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Le regard fou des vipères éventrées

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spandrell
sasvata
LCbeat
7 participants

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Le regard fou des vipères éventrées Empty Le regard fou des vipères éventrées

Message  LCbeat Jeu 17 Mar - 19:53




Sur les stands du marché des soleils couchants
j'ai racheté tes yeux pour une poignée de main
je n'ai même pas dit merci, même pas dit merci
je roulais tes yeux dans mes paumes comme
des boules japonaises
un peu plus loin j'ai trouvé tes cheveux
qui baignaient dans un liquide mauve
j'ai demandé combien pour les cheveux
sans le liquide mauve, le vendeur m'a dit
pour toi c'est gratuit, rends-moi juste un service
j'ai dit que pour ces cheveux-là j'étais prêt à rendre
n'importe quel service, va voir la dame aux camélias
et donne lui ça de ma part, il m'a tendu une paire
de ciseaux en forme d'hirondelles
la dame aux camélias vendait des tiges
juste des tiges de fleurs, des tiges sans fleurs au bout,
je lui ai tendu la paire de ciseaux en forme d'hirondelles
ses yeux scintillaient comme un ballet d'étoiles
je lui ai soufflé que son visage ressemblait à
un ciel vaste avec plein d'étoiles scintillantes à l'intérieur
elle a déplié son bras pour me désigner ce qu'elle avait à vendre
prends ce que tu veux, si mon visage est un ciel étoilé
mon cœur est un soleil bénéficiaire, prends ce que tu veux
j'ai observé les odeurs, j'ai senti les couleurs
et entre deux tiges, dans un vase fêlé j'ai trouvé
ce que je cherchais, dans ce cas, lui dis-je, je vais
prendre les dents, juste là entre les deux tiges
elle les a emballé dans un sac en papier kraft
et y a rajouté un nez et une paire de boucles d'oreilles
serties de bois de cèdre et d'argent véritable
cadeau de la maison, me dit timidement la dame aux camélias
j'ai embrassé ses joues molles, en lui promettant
de me souvenir du ciel et des étoiles qui vont avec
Sur les stands du marché des soleils couchants
j'ai retrouvé la trace de tes lèvres, pincées au fond d'une ruelle
elles étaient là, silencieuses et altières, comme si
elles n'attendaient que mes lèvres pour les avaler
je les ai enfoncées dans mes poches très grandes pour l'occasion
elles frémissaient contre mes cuisses, elles me chatouillaient
l'intérieur des cuisses, je reconstituais un puzzle morcelé
avec mon argent de poche, avec mon argent de poche véritable
j'ai croisé le regard d'un flic à l'air mauvais, comme un vrai flic
j'en ai profité pour lui demander où je pouvais trouver
ce qui s'apparentait le plus à des morceaux entiers de corps
de la chair fraiche, de la sève et du sang
avec sa matraque ensanglantée il m'a montré le chemin
le chemin du corps, de la chair fraiche, de la sève et du sang
je ne savais plus s'il était poli de remercier les flics
alors je suis parti comme ça, sans rien dire, sans un merci
dans mon dos je l'ai entendu beugler, et la politesse alors !
jeunesse en taule, les femmes au foyer !
Sur les stands du marché des soleils couchants
j'ai retracé l'itinéraire du corps et du sang
tes deux mains tenaient fermement mes poignets
comme des menottes osseuses, des étaux ossuaires
ici ta paire de mollets, là ta paire de genoux
ici deux tibias conservés entre les mains d'un tanneur alcoolique
une vieille femme, édentée comme un mort
a déballé sur un drap bleu, toute sorte d'objets inutiles
de pâles breloques, des masques et des miroirs tordus
à ma mine circonspecte, elle a déballé son or, sa pièce de prestige
deux pieds aussi blancs que la neige, avec un tatouage
en forme de feuille, ils étaient solidement liés l'un à l'autre
on aurait dit un couple de colombes ou quelque chose du genre
elle avait son regard vissé sur mes émotions
elle sentit combien la pièce m'intéressait, alors elle a rangé
ses objets inutiles, ses pâles breloques, ses masques
et ses miroirs tordus, il ne restait plus sur le drap bleu
que les deux pieds qui me faisaient les yeux doux
des yeux avec un peu de terre sous les ongles
des yeux qui me parlaient la langue des percussions
du martèlement de la terre, j'avais l'impression
d'être en Afrique, au chevet d'une princesse aux pieds blancs
je lui ai tendu mon plus beau sourire, je lui ai fait les yeux
de celui qui sait que le regard peut ouvrir les portes du monde
et je suis reparti avec tes pieds noués sur mon épaule
la feuille tatouée s'amusait comme un oiseau sur une branche en activité
Sur les stands du marché des soleils couchants
je cherchais les dernières pièces manquantes, j'étais un conquérant
un apache avec plus grand chose d'autre dans les poches
que des morceaux d'une vie passée, des morceaux de mémoire
perdus entre le souvenir et l'illusion de demain
il m'a fallu attendre la nuit tombée pour tomber sur ton ventre
aussi plat qu'une assiette musclée, j'y ai allongé ma tête
sous le regard médusé du vendeur médusé et insomniaque
vous le prenez, me demanda-t-il, on peut pas essayer
les objets qu'on n'a pas l'intention d'acheter, vous savez ce que c'est
les affaires, les fins de mois, ma femme qui m'attend à la maison
je peux pas dire à mes enfants que mon stand est devenu
une salle d'essai pour coucheurs maladifs
je jetai un œil en travers de l'œil de ton ventre, tout y était
les plis, les petites brisures, l'odeur tendre et lisse
et le duvet sous le nombril qui me duvetait les cils
le vendeur était de plus en plus rouge, comme un vendeur
qui veut en avoir pour son argent, je cherchai dans mes poches
mais elles étaient si vides qu'on aurait pu y faire entrer une ville
une mémoire, un couvent, je lui montrai l'intérieur de mes poches
il rit en me disant qu'il y avait là la place de faire entrer une ville
une mémoire, un couvent
on négocia, on s'empourpra, on en vint presque aux mains
on se dit des mots qui auraient la faculté d'émousser
un pêcheur un jour de débarquement, un prêcheur vindicatif
on négocia encore pour se donner bonne conscience
on se dit encore quelque mot qu'on ne regretterait pas
et je repartis complètement nu, complètement nu mais victorieux
j'avais aussi laissé les boucles d'oreilles, je tenais ton ventre
serré contre le mien, l'homme de mauvais cœur avait concédé
à me laisser partir avec en supplément, en échange des poils de mon cul,
deux cuisses que je savais être celles que je cherchais
j'étais complètement nu, tondu mais victorieux
Sur les stands du marché des soleils couchants
j'avançais comme un gamin pas mécontent de sa pêche
les gens me regardaient d'un drôle d'air, était-ce mon corps nu
mon épilation punitive, ou bien était-ce tout ce que je peinais
à tenir sur moi, ces porcelaines du souvenir, ces amphores de la mémoire
j'étais si fier j'étais si beau que quiconque se mettait sur mon passage
recevait des coups de pieds, des coups d'œil, des coups de mains
des coups de genoux, des coups de bec
des coups de cou, des coups de gueule,
des coups de cœur

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Message  sasvata Jeu 17 Mar - 20:54

Là j'avoue je suis bluffée. C'est rudement joli pour un marché de pièces détachées!
Je m'attendais pas à ça en commençant, mais j'ai adoré j'dois dire

Sasvata, en un seul morceau (enfin à ce que je sache... )
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Le regard fou des vipères éventrées Empty Re: Le regard fou des vipères éventrées

Message  spandrell Jeu 17 Mar - 21:16

J'ai vite été pris dans l'engrenage de ton écriture, plutôt marrant ton texte mais surtout très bien ficelé avec de superbes images comme:
"je roulais tes yeux dans mes paumes comme
des boules japonaises"
ou:
"des yeux qui me parlaient la langue des percussions
du martèlement de la terre"
et bien d'autres encore...

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Message  Zlatko Jeu 17 Mar - 22:05

Second texte-torpille de la semaine, tu y vas fort! Je n'ai pas trouvé tout bon, mais c'est un compliment dans ma façon de voir les choses. Le texte reste entier, avec ses fulgurances, ses lourdeurs parfois, ses trouvailles et ses facilités. Mais - et je suppose que c'est à ça qu'on reconnaît le talent - la quantité de trouvailles, d'images coup de poing, de tendresse et d'évasion excède largement les défauts.

On en sort neuf, lavé, étourdi. A te lire, bon ou mauvais je suis au rendez-vous.

Z.
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Message  Nilo Ven 18 Mar - 17:43

Sur les stands du marché des soleils couchants
j'ai racheté tes yeux pour une poignée de main
je n'ai même pas dit merci, même pas dit merci
je roulais tes yeux dans mes paumes comme
des boules japonaises


Quand ça commence comme ça, ça commence bien.
Et comme le reste est à l'avenant ça entraîne, ça s'enchaîne et ça emmène. Loin !

Nilo, bric à brac.

_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
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Message  léo Ven 18 Mar - 21:49

Une véritable épopée, une quête qui nous entraîne très loin ! Des images et des vers surréalistes avec en prime des scènes qui s'enchaînent sans trop de difficultés...J'ajoute que le titre du poème est accrocheur, bien choisi. J'attends la suite.
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Message  Sylvie Dim 20 Mar - 10:44

Sur les marchés de notre vie , se baladent bien des morceaux qui sont souvent impossible à reconstituer.

Le poème est un morceau de toi...de chemins parcourus qui sont encore un rappel.

Un grand poème où il fleure bon se s'y plonger.

J'ai acheté la totalité des mots.

Sylvie
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