Fils putatif. (Chronicle)

Fils putatif. (Chronicle)


Dédé: Salut les gonzesses. C'est Dédé.

Dédé: Fils putatif.

Dédé: Non, c'est pas un gros mot, j'en dit plus beaucoup. Putain, ça fait deux jours qu'j'ai pas picolé. Et pour tout vous dire ça m'a fait prendre un sacré coup d'jeune. Ouais, j'me suis r'vu à peine tombé d'mon étagère dans l'caddy de P'pa qui m'a r'filé à M'man et deux jours plus tard j'avais une fiancée qui m'était offerte par Papy. "Putain c'est pas vraiment un long fleuve tranquille la vie d'un ours en peluche" que j'me suis dit. Et là j'ai r'fait tout l'chemin à l'envers. Remarquez, j'avais pas à aller loin, sept ans. Y pas vraiment besoin d'une machine à r'monter l'temps, même si pour moi les vapeurs d'alcool m'ont obligé à mettre les antibrouillards pour pas risquer d'me perdre entre une paire de nichons (tiens, y avait longtemps qu'j'avais pas parlé d'nichons dans un club de littérature) et une épitre de Paul aux Corinthiens. C'est Papy qui m'a appris à faire la distinction entre les deux. J'dois avouer que même si j'préfère les paires de Nichons les épitres de Paul sont pas dépourvues d'intérêt non plus. Mais parfois j'm'y perds un peu.

Dédé: Donc j'étais parti explorer la jungle de mon enfance entre les têtes de gondole des supermarchés et les têtes de cons des bars à putes où Papy m'emmenait pour parfaire mon éducation purement livresque des gonzesses. Faut dire qu'ma collec de Play-Boy elle est belle mais j'dois quand même reconnaître que sur papier glacé les nichons des gonzesses c'est un peu plat et que rien n'vaut mieux qu'd'apprendre sur le tas. R'marquez qu'des tas dans les clandés où m'traînait Papy j'en ai croisés aussi. J'me marrais bien, mon statut d'ours en peluche me permettait d'me foutre d'la gueule des mecs sans prendre trop d'risques, c'qu'était pas l'cas d'Papy qu'a du composer assez souvent avec des mecs qui comprenaient pas trop mon humour; Ils étaient assez mal dégrossis d'la tête, enfin de c'qu'est censé être dedans. En même temps c'est vrai qu'dans ces endroits là les mecs y réfléchissent plus avec leurs couilles qu'avec leur cerveau alors y peuvent bien le laisser au vestiaire en entrant. Y en a j'crois qu'ils l'avaient laissé dans leur bagnole, ou p't'être bien chez eux.

Dédé: J'ai donc passé ma tendre enfance dans la moiteur glauque des rades de province. Et c'est comme ça qu'j'ai fini par ouvrir ma p'tite entreprise à Pigalle. Entre temps j'ai pas été beaucoup à l'école mais j'suis souvent passé devant, avec Papy on allait voir les mamans qui v'naient chercher leurs chiards. Ca m'a donné envie d'apprendre de passer d'vant des écoles. Mais j'suis pas vraiment fait pour ça j'crois, les livres et moi on pourra jamais être que des copains d'étagères, chacun la sienne. Et puis j'aime mieux quand c'est P'pa ou M'man ou Papy qui lisent et qui m'racontent après en écoutant Dylan dans un refaisage de monde entre trois et six heures du mat' juste avant qu'les travailleurs fassent sonner leur réveil et que j'parte me coucher en en ayant appris beaucoup plus sur la platitude de l'univers entre la poire et l'fromage (ouais y a pas d'heure pour manger du fromage quand on r'fait l'monde) qu'y z en sauront jamais même si y z allaient passer tous leurs congés payés à la Cité des Sciences. J'crains rien d'le dire pasqu'y z iront pas à la Cité des Sciences, y préfèrent se vautrer sur le sable en toc de Paris plage pour mater des gonzesses qu'y foutront jamais dans leur lit. Y f'raient mieux d'venir refaire le monde avec nous. En même temps j'suis pas sûr qu'Papy y voudraient d'eux. Et en plus M'man elle est un peu sauvage et j'crois pas qu'elle leur laiss'rait passer la porte de chez elle. Elle a raison, on est bien mieux entre nous. Ca permet de causer de choses qui fâchent sans fâcher personne. Pasque j'les connais les mecs qui prennent le métro à six heures pour aller bosser (j'les croise quand j'rentre de Pigalle), y sont pas souriants, on croirait voir des socialos entendant une déclaration de Jospin un soir d'élection présidentielle. Des vraies têtes de déterrés. Pas vraiment souriants j'vous dis.

Dédé: Mais putain ! Y en aura pas un pour m'arrêter, vous l'savez bien pourtant que j'suis pas là pour vous parler d'la platitude de l'univers (c'est déjà fait) ou de la gueule d'un coton tige un soir de gueule de bois. Je suis v'nu pour vous parler d'moi quand je s'rai grand. Comment ça vous savez pas ? Vous avez lu l'titre de ma chronicle ou pas ? Me dites pas non, je sais qu'vous l'avez lu. Vot' problème c'est qu'vous avez la mémoire courte et qu'en une ou deux petites digressions bien menées on vous fait tout oublier et on vous amène ou j'veux. Tiens, j'vous file un rencard pour après les prochaines élections présidentielles, juste pour voir si vous avez suivi jusqu'ici. Et me d'mandez pas pourquoi bande de nazes.

Dédé: Ca m'fait marrer des fois quand j'me dis "quand j's'rai grand". Déjà quand j'étais p'tit j'avais pas envie d'être pompier ou pilote de ligne. Mal barré que j'étais, pas dans les clous l'gamin. C'est vrai, un gamin qui veut pas être pompier c'est un dangereux psychopathe, ou le fils d'un dangereux psychopathe, p't'être même le petit-fils d'un dangereux psychopathe. Ben moi j'suis les trois à la fois. Ouais Papy y mettait l'feu à des bagnoles de flics et y lisait Breton et Debord dans le texte, j'vous raconte pas le degré de psychopathie qu'ça représente. R'marquez, le feu aux bagnoles de flics c'était p't'être pour voir arriver les voitures de pompier, un truc refoulé par son autisme rampant, et Debord dans le texte c'est limite de la schizophrénie. Et comme si ça lui suffisait pas il a fallu qu'il passe tous ses bouquins à M'man et P'pa. C'est pas compliqué M'man elle a lu "L'amour fou" à l'âge où normalement elle aurait du lire "Martine à la plage", j'vous raconte pas. Pas étonnant qu'après ça elle ait voulu faire des études de Droit, elle se disait qu'il lui faudrait au moins ça pour tenter d'sortir Papy de cabane le jour où y pisserait contre un arbre.

Dédé: Et encore vous savez pas tout. Moi si ! Même des trucs de quand j'étais pas né. Tiens par exemple vous devinerez jamais c'que Papy il a offert à P'pa pour son anniversaire une fois. Ben j'vais vous l'dire : "L'immaculée conception" un truc de ouf de Breton et Eluard. Vous imaginez pas dans quel état ça l'a mis P'pa. Après ça il a fallu qu'y lise toute "La Révolution Surréaliste". Papy c'est un terroriste ! Déjà avec son histoire de platitude de l'univers j'me d'mande si il est pas en train de se préparer à tout faire sauter... Et il recrute dans son entourage. Vous voyez encore une fois qu'c'est plutôt pas un mal que M'man elle soit pas gauche côté Droit. Déjà que elle aussi elle lit des tas de trucs qui sont pas vraiment du genre de "L'Equipe". Elle serait un peu séditieuse que ça m'étonnerait pas.

Dédé: Et c'est là que j'vais vous épater une fois d'plus par l'élégance avec laquelle je vais r'tomber sur mes pattes comme un ours en peluche dans un bac de serviettes propres et qui sentent bon. Ouais pasque c'est précisément à ça que j'voulais en v'nir. Vous dire que comme j'avais pas envie de faire pompier j'vais p't'être me mettre à la littérature. Attention, hein, j'ai pas dit qu'j'allais laisser tomber mes affaires à Pigalle et rentrer au couvent. J'ai juste dit que quand j's'rai grand je vais faire auteur à succès. Un mix entre Desproges et Apollinaire qu'écrirait des chronicles politico-poético-connes dans l'urgence du cancer et de la trépanation. Avec un soupçon d'intelligence et de naïveté qui ferait qu'on pourrait les mettre en tête de gondole au milieu des trucs d'autres tronches de cake genre BHL ou Houellechose.

Dédé: Ouais, auteur à succès, c'est pas une belle ambition ça ? Je sais qu'y va falloir que j'bosse et qu'c'est pas gagné. Mais j'suis prêt et j'ai prév'nu M'man, P'pa et Papy qu'y vont avoir vach'ment d'boulot pour m'faire la lecture de tout c'que j'dois avoir lu avant de pouvoir aller répondre à des questions idiotes sur le pourquoi du comment du succès qui me s'ra tombé dessus posées par des mecs qu'ont des noms comme des initiales. Vous avez remarqué comment y z'ont souvent que des initiales les mecs qui posent des questions à des auteurs à succès. Ca doit être pour pas faire d'ombre au Nom de l'Auteur. Une forme d'anonymat de bon aloi en quelque sorte. De l'allégeance face à la grandeur de leur interlocuteur. Pour moi y faudra en trouver un qu'y s'appellerait même pas ou alors "?", pas plus. C'est bien comme nom "?" pour un mec qui pose des questions, vous trouvez pas ?

Dédé: J'ai un peu de temps devant moi avant qu'ça arrive et ça tombe bien pasque je suis un peu feignant et déjà pas mal occupé. Non, pasque j'voudrais pas devenir le Minou Drouet des ours en peluche, j'ai une réputation à défendre même si celle de méchanceté est très largement usurpée et j'tiens pas à être pris pour le Cajoline de l'édition. Papy me le pardonnerait jamais. R'marquez en même temps y a un truc qui m'fait d'la peine c'est que d'ici que j'sois grand comme lui j'crains qu'Papy il ait cassé sa pipe et que j'puisse pas lui faire la lecture de mes plus belles pages pendant qu'y s'balancerait dans un rocking-chair avec une couverture de laine sur les genoux…

Dédé: Donc va falloir que je bâcle quelques trucs pour me consacrer un peu plus à l'écriture de mon œuvre. J'vais déléguer certaines choses à mes potes de Pigalle et laisser Nounours s'occuper un peu plus des affaires du tripot. Ca va sentir le beurre au pineau mais on pourra transformer son salon de thé en salon de thé littéraire, ça devrait donner et pas empêcher le clandé de tourner.

Dédé: J'en connais plein moi des auteurs à succès. Y en a plein les étagères à Papy et à M'man et P'pa. Ca devrait m'inspirer un voisinage pareil. Tiens là, à portée de main j'ai un Sollers et à portée d'œil y sont tellement nombreux et serrés que j'peux même pas lire les noms. Pourtant vous savez que j'suis fort question lecture des couvertures. Même que jusqu'à maintenant, j'veux dire jusqu'à c'que j'décide de c'que j'ferai quand je s'rai grand, y a qu'ça que j'lisais dans un livre. Y a qu'les magasines de gonzesses à poil que j'ai toujours ouverts, pas forcément pour les lire, pasque j'm'intéresse plutôt aux images, mais au moins ceux là j'les ouvre.

Dédé: Donc me voilà avec une vocation. Digne du passé de terroriste de Papy et qui d'vrait rassurer M'man et P'pa sur mon avenir. C'est vrai que patron d'clandé c'est pas vraiment fait pour les aider à bien dormir. Alors que fils putatif (ça y est vous avez fait le lien avec le titre ? Vous êtes de moins en moins vif du bulbe.) de Pierre Desproges adopté par Philippe Sollers et filleul de Le Clézio c'est la classe. Je ferais dans le subversif, l'outrance narrative mâtinée de porno-poésie poudrée d'un humour corrosif suintant l'acide sulfurique comme un cocktail Molotov. Façon Saint Paul si vous voyez c'que j'veux dire. Non, vous voyez pas. Ca m'étonne pas, vous sortis des romans de gare vous avez rien lu. Au fait, Pulp Fiction ça vous dit quelque chose ?

Dédé: Souv'nez vous bien de ça. Quand j's'rai grand le succès s'ra comme une respiration chez moi. Et même mieux. Ca va en calmer un paquet des têtes de gondoles du supermarché littéraire. Poussez vous un peu pour m'laisser d'l'air bande de nazes.


Ciao les gonzesses, c'était Dédé.