Le tableau

Giovanni avait eu du mal à réunir les ingrédients nécessaires à la réalisation du tableau ; la colporteuse l’avait bien aidée, mais elle se faisait vieille et peinait à gravir la colline. Des mois s’étaient passés depuis sa visite à l’église et il devait affronter les quolibets des villageois. Le curé, lui-même doutait à présent et l’aménagement de son église, en prévision des Pâques, oubliait l’emplacement futur de la grande toile.
Depuis sa décision d’offrir ce tableau au village, le projet avait pris une place grandissante dans sa vie ; les dernières semaines, il y pensait jour et nuit. Malgré son expérience, la création l’habitait au point de lui faire oublier les actes les plus simples de la vie. Le taiseux l’aidait alors de son mieux et semblait comprendre l’absence morale de son vieux compagnon.
Enfin, au pied du mur, et les éléments de ce qu’il appelait « sa médecine », les pigments, les cires et les colles rassemblés, il s’enferma et commença son œuvre.
Il était conscient de détenir un savoir rare et certainement millénaire. La fabrication de reliques, l’utilisation de la crédulité des hommes trouvait son origine dans cette volonté de maîtriser le hasard qui semblait la plus injuste des choses. L’homme avait besoin de croire que des objets magiques lui permettraient d’échapper à un destin capricieux qui frappait les puissants comme les misérables. Des idoles aux saints, des martyrs aux marabouts, il fallait croire aux êtres et aux objets miraculeux.
Et ces objets attiraient la richesse des puissants et la ferveur des faibles, tous désireux d’échapper à l’injustice de la maladie et des revers de la vie et principalement à l’odieuse et scandaleuse réalité de la mort.
Giovanni savait tout cela et qu’il participait à une mystification sur laquelle le temps n’avait aucune prise. L’homme voulait croire, cela s’expliquait par l’essence même de son pauvre destin.
Ce tableau, Giovanni le voulait très particulier. Le Christ en croix ne devait pas, comme tant d’autres, baisser les yeux de douleur et de compassion. Il sera un Christ en colère. Un Christ qui dit : » Je meure pour vous, et voyez ce que vous êtes » Un Christ accusateur. Giovanni avait travaillé ce regard. Et il le connaissait si bien : celui de l’injustice du supplicié, celui de l’innocent mis à mort sans procès équitable.
En Poméranie, il avait assisté à l’exécution d’un homme, juif, accusé à tord, pendu. Son dernier regard l’avait marqué à jamais. Il voulait ce regard.
Et les couleurs devaient être celles de la renaissance naissante : des roses, des verts, des bleus, des couleurs de la vie.

Swann, Le crétin des montagnes, 2011

J'ai beaucoup aimé cette suite - enfin! - de ce Crétin des montagnes. Je suis sa gestation avec intérêt depuis les premières lignes, et il en sera ainsi jusqu'au bout : j'aime cette langue simple et pourtant jamais triviale, qui se prête tant au roman, et les tribulations de ce village.

Z.

Ah putain !
Une nouvelle page de ce fabuleux Crétin des montagnes de Swann, quel bonheur !
J'y reviendrai.

Nilo, quel bonheur !

Comme je viens de l'écrire, vraiment enchantée de pouvoir lire la suite (tant attendue) !!
et moi aussi je vais y revenir.

Tu sais Swann, t'as des fans du Cretin ici.

et pas des faux fans, des vrais.

Super swann, au coeur du sujet qui fâche, ça tape fort.

Dam, enfoncer les clous.

Comme promis j'y suis revenu, pour lire au calme ce nouvel épisode.
Et comme je m'en doutais ce fut à nouveau un grand plaisir. Toujours cette force narrative et cette construction du récit, étayée par quelques sentences fortes, cette maîtrise du sujet qui font que je me laisse porter sachant que mon attente ne sera pas déçue.

Nilo, pas déçu.