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Le cri de l'eau
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Sylvie
Do you BnF
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Macadam :: MacadaTextes :: Textes courts
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Le cri de l'eau
Le cri de l’eau
Un soir. Elle marche. Dos blanc, nuit noire. Une nuque sur laquelle tombent des cheveux nerveux et vagues. Fine silhouette, frêle. Fine silhouette fragile.
Deux hommes la croisent et désirent son corps jeune. Elle sait. Elle sait tout. Mais n’y prête pas attention, plus maintenant. Elle continue sa route sur la terre, son chemin creusé et boueux. Il a plu aujourd’hui. Et hier, et demain. C’est une femme très jeune. Et elle pleure.
Rien. Elle n’a jamais rien eu et elle n’a toujours rien. Son corps et ce qui le recouvre, tissus confondus dans la douleur. Un tee-shirt blanc, court et usé et décousu par endroits. Un pantalon noir, qui laisse imaginer ses jambes, encore belles. Ce sont elles qui ont le moins souffert, peut-être, de la misère. Elle a de belles jambes et son visage est dur, défait. Ses yeux seulement y sont la vie. Le reste suit comme il peut, il se raccroche à ces deux yeux qui la font marcher ce soir. Ses yeux humides. Ce soir, sa vie coule sur ses joues.
Il fait nuit depuis longtemps déjà. Elle ne sait plus - depuis toujours ? Il faisait jour en elle autrefois, parfois. Cerf-volants. Rires. Dimanches. Le vent qu’elle sentait se glisser dans ses cheveux, sous sa robe, elle le sentait caresser son corps tendu dans l’air, elle volait et elle aimait ce vent qui lui chantait la voix de sa mère.
Il fait nuit depuis longtemps déjà. Elle ne sait plus - elle descend la route de terre, creuse et boueuse, qui la ramène chez elle. Elle croise ces gens qui la connaissent. Qui la taquinent, gentiment, par habitude, et qui la laissent aller. Elle pleure.
La lumière diminue. La lueur s’assombrit. Il fait nuit pour de bon ici. C’est une nuit chaude, pesante, à étouffer. Elle enveloppe, elle vous enserre, elle assourdit le monde, autour, mais elle laisse battre le cœur, elle le laisse crier. Crier qu’il ne sait plus, il ne sait pas où l’emmènent ces yeux qui marchent. Elle non plus, dans la nuit, ne sait plus. Elle devrait rentrer, dormir, mais elle a dépassé déjà le bois moisi de sa baraque. Ne pas revenir en arrière. Oh non ! Plus en arrière ! Ne plus aller là-bas, lumière, ville, les grosses voitures aux lunettes noires. Alors elle marche vers la nuit, vers le fleuve au bout de la terre, et son cœur crie. Et son cœur crie.
Plus de baraque désormais. Plus rien. Le chemin, seulement, qui s’enfonce dans le noir à travers les herbes noires, sous la lune noire. Elle n’est plus qu’une ombre qui glisse doucement, sans bruit ; elle tremble involontairement, parce que ses larmes froides glissent sur ses joues et viennent se poser sur ses lèvres ouvertes. Boire. Voir le fleuve, là-bas, tout près, l’entendre chanter de sa voix rauque. L’entends-tu qui pleure aussi, maman ? Tu n’es plus seule, Sara, je l’entends aussi. Sara sourit et marche et pleure.
Le chemin de Sara. On y devine le fleuve de très loin, on l’entend chanter, mais ce n’est qu’à la fin, au tout dernier moment qu’on l’aperçoit, quand la route s’en va brusquement vers la gauche et qu’elle nous laisse là, face à l’eau apparue tout à coup, entière, longue, s’étalant sur la tristesse des nuits. S’étalant vers la ville, s’étalant vers la lune. Il faut descendre alors, un peu plus, un petit talus d’herbe humide qui s’enfonce dans les replis du fleuve. Il faut s’asseoir à la limite de la terre et de l’eau, qui forment alors la même nuit. La lune est plus proche du monde à cet endroit parce qu’elle se glisse, doucement, du ciel jusqu’à l’eau, de l’eau jusqu’à toi.
Sara s’est assise, à la limite de la terre et de l’eau, à l’endroit de nulle part, et elle a regardé et elle a senti, et la lune est descendue sur elle. Elle a senti la nuit et ses larmes ont coulé sur l’eau, sans s’y confondre. Elle veut se voir une dernière fois - et la première. Affronter son visage, mi-effacé déjà, dans l’eau tremblante. Narcisse lunaire, juste penchée, la lune à l’épaule et à la main, captive du fleuve qui s’éploie sous ses pieds.
Dans l’eau noire, elle a vu ton visage. Tu es là, tu la regardes, triste, beau et souriant ; tu es là et tu l’embrasses, une dernière fois -
C'est le reflet qui a crié.
Un soir. Elle marche. Dos blanc, nuit noire. Une nuque sur laquelle tombent des cheveux nerveux et vagues. Fine silhouette, frêle. Fine silhouette fragile.
Deux hommes la croisent et désirent son corps jeune. Elle sait. Elle sait tout. Mais n’y prête pas attention, plus maintenant. Elle continue sa route sur la terre, son chemin creusé et boueux. Il a plu aujourd’hui. Et hier, et demain. C’est une femme très jeune. Et elle pleure.
Rien. Elle n’a jamais rien eu et elle n’a toujours rien. Son corps et ce qui le recouvre, tissus confondus dans la douleur. Un tee-shirt blanc, court et usé et décousu par endroits. Un pantalon noir, qui laisse imaginer ses jambes, encore belles. Ce sont elles qui ont le moins souffert, peut-être, de la misère. Elle a de belles jambes et son visage est dur, défait. Ses yeux seulement y sont la vie. Le reste suit comme il peut, il se raccroche à ces deux yeux qui la font marcher ce soir. Ses yeux humides. Ce soir, sa vie coule sur ses joues.
Il fait nuit depuis longtemps déjà. Elle ne sait plus - depuis toujours ? Il faisait jour en elle autrefois, parfois. Cerf-volants. Rires. Dimanches. Le vent qu’elle sentait se glisser dans ses cheveux, sous sa robe, elle le sentait caresser son corps tendu dans l’air, elle volait et elle aimait ce vent qui lui chantait la voix de sa mère.
Il fait nuit depuis longtemps déjà. Elle ne sait plus - elle descend la route de terre, creuse et boueuse, qui la ramène chez elle. Elle croise ces gens qui la connaissent. Qui la taquinent, gentiment, par habitude, et qui la laissent aller. Elle pleure.
La lumière diminue. La lueur s’assombrit. Il fait nuit pour de bon ici. C’est une nuit chaude, pesante, à étouffer. Elle enveloppe, elle vous enserre, elle assourdit le monde, autour, mais elle laisse battre le cœur, elle le laisse crier. Crier qu’il ne sait plus, il ne sait pas où l’emmènent ces yeux qui marchent. Elle non plus, dans la nuit, ne sait plus. Elle devrait rentrer, dormir, mais elle a dépassé déjà le bois moisi de sa baraque. Ne pas revenir en arrière. Oh non ! Plus en arrière ! Ne plus aller là-bas, lumière, ville, les grosses voitures aux lunettes noires. Alors elle marche vers la nuit, vers le fleuve au bout de la terre, et son cœur crie. Et son cœur crie.
Plus de baraque désormais. Plus rien. Le chemin, seulement, qui s’enfonce dans le noir à travers les herbes noires, sous la lune noire. Elle n’est plus qu’une ombre qui glisse doucement, sans bruit ; elle tremble involontairement, parce que ses larmes froides glissent sur ses joues et viennent se poser sur ses lèvres ouvertes. Boire. Voir le fleuve, là-bas, tout près, l’entendre chanter de sa voix rauque. L’entends-tu qui pleure aussi, maman ? Tu n’es plus seule, Sara, je l’entends aussi. Sara sourit et marche et pleure.
Le chemin de Sara. On y devine le fleuve de très loin, on l’entend chanter, mais ce n’est qu’à la fin, au tout dernier moment qu’on l’aperçoit, quand la route s’en va brusquement vers la gauche et qu’elle nous laisse là, face à l’eau apparue tout à coup, entière, longue, s’étalant sur la tristesse des nuits. S’étalant vers la ville, s’étalant vers la lune. Il faut descendre alors, un peu plus, un petit talus d’herbe humide qui s’enfonce dans les replis du fleuve. Il faut s’asseoir à la limite de la terre et de l’eau, qui forment alors la même nuit. La lune est plus proche du monde à cet endroit parce qu’elle se glisse, doucement, du ciel jusqu’à l’eau, de l’eau jusqu’à toi.
Sara s’est assise, à la limite de la terre et de l’eau, à l’endroit de nulle part, et elle a regardé et elle a senti, et la lune est descendue sur elle. Elle a senti la nuit et ses larmes ont coulé sur l’eau, sans s’y confondre. Elle veut se voir une dernière fois - et la première. Affronter son visage, mi-effacé déjà, dans l’eau tremblante. Narcisse lunaire, juste penchée, la lune à l’épaule et à la main, captive du fleuve qui s’éploie sous ses pieds.
Dans l’eau noire, elle a vu ton visage. Tu es là, tu la regardes, triste, beau et souriant ; tu es là et tu l’embrasses, une dernière fois -
C'est le reflet qui a crié.
Re: Le cri de l'eau
Voilà un texte noir,...frisson assuré et décor bien planté.
"Le reste suit comme il peut, il se raccroche à ces deux yeux qui la font marcher ce soir. "
Un passage très poétique, parmi toute la poésie que j'ai pu lire ici.
Même si l'histoire raconte une situation de quelqu'un de désespéré, la lecture reste agréable et fluide.
Je suis contente de pouvoir à nouveau te lire et le choix du titre est un grand poème.
Sylvie
"Le reste suit comme il peut, il se raccroche à ces deux yeux qui la font marcher ce soir. "
Un passage très poétique, parmi toute la poésie que j'ai pu lire ici.
Même si l'histoire raconte une situation de quelqu'un de désespéré, la lecture reste agréable et fluide.
Je suis contente de pouvoir à nouveau te lire et le choix du titre est un grand poème.
Sylvie
Re: Le cri de l'eau
brrr...c'est triste oui !
un beau texte certainement et comme Sylvie, plein de poésie !
un beau texte certainement et comme Sylvie, plein de poésie !
_________________
LaLou
Re: Le cri de l'eau
Oh putain, ça m'a donné le cafard.
C'est sans doute parce que c'est bien écrit, sinon j'aurais cessé ma lecture bien avant la fin.
Oui, c'est bien écrit et prenant, et c'est sans doute le plus important.
Nilo, t'as pas autre chose ?
C'est sans doute parce que c'est bien écrit, sinon j'aurais cessé ma lecture bien avant la fin.
Oui, c'est bien écrit et prenant, et c'est sans doute le plus important.
Nilo, t'as pas autre chose ?
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Le cri de l'eau
Sombre à souhait. Pas une once d'espoir dans tout le texte, malgré la poésie dont il est rempli. Du très beau texte Tout a déjà été dit ^^
Sasvata
Sasvata
sasvata- MacadMalade
- Messages : 495
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: Le cri de l'eau
merci à tous pour vos commentaires
qui font du bien
et encouragent à travailler plus à mes "autre chose", Nilo
Do you
qui font du bien
et encouragent à travailler plus à mes "autre chose", Nilo
Do you
Re: Le cri de l'eau
comme dirait l'autre : "maintenant vous avez l'eau courante !..."
Un peu d'humour ça ne fait pas de mal n'est-ce pas ?
Mais t'inquiète pas, j'y revendrai
Dam.
Un peu d'humour ça ne fait pas de mal n'est-ce pas ?
Mais t'inquiète pas, j'y revendrai
Dam.
Re: Le cri de l'eau
Alors j'y reviens.
Un texte grave d'une grande tenue.
La force fragile de cette "femme-enfant" qui a perdu ses illusions et qui fugue dans sa nuit, vers l'inconnu(e)
Dam
Un texte grave d'une grande tenue.
La force fragile de cette "femme-enfant" qui a perdu ses illusions et qui fugue dans sa nuit, vers l'inconnu(e)
Dam
Macadam :: MacadaTextes :: Textes courts
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