli nous faire languir.

"Dimanche 28 novembre : Encore un week-end de travail…"
Là j'suis sûr qu'y en a qui viennent de verser une larme.

"Lundi 29 novembre : Conseil de classe des quatrièmes… Le conseil est long, ils sont 27… A 21 heures je suis encore dans le bus."
Et je suis sûr qu'en plus ça caille dans ce putain de bus. Il aurait du passer le concours de la poste le mec. Y s'rait rentré chez lui à 18 heures tous les jours. A moins qu'y choisisse d'aller voir ses potes au bistro en sortant du boulot.

"Mercredi 1er décembre : Une formatrice vient m'observer avec mes quatrièmes… A ma grande surprise elle me fait signer un rapport qui ne sera pas utilisé pour ma titularisation. Les conditions d'évaluation de cette année ne sont pas claires. De l'angoisse en plus..."
Si vous le saviez pas vous apprenez ici que prof c'est un métier éprouvant, angoissant même, putain, j'te les mettrais volontiers à la mine moi. C'est pour ça que la retraite à 62 ans ça leur plait pas, y voudraient être comme les "roulants" de la SNCF, se casser à 50 ans, avec une prime pour être allé au charbon en plus.

"Vendredi 3 décembre : Ces journées de formation sont vraiment cruelles… De plus, ces journées sont longues et s'ajoutent aux heures de cours et de préparation. Je suis mort dès le début de l'après-midi…"
Enfin moi c'que j'constate c'est que comme il a bossé le mercredi il était pas au taf ni le mardi ni le jeudi.

"Lundi 6 décembre : …Dans le brouhaha j'entends "pff, le prof de l'an dernier était mieux". Normalement j'aurais du passer outre, mais avec la fatigue je suis plus sensible. Affecté, je mange mon sandwich seul dans la salle des profs…"
Et voilà, il fallait bien que ça arrive. Là vous êtes en train de chialer en lisant ma chronicle. La faute à qui ? Pas à moi !

"Mercredi 8 décembre : …Depuis le début de l'année je n'arrive pas à calibrer la longueur et la difficulté des contrôles…"
C'est vrai qu'avec des élèves qui savent pas lire c'est pas facile. Le temps qu'y comprennent ce qu'on leur demande c'est déjà le moment de rendre les copies.

"Jeudi 9 décembre : C'est l'anniversaire de ma copine. Je suis trop fatigué et décide de reporter le resto aux vacances de Noël."
A mon avis sa gonzesse elle va pas tarder à aller baiser ailleurs…

"Vendredi 10 décembre : …Je prévois un temps demain pour aller à une assemblée générale…"
T'as raison ducon, va manifester ton mécontentement, va exprimer la difficulté de ta condition, va pleurer sur ton malheur. La France t'en sera reconnaissante.
"… Dans le RER je décide de faire un rapide calcul. J'ai passé trente heures au collège dont dix-huit devant les élèves. Sur ces trente heures j'ai aussi assuré une colle, vu mon tuteur dans sa classe et eu un entretien avec lui et le principal. J'ai corrigé un paquet de copies de sixièmes et trois de quatrièmes, soit sept heures de corrections. J'ai préparé six heures de cours, soit douze heures de boulot, voire un peu plus. Ajouté à cela sept heures de formation aujourd'hui, ma semaine a duré a peu près cinquante-six heures."
Prof, ou l'art de prendre les gens pour des cons !

Dédé: C'est pathétique vous trouvez pas ? J'vous avais prév'nu les gonzesses. Maintenant c'est pas à moi qu'y faudra venir vous plaindre si vos gamins y foutent rien à l'école.

Dédé: Donc, cinquante-six heures de boulot par semaine. Je me marre ! Y s'rait en train d'nous enfumer que ça m'étonnerait pas. Surtout qu'si je compte bien il en manque une bonne dizaine….
Bon admettons : 56 heures par semaine sur 36 semaines (ben ouais c'est comme çà les profs y bossent 36 semaines par an). Soit ! Si on les ramène aux 47 semaines de tout un chacun qu'est pas prof ni même fonctionnaire ou assimilé ça fait plus que 43 heures par semaine. Au chaud et bien payées, avec la garantie de l'emploi et une retraite à faire pleurer un petit patron. 43 heures que beaucoup de ceux qui en font que 35 ou moins au SMIC aimeraient bien faire pour mettre un peu de beurre dans leurs épinards. Et merde ! Et si on part sur la base de 46 heures au lieu de 56 ça lui en fait plus que 35 en année de travailleur "normal"… Le rêve socialiste en quelque sorte, et y vient s'plaindre. Il est vraiment ingrat le mec, d'autant que j'suis sûr qu'il a voté socialo. Et alors imaginez un peu, quand y s'ra un prof ordinaire, il aura plus ses 7 heures de formation, ni ses entretiens avec son tuteur, y mettra moins de temps à corriger ses copies et préparer ses cours, résultat, allez on va compter large : 30 heures. Que si on les ramène encore une fois à celles d'un mec ordinaire ne font guère que 23 heures par semaine. Et ça trouve encore le temps et la force de se plaindre ! Ah les cons !

Dédé: Excusez moi si j'ai été un peu long mais c'est pas ma faute. C'est celle à ce pauvre esclave moderne qu'est sensé motiver vos gamins en leur apprenant quelque chose qui devrait les intéresser. Moi j'comprends qu'ça les intéresse pas avec des glandus pareils pour leur faire la leçon.

Dédé: Heureusement qu'les gamins lisent pas Libé !


Ciao les gonzesses, c'était Dédé.