L'Eglise (suite)

Dans son projet, Giovanni oubliait les faits terribles d’hier, la mise à sac de sa maison, des villageois armés de fourches, de haches, venus pour détruire. Il avait vu celle qu’il attendait depuis longtemps, sa dernière heure.
Ne sachant pas ce qu’on lui reprochait, il avait essayé de comprendre. Mais la petite troupe avinée continuait son saccage, lacerait ses toiles, fracassait les pauvres meubles.

Il finit par saisir des bribes de mots, «Le diable ! Le diable ! » C’était lui.

Il leur avait jeté un sort ! L’eau tardait maintenant, plus rien ne poussait ! En effet, les orages secs se succédaient et il fallait désigner le coupable. L’étranger qu’il était en faisait un tout trouvé : il tarissait les puits et donnait la fièvre aux nourrissons.

Lorsqu’il les vit saccager à coup de pierre la petite sculpture au dessus de la porte de la bergerie, il comprit.

Ce que lui prenait pour une fantaisie, une sorte de singe grotesque comme on en voit au sommet des chapiteaux d’église, eux voyaient là une représentation du démon. Cela expliquait, sans doute, le nom donné à sa bergerie, « La Maldita ».

Il avait longtemps cru à une épidémie décimant le cheptel de la bergerie comme l’origine de ce nom. Il comprenait qu’il en était autrement.

La négociation fut longue. Il promit cette toile assurant prospérité et richesse au village. La magie de ce sorcier fut entendue. Puisqu’il parlait au diable, le seigneur l’écouterait bien, lui aussi.

Une présence dans la pénombre le sortit de ses pensées, Philippe était là.

Dépenaillé, hirsute, le prêtre ressemblait à un vagabond. Giovanni, lui-même peu présentable tendit une main que Philippe ne prit pas.
Les présentations ne s’imposaient guère, ils se connaissaient.
« Ce sera là » Un hochement de tête de Philippe et ce fut tout.
Giovanni admirait le curé : cet homme de Dieu ne s’embarrassait plus des apparences.
Nul besoin, pour lui des attributs de sa fonction, ces ornements qui disaient qui il était pour souligner un rôle de composition.
Philippe n’était pas un homme de théâtre, sa présence, son regard suffisaient.
Ce qu’il pensait restait un mystère pour ses fidèles. Indulgence, mépris, colère, compréhension, passaient en un instant dans ses yeux profondément enfoncés dans son visage anguleux.
Et les pécheurs voyaient en lui un seigneur aussi farouche que les idoles païennes de leurs ancêtres devant lesquelles on se prosternait en tremblant.


Les dimensions prises, il faudrait trouver la toile, les pigments, les cires et le reste et retrouver le bon geste d’antan.
Giovanni comptait sur la colporteuse qu’il ne pourrait jamais payer.

En rentrant, Il envisageât dans un jardin un drap qui séchait. Il était bleu ciel, et alors ? Prestement il le prit sous son bras. Toile ou linceul, il fera très bien l’affaire.

Swann,

Le Crétin des montagnes, 05 - 2011

Enfin !
Ca sent vaguement le cierge et l'eau bénite.
Vivement que la toile soit peinte. Et en attendant, que sonne le glas...

Nilo, sacristain.

Y'a pas mal de cierges et d'eau bénite dans cette histoire. Normal, c'est notre base morale à tous quelles que soient nos convictions. Et si parfois la critique, non pas de la religion mais de notre morale issue de la (les) religion(s) se fait acerbe, c'est pour le plaisir de chahuter le paradigme.

Swann,

Une écriture bien léchée. Cette suite est prometteuse et de nombreuses questions se posent : Giovanni le stigmatisé arrivera t-il à mener à bien son projet malgré la férocité des foules ? Sera t-il conduit au bûcher ? J'attends le prochain épisode...