Actions & Humiliations Corporate

" -Maxime, je t'ai déjà dit pas avant le déjeûner!
- Mais p'pa! J'ai faim!!!
- Quoi? Il est déjà 15hoo'? Elle est où ta mère?
- Maman t'a demandé si tu voulais aller avec elle et Eloise chercher sa nouvelle guitare, t'as dit non...
- ah oui, oui, c'est vrai!"

Je regarde mon gamin comme si je découvrais son existence à cet instant précis. Ma petite tête blonde a déjà 10 ans et moi, j'ai pas vu le temps passer. Je ne l'ai même pas senti m'échapper.
45 ans et j'ai l'impression que toute l'essence de ma vie s'amenuise.
Ma femme tire la sonnette d'alarme, je l'entends mais je ne bouge pas, comme paralysé. Je l'aime, je les aime mais je suis emprisonné.

Avoir un bon salaire, c'est la raison pour laquelle je me bats et parce que je suis un passionné aussi, j'aime faire évoluer des marchés, je suis né pour ça.
La contrepartie de tout mes investissements, c'est de pouvoir offrir le meilleur à ma femme et mes enfants, qu'on soit à l'abri de tout besoin. Mais l'amour ou le temps consacré à ceux que j'aime et qui ont besoin de moi n'est pas accessible au portefeuille d'un prédateur comme moi.
Même mon temps libre appartient à la Corporate; j'ai signé un aller simple pour l'enfer.

Le lundi consacré aux réunions est devenu un instrument de torture qui prend racine le vendredi soir alors que je devrais être avec les miens et entièrement disponible pour eux.
Le dimanche soir, je me surprends encore à préparer les calmants pour le lendemain. La tourmente au paroxysme , je pars me coucher auprès de Julie qui me tourne le dos car encore aujourd'hui, je n'ai pas lâché le pc de l'après-midi ou parce que lorsqu'elle me parlait je ne l'écoutais pas.
Pour certains de mes amis, c'est le revers de la médaille ou la rançon de la gloire... Mais quelle gloire? Quelle médaille?!!!

Je n'oublierai jamais le jour de ma signature de contrat; jeune coq passionné, je connaissais mes points forts mais aussi mes failles; l'esprit vif, j'avais réussi à faire de mes faiblesses des forces et ils avaient été séduit par mon "charisme" pour reprendre leur terme et mon sens aiguisé de l'analyse des marchés porteurs.
Fou de joie, ce soir-là, j'avais sorti le grand jeu, ma femme était fière de moi et je me sentais renaître; une entreprise allait enfin laisser ma personnalité s'exprimer puisqu'il s'agissait d'une rencontre! Une parfaite alliance; un mariage de deux mondes; celui d'une société pointue aux multiples ouvertures et d'un outil multi-fonctions parlant le même langage.

Et voici l'ouverture des festivités! Il est huit heures du mat dans la salle des marchés et au 5ème étage, salle des spéculations: réunion avec les plus grands spécialistes.
Je jette un regard furtif autour de moi pour sentir l'ambiance du jour.
Verdict :ambiance stressante que je qualifie de 4 sur une échelle allant de 0 ( jamais vue ici) à 7.
Je suis devenu l'ombre de moi-même insidieusement . C'est la dernière recrue ultra-dynamique en face de moi qui me le rappelle. Combien de temps va-t'il tenir ainsi? Sa vivacité arrogante pour faire évoluer les portefeuilles clients commence déjà à se réduire mais sa personnalité est loin d'être entamée.

Cette vision me fouette et me projette un miroir au visage; je ne suis plus qu'une pute de luxe, voilà ce qu'ils ont réussi à faire de moi. Je sais qui laisse le billet sur la table de chevet mais je sais surtout que celui qui le dépose n'est pas celui qui le fabrique.
Un jeu malsain se dessine désormais entre nous; ils veulent mon charisme pour appâter leurs clients mais ils me le détruisent tout les lundis.
Suivre leurs desseins serait signer mon arrêt de mort; mon internement en HP; pute doublé d'un schizophrène sur l'étiquette du dossier. Ma femme et mes enfants en visite une fois par semaine au début jusqu'à ce que les médicaments me conditionnent à choisir entre l'homme détruit ou l'animal; ils finiraient par m'enterrer dans le tiroir des bons souvenirs avant qu'un avocat ne vienne profiter de mon addiction aux antidépresseurs pour me faire signer les papiers du divorce.

Le PDG s'est alors raclé la gorge comme à chaque fois qu'il va nous faire son numéro d'hypnotiseur de serpents; un laius parsemé d'injures à nos intelligences réunies au même endroit pour lequel nous devons applaudir la prouesse plutôt que le contenu. Tout le monde se ment , tout le monde le sait mais tout le monde continue de faire semblant; les cols blancs sous costumes griffés poussent plus facilement au lissage des apparences.

Un bourdonnement des tempes, mes mains se mirent à trembler malgré le calmant pris avec mon décaféiné du matin. Il est 11:33', les actions de chez XFiles s'effondrent et mes clients font clignoter le black berry jusqu'à ce qu'une vague d'appels arrive sur le téléphone de la salle des spéculations; un raz de marée va submerger notre petite réunion hebdomadaire. Je suis fébrile, mon attention baisse, je vois l'oeil réprobateur du prédateur-président se jeter sur moi.
Comme à chaque fois qu'un marché s'effondre, ce sont nos petites épaules qui doivent les supporter. Pas de filet ni de parachute. J'assume le rôle pour lequel je suis payé mais mon sang froid ce matin est aux abonnés absents.
La nouvelle vient de tomber aux pieds du loup qui me saute à la gorge immédiatement.
Par peur, soumission ou conditionnement, quand un employé vit cette situation, il se couche sur le dos soumis aux coups jusqu'à ce que l'orage passe mais pas moi, pas ce matin, pas aujourd'hui! La pute dit non au client et lui rend son billet. Soit pas assez payée pour la besogne soit un rejet viscéral irrépressible... ça arrive.

Tout va très vite, les secondes défilent, les images aussi; toutes mes implications, mes conseils sincères, les sacrifices et les réponses dédaigneuses, l'irrespect, les manipulations; l'inhumanité.
J'ai planté mon regard franc dans celui du Grand Manitou et lui ai rappelé à son bon souvenirs que le jour où il nous a imposé ces investissements; j'y étais défavorable mais comme à chaque réunion, on m'a dit de la fermer gentiment et de ne pas me faire remarqué bêtement. J'obtempérais.
Aujourd'hui, c'est terminé monsieur Tout puissant, je vous laisse vous et vos responsabilités, vous et vos magouilles de lobbyistes , vous et vos combats que vous menez de toute façon tout seul!

J'ai jeté mon GSM à la corbeille, arraché ma cravate qui atterri au même endroit et en signe de reconnaissance je lui ai dit :
"Vous m'avez tout appris du monde de la finance mais je ne vous dois rien. J'ai découvert les valeurs inestimables de la solidarité et de la vérité. J'ai découvert qu'être moi a plus de prix qu'un costume Cartier et que le bonheur de mes enfants ne passera pas après ma carrière."

Il s'est bien évidemment esclaffé à gorge déployée avant de me lancer dans un rugissement " Faites ce pour quoi on vous paye et ne m'obligez pas à devenir désobligeant Bertier! "

" - Ne vous gênez pas pour moi surtout, soyez vous-même mais je ne lacherai plus jamais une part de ce que je suis pour votre petit confort de conscience! "
C'est alors que j'ai vu sa mâchoire s'élargir sous le pression des dents serrées , j'ai tout de même ajouté, étant déjà mort assassiné à la seconde où j'avais cligné de l'œil en signe de contestation:

"-Les plus belles progressions se font de spéculations faites sur la confiance et l'esprit d'équipe. La garantie de productivités monsieur le président est un investissement qui peut rapporter deux même trois fois plus si vous osiez prendre le risque d'échanger véritablement! Mais ça vous dépasse et je suis au regret de vous annoncer que vous êtes obsolète :Game Over !"

Ce fut la fin de ma carrière à la Corporate et le début du bien-être , du mien et des miens.

Aujourd'hui, je spécule sur des denrées rares comme la confiance, la famille ou la sincérité et je suis riche.

ET peut-on savoir ce qui nous vaut cette nouvelle Coma ?
Nouvelle à prendre aux deux sens du terme.

Nilo, épicier de quartier vs marché de gros.

J'aime bien découvrir de nouvelles facettes des posteurs, donc merci pour cette nouvelle... et au plaisir d'en lire d'autres.

Swann,

Une petite faute à corriger en edit: remarquer et non remarqué...pardonne moi cette remaque

Merci merci les amis!

Ceci étant dit, vos commentaires me laissent un peu sur ma fin, car si je m'essaye ici à un style ( que j'avais déjà testé il y a longtemps),; j'aimerais savoir quel est votre point de vue en dehors de la nouveauté.

Je vous embrasse

Au risque de me répéter, tes textes acides aux émulsions d'astéroïdes me manquent un peu. Ta plume est toujours agréable à lire, mais je lui trouve des sonorités plus "communes" dans ce genre de texte... Qui résultent certainement d'une maturation et de besoins que je ne connais pas. Prends donc mon jugement pour ce qu'il vaut

Je t'embrasse.

Z, demi-teigne.

Je vais avoir du mal à te répondre Coma, car ce texte me touche personnellement. Ancien cadre "autonome", responsable de l'élaboration de projets, de la recherche de financements souvent croisés, du recrutement, de l'élaboration d'action, du rapport final, je suis mal à l'aise dans cette situation bien décrite qui me rappelle de mauvais souvenirs.
Mais, trève d'introspection. Ton style clair convient bien à ce type de narration, le texte est aéré et la lecture est aisée; J'aimerais que tu donnes un peu plus de détails qui permettent d'entrer dans l'intimité du personnage. On le devine mais quelques traits le feraient vivre. En clair, c'est un peu court.

Voila,

Affectueusement, Swann,

Le thème est intéressant mais pour le rendre plus aiguisé sans tomber dans la facilité , peut-être travailler des phrases plus sèches et supprimer des allitérations cassant rythme.
Exemple : « car encore aujourd'hui, je n'ai pas lâché le pc de l'après-midi »
Aujourd’hui encore, je n’ai pas lâché…
Ce sont des points de détails qui permettent de prendre du recul par rapport au sujet traité qui demande de sortir des clichés.
A suivre donc, sans boursicoter.

Aujourd'hui j'ai décidé de rendre hommage au travail de certains auteurs de [Nouvelles] en allant repêcher certaines de ses pages oubliées et de vous les offrir.

Nilo, Missing.

''Le PDG s'est alors raclé la gorge comme à chaque fois qu'il va nous faire son numéro d'hypnotiseur de serpents’’
J’ai lu cette nouvelle au premier et au second degrés, et j’ai apprécié la justesse de tes mots qui collent au propos - et aussi au contexte actuel, avec ceux qui veulent montrer du doigt l’immoralité du système financier en s’adonnant à des pratiques exceptionnelles d’une injustice absolue ! Ce n’est pas sans précédent, bien sûr, mais c’est suffisamment gros pour être remarqué comme le nez au milieu de la figure !

Dam, l’argent pourrit tout, vraiment.

J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Sixième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...

Dédé.