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Les bonbons du bout du monde.
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Dam
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Macadam :: MacadaTextes :: Nouvelles
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Les bonbons du bout du monde.
Il était une fois deux grandes personnes qui s’ennuyaient terriblement. Ils habitaient un petit pavillon de banlieue à Baltimore. On était en Septembre et les toits étaient ébouriffés de feuilles. Ils passaient leur journée sur le canapé à regarder la télévision et à réfléchir au sens des choses. Lorsque l’ennui fut trop pesant, ils firent ce qu’on fait dans ces cas-là : des enfants.
En Mai, avec un mois d’avance, naissaient des jumeaux : un petit garçon brun, une petite fille blonde. Sans aucun doute, ils s’appelaient Frimin et Luciole. Ils grandissaient bien, ne faisaient pas trop d’histoires et mangeaient en mâchant correctement la nourriture. Simplement, ils se révélèrent peu à peu très difficiles : ils refusèrent d’abord la viande, puis les légumes, et finirent par n’accepter que les bonbons.
Les parents firent quelques colères, se fâchèrent tout jaune, rien n’y faisait : c’était la seule nourriture qu’ils toléraient. Frimin avait une préférence pour les serpentins, les entortillés, les micmacs de mangrove sucrée dans la bouche ; Luciole se délectait des bonbons joufflus, comme gonflés à l’hélium, qui fondent sur la langue et le palais. Au bout de quelques mois, les parents se résignèrent : les jumeaux grandissaient bien, avaient les yeux, les genoux et les oreilles à leur place.
A quatorze ans, les jumeaux commencèrent d’écumer Baltimore. Jamais rassasiés, ils cherchaient toujours plus de nouveaux bonbons, ceux qu’ils n’avaient jamais mangés avant, et que personne n’avait mangés avant eux. En quelques mois, ils se rendirent compte avec dépit que, vraiment, le gouvernement ne faisait aucun effort. Les rares magasins de bonbons de la ville étaient tous pareils : des rangées de bocaux sales, des vendeurs au téléphone avec leur cousine et des bonbons mous, fades et sans génie.
Un beau jour, Luciole se mit brusquement à pleurer, dans la dernière boutique inexplorée de la ville. Vraiment, disait-elle à Frimin, ce monde ne connaît rien aux bonbons. Le vendeur, un brave type, dit à sa cousine d’aller se faire cuire un cochon sauvage et raccrocha. Il murmura qu’il existait une vieille légende : de la plus vieille gare de Baltimore, celle au Sud où personne ne va jamais parce que c’est moche, partait une fois l’an le Train Zigzag. Au terminus, on trouvait la boutique du Père Laviolette. Ici dormaient les bonbons qu’on n’avait jamais inventés.
Deux mois plus tard, Frimin fit un rêve : un gigantesque train violet qui ressemblait à ses bonbons préférés approchait de Baltimore. Il réveilla Luciole, ils prirent des Manteaux à Grandes Poches et des hauts-de-forme et galopèrent jusqu’à la gare du Sud. Il était là, gros serpentin de nuages métalliques, tordu, cabossé, crachant vapeurs bleues et blanches comme une baleine. Joyeux Eté, dit le contrôleur quand ils montèrent, car on était en Juin.
Ce fut un drôle de voyage. Le train se déplaçait comme un serpent : malgré ses zigzags, torsions et son allure générale de tuyau d’alambic motorisé, il filait vite et droit. Il traversa comme une fusée le Sud de Baltimore et s’enfonça dans les premières campagnes. Deux jours passèrent ; au matin du troisième, Luciole et Frimin ouvrirent des yeux émerveillés sur le paysage : le train filait, clown ivre, sur la mer. Ils discutèrent avec un requin aux dents arc-en-ciel, qui leur raconta qu’il ne se fournissait plus que chez le Père Laviolette. Le soleil même, clignotant, semblait mâcher des sucres d’orge.
Enfin, le train s’arrêta dans un bruit de trompettes roses. On est arrivé, dit le contrôleur essoufflé, qui courait déjà vers la seule chose visible du paysage : une boutique de rien du tout plantée au milieu de nulle part. Dit voir, dit Frimin en faisait la grimace, ça ne paye pas de mine. Pourtant, lorsqu’ils entrèrent, ce fut un matin de carnaval. Le sol et le plancher, identiques, se confondaient en losanges multicolores. Partout autour d’eux, des récipients de toutes tailles et formes contenaient tous les bonbons de la terre. Un chaudron dégorgeait de friandises vertes qui, lorsqu’on soufflait dedans, faisaient danser les chats. Des bocaux immaculés, pleins à ras-bord de berlingots et de réglisses, leurs tirèrent des éclats de rire.
Survint un drôle de vieil homme monté sur roulettes. Je suis le Père Laviolette, dit-il, l’inventeur des bonbons. Luciole, qui avait inspecté tous les rayons, faisait déjà la moue : ça n’est pas si mal, dit-elle, mais le bonbon du millénaire n’est pas là. Le vieil homme sortit en riant deux pâtes mauves de sa poche : tenez, dit-il. Allez dehors, et soufflez dedans. Il se passa une chose rigolote : le bonbon de Frimin, en se dépliant, fit une gigantesque montgolfière de sucre ; celui de Luciole, un dirigeable. Ils mélangèrent les pâtes, montèrent à l’intérieur, et le Montgolgeable s’éleva doucement au-dessus de nulle part.
Le contrôleur qui repartait leva les yeux : la nuit était tombée, et le Montgolgeable faisait comme une étoile de plus. On entendait Luciole rire et Frimin parler de dromadaires. Il songea, avec douceur, qu’il n’y a que les enfants que les bulles de bonbons fassent voler.
Z 25 06 11
En Mai, avec un mois d’avance, naissaient des jumeaux : un petit garçon brun, une petite fille blonde. Sans aucun doute, ils s’appelaient Frimin et Luciole. Ils grandissaient bien, ne faisaient pas trop d’histoires et mangeaient en mâchant correctement la nourriture. Simplement, ils se révélèrent peu à peu très difficiles : ils refusèrent d’abord la viande, puis les légumes, et finirent par n’accepter que les bonbons.
Les parents firent quelques colères, se fâchèrent tout jaune, rien n’y faisait : c’était la seule nourriture qu’ils toléraient. Frimin avait une préférence pour les serpentins, les entortillés, les micmacs de mangrove sucrée dans la bouche ; Luciole se délectait des bonbons joufflus, comme gonflés à l’hélium, qui fondent sur la langue et le palais. Au bout de quelques mois, les parents se résignèrent : les jumeaux grandissaient bien, avaient les yeux, les genoux et les oreilles à leur place.
A quatorze ans, les jumeaux commencèrent d’écumer Baltimore. Jamais rassasiés, ils cherchaient toujours plus de nouveaux bonbons, ceux qu’ils n’avaient jamais mangés avant, et que personne n’avait mangés avant eux. En quelques mois, ils se rendirent compte avec dépit que, vraiment, le gouvernement ne faisait aucun effort. Les rares magasins de bonbons de la ville étaient tous pareils : des rangées de bocaux sales, des vendeurs au téléphone avec leur cousine et des bonbons mous, fades et sans génie.
Un beau jour, Luciole se mit brusquement à pleurer, dans la dernière boutique inexplorée de la ville. Vraiment, disait-elle à Frimin, ce monde ne connaît rien aux bonbons. Le vendeur, un brave type, dit à sa cousine d’aller se faire cuire un cochon sauvage et raccrocha. Il murmura qu’il existait une vieille légende : de la plus vieille gare de Baltimore, celle au Sud où personne ne va jamais parce que c’est moche, partait une fois l’an le Train Zigzag. Au terminus, on trouvait la boutique du Père Laviolette. Ici dormaient les bonbons qu’on n’avait jamais inventés.
Deux mois plus tard, Frimin fit un rêve : un gigantesque train violet qui ressemblait à ses bonbons préférés approchait de Baltimore. Il réveilla Luciole, ils prirent des Manteaux à Grandes Poches et des hauts-de-forme et galopèrent jusqu’à la gare du Sud. Il était là, gros serpentin de nuages métalliques, tordu, cabossé, crachant vapeurs bleues et blanches comme une baleine. Joyeux Eté, dit le contrôleur quand ils montèrent, car on était en Juin.
Ce fut un drôle de voyage. Le train se déplaçait comme un serpent : malgré ses zigzags, torsions et son allure générale de tuyau d’alambic motorisé, il filait vite et droit. Il traversa comme une fusée le Sud de Baltimore et s’enfonça dans les premières campagnes. Deux jours passèrent ; au matin du troisième, Luciole et Frimin ouvrirent des yeux émerveillés sur le paysage : le train filait, clown ivre, sur la mer. Ils discutèrent avec un requin aux dents arc-en-ciel, qui leur raconta qu’il ne se fournissait plus que chez le Père Laviolette. Le soleil même, clignotant, semblait mâcher des sucres d’orge.
Enfin, le train s’arrêta dans un bruit de trompettes roses. On est arrivé, dit le contrôleur essoufflé, qui courait déjà vers la seule chose visible du paysage : une boutique de rien du tout plantée au milieu de nulle part. Dit voir, dit Frimin en faisait la grimace, ça ne paye pas de mine. Pourtant, lorsqu’ils entrèrent, ce fut un matin de carnaval. Le sol et le plancher, identiques, se confondaient en losanges multicolores. Partout autour d’eux, des récipients de toutes tailles et formes contenaient tous les bonbons de la terre. Un chaudron dégorgeait de friandises vertes qui, lorsqu’on soufflait dedans, faisaient danser les chats. Des bocaux immaculés, pleins à ras-bord de berlingots et de réglisses, leurs tirèrent des éclats de rire.
Survint un drôle de vieil homme monté sur roulettes. Je suis le Père Laviolette, dit-il, l’inventeur des bonbons. Luciole, qui avait inspecté tous les rayons, faisait déjà la moue : ça n’est pas si mal, dit-elle, mais le bonbon du millénaire n’est pas là. Le vieil homme sortit en riant deux pâtes mauves de sa poche : tenez, dit-il. Allez dehors, et soufflez dedans. Il se passa une chose rigolote : le bonbon de Frimin, en se dépliant, fit une gigantesque montgolfière de sucre ; celui de Luciole, un dirigeable. Ils mélangèrent les pâtes, montèrent à l’intérieur, et le Montgolgeable s’éleva doucement au-dessus de nulle part.
Le contrôleur qui repartait leva les yeux : la nuit était tombée, et le Montgolgeable faisait comme une étoile de plus. On entendait Luciole rire et Frimin parler de dromadaires. Il songea, avec douceur, qu’il n’y a que les enfants que les bulles de bonbons fassent voler.
Z 25 06 11
Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
re
Un retour coloré au pays de l'enfance. Des personnages attachants. Une intrigue fort bien menée. J'ai tout de suite pensé à Charlie et la Chocolaterie !
léo- MacadAccro
- Messages : 1224
Date d'inscription : 25/03/2010
Age : 40
Localisation : Nord
Re: Les bonbons du bout du monde.
Je te retrouve bien là avec cette douce folie de gâter les enfants, et les grands enfants.
Dam, Itinéraire d'un enfant gâté
Dam, Itinéraire d'un enfant gâté
Re: Les bonbons du bout du monde.
J'adore ça, vraiment !
Si j'avais des enfants je leur raconterais cette histoire pour les endormir.
Je n'en ai plus à qui on en raconte pour les endormir mais je me la mets sous le coude pour mon petit-fils.
Nilo, attendri.
Si j'avais des enfants je leur raconterais cette histoire pour les endormir.
Je n'en ai plus à qui on en raconte pour les endormir mais je me la mets sous le coude pour mon petit-fils.
Nilo, attendri.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Les bonbons du bout du monde.
Une Montgolgeable pour Luciole et Firmin.
Nilo, vite fait.
Nilo, vite fait.
_________________
... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
Re: Les bonbons du bout du monde.
C'est vrai, ça donne envie de sortir les crayons de couleur et de dessiner tous ces bonbons , toutes ces couleurs , toutes ces matières gonflées et moelleuses !
A croquer!
A croquer!
_________________
LaLou
Re: Les bonbons du bout du monde.
Merci pour vos réactions ! je suis vraiment heureux que ces contes vous parlent.
Et merci Nilo pour cette montgolgeable que je garde bien au chaud (si un recueil de contes sort un jour..)
Z, touché.
Et merci Nilo pour cette montgolgeable que je garde bien au chaud (si un recueil de contes sort un jour..)
Z, touché.
Zlatko- MacadAccro
- Messages : 1621
Date d'inscription : 30/08/2009
Age : 33
Localisation : Centre
Re: Les bonbons du bout du monde.
Une histoire digne de Dam-tartine....
Swann,
Swann,
Swann- MacadAccro
- Messages : 1023
Date d'inscription : 31/08/2009
Age : 72
Localisation : entre deux cafés
Re: Les bonbons du bout du monde.
J'l'aime bien moi aussi cette histoire pour les chiards.
J'en aurai jamais des chiards mais j'la raconterai à ceux des gisquettes qui me f'ront du gringue quand j'vais draguer au bac à sable.
Dédé.
J'en aurai jamais des chiards mais j'la raconterai à ceux des gisquettes qui me f'ront du gringue quand j'vais draguer au bac à sable.
Dédé.
_________________
Ciao les gonzesses, c'était Dédé.
Dédé- MacaDédé
- Messages : 1885
Date d'inscription : 04/09/2009
Re: Les bonbons du bout du monde.
J'ai fait le vœu de mettre mon aumône dans la sébile de tous les mendiants que je trouverai sous toutes les portes cochères qui mènent au Petit Etablissement de Crédit que je viens d'ouvrir au profit de ceux qu'en ont pas besoin. En particulier à la Quatrième liste que j'vous ai filée.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
Juste histoire de pas avoir bossé pour rien à les chercher pasque si j'compte que sur vous j'crains qu'y en ait qu'entendent pas le son de votre obole tombant dans leur coupelle.
Charité bien ordonnée...
Dédé.
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Ciao les gonzesses, c'était Dédé.
Dédé- MacaDédé
- Messages : 1885
Date d'inscription : 04/09/2009
Re: Les bonbons du bout du monde.
Repassé par ici pour voir où en était la Montgolgeable.
Et remplir mon sac de bonbons.
pas mécontent du voyage.
Nilo, lâche du lest.
Et remplir mon sac de bonbons.
pas mécontent du voyage.
Nilo, lâche du lest.
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... Tu lui diras que je m'en fiche. Que je m'en fiche. - Léo Ferré, "La vie d'artiste"
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