Mardi, 19:00, en sortant du supermarché

J'étais désespéré, et pourtant tout m'apparaissait d'une soudaine et bienveillante beauté.
Je sortais du supermarché, après avoir remarqué avec une certaine circonspection le geste conjoint d'une cliente et de moi-même, à savoir déposer mécaniquement notre carte de fidélité sur une boîte de conserve. Passé cet instant où je me voyais comme un vulgaire pion automatisé de la grande chaîne de la consommation, je pris le parti d'y voir un signe d'unité ; sans pour autant jurer à la face bonhomme des Dieux du Cosmos.
Il est de ces débuts de soirées où le ciel semble remuer la mélancolie pour en faire un suave mélange de félicité et de concordance. Un ciel gris, chargé d'une menace évité, enroulé dans les lumières de la ville. Chaque néon se reconnaissait une fonction. Chaque paire de phares de voitures s'agglomérait à l'ambiance feutrée dans laquelle je baignais de nouvelles instructions. Chaque mètre carré de bitume avait sa place. Il n'était plus besoin de nature fraiche, de forêts de conifères, d'animaux sauvages paissant paresseusement dans des champs étirés à l'infini. Je me satisfaisais de ce que ma conscience était capable de capter. À savoir un monde rempli de mystères aussi clairs qu'insondables. Toutes les femmes, derrière leurs allures de contemporaines corrompues, brillaient par leur évanescence et leur phosphorescence ; en ce point sournoises qu'il me venait des idées saugrenues.
Je ne rêvais pas d'un univers parfaitement adapté à son milieu naturel, mais rien n'aurait su me détourner de cette étrange joie à peine tempérée par l'esprit décisionnel. Non que j'abandonnai sur le bas-côté d'un instant solvable, mes instincts de marginal écœuré. Mais, parfois, il en faut si peu pour se sentir appartenir au monde des hommes. À leur médiocrité, à leur dégénérescence programmée.
En arrivant chez moi, je fis tourner un album d'Etta James et décapsulai une canette de bière en buvant à la santé de ce bref moment partagé avec l'altérité.

Mais la félicité n'a qu'un temps. Ensuite, le silence.

26/03/13

Non que j'abandonnai sur le bas-côté d'un instant solvable, mes instincts de marginal écœuré.

Heureusement qu'il reste Etta James et une canette de bière pour boire à la santé d'un bref moment partagé avec l'altérité.

Nilo, à la tienne.

Drôle de texte, à vrai dire ; monologue d'une pensée encapsulée - qui fait pschiit ! ; délire controlé - d'un auteur ? D'un narrateur ? On ne sait. A moins que ce soit la pensée tout à fait normale et quotidienne d'un piéton. Ce pourrait être le début d'un polar, d'un truc noir ou le début d'un roman de rentrée littéraire mais ça se termine par le silence.