Le mot de Mars : CICATRICE

La reconnaissance, ou du moins le besoin que l'on avait de l'être, reconnu, tant qu'il tournait en rond dans nos têtes à nous saper l'existence, à nous la rendre impossible et les autres aussi ; passé donc ce temps critique quand l'air du temps n'était pas à la fête, inscrit comme gravé dans la pierre des âges, l'ère critique, passage forcé, obligé, mal calé, décontenancé, dépourvu de ressort et de solutions, la chance nous boudant, la vie malheureuse, la pauvre vie !
De ce temps reste une blessure bien refermée, une cicatrice. On l'aime. On la regarde, on la caresse et on l'aime. Elle est comme notre Dieu, notre signature céleste et terrestre. Et d'ailleurs. Elle est tout ce qu'on est, ce qu'on a, aussi, pour avancer fièrement. Elle est notre ferment, renfermant notre potion magique, notre jus de vie. Notre secret.
Parfois à force de l'aimer, de la choyer, de l'aduler, de la cacher aussi, l'envie inconsciente et folle nous prend de la gratter, de l'ouvrir et d'en répandre le mystère au grand jour.
C’est ce que nous faisons, sans trop le savoir, à chaque fois que nous créons. Alors, quand on s’en rend compte, c’est un peu tard, certes, mais on s’éclipse un temps, en confiance, on reviendra, on sait.
Ceux qui n’ont pas cette cicatrice de vie, et ces chatouillis-grattouillis, ils tuent, ils grondent, ils crament en enfer, ils crânent et ils crament, leur amour perdu.


Dam.

Je passe le doigt dessus... je la pique de mon ongle sans en retirer la moindre sensation. Elle est là tant que je serai là, une compagne survenue brusquement et qui s'installe à vie. Cicatrice.


Photo de la douleur, capture du moment où l'atteinte est trop vive au point que rien n'y fait plus rempart ; les objets, les intentions se fichent, nous transpercent, nous arrachent sang et larmes. Stigmate permanent d'un instant brutal, sidérant, insupportable, mais qu'on a supporté pourtant...Cicatrice.


Transpercé, délaissé, infecté et trahi... ablation d'un être opération d'un organe ; le corps et le cœur vacillent, la vie suspendue au tranchant d'une lame, à celui d'un sourire contondant... Témoignage muet de la morsure du néant dans la chair.

Me viennent des mots de Cioran : « Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes » . une happy end américaine que l'on compare que l'on mesure, pour en tirer des vérités sur la douleur passée. Mais comme on regarde une photo d'une personne jadis aimée, il n'en ressort aucune vérité... cicatrice.


La lèvre mince de la mort a baisé mon corps, en a tué quelques millimètres carrés. Je garde cet échantillon et je passe le doigt dessus, dès que j'hésite à vivre par peur de l'inconnu... alors je sais que le connu m'attend au détour avec son unique certitude...


Rebondir et chuter, s'ouvrir encore parce que les peaux lisses sont pleines de regrets... poser son empreinte sur la terre, dans un cœur, collectionner les balafres, les estafilades, les coups de canif dans les contrats... et finir en guenille, lézardé, en se fendant d'un dernier sourire à la vie. Cicatrice.