Mardi gras, mercredi descendre.

Cher journal,

Hier après-midi maman m’a trainée au carnaval des sauveurs de la terre. T’imagines pas comme la reine est moche et le roi plus chemo encore.
Ils sont bleus comme « l’enfer » que le carton pâte déroule dans les rues de la ville sous perfs hystériques.
Aux bras les vieux, les vieux os craquants, joies parkinson, confettis d’Alzheimer.
Tout barbouillés de masque nos avenirs se marrent sur les pots de fleurs décoratifs. La ville fait des effets de plantations pour ces grands moments de vide en foule.

Je passe devant ça et je tremble de toutes mes guibolles blêmes. Maman s’extasie : « Regarde Zette, regarde comme belle est la reine !. Regarde dans la gueule de la baleine les petits Jonas discutent ».

Je baisse la tête. A quoi bon répondre à un adulte persuadé qu’il est né avec la science et qu’elle infuse en lui avant de nous irradier ?
Et puis ces tentacules de poulpe, ces doigts ventousés prêts à vous sucer la joie de vivre.
Beurk ! Pire que le repas de « nono » et mon de mon « anni » raté.
Cher journal de mes peines à vif, je n’ai même plus les mots pour te dire cette tristesse de l’âme qui tripote sa lyre décordée.
Plus un rayon à mon arc en ciel pour tenter de faire le pont.
Heureusement il pleut, va pleuvoir et pleuvra encore jusqu’au bout. Merci le dieu des pipis célestes.
Tiens, la force me revient de sortir un mouchoir en papier pour essuyer mes lunettes de binoclardes « serpent à lunettes » que disent les z’autres. J’essuie, j’essuie pour nettoyer mon monde de carnavaux, d’épouvantails, de rires à linge. J’essuie pour oublier que penser n’est pas plus utile à l’éclopé de la tête que la lorgnette à l’aveugle, quel que soit l’angle auquel ils se heurtent en vrac, ils ne l’arrondiront pas de leur manque.
J’essuie pour être, devenir ce que je suis ou l’inverse. Pour effacer les brouillards, les embrouilles, les bouillies, les batailles perdues, les rails sans direction, les semailles sans moissons, les funérailles au bout du bout.
J’essuie pour tenter d’admettre le plus difficile, tout ce qu’il va falloir ratisser, élaborer, élaguer au nom du supportable, du vivable en aquarium.
J’ai neuf ans et je sens que c’est déjà trop.

J’essuie pour oublier que penser n’est pas plus utile à l’éclopé de la tête que la lorgnette à l’aveugle

Je salue le retour de Zette. Elle me manquait.

Nilo, carne en val.

Ah putain !
Zette depuis l'temps qu'étais pas v'nue. J'suis vach'ment content. Tu m'manquais.
Y a qu'des vieux ici (et j'parle pas que d'Papy, qu'est vieux qu'sur son passeport), tiens c'est simple, tu viens, tu leur racontes une histoire et y t'la font genre on a même pas vu qu'elle était passée.
Ben moi, comme d'hab et comme Papy j'ai vach'ment aimé ta nouvelle page de journal.

Dédé, 7 ans 1/2, mais d'ours en peluche.

Bise à l'ours, entre peluches on se comprend !

..Ce que j'aime chez toi Ratoune, c'est cette façon bien à toi de peindre un grand desespoir avec la légéreté d'une plume, comme pour le faire rétrécir.
Celui la de Zette est , selon moi, superbement beau..
Tous ces "j'essuie" sont tellement forts et vrais...
Je ne savais trop comment le formuler. J'espere que j'y suis un peu parvenue.

Si de cogner dans le Mur à Dédé fait tomber une pierre de Zette il y a urgence à la remettre tout en haut.

Nilo, je le fais.

Zette ou Ratoune, je t'aime ! J'ai déjà dû te le dire dans une autre vie, même si j'ai oublié.
Au prochain nono ou nanni, viens, on fera des bulles, on mettra plein de fumée dedans et on racontera que des bêtises vachtellement intelligentes que tout le monde en sera sur le cul. Mais je suis bête : t'as pas besoin de moi, tu sais déjà faire tout ça !

Et puis ces tentacules de poulpe, ces doigts ventousés prêts à vous sucer la joie de vivre. j'aime beaucoup.

Putain, quel plaisir de relire ce journal de temps en temps.
Aujourd'hui encore j'ai décidé de rendre hommage au travail de certains auteurs de [Nouvelles] en allant repêcher certaines de leurs pages oubliées et de vous les offrir.

Nilo, Missing.

Nilo, lundi septembre.

Courage petit serpent à lunettes tu tiens le bon bout ! et nous, on ne manquera pas d'essuyer les nôtres, de lunettes, pour ne pas manquer un seul de tes mots.

C'est vraiment bouleversant à chaque fois. C'est à la fois naïf et lucide. Il y a un peu de "la vie devant soi". Et puis quand même... il y a du style!

Pic, admiratif.