T'as pas cent balles ? (Chronicle)

T'as pas cent balles ? (Chronicle)


Dédé: Salut les gonzesses. C'est Dédé.

Dédé: T'as pas cent balles ?

Dédé: Ouais, j'demande, on sait jamais. C'est pas que j'en ai vraiment besoin mais vaut mieux les prendre tant qu'y en a pasqu'à c'qui paraît c'est pas sûr que ça dure. Et me dites pas que vous en avez pas du pognon. Vous allez jamais au bistro, vous courrez pas après les gonzesses, vous passez votre temps devant internet… C'est pas c'que vous dépensez qui risque de vous manquer. Vous devez en avoir vachement de côté du pognon. J'dis pas à gauche pasque ça serait déplacé. A gauche on en a pas du pognon, sinon on est pas à gauche. Ou alors si on en a on le donne aux pauvres. Non ? Ah bon, j'croyais.

Dédé: Non, sérieusement, vous voulez pas me filer du fric ? J'vous jure que c'est pas pour une bonne cause. J'dis ça pasque maintenant même pour une bonne cause, genre Téléthon, Cancerthon, Sidathon ou Psthon vous filez plus rien. Y a qu'au Décathlon que vous êtes généreux, comme si Adidas ou Nike y ressemblaient à des gamins du Darfour ou à des pauvres ordinaires de chez nous. Si vous voulez j'organise un spectacle géant pour que vous me filiez vot' oseille pasque c'est plus courant de vous voir à un concert Obispo que de vous voir filer dix centimes à un clodo. Pourtant il en a pas vraiment besoin Obispo de vos sous. Remarquez, je dis Obispo comme j'aurais pu dire n'importe quoi, genre Vincent Delerm ou Carla Bruni. Sauf que c'est vrai, putain que j'suis con, Carla Bruni vous allez plus la voir, vous ach'tez même plus ses disques et vous coupez la radio quand vous l'entendez depuis qu'elle est passée à l'ennemi.

Dédé: Pasque si j'me souviens bien quand elle était à gauche (j'vous f'rai remarquer quand même qu'à c'qu'elle dit elle y est toujours) vous chantiez "Raphaël" en épelant comme si vous en étiez amoureux. Vous manquez de constance vous trouvez pas. On dirait que l'art ne devrait être que de gauche. C'est pas que Carla Bruni ou Obispo ce soit vraiment de l'art mais votre instrument de mesure de l'art à vous c'est les opinions politiques, "l'engagement" comme vous dites. Y paraît que c'est plus noble que l'argent, qu'un artiste doit être désintéressé. Tiens ça m'fait penser que j'pourrais aussi demander cent balles à Obispo. Ou à Vincent Delerm.

Dédé: Remarquez, j'vous dis ça mais j'irai pas leur demander. Ils les ont pas les cent balles, à force de donner aux pauvres (ouais, y sont de gauche) et de chanter pour pas un rond dans les concerts humanitaires y sont sans un. Non quand j'ai besoin d'un peu de fric j'demande à P'pa ou à Papy. J'leur dis pas que c'est pour le poker mais pour aller voir les gonzesses. Pasque pour le poker y veulent pas m'en passer. Pour les gonzesses c'est pas pareil, j'fais marcher le commerce, j'aide les petits métiers. Et puis pour le poker Papy y dit qu'on fait pas de dettes de jeu, et qu'y faut pas jouer avec l'argent des autres. Même qu'il ajoute "pas comme les mecs de gauche". Papy lui y joue plus, c'est con on s'marrait bien quand on allait au cazingue. Et puis au cazingue y a toujours plein de belles gonzesses, comme si elles sentaient le pognon. P't'être bien qu'elles le sentent d'ailleurs, c'est ultra sensible les gonzesses, ça a tous les sens en éveil. Surtout le sens de l'argent, c'est leur sixième sens à elles. Elles reconnaissent le bruit du billet de cent euros froissé en marchant dans les sous bois à la fin de l'automne, c'est vous dire si elles ont l'ouie fine question pognon. Pourtant il a fallu qu'elles apprennent, et vite, pasqu'avant c'était des francs, ou des dollars. Ca les a un peu déstabilisées, mais elles s'y sont fait. Et vous savez qu'c'est vachement fort, les gonzesses, ça a une capacité d'adaptation hors du commun.

Dédé: Moi si j'avais tout l'pognon que j'ai filé aux gonzesses j'aurais pas besoin d'en demander pour aller jouer au poker. Encore une fois allez pas croire que je réclame, c'est juste que plus on en a mieux c'est. J'sais bien qu'c'est pas à vous que j'aurais du demander. Vous avez un p'tit salaire, quand vous en avez un, ou très peu d'argent de poche, à peine de quoi vous payer une menthe à l'eau ou un survet et des pompes Adidas chez Décathlon. J'vous dis ça pour vous rappeler que je perds jamais le fil de mes chronicles. Pourtant c'est pas facile avec vous pasque comme vous suivez pas je pourrais me laisser distraire.

Dédé: Tiens ça m'fait penser à un truc. Je vais faire une parenthèse là. J'vous préviens pasque c'est pas dans mes habitudes de faire une parenthèse. D'habitude je suis d'une rigueur monacale, j'm'éloigne pas de mon sujet. Mais là faut que j'en fasse une. J'vous explique, ce matin j'ai essayé de taper cent balles à Papy (comme quoi vous voyez, même quand je décide de me laisser aller à une digression faut toujours qu'ça m'ramène à mon sujet, rigueur monacale j'vous dis) et y m'a dit "c'est pas l'moment". Il était en train de lire Libé au bistrot, page 10, colonne de droite, un entrefilet de 12 lignes. Ouais, c'est pratiquement tout c'qu'y avait d'intéressant dans Libé ce matin. Tiens comme ça fait que douze lignes sur une colonne j'vous le mets en entier l'entrefilet. Non, vous inquiétez pas, ça f'ra pas douze lignes ici. En plus ça le mérite puisque c'est l'objet de ma parenthèse.

Dédé: Donc, extrait de "Libération" n° 8487 du mardi 19 août 2008 :
"La mathématicien Henri Cartan, 104 ans, est décédé le 13 août. Médaille d'or du CNRS et récompensé par le prix international Wolf de mathématiques, Henri Cartan était un spécialiste des fonctions analytiques de plusieurs variables complexes, ainsi que de la théorie du potentiel, de la topologie algébrique et de l'algèbre homologique."

Dédé: Bon d'accord il était plus tout jeune et Papy y s'en tape des fonctions analytiques de plusieurs variables complexes mais l'algèbre homologique et la théorie de Galois ça c'est son truc. J'comprends que le fait que Henri Cartan ait cassé sa pipe ça lui ait foutu un coup. Surtout qu'il les a tous lus les bouquins d'Henri Cartan. Vous ça vous f'rait pareil à vous si vous appreniez la mort de J. K. Rowling ou Dan Brown. Ou moi si Hugh Hefner tombait sous les balles d'un chasseur de prime ultra puritain. Comment ça vous savez pas qui c'est Hugh Hefner. Putain, arrêtez Harry Potter et mettez vous à Play-boy. Enfin bref, donc vous comprenez que j'tombais mal à essayer de lui taper cent balles à ce moment là. J'aurais du essayer cinq minutes plus tôt.

Dédé: Bon, je referme ma parenthèse et je reviens au sujet. Je voulais vous tapez un peu de pognon, reconnaissez que c'est vraiment qu'un peu, cent balles. Aujourd'hui pour cent balles, même en euros t'as plus rien. Et vous voulez pas me les filer. Vous êtes qu'une bande de rapiats, tiens j'suis sûr qu'si j'redemandais à Papy, maintenant que son chagrin est un peu retombé y m'les passerait. P't'être même qu'on irait boire un coup et jouer au poker ensemble. J'lui en reparlerai dès que j'aurais fini d'écrire ma chronicle. J'lui dirai qu'si on gagne on ira voir des gonzesses et "on s’trouvera un banc, on parlera d’l’Amérique où c'est qu'on va aller, Quand on aura du fric".

Dédé: Ah oui, pourquoi j'm'intéresse à l'argent moi aujourd'hui. Ben pasqu'y paraît qu'y en a plus. Et que j'voudrais pas finir mes jours dans la misère. Vous l'avez entendu dire vous aussi qu'y en a plus ? Y en a plus nulle part, même les américains y z'en ont plus. C'est grave si les américains y z'en ont plus. Tous nos rêves (ouais les vôtres aussi) vont s'effondrer, et on pourra même pas se raccrocher à vos rêves de communisme où tout le monde il est pauvre et que ça dérange personne, sauf les pauvres. Ouais vous les avez faits ceux là aussi, me dites pas le contraire j'vous croirais pas, ça se voit dans c'que vous écrivez que vous avez eu d'envie de tout partager avec les autres. Y a que quand on vous demande que ça vous dit plus rien. C'est vrai c'est plus facile d'avoir des bons sentiments que de les mettre en application. J'vois bien qu'ça vous emballe pas que j'vous demande cent balles pour aller jouer au poker et emmener Papy voir les gonzesses. J'lui dois bien ça, un jour comme aujourd'hui où il est triste. Et puis vous qui l'aimez bien aussi Papy vous pourriez faire un effort, pour m'aider à le consoler.

Dédé: Mais non, vous avez le cœur sec comme le lit d'une rivière au Sahel. Vous vous planquez derrière vos impôts à payer dans deux mois et le bouclier fiscal qu'on a offert aux riches pour me dire que j'ai qu'à aller taper les riches. Pendant c'temps Papy y va mourir de chagrin et vous vous aurez filé vot' pognon à des mecs qui viennent vous le prendre dans vos poches sans qu'vous leur mettiez la main dans la tronche. J'suis sûr que le prix des concerts d'Obispo vous le déclarez comme don aux bonnes œuvres pour avoir une déduction fiscale. Mais là vous vous plantez, ça vous f'ra pas économiser un rond, pasqu'Obispo (ou Vincent Delerm) y joue pas gratos tous les jours, jamais même. Et vous qu'est ce que vous faites, vous allez au concert, Obispo y vous d'mande du pognon, vous lui en filez. Putain, y en a qui disent qu'on prête qu'aux riches, c'est pas vrai, on leur donne. J'dis pas ça pour vous mettre mal à l'aise, moi aussi je donne aux riches, y'a un bistro où je vais, le patron y roule sur l'or, ses clients aussi. Ben ça les empêche pas de dire qu'y a plus d'pognon. C'est qu'la situation est vachement grave, si même les riches y disent qu'y plus d'pognon. Comment vous voulez qu'y z'en filent aux pauvres. Surtout qu'y sont même pas d'gauche, c'est vous dire si y z'ont pas de raison de filer aux pauvres.

Dédé: Et pourquoi elle est grave comme ça la situation ? Faites pas semblant de pas savoir. C'est votre faute tas de feignants, au lieu de bosser vous faites rien qu'à vous plaindre, j'suis même sûr qu'y en a qu'ont fait grève cette année (j'dis cette année pasque j'ai pas envie de remonter trop loin, pour pas vous faire honte). Et avec quoi on les paye vos grèves, avec l'argent des pauvres. Et venez pas m'dire que c'est le vôtre. Alors c'est pas la peine de venir vous plaindre tout l'temps et d'me dire que vous pouvez pas me passer cent balles pour faire plaisir à Papy.

Dédé: C'est vrai qu'les idées pour fabriquer du pognon c'est un peu c'qui manque. Surtout dans un pays où les intellectuels (de gauche, un intellectuel c'est comme un artiste, forcément de gauche) se sont toujours mieux sentis dans des rôles de "compagnons de route" prêts à tout avaler, même des couleuvres, et à les faire avaler aux autres pour éviter de "désespérer Billancourt". Excusez moi de citer Sartre, c'est pour la cause du peuple.

Dédé: Enfin bref, j'ai bien compris que vous voulez pas me filer cent balles. Venez pas m'demander quand vous aurez besoin.

Dédé: Finalement Henri Cartan il a pas eu tort de s'en aller au paradis des mathématiques. Là bas au moins y verra plus la misère où nous mettent l'égoïsme, la bêtise et le manque de courage. La théorie du potentiel, ça vous dit rien. C'est bien c'que j'craignais.


Ciao les gonzesses, c'était Dédé.