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Nous avons 448 membres enregistrésL'utilisateur enregistré le plus récent est Marine8316
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Faire le vide...
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Nilo
Dam
Swann
vivant
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
Page 1 sur 1
Faire le vide...
_ Dis, je pensais à un truc...
_ Quoi ?
_ Tu crois que l'expression « t'es pas sorti de l'auberge » ça a à voir avec l'eau des berges ? Je veux dire, je sais bien que ça ne s'écrit pas pareil, mais ça peut être une déformation de la langue qui s'est opérée dans le temps.
_ En rentrant t'iras chercher ça sur internet si ça te travaille. Il doit bien y avoir un site qui parle de ça.
_ ouais peut-être. Non, mais tu vois, ça aurait un sens... le type qui est en train de se noyer et qui n'est pas prêt de retrouver la berge.
_ oui bon, je croyais qu'on était là pour se détendre un peu, faire le vide.
_ Ben, c'est ma façon de me détendre. Ça t'emmerde ?
_ Un peu.
Je me suis tu. Ça avait le mérite d'être franc. Ça n'avait que ce mérite là, d'ailleurs. Je l'ai observée à travers les lunettes de soleil. Elle s'étalait de l'écran total sur les seins en fixant l'océan. Le spectacle de ses petits globes glissant sous ses paumes me laissa froid. Je trouvais le spectacle esthétique, mais sans charge érotique. Était-ce le début de la fin? J'ai pris une canette dans la glacière et j'en ai sifflé la moitié sans reprendre ma respiration. Brigitte m'a pincé le bourrelet en souriant.
_ Dis... Mollo quand même. Tu va encore nous prendre une taille si tu continues.
J'ai vidé le reste de la canette d'un trait et me suis dirigé vers l'océan. Il était déchaîné. L'écume giclait mieux que la sueur d'un métalleux à un concert d'ACDC.
Le courant m'entraina vite sur la gauche, vers la baïne. Fut un temps où elle mettait la main en visière pour m'avoir toujours à l'œil quand je me frottais au grand sauvage. Je me suis retourné, par acquit de conscience, mais Brigitte lisait un magazine dont le cœur de cible devait avoisiner la vingtaine d'années. C'est ainsi qu'elle faisait le vide. Je ne juge pas...
Faire le vide, se détendre, loin des enfants... C'est bien joli, mais je n'ai pas de grandes dispositions pour la méditation. Depuis combien de temps n'avons-nous pas fait l'amour ? Deux mois peut-être ? Et de façon satisfaisante... bien plus encore... Faire le vide quand il devient criant. N'est-ce pas ironique ?
Je me suis laissé déporter au gré du courant puissant jusqu'à ne plus apercevoir le bout de tissu noir tendu entre les fesses de Brigitte. Il y avait une jeune hollandaise au teint cuivré devant moi, vêtue d'un maillot de bain blanc un peu grand que l'eau rendait transparent. De dos, comme de face, je distinguais clairement les chemins à prendre et je me suis raidi sous l'écume. La libido de Brigitte s'était-elle déplacée de la même manière ? Elle semblait s'en accommoder mieux que moi. Peut-être avait-elle déjà trouvé un dérivatif ? C'était difficile à savoir. Si l'on exceptait le sujet des enfants, nos conversations étaient devenues insignifiantes, comme si nous avions fait le tour, l'un de l'autre, et qu'il nous importait de ne pas recommencer. Stagnation.
L'océan en complice, roulait la jeune femme dans ses bras, et après l'avoir étourdie, il fit glisser son maillot sur ses genoux. Elle rosit en croisant mon regard planté sur son sexe nu avant qu'une main ne le recouvre et que l'autre ne se saisisse du maillot. Érection instantanée dans la fraicheur.
Lorsque je suis revenue sur ma serviette, Brigitte s'est levée à son tour et m'a demandé de surveiller son sac. J'ai plongé dans la glacière pour prendre la troisième canette de l'après-midi. Je me suis mis à rêvasser derrière sous mes lunettes, à imaginer ma main s'insinuer sous le maillot de bain blanc, les cuisses de la hollandaise m'enserrer, et la pointe fraiche de ses seins contre mon torse... Brigitte s'est à peine mouillée pour entretenir la blondeur de ses cheveux.
_ Ben dis-donc, t'as une sacrée descente aujourd'hui !
_ Je n'ai pas apporté la glacière pour qu'on la regarde.
_ Mouais... si j'comprends bien, c'est moi qui vais conduire au retour.
_ Brigitte...
_ Quoi ?
_ pourquoi on ne fait plus l'amour ? Pourquoi on n'échange plus rien. Je n'arrive pas à me détendre. Je ne pense qu'à ça.
_ je ne sais pas Michel. Nous avons chacun notre boulot, le stress, et avec les enfants, difficile d'avoir du temps pour ça.
Je n'ai rien ajouté. J'ai attendu que Brigitte s'allonge et s'assoupisse pour reprendre une bière. Faire gicler un peu d'écume sur mon amertume. Étais-je devenu un meuble pour Brigitte , la considérais-je moi-même de la même manière ? Je suis resté muet sur le chemin du retour. Brigitte également. Comme d'habitude. À l'intérieur, j'oscillais entre le maillot de bain transparent de la néerlandaise et la perte de libido.
Le silence, les volets clos pour ne pas laisser entrer la chaleur, Brigitte qui passait déjà le balai dans l'entrée afin d'évacuer le sable... Je me suis senti vieillir d'un coup. Nous étions deux et seuls. J'ai allumé la télé, une bière à la main avec le projet diffus de m'enivrer un peu plus.
_ Une semaine... Ils auraient pu envoyer une petite carte postale, tu ne crois pas ?
_ Bah, c'est plutôt bon signe. Ils ne doivent pas avoir le temps de s'ennuyer. Ne t'inquiètes donc pas, Brigitte.
_ Je prends la douche en premier, ça te va ?
Brigitte n'a pas attendu ma réponse. Notre couple ne tenait-il plus que par les enfants ? Une semaine creuse, supposée nous détendre. On ne se méfie jamais assez du temps libre, du vide. La nature a horreur de ça et nous le fait bien sentir. Aller surprendre Brigitte sous la douche, la savonner de partout, puis la plaquer contre la paroi pour l'enfiler, mais au milieu du couloir, l'idée m'a semblé ridicule. C'était moche. Je suis repassé devant le frigo. Je n'avais plus l'impulsion. Juste l'envie d'avoir envie comme disait l'autre. Brigitte m'a laissé la place sans un regard et j'ai senti l'eau couler avec un temps de retard, les yeux clos, les mains sur les cloisons pour atténuer les effets de l'ivresse naissante. Brigitte avait mis la table, sans déroger au petit rythme bien établi. Bon sang, je devenais dingue. Une semaine sans les enfants, à ne rien faire, à enfiler les perles en échanges de façade. Il ne subsistait rien de notre complicité. Il m'était impossible de continuer ainsi. J'avais besoin d'expérimenter le vide à ma manière.
_ Je n'ai pas faim. Je vais faire un tout en ville.
_ Avec ce que tu as bu ?
_ J'y vais à pieds.
_ Qu'est-ce qui te prend, Michel ?
_ J'en sais rien. Je ne peux plus. J'étouffe.
Brigitte a tenté de me convaincre, mais je n'étais plus accessible.. Son oeil était humide. Le mien aussi. La marque d'un regret au pied d'un amour défunt. Je n'ai pas été bien loin. J'ai posé mes fesses à la première terrasse. Un fond de musique cubaine et une poignée de clients qui tournaient au Bacardi décliné sous toutes ses formes. Je suis resté à la bière et j'ai bu tranquillement en laissant mon regard traîner sur la vie des autres.
Plus tard, le café s'est rempli et les serveurs affairés pilonnaient la glace en rythme en tendant le poignet aux habitués entre deux verres. Ça vivait tout autour. J'ai senti que le monde m'échappait, que je devenais vieux. Plus tard, au coin du bar, j'ai agité la main sans que cela n'interrompe le ballet des serveurs et, lorsqu'enfin on se rendit compte de ma présence, j'ai senti derrière le sourire, une pointe de condescendance. Eh oui, j'étais encore debout à une heure du matin ! Eh non ce n'était pas raisonnable de tanguer à mon âge! J'avais envie de les traiter un à un de petits cons, mais j'ai contenu cette colère, peut-être parce qu'effectivement, je vieillissais. Bière en main, je me suis planté devant ce présent qui me fuyait et dont ils paraissaient jouir sans en mesurer la richesse. J'ai repensé au glissement de maillot de la hollandaise, au désir immédiat d'aller me coller contre ses fesses. L'alcool en toile de fond, tout me paraissait simple, à portée de main. Le présent se jouait de moi, pourtant.
« Monsieur ? On va fermer. Non, ça ne va pas être possible. Même si vous la buvez vite. Je ne veux pas d'ennuis avec le voisinage. »
Je n'ai pas insisté. J'avais du mal à tenir sur mes guiboles et, pire, je venais de me faire gentiment sermonner par un gamin à peine plus âgé que mon aîné. On allait m'enterrer vivant, bordel ! Un coup d'épaule, et hop, dans la fosse ! Et tous ces petits cons qui jetaient joyeusement une poignée de terre sur ma gueule... Brigitte avait-elle senti cela avant moi ? S'était-elle sagement résignée ? Serais-je capable de regarder les autres vivre sans y prendre ma part ? Je sentais que j'allais combattre, désespérément, m'abreuver à la moindre source de vie plutôt que de succomber à l'enlisement. Étancher ma soif, où qu'elle soit et me dessécher le plus tard possible.
En titubant, j'ai songé à Brigitte, aux couches sédimentaires de notre vie commune, à son balai qui jour après jour avait chassé l'espoir des surprises. Lorsque je suis entré, tout était silencieux. J'ai progressé à tâtons vers la salle de bains. Mon visage, dans la glace, puait la défaite. Je me suis aspergé et je me suis brossé les dents dans une bouche anesthésiée. La douleur viendrait dans quelques heures.
La main sur la rampe, j'ai vu le rai de lumière sous la porte de la chambre. Voilà que j'appréhendais de me rendre dans mon propre lit ! Chaque pas me renvoyait le grincement du temps qui passe sur le parquet. Brigitte, en chien de fusil, était allongée de son côté. Elle avait laissé ma lampe de chevet allumée. Je me suis assis au bord du lit pour ôter mes habits et je me suis couché. Ma place était là, quoiqu'il arrive. La lumière, parce qu'elle savait que je reviendrais, parce qu'elle me connaissait aussi bien que je la connaissais. Ça achevait de me déprimer. Je me sentais minable, coupable de rejeter cette marque d'affection. J'eus même envie de la réveiller, de la secouer en hurlant « putain, Brigitte, on est encore en vie ! C'est pas le moment de devenir des fossiles ! » Je n'étais cependant plus en état d'argumenter. Il n'y avait rien derrière ma frustration. Seulement la peur du vide. Faire le vide... je prenais l'ironie en pleine gueule...
Je me demandais quelle tournure prendrait la chose au réveil quand Brigitte éclaira sa lampe de chevet et rejeta les draps. C'était à mon tour d'être immobile et de retenir mon souffle. J'ai laissé branché mon cerveau imbibé malgré les grésillements inquiétants. J'imaginais qu'elle avait planqué un couteau de cuisine et qu'elle visait, hésitante, entre mes omoplates, mais peu après, je l'entendis gémir. Puis je perçus ce bruit de fond, étrange, inhabituel. Le couteau, c'était dans l'ordre du possible, mais ça ? Pourtant j'avais déjà l'image en tête et lorsque je me suis retourné, Brigitte se caressait l'entrejambe avec un vibromasseur mauve. Dans le même temps je constatai qu'elle était entièrement épilée. J'ai filé immédiatement vers ses yeux où je cherchais je ne sais quelle explication, mais ce qu'elle m'a renvoyé était indéchiffrable. J'ai tendu une main qu'elle a aussitôt saisie et rejetée le long de mon corps.
« Tu peux regarder si ça t'amuse, mais ne t'avises pas de toucher »
« mais c'est quoi ce truc, Brigitte ? Ça fait longtemps que t'as ça ? »
« J'aimerais que tu te taises aussi. Je fais le vide. »
J'ai continué de regarder Brigitte dont les yeux papillonnaient, se brouillaient et me clouaient. Un mélange de plaisir et de défiance. Je la redécouvrais, libre, animale. Je m'étais lourdement planté sur son compte. J'avais le coeur au galop et je me suis retenu jusqu'à ce qu'elle en termine. Après quoi, Brigitte s'est allongée en soupirant, sans un mot. J'ai fait de même. Les larmes coulaient silencieuses, d'un bonheur bizarre. Demain ne m'inquiétait plus : Brigitte n'avait pas abdiqué. Et je l'aimais.
_ Quoi ?
_ Tu crois que l'expression « t'es pas sorti de l'auberge » ça a à voir avec l'eau des berges ? Je veux dire, je sais bien que ça ne s'écrit pas pareil, mais ça peut être une déformation de la langue qui s'est opérée dans le temps.
_ En rentrant t'iras chercher ça sur internet si ça te travaille. Il doit bien y avoir un site qui parle de ça.
_ ouais peut-être. Non, mais tu vois, ça aurait un sens... le type qui est en train de se noyer et qui n'est pas prêt de retrouver la berge.
_ oui bon, je croyais qu'on était là pour se détendre un peu, faire le vide.
_ Ben, c'est ma façon de me détendre. Ça t'emmerde ?
_ Un peu.
Je me suis tu. Ça avait le mérite d'être franc. Ça n'avait que ce mérite là, d'ailleurs. Je l'ai observée à travers les lunettes de soleil. Elle s'étalait de l'écran total sur les seins en fixant l'océan. Le spectacle de ses petits globes glissant sous ses paumes me laissa froid. Je trouvais le spectacle esthétique, mais sans charge érotique. Était-ce le début de la fin? J'ai pris une canette dans la glacière et j'en ai sifflé la moitié sans reprendre ma respiration. Brigitte m'a pincé le bourrelet en souriant.
_ Dis... Mollo quand même. Tu va encore nous prendre une taille si tu continues.
J'ai vidé le reste de la canette d'un trait et me suis dirigé vers l'océan. Il était déchaîné. L'écume giclait mieux que la sueur d'un métalleux à un concert d'ACDC.
Le courant m'entraina vite sur la gauche, vers la baïne. Fut un temps où elle mettait la main en visière pour m'avoir toujours à l'œil quand je me frottais au grand sauvage. Je me suis retourné, par acquit de conscience, mais Brigitte lisait un magazine dont le cœur de cible devait avoisiner la vingtaine d'années. C'est ainsi qu'elle faisait le vide. Je ne juge pas...
Faire le vide, se détendre, loin des enfants... C'est bien joli, mais je n'ai pas de grandes dispositions pour la méditation. Depuis combien de temps n'avons-nous pas fait l'amour ? Deux mois peut-être ? Et de façon satisfaisante... bien plus encore... Faire le vide quand il devient criant. N'est-ce pas ironique ?
Je me suis laissé déporter au gré du courant puissant jusqu'à ne plus apercevoir le bout de tissu noir tendu entre les fesses de Brigitte. Il y avait une jeune hollandaise au teint cuivré devant moi, vêtue d'un maillot de bain blanc un peu grand que l'eau rendait transparent. De dos, comme de face, je distinguais clairement les chemins à prendre et je me suis raidi sous l'écume. La libido de Brigitte s'était-elle déplacée de la même manière ? Elle semblait s'en accommoder mieux que moi. Peut-être avait-elle déjà trouvé un dérivatif ? C'était difficile à savoir. Si l'on exceptait le sujet des enfants, nos conversations étaient devenues insignifiantes, comme si nous avions fait le tour, l'un de l'autre, et qu'il nous importait de ne pas recommencer. Stagnation.
L'océan en complice, roulait la jeune femme dans ses bras, et après l'avoir étourdie, il fit glisser son maillot sur ses genoux. Elle rosit en croisant mon regard planté sur son sexe nu avant qu'une main ne le recouvre et que l'autre ne se saisisse du maillot. Érection instantanée dans la fraicheur.
Lorsque je suis revenue sur ma serviette, Brigitte s'est levée à son tour et m'a demandé de surveiller son sac. J'ai plongé dans la glacière pour prendre la troisième canette de l'après-midi. Je me suis mis à rêvasser derrière sous mes lunettes, à imaginer ma main s'insinuer sous le maillot de bain blanc, les cuisses de la hollandaise m'enserrer, et la pointe fraiche de ses seins contre mon torse... Brigitte s'est à peine mouillée pour entretenir la blondeur de ses cheveux.
_ Ben dis-donc, t'as une sacrée descente aujourd'hui !
_ Je n'ai pas apporté la glacière pour qu'on la regarde.
_ Mouais... si j'comprends bien, c'est moi qui vais conduire au retour.
_ Brigitte...
_ Quoi ?
_ pourquoi on ne fait plus l'amour ? Pourquoi on n'échange plus rien. Je n'arrive pas à me détendre. Je ne pense qu'à ça.
_ je ne sais pas Michel. Nous avons chacun notre boulot, le stress, et avec les enfants, difficile d'avoir du temps pour ça.
Je n'ai rien ajouté. J'ai attendu que Brigitte s'allonge et s'assoupisse pour reprendre une bière. Faire gicler un peu d'écume sur mon amertume. Étais-je devenu un meuble pour Brigitte , la considérais-je moi-même de la même manière ? Je suis resté muet sur le chemin du retour. Brigitte également. Comme d'habitude. À l'intérieur, j'oscillais entre le maillot de bain transparent de la néerlandaise et la perte de libido.
Le silence, les volets clos pour ne pas laisser entrer la chaleur, Brigitte qui passait déjà le balai dans l'entrée afin d'évacuer le sable... Je me suis senti vieillir d'un coup. Nous étions deux et seuls. J'ai allumé la télé, une bière à la main avec le projet diffus de m'enivrer un peu plus.
_ Une semaine... Ils auraient pu envoyer une petite carte postale, tu ne crois pas ?
_ Bah, c'est plutôt bon signe. Ils ne doivent pas avoir le temps de s'ennuyer. Ne t'inquiètes donc pas, Brigitte.
_ Je prends la douche en premier, ça te va ?
Brigitte n'a pas attendu ma réponse. Notre couple ne tenait-il plus que par les enfants ? Une semaine creuse, supposée nous détendre. On ne se méfie jamais assez du temps libre, du vide. La nature a horreur de ça et nous le fait bien sentir. Aller surprendre Brigitte sous la douche, la savonner de partout, puis la plaquer contre la paroi pour l'enfiler, mais au milieu du couloir, l'idée m'a semblé ridicule. C'était moche. Je suis repassé devant le frigo. Je n'avais plus l'impulsion. Juste l'envie d'avoir envie comme disait l'autre. Brigitte m'a laissé la place sans un regard et j'ai senti l'eau couler avec un temps de retard, les yeux clos, les mains sur les cloisons pour atténuer les effets de l'ivresse naissante. Brigitte avait mis la table, sans déroger au petit rythme bien établi. Bon sang, je devenais dingue. Une semaine sans les enfants, à ne rien faire, à enfiler les perles en échanges de façade. Il ne subsistait rien de notre complicité. Il m'était impossible de continuer ainsi. J'avais besoin d'expérimenter le vide à ma manière.
_ Je n'ai pas faim. Je vais faire un tout en ville.
_ Avec ce que tu as bu ?
_ J'y vais à pieds.
_ Qu'est-ce qui te prend, Michel ?
_ J'en sais rien. Je ne peux plus. J'étouffe.
Brigitte a tenté de me convaincre, mais je n'étais plus accessible.. Son oeil était humide. Le mien aussi. La marque d'un regret au pied d'un amour défunt. Je n'ai pas été bien loin. J'ai posé mes fesses à la première terrasse. Un fond de musique cubaine et une poignée de clients qui tournaient au Bacardi décliné sous toutes ses formes. Je suis resté à la bière et j'ai bu tranquillement en laissant mon regard traîner sur la vie des autres.
Plus tard, le café s'est rempli et les serveurs affairés pilonnaient la glace en rythme en tendant le poignet aux habitués entre deux verres. Ça vivait tout autour. J'ai senti que le monde m'échappait, que je devenais vieux. Plus tard, au coin du bar, j'ai agité la main sans que cela n'interrompe le ballet des serveurs et, lorsqu'enfin on se rendit compte de ma présence, j'ai senti derrière le sourire, une pointe de condescendance. Eh oui, j'étais encore debout à une heure du matin ! Eh non ce n'était pas raisonnable de tanguer à mon âge! J'avais envie de les traiter un à un de petits cons, mais j'ai contenu cette colère, peut-être parce qu'effectivement, je vieillissais. Bière en main, je me suis planté devant ce présent qui me fuyait et dont ils paraissaient jouir sans en mesurer la richesse. J'ai repensé au glissement de maillot de la hollandaise, au désir immédiat d'aller me coller contre ses fesses. L'alcool en toile de fond, tout me paraissait simple, à portée de main. Le présent se jouait de moi, pourtant.
« Monsieur ? On va fermer. Non, ça ne va pas être possible. Même si vous la buvez vite. Je ne veux pas d'ennuis avec le voisinage. »
Je n'ai pas insisté. J'avais du mal à tenir sur mes guiboles et, pire, je venais de me faire gentiment sermonner par un gamin à peine plus âgé que mon aîné. On allait m'enterrer vivant, bordel ! Un coup d'épaule, et hop, dans la fosse ! Et tous ces petits cons qui jetaient joyeusement une poignée de terre sur ma gueule... Brigitte avait-elle senti cela avant moi ? S'était-elle sagement résignée ? Serais-je capable de regarder les autres vivre sans y prendre ma part ? Je sentais que j'allais combattre, désespérément, m'abreuver à la moindre source de vie plutôt que de succomber à l'enlisement. Étancher ma soif, où qu'elle soit et me dessécher le plus tard possible.
En titubant, j'ai songé à Brigitte, aux couches sédimentaires de notre vie commune, à son balai qui jour après jour avait chassé l'espoir des surprises. Lorsque je suis entré, tout était silencieux. J'ai progressé à tâtons vers la salle de bains. Mon visage, dans la glace, puait la défaite. Je me suis aspergé et je me suis brossé les dents dans une bouche anesthésiée. La douleur viendrait dans quelques heures.
La main sur la rampe, j'ai vu le rai de lumière sous la porte de la chambre. Voilà que j'appréhendais de me rendre dans mon propre lit ! Chaque pas me renvoyait le grincement du temps qui passe sur le parquet. Brigitte, en chien de fusil, était allongée de son côté. Elle avait laissé ma lampe de chevet allumée. Je me suis assis au bord du lit pour ôter mes habits et je me suis couché. Ma place était là, quoiqu'il arrive. La lumière, parce qu'elle savait que je reviendrais, parce qu'elle me connaissait aussi bien que je la connaissais. Ça achevait de me déprimer. Je me sentais minable, coupable de rejeter cette marque d'affection. J'eus même envie de la réveiller, de la secouer en hurlant « putain, Brigitte, on est encore en vie ! C'est pas le moment de devenir des fossiles ! » Je n'étais cependant plus en état d'argumenter. Il n'y avait rien derrière ma frustration. Seulement la peur du vide. Faire le vide... je prenais l'ironie en pleine gueule...
Je me demandais quelle tournure prendrait la chose au réveil quand Brigitte éclaira sa lampe de chevet et rejeta les draps. C'était à mon tour d'être immobile et de retenir mon souffle. J'ai laissé branché mon cerveau imbibé malgré les grésillements inquiétants. J'imaginais qu'elle avait planqué un couteau de cuisine et qu'elle visait, hésitante, entre mes omoplates, mais peu après, je l'entendis gémir. Puis je perçus ce bruit de fond, étrange, inhabituel. Le couteau, c'était dans l'ordre du possible, mais ça ? Pourtant j'avais déjà l'image en tête et lorsque je me suis retourné, Brigitte se caressait l'entrejambe avec un vibromasseur mauve. Dans le même temps je constatai qu'elle était entièrement épilée. J'ai filé immédiatement vers ses yeux où je cherchais je ne sais quelle explication, mais ce qu'elle m'a renvoyé était indéchiffrable. J'ai tendu une main qu'elle a aussitôt saisie et rejetée le long de mon corps.
« Tu peux regarder si ça t'amuse, mais ne t'avises pas de toucher »
« mais c'est quoi ce truc, Brigitte ? Ça fait longtemps que t'as ça ? »
« J'aimerais que tu te taises aussi. Je fais le vide. »
J'ai continué de regarder Brigitte dont les yeux papillonnaient, se brouillaient et me clouaient. Un mélange de plaisir et de défiance. Je la redécouvrais, libre, animale. Je m'étais lourdement planté sur son compte. J'avais le coeur au galop et je me suis retenu jusqu'à ce qu'elle en termine. Après quoi, Brigitte s'est allongée en soupirant, sans un mot. J'ai fait de même. Les larmes coulaient silencieuses, d'un bonheur bizarre. Demain ne m'inquiétait plus : Brigitte n'avait pas abdiqué. Et je l'aimais.
_________________
"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Faire le vide...
Du bon Vivant (sans jeu de mot!) un peu plus intimiste que d'habitude, toujours aussi efficace.
Swann,
Swann,
Swann- MacadAccro
- Messages : 1023
Date d'inscription : 31/08/2009
Age : 72
Localisation : entre deux cafés
Re: Faire le vide...
Sur le début, le caractère est posé, le décor planté ; car ceux qui s'interrogent vraiment de la sorte sur les origines des mots et le sens des formules, c'est pour imposer leur vision sinon leur jugement critique de la société et du bien-fondé des choses. L'actrice est une "héroïne" par ce qu'elle y touche.
J'ai aimé te lire, Vivant, donc.
Dam, bon esprit.
J'ai aimé te lire, Vivant, donc.
Dam, bon esprit.
Re: Faire le vide...
Ah que oui !
D'abord, comme d'habitude c'est très bien écrit, c'est fluide, on avance sans s'ennuyer.
Et surtout, les situations sont claires, le décor est planté, on voit et on sent les personnages. On vit avec, en spectateur sur la plage, comme en client à la terrasse du bistro, et même assis au bord du lit de la scène finale. Si, je te jure j'étais là, j'ai tout vu.
Et que cette fin inattendue est belle.
Bref, j'ai beaucoup aimé.
Nilo, verre à moitié...
D'abord, comme d'habitude c'est très bien écrit, c'est fluide, on avance sans s'ennuyer.
Et surtout, les situations sont claires, le décor est planté, on voit et on sent les personnages. On vit avec, en spectateur sur la plage, comme en client à la terrasse du bistro, et même assis au bord du lit de la scène finale. Si, je te jure j'étais là, j'ai tout vu.
Et que cette fin inattendue est belle.
Bref, j'ai beaucoup aimé.
Nilo, verre à moitié...
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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Faire le vide...
merci, ça fait plaisir. J'avais le début depuis un moment, l'idée de fin aussi, mais ça ne fonctionnait pas... et puis hier je me suis posé devant et j'ai taillé dans la masse. Vous me renvoyez des choses que je voulais faire passer. Bref, ça roule.
_________________
"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Faire le vide...
La fin, un peu absurde, m'a ravi.
Tu as dit mauve ?
Il a dit mauve.
Bestial, dixit mon dico, se dit de la forme approchant le plus de l'humain.
Les conversations, les dialogues, que l'on voudrait avoir et qu'on n'a pas.
Tout le reste, mon amour, c'est du pipi de chat...
Tu as dit mauve ?
Il a dit mauve.
Bestial, dixit mon dico, se dit de la forme approchant le plus de l'humain.
Les conversations, les dialogues, que l'on voudrait avoir et qu'on n'a pas.
Tout le reste, mon amour, c'est du pipi de chat...
Re: Faire le vide...
parce que le mauve est garçon (j'ai même pas honte, n'est-ce pas pitoyable ?)
_________________
"Chaque pensée devrait rappeler la ruine d'un sourire." Cioran.
Re: Faire le vide...
Si, ça l'est !
Mais Le Printemps de la Prose donne une nouvelle chance à ce texte malgré cette piètre dernière intervention. Tu peux remercier Dédé qui n'en a pas tenu compte.
Nilo, et l'aube est pine.
Mais Le Printemps de la Prose donne une nouvelle chance à ce texte malgré cette piètre dernière intervention. Tu peux remercier Dédé qui n'en a pas tenu compte.
Nilo, et l'aube est pine.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Faire le vide...
La fin relève toute la tristesse et le désespoir de ce texte, et comme j'ai la mémoire courte, ben du coup j'ai oublié le gouffre dans lequel on tombait peu à peu (je dis "on" parce qu'on devient vraiment le personnage)
Bref, super bien fait
Sasvata, "je tombe je plonge je m'abîîîîme!"
Bref, super bien fait
Sasvata, "je tombe je plonge je m'abîîîîme!"
sasvata- MacadMalade
- Messages : 495
Date d'inscription : 31/08/2009
Re: Faire le vide...
J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Six-septième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
_________________
Ciao les gonzesses, c'était Dédé.
Dédé- MacaDédé
- Messages : 1885
Date d'inscription : 04/09/2009
Re: Faire le vide...
j'hésite entre le bonheur que procure la surprise ou la déception face à cette fin plutôt innatendue....mais j'aime tout le texte pour le choix de ses mots, sa syntaxe impeccable, et ses dialogues courts, incisifs et VIDES !
Merci Dédé et bravo à toi malgré la conclusion surprenante ?
Merci Dédé et bravo à toi malgré la conclusion surprenante ?
printemps d'avril- MacadMalade
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